Publié le 29 fév 2016Lecture 8 min
Gestion au quotidien des porteurs de prothèse valvulaire cardiaque - Comment éviter les complications ?
R. ROUDAUT, Hôpital Cardiologique du Haut-Lévêque, Pessac, université de Bordeaux
JESFC
Après remplacement valvulaire, les patients sont le plus souvent guéris de leur anomalie valvulaire, mais ils sont porteurs d’un substitut valvulaire qui comporte un certain nombre de risques, d’où l’importance de l’information, de l’éducation, de la prévention et de la surveillance.
Nous proposons d’aborder plusieurs points :
- l’information du patient sur sa prothèse, les risques potentiels, les signes d’appel ;
- les modalités du suivi ;
- l’importance de l’hygiène de vie, y compris le sport et la prophylaxie de l’endocardite ;
- la gestion le cas échéant du traitement anticoagulant ;
- enfin, nous aborderons le délicat problème de la grossesse chez la patiente porteuse de prothèse valvulaire.
Les recommandations internationales sont là pour nous guider sur :
- le suivi de ces patients (ESC 2012/ACC-AHA 2014) ;
- la gestion du traitement anticoagulant (Pernod G. Thrombosis Research 2010 – ACCP 2012).
Information du patient
Le patient doit être informé du type de prothèse qui lui a été implanté : mécanique ou biologique, la localisation mitrale, aortique ou plus exceptionnellement tricuspide. Il est également important de préciser si d’autres gestes chirurgicaux ont été associés lors de l’opération : pontage, Bentale… Il faut dire que de nos jours, le plus souvent, la décision est prise de façon consensuelle entre le cardiologue, le chirurgien cardiaque et le patient.
Il faut conseiller au patient de placer la carte de porteur de prothèse valvulaire dans son porte-feuille (figure).
Figure. Carte d’identité du porteur de prothèse.
Sont considérés comme prothèses à haut risque thromboembolique (TE), les prothèses mécaniques mitrales a fortiori s’il existe une fibrillation atriale (FA) ou une dysfonction ventriculaire gauche (VG) ainsi que les prothèses de première génération (bille ou disque vasculaire).
À l’inverse, une prothèse à doubles ailettes en position aortique fait courir au patient un faible risque thromboembolique. Les principales complications des prothèses valvulaires sont :
- les accidents thromboemboliques de loin plus fréquents avec les prothèses mécaniques par rapport aux prothèses biologiques. Les thromboses peuvent être obstructives, toujours très graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital, ou non obstructives qui se traduisent le plus souvent par une embolie périphérique : cérébrale, des membres, etc. ;
- les saignements essentiellement liés aux traitements anticoagulants voire antiagrégants ;
- la dégénérescence de bioprothèse qui peut survenir au-delà de la 6e-10e année postopératoire (plus rarement plus tôt) ;
- les fuites paravalvulaires liées à un lâchage de suture sur des tissus fragiles, voire infectés. Ces fuites peuvent se compliquer d’une anémie hémolytique ;
- l’endocardite qui demeure en 2016 une complication gravissime.
Il faut donc expliquer au patient qu’il ne doit pas hésiter à consulter son médecin traitant en cas de dyspnée d’apparition récente, de signe d’insuffisance cardiaque, de malaise, de fièvre inexpliquée, etc.
Modalités du suivi
Le suivi implique bien sûr le patient, mais aussi son médecin traitant et son cardiologue et si besoin le centre hospitalier.
En cas de traitement anticoagulant, le médecin référent est le plus souvent en première ligne, il est indispensable qu’il soit particulièrement vigilant, en particulier en matière de prothèse valvulaire mécanique.
Le bilan de référence postopératoire est classiquement réalisé entre la 6e et la 12e semaine, à une période où le porteur a repris son autonomie et un état hémodynamique stable.
Ce bilan de référence auprès du cardiologue doi t comprendre : un examen clinique, un ECG, une radiographie thoracique et une échocardiographie transthoracique (ETT) qui permettra de définir les valeurs de référence nécessaires pour le suivi (classe IC) de la prothèse, enfin un bilan biologique complet.
Au-delà de cette 1re année postopératoire, une consultation cardiologique simple est recommandée chaque année, comprenant le plus souvent, un électrocardiogramme et classiquement une radiographie thoracique. Les recommandations internationales ne préconisent pas d’ETT systématiquement. Une échocardiographie transthoracique annuelle ne sera prescrite que s’il existe des signes cliniques d’alertes ou une notion de dysfonction VG à surveiller ou encore une anomalie d’une autre valve à réévaluer périodiquement.
Les recommandations internationales spécifient également qu’en cas de prothèse biologique de plus de 10 ans, une ETT annuelle est nécessaire compte tenu du risque de dégénérescence accru (classe IC).
L’échocardiographie transœsophagienne (ETO) n’est recommandée que s’il existe des signes cliniques nouveaux évocateurs d’une dysfonction valvulaire (classe IC).
Importance de l’hygiène de vie
Le patient porteur de prothèse valvulaire doit être informé de l’importance d’une bonne hygiène de vie. Il doit surveiller son poids et éviter comme tout « cardiaque » le sel, les sucres et les graisses animales en excès.
L’hygiène bucco-dentaire doit être stricte. L’antibioprophylaxie est de rigueur.
Elle est simple et se limite aux soins dentaires et plus particulièrement aux gestes qui touchent la muqueuse gingivale avec perforation, et la région périphérique de la dent.
Il s’agit d’une recommandation de classe IIa C.
En l’absence d’allergie à la pénicilline, le traitement comporte 2 grammes d’amoxicilline ou d’ampicilline 30 à 60 mm avant la procédure per os ou IV. En cas d’allergie à la pénicilline, clindamycine 600 mg per os ou IV (tableaux 1 et 2).
La question de l’aptitude au sport est souvent posée. Les recommandations récentes américaines (Bonow. JACC 2015) distinguent 3 situations :
- prothèse biologique (aortique ou mitrale) sans anticoagulant avec fonction VG normale, dans ce cas, les sports de compétition de faible intensité et certains sports d’intensité modérée sont autorisés (classe IIa C) ;
- prothèse mécanique (aortique ou mitrale) sous anticoagulant avec fonction VG normale, les sports de compétition de faible intensité sans contacts physiques sont autorisés (classe IIa C) ;
- plastie des valves mitrales ou aortiques de bonne qualité sans dysfonction VG : tous les sports sont autorisés sous couvert de l’autorisation du médecin référent, en évitant les sports de contact (classe IIa C).
Gestion du traitement anticoagulant
Prothèse biologique
(tableau 3)
L’avantage des prothèses biologiques est de ne pas nécessiter de traitement anticoagulant au long cours en l’absence d’autre indication à un tel traitement (fibrillation atriale avant tout). Toutefois les recommandations européennes et américaines proposent un traitement par AVK durant les 3 premiers mois postopératoires pour les bioprothèses mitrales et tricuspides pour lesquelles le risque thromboembolique est plus élevé (classe IIa). Un traitement par aspirine faible dose est proposé lors des 3 premiers mois postopératoires par les Européens (ESC 2012) pour les bioprothèses aortiques. L’anticoagulation des bioprothèses aortiques pendant la période postopératoire initiale est discutée par l’ACC/AHA (classe IIb).
Au-delà de cette période postopératoire, les Américains proposent un traitement antiagrégant à vie par aspirine à faible dose (75 à 100 mg) (classe IIa). Le patient opéré de TAVI doit bénéficier d’un traitement associant clopidrogel 75 mg et aspirine 75-100 mg pendant les 6 premiers mois. Au-delà, aspirine seule (classe IIb C).
À noter également qu’il est recommandé un anticoagulant pendant les 3 premiers mois après plastie de la valve mitrale (classe IIa).
Prothèses mécaniques
(tableaux 4 et 5)
L’anticoagulation par AVK est indispensable à vie (classe Ia ESC, Ib ACC/AHA) ; les anticoagulants oraux directs (AOD) sont formellement contre-indiqués (classe III).
En ce qui concerne, le niveau de l’anticoagulation, il est fonction de la localisation de la prothèse, du type de prothèse (bille, disque, doubles ailettes) et de la notion de facteurs de risque associés : FA, dysfonction VG.
Schématiquement, pour une prothèse mécanique à doubles ailettes en position aortique et rythme sinusal, l’INR cible est à 2,5.
Pour une prothèse mitrale à doubles ailettes en rythme sinusal, l’INR cible est à 3.
Il est par ailleurs recommandé de surveiller l’anticoagulation de façon régulière par un praticien expérimenté. Soulignons également l’importance de l’éducation thérapeutique en matière d’anticoagulation.
Il est regrettable qu’en France, les cliniques des anticoagulants soient si peu développées et que tous les efforts pour obtenir le remboursement des appareils d’automesure soient restés vains.
Relais
(tableaux 6 et 7)
Un autre point doit être envisagé, celui des relais. Il faut opposer les situations les plus simples (patient à bas risque thromboembolique, chirurgie à faible risque hémorragique ou thromboembolique : dentaire, cutanée, cataracte). Dans ces cas (classe Ic ACC/AHA), il est proposé de réaliser la chirurgie sans relais, soit après avoir abaissé l’INR à 2, soit après avoir arrêté de façon très brève la prise d’AVK. Dans les autres cas, il faut envisager un relais (classe I) soit par héparine idéalement intraveineuse ou encore en sous-cutanée.
L’utilisation des HBPM reste controversée. Il est rappelé que si ce choix est fait, il faut prescrire deux injections à 12 h d’intervalle et contrôler régulièrement l’activité anti-Xa.
Lorsque les AVK doivent être interrompus, il est conseillé de le faire à J-5 et de débuter l’héparine aux alentours de J-3.
Anticoagulation et grossesse
(tableau 8)
Si la grossesse est généralement bien tolérée chez une patiente porteuse de bioprothèse mitrale sans facteur de risque associé, il n’en est pas de même pour une prothèse mécanique. Dans ce cas, le risque thromboembolique est élevé, la grossesse est déconseillée. Si elle est choisie par la patiente, elle doit être préparée et programmée.
La gestion du traitement anticoagulant pendant la grossesse reste très controversée et difficile. De façon schématique, on peut en fonction des recommandations 2015 de l’ACC/AHA distinguer 3 périodes :
- 1er trimestre : il a été démontré que les doses de coumadine ≤ 5 mg entraînent un faible risque d’embryopathie ; dans ces cas, la coumadine peut être poursuivie. Pour des doses de coumadine > 5 mg, il faut envisager un relais par héparine. Les modalités de ce relais sont controversées. Les HBPM ont mauvaise presse dans cette situation. Des cas de thrombose de valve ont été rapportés sous HBPM à dose curative en 2 injections !
- durant les 2e et 3e trimestres, les AVK sont poursuivis ;
- la délivrance doit être programmée, il est conseillé d’arrêter les AVK et de prendre le relais par de l’héparine IV.
En pratique
Les patients porteurs de prothèses valvulaires doivent être surveillés comme les patients atteints de pathologie valvulaire native, c’est-à-dire au moins une fois par an. La surveillance repose avant tout sur la clinique. La répétition annuelle de l’échocardiographie transthoracique est inutile en l’absence de symptôme.
En revanche, il faut éduquer le patient à reconnaître les symptômes d’alarme (dyspnée, douleurs thoraciques, palpitation, syncope, etc.) qui doivent conduire à consulter un cardiologue, voire un centre de cardiologie rapidement.
Les règles de prophylaxie de l’endocardite sont de rigueur chez ces patients à haut risque. Le traitement anticoagulant est indispensable en cas de prothèse mécanique et doit être surveillé de façon attentive.
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