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Thérapeutique

Publié le 30 sep 2016Lecture 10 min

Peut-on arrêter les bêtabloquants après un infarctus du myocarde ?

C. COQUARD, M. SLAMA, Service de cardiologie, Hôpital Antoine Béclère, Clamart

Dans la prise en charge de la maladie coronaire, les bêtabloquants font partie du traitement standard de tout coronarien, en particulier après un syndrome coronarien aigu (SCA), en association avec les antiagrégants plaquettaires, les statines et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion.

Dès leur synthèse en 1962 par Sir James Black, l’efficacité symptomatique « révolutionnaire » des bêtabloquants sur l’angine de poitrine a pu être constatée(1). Depuis lors, ils sont passés en « prescription automatique », car tout y concourt : premier authentique remède à l’angor d’effort, du fait de leur effet chronotrope négatif et de l’allongement de la durée de la diastole, ils ont une excellente efficacité antiarythmique, améliorent la performance ventriculaire gauche et réduisent la mortalité en cas d’insuffisance cardiaque, et font partie de l’arsenal antihypertenseur. Leur utilisation systématique dans la maladie coronaire repose sur leur bonne efficacité antiangineuse et la supposition que leur effet bénéfique sur la morbi-mortalité persiste après un infarctus du myocarde, sur des données extrapolées de grands essais menés sur des patients à haut risque, après infarctus du myocarde (IDM) ou présentant une dysfonction ventriculaire, bien souvent réalisés avant l’ère de la revascularisation myocardique. En ce qui concerne les patients revascularisés — la majorité de nos jours — il n’existe aucune donnée issue d’essais cliniques randomisés. De même, si les bêtabloquants instaurés à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde ont une tendance bénéfique retrouvée de façon inconstante sur la mortalité à court et moyen terme, aucun essai randomisé n’a évalué cet effet au long terme chez un patient coronarien stabilisé après un infarctus, sans récidive d’événement. Cette population qui bénéficie souvent d’une revascularisation précoce, complète, souvent avec des stents actifs, soumise à un traitement médical au long cours efficace comprenant un nombre important de molécules est bien souvent demandeuse d’un arrêt des bêtabloquants, du fait de leurs effets secondaires réels ou redoutés. Aussi, tout clinicien peut se trouver tôt ou tard confronté à une demande d’arrêt des bêtabloquants. Les bêtabloquants à la phase aiguë de l’infarctus : quelle place à l’ère de la revascularisation ? Les bêtabloquants par voie orale sont recommandés par l’AHA/ACC dans la prise en charge des patients après infarctus du myocarde avec une classe de recommandation I, le patient ayant bénéficié ou non d’une revascularisation. La force de ces recommandations conduit à une utilisation quasi systématique des bêtabloquants, en l’absence de contre-indication. Ainsi, dans le registre français FAST-MI 2010, 79 % des patients étaient traités par bêtabloquants dans les 48 h suivant un événement aigu coronarien, et 86 % à la sortie d’hospitalisation(2). Pourtant la plupart des essais randomisés contrôlés démontrant l’efficacité des bêtabloquants en termes de morbi-mortalité après infarctus du myocarde ont été conduits avant l’ère de la revascularisation. L’évolution rapide des techniques de revascularisation coronarienne ces vingt dernières années a conduit à un changement complet de la prise en charge de ces patients mais également de leur pronostic, rendant hasardeuse l’extrapolation des données concernant les bêtabloquants dans cette indication à notre pratique actuelle. Dans la métaanalyse de 102 003 patients, menée par Bangalore, les bêtabloquants sont significativement associés à une réduction de la mortalité toutes causes après infarctus du myocarde (IDM) non revascularisé, alors que cet effet n’est pas retrouvé pour les études conduites après revascularisation(3). Cependant, plusieurs études observationnelles laissent supposer un effet bénéfique des bêtabloquants sur la mortalité après infarctus du myocarde revascularisé. Ainsi, dans la métaanalyse de Choo, il est observé une franche diminution de la mortalité toutes causes à 3 ans (37 %) et de la mortalité cardiovasculaire sur une population de 3 019 patients admis pour IDM avec FEVG préservée, ayant bénéficié d’une revascularisation percutanée (PCI)(4). De même, dans l’étude observationnelle de Kernis menée sur 2 442 patients se présentant à la phase aiguë d’un IDM et bénéficiant d’une revascularisation percutanée, le traitement par bêtabloquants IV précoce semble être un facteur protecteur de la mortalité à 6 mois (OR = 0,43 ; IC95% : 0,26-0,73 ; p = 0,0016, après ajustement)(5). À la phase aiguë d’un syndrome coronarien, la fréquence cardiaque à la prise en charge représente un important facteur pronostique de mortalité intrahospitalière(6). Dans une étude menée sur 3 670 patients du registre FAST-MI admis pour SCA, Seronde a montré qu’une fréquence cardiaque élevée en sortie d’hospitalisation est significativement associée à une hausse de la mortalité toutes causes à 1 an(7) avec une augmentation de 39 % de la mortalité à 1 an pour une fréquence cardiaque supérieure à 75 bpm comparée à une fréquence < 75 bpm (HR = 1,39 ; IC95% : 1,05-1,84), soit encore une augmentation de mortalité de 13 % pour 10 bpm. Par ailleurs, la préscription ou non d’un bêtabloquant représentait, en analyse multivariée, un facteur prédictif indépendant d’une fréquence cardiaque élevée en sortie d’hospitalisation. L’ensemble de ces données semble donc montrer un intérêt des bêtabloquants et de leur effet chronotrope négatif dans ce contexte. Ainsi, bien que le bénéfice des bêtabloquants dans la prise en charge d’un STEMI à l’ère de la revascularisation semble moins évident, devant les résultats de ces études observationnelles, l’ESC suggère dans ses recommandations de 2012, l’utilisation des bêtabloquants avec un niveau de recommandation de classe IIA dans la prise en charge d’un STEMI sans manifestation d’insuffisance cardiaque. Les bêtabloquants restent en revanche recommandés avec une force de recommandation IA en cas de dysfonction ventriculaire gauche. Et après un infarctus du myocarde ? La question de l’allègement du traitement des patients coronariens après « un certain temps » — plusieurs années ? — sans récidive d’événement se pose tôt ou tard à tout clinicien. Si les bêtabloquants instaurés à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde semblent avoir un effet bénéfique sur la morbi-mortalité à moyen terme, il n’existe que peu de données sur la persistance de cet effet à distance de l’événement coronarien. En revanche, leurs effets secondaires sont actuellement bien connus, et leur prescription au long cours n’est pas dénuée d’un impact économique certain. L’impact économique du traitement postinfarctus Dans une étude parue en 2015, Carubaa propose une analyse du coût du traitement instauré selon les recommandations, après tout syndrome coronarien aigu. Ainsi, le coût annuel global de traitement de la maladie coronaire stabilisée est évalué à 855 € par an, dont 73 € lié aux bêtabloquants, sans différences significatives entre les classes(8). L’impact économique de la prescription de bêtabloquants au long cours semble donc relativement faible à l’échelle individuelle, et peu importante à l’échelle collective, ceci malgré la forte prévalence de la maladie coronarienne dans les pays occidentaux. Poursuite des bêtabloquants en cas de persistance d’une dysfonction ventriculaire gauche Nombreux sont les essais cliniques ayant montré l’effet bénéfique des bêtabloquants dans l’insuffisance cardiaque(9,10). Les bêtabloquants sont en effet associés à une moindre morbidité, une diminution importante de la mortalité et permettent par ailleurs une amélioration des symptômes d’insuffisance cardiaque entraînant une meilleure qualité de vie(11,12) des patients. Ainsi, dans sa métaanalyse de 18 essais contrôlés randomisés, contre placebo, Lechat a montré, sur 3 023 patients, une diminution de 37 % de la mortalité associée au traitement par bêtabloquant(13). Des résultats similaires ont été mis en évidence dans l’étude CIBIS II, arrêtée prématurément devant une réduction de la mortalité annuelle de 34 % en faveur du bisoprolol(14). Les arythmies ventriculaires sont fréquentes chez les sujets insuffisants cardiaques, en particulier en cas de dilatation ventriculaire gauche avec altération sévère de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG). Les bêtabloquants étudiés dans ce contexte sont associés à une diminution des morts subites et des hospitalisations pour trouble du rythme ventriculaire(12). Devant l’ensemble de ces données, l’ESC comme l’ACC/AHA placent les bêtabloquants en première ligne du traitement de la maladie coronaire en cas de manifestations d’insuffisance cardiaque avec un niveau de recommandation de classe IA(15,16). La poursuite des bêtabloquants, au long cours et à distance d’un événement coronarien, est donc recommandée et justifiée chez les patients insuffisants cardiaques. Les bêtabloquants chez le patient coronarien symptomatique Il existe à l’heure actuelle des preuves solides de l’intérêt des bêtabloquants dans le traitement symptomatique de l’angor et la diminution de l’ischémie myocardique. Réduisant la fréquence cardiaque, la contractilité myocardique et la conduction auriculo-ventriculaire, les bêtabloquants diminuent les besoins en oxygène du myocarde, exerçant ainsi une action anti-ischémique directe. L’allongement de la diastole permet également l’augmentation de la perfusion coronaire et donc une meilleure vascularisation des zones ischémiques, ce qui explique leur efficacité dans le traitement symptomatique de l’angor. La très large métaanalyse menée par Heidenreich en 1999 sur 90 essais comparant l’efficacité des bêtabloquants aux inhibiteurs calciques et aux dérivés nitrés à action prolongée, montrait, en dépit d’une absence d’efficacité sur la survenue d’événements cardiovasculaires, un effet bénéfique des bêtabloquants sur les symptômes angineux avec moins de récidives de crises d’angor que le traitement par inhibiteurs calciques(17). Il semblait également que, dans cette étude, les bêtabloquants étaient mieux tolérés que les inhibiteurs calciques et les dérivés nitrés avec un taux d’arrêts prématurés de traitement inférieur. Les recommandations de l’AHA en 2012 et de l’ESC en 2013 placent les bêtabloquants en première ligne, en l’absence de contre-indication, dans le traitement symptomatique de l’angor(18,19) avec une force de recommandation IA. Par ailleurs, chez les patients asymptomatiques présentant des preuves d’ischémie étendue sur plus de 10 % du myocarde, l’ESC suggère un effet bénéfique des bêtabloquants en prévention de l’apparition de symptômes (IIa, C). Ainsi, il semble que la poursuite du traitement par bêtabloquants, dans un but symptomatique, chez les patients gardant des manifestations angineuses ou une ischémie myocardique étendue, soit nécessaire. Les bêtabloquants dans la maladie coronaire stable asymptomatique Si la place des bêtabloquants dans le traitement symptomatique de l’angor est bien définie, leur efficacité à long terme sur le pronostic des patients coronariens stables semble moins évidente. Aussi, chez les patients coronariens asymptomatiques, ne présentant pas de dysfonction ventriculaire gauche, la question de la nécessité de maintenir le traitement par bêtabloquant semble licite. Deux larges essais récemment menés ont étudié l’importance pronostique de la fréquence cardiaque au repos sur la mortalité cardiovasculaire. Le premier, mené par l’équipe de Jouven, retrouve une association significative entre une fréquence cardiaque de repos supérieure à 75 bpm, et la survenue de mort subite par IDM(20). Dans le second, Diaz met en évidence sur 24 913 patients suspectés ou diagnostiqués comme porteurs d’une maladie coronarienne stable, une association entre mortalité toutes causes, mortalité cardiovasculaire et réhospitalisations, et une augmentation de la fréquence cardiaque(21). Ces études laissent supposer, chez le patient porteur de maladie coronaire stable, un potentiel effet bénéfique des bêtabloquants dans la prévention de la mort subite par leur action chronotrope négative. Une étude récente menée sur 21 860 patients issus du registre REACH (figure 1) s’est intéressée à l’efficacité des bêtabloquants dans la maladie coronaire stable(22). Dans cette analyse, leur utilisation n’était pas associée à une diminution de la mortalité cardiovasculaire, ni de la prévalence des infarctus et AVC non létaux, des hospitalisations pour événements thromboemboliques ou geste de revascularisation. Cette absence d’effet bénéfique était retrouvée y compris chez les patients aux antécédents d’infarctus du myocarde. Ces données remettent donc en question le rationnel de la prise en charge actuelle, consistant en leur utilisation systématique. Dans une large analyse observationnelle sur 26 793 patients issus du registre Kaiser Permanente Northern California (figure 2), hospitalisés pour premier événement coronarien, l’équipe d’Andersson retrouve un effet bénéfique modeste des bêtabloquants, limité aux patients présentant des antécédents d’IDM(26). Bien que ces résultats restent à interpréter avec prudence car issus d’études observationnelles, avec les biais que cela suppose, ils confortent l’hypothèse que l’utilisation systématique des bêtabloquants n’est pas associée à une amélioration du pronostic de tout patient coronarien stable. Figure 1. Registre REACH. Figure 2. Registre Kaiser Permanente Northern California. Quand arrêter un traitement bêtabloquant chez un patient coronarien stable asymptomatique ? Face à un patient coronarien stable, resté asymptomatique sous traitement médical, chez qui l’arrêt du bêtabloquant est discuté, se pose la question suivante : combien de temps après l’événement coronarien est-il licite d’envisager l’arrêt du traitement ? Il existe peu de données concernant la persistance et la durée de l’effet bénéfique des bêtabloquants à distance de l’événement coronarien. Dans une large métaanalyse regroupant 40 873 patients ayant présenté un IDM revascularisé précocément, Huang retrouve une disparition de l’effet bénéfique des bêtabloquants en termes de mortalité et récidive d’IDM à 1 an de l’événement(23). Ces données semblent concordantes avec les résultats de Graham qui décrit une normalisation du tonus sympathique (hyperactivé dans la phase aiguë post-infarctus) 9 mois après l’événement coronarien(24,25). Bien qu’aucun essai contrôlé randomisé n’ait conforté ces résultats, l’AHA/ACC intègre dans ces recommandations la notion de durée de traitement et recommande (classe I) l’utilisation des bêtabloquants en post-IDM pour une durée de 3 ans (niveau de preuve B), et suggère seulement leur poursuite au-delà de ce délai (classe IIB). En pratique Les techniques de revascularisation très précoces et souvent complètes en phase aiguë d’infarctus, la généralisation de l’utilisation des stents actifs, l’efficacité des traitements dans le postinfarctus (antiagrégants, statines, IEC) font que nombre de patients se retrouvent après un infarctus avec une fonction ventriculaire gauche normale, sans lésion coronaire, et sans ischémie résiduelle, avec un risque rythmique minime ou nul. L’identification de cette population est techniquement possible. Le retrait des bêtabloquants après une évaluation complète est donc théoriquement concevable, mais ne repose sur aucune base scientifique formelle. Des études randomisées de retrait des bêtabloquants dans cette population à faible risque sont nécessaires et devraient permettre de prendre ces décisions de manière rationnelle. 

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