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Thrombose

Publié le 29 nov 2016Lecture 8 min

Thrombose artérielle/thrombose veineuse : même combat ?

G. TISSERAND, G. PERNOD, Clinique Universitaire de Médecine Vasculaire, CHU de Grenoble

Les thromboses artérielles et les thromboses veineuses ont longtemps été considérées comme étant des pathologies différentes, de physiopathologie distincte. Depuis une dizaine d’années, des liens entre ces deux phénomènes sont mis en évidence. C’est à partir d’étude épidémiologiques concernant le suivi de patients après maladie thromboembolique veineuse (MTEV) qu’une incidence élevée d’événements artériels a été trouvée(1) et ce lien a été renforcé depuis par plusieurs études cliniques, avec en ligne de mire de potentielles implications dans la gestion diagnostique et thérapeutique de ces pathologies. Le lien peut être abordé sous plusieurs angles, selon le mode d’entrée dans la pathologie thrombotique.

Épidémiologie : risque de thrombose artérielle après MTEV C’est à partir d’une cohorte de patients suivi après MTEV idiopathique que les liens entre événements thrombotiques artériels et veineux ont été suggérés, devant une incidence d’événements coronariens et neurovasculaires  ainsi que de morts subites élevée. Bien que cette étude n’était pas contrôlée, l’impression d’un sur-risque de thrombose artérielle dans les suites de thrombose veineuse a été entrevue(1). La première étude contrôlée  s’attachant à faire le lien entre athérosclérose et MTEV a été publiée en 2003. Le marqueur d’athérosclérose utilisé constituant le critère principal d’évaluation était la présence de plaque athéromateuse carotidienne, étudiée en échographie. Cent cinquante trois patients atteints de thrombose veineuse profonde (TVP) idiopathique sans maladie athéromateuse symptomatique ont été comparés à 146 patients atteints de TVP provoquée et  150 témoins. En analyse multivariée tenant compte des facteurs de risques artériels classiquement connus, la prévalence de plaque athéromateuse carotidienne était deux fois plus fréquente chez les patients atteints de TVP idiopathique que dans les deux autres groupes (TVP provoquée et sujets sains), suggérant un lien entre athérosclérose et MTEV idiopathique(2). En 2007, une étude rétrospective menée au Danemark a comparé les risques d’infarctus du myocarde (IDM) et d’accident vasculaire cérébral (AVC), de façon rétrospective entre 1980 et 2005,  chez 25 199 patients de plus de 40 ans avec TVP et 16 925 patients avec embolie pulmonaire (EP) comparés à 163 566 témoins. C’est dans la première année suivant l’événement thrombotique veineuse que le risque d’événement artériel est le plus élevé, avec un risque relatif (RR) d’IDM à 1,60 (IC 95 % : 1,35-1,91) après TVP  et 2,60 (IC 95 % : 1,85-2,60) après EP, et un RR d’AVC à 2,19 (IC 95 % : 2,14-3,14) après TVP et 2,93 (IC 95 % : 2,34-3,66) après EP(3). La même équipe a été étudié le risque d’IDM et d’AVC dans les suites de thromboses veineuses superficielles (TVS), avec une méthodologie similaire à partir des registres d’hospitalisation entre 1980 et 2012. Près de 11 000 patients avec thrombose veineuse superficielle ont été comparés à 513 667 sujets témoins et il en ressort un sur-risque d’événement artériel moins prononcé par rapport aux TVP/EP mais significatif, avec un RR d’IDM à 1,2 (IC 95 % : 1,1-1,3) et un RR d’AVC à 1,3 (IC 95 % : 1,2-1,4)(4). Les patients atteints de thrombose veineuse, y compris superficielle, présentent donc un risque d’événement artériel majoré, surtout dans la première année, et ce malgré un traitement anticoagulant habituellement instauré. Risque de thrombose veineuse après événement artériel Bien que ce risque ait été beaucoup moins évalué, quelques études laissent entrevoir un lien possible allant dans le sens d’un sur-risque d’événement thrombotique veineux dans les suites d’une thrombose artérielle. Dans un article publié en 2006, les liens entre thrombose artérielle et veineuse ont été étudiés sur une série autopsique de 23 796 patients, correspondant à 84 % des décès entre 1970 et 1982 dans un centre suédois. Les résultats de l’examen postmortem réalisé selon une méthodologie standardisée, ont montré une incidence de MTEV à 27 % (TVP proximale des membres inférieurs + EP) et une incidence de thrombose artérielle à 12,9 % (atteinte cervico-encéphalique, coronarienne et membres inférieurs).  L’incidence de MTEV chez les patients ayant une thrombose artérielle toutes localisations confondues était à 33 %, contre 26 % chez les patients n’ayant pas de thrombose artérielle, avec un odds ratio à 1,4.  L’incidence de MTEV étudiée en fonction de la localisation de la thrombose artérielle montre un lien plus fort avec l’atteinte des membres inférieurs (40 %) et l’atteinte cervico-encéphalique (35 %). A contrario, l’incidence de MTEV chez les patients ayant une atteinte coronarienne isolée est plus faible  (19 %) (figure 1)(5). Une étude cas témoins en 2009 a comparé  5 842 patients atteints de MTEV à 58 240 patients témoins. Un antécédent d’événement artériel dans les 3 mois précédent la MTEV était significativement plus fréquent chez les patients avec MTEV : un IDM dans les 3 mois précédents la MTEV était noté chez 6,8 % des sujets avec MTEV versus 4,8 % des patients témoins (RR 1,25 ; IC 95 %  : 1,10-1,42),  et un AVC était noté chez 7,3 % des patients avec MTEV versus 5 % chez les patients témoins (RR 1,31 ; IC 95 % : 1,17-1,48). L’analyse des patients avec MTEV non provoquée montre une association plus significative avec un risque relatif à 4,2, 3 mois après IDM et un risque relatif à 4,41 3 mois après AVC. Au-delà de 3 mois, l’association avec la MTEV est moins significative, le risque relatif après IDM étant à 1,29 (IC 95 % :1,05-1,57). L’analyse étant rétrospective, l’existence de facteurs confondants ne peut toutefois pas être exclue(6). Figure 1. Incidence des thromboses veineuses à l’autopsie au regard de la distribution des thromboses artérielles (d’après Eliasson A(5)) Des facteurs de risque communs ? Il existe à l’évidence certains facteurs de risque communs qui sont l’âge, l’obésité et les traitements hormonaux substitutifs, dont l’implication à la fois dans la thrombose veineuse et artérielle est reconnue.  Qu’en est-il pour les facteurs de risque artériel classiquement décrits (hypertension artérielle [HTA], diabète, dyslipidémie et tabagisme) et leur lien potentiel avec la MTEV ?  Plusieurs études prospectives ont montré des liens positifs entre MTEV et certains facteurs de risque. Sur une étude comprenant plus de 100 000 femmes âgées entre 30 et 55 ans, l’HTA et le tabagisme étaient des facteurs de risque d’EP, en analyse multivariée(7). Le diabète a également été identifié comme facteur de risque indépendant de MTEV, sur une étude de 19 000 patients, âgés de plus de 45 ans, avec un suivi de 8 ans(8). Des données comparables ont été constatées avec la dyslipidémie, portant essentiellement sur le LDL-choléstérol. Une vision synthétique de l’ensemble de  ces facteurs de risque  peut être appréciée par le syndrome métabolique. Une étude cas contrôle ayant analysé la prévalence du syndrome métabolique chez les patients atteints de MTEV a montré une prévalence plus importante en cas de MTEV idiopathique que de MTEV provoquées et supérieure à celle relevée chez les sujets témoins(9).   Dans tous les cas, le lien avec la pathologie veineuse reste toutefois bien moindre à celui existant avec à la pathologie artérielle, mais globalement  beaucoup de données laissent à penser une  tendance à l’augmentation du risque de MTEV parallèle au risque artériel. Hypothèses biologiques L’une des clés dans la formation d’un thrombus est la génération de thrombine, dont le rôle le mieux connu est la conversion du fibrinogène en fibrine. Ce paramètre est mesurable et l’augmentation de génération de thrombine est associée à une augmentation du risque de MTEV(10). Une augmentation de la génération de thrombine a également été mise en évidence chez des patients après syndrome coronarien aigu, sans qu’il y ait toutefois de données suffisantes pour établir une corrélation avec le risque de récidive d’événement artériel(11). Outre la formation de fibrine, la thrombine semble jouer un rôle dans l’activation plaquettaire, qui est la voie physiopathologique classiquement décrite dans la thrombose artérielle (figure 2). La thrombine pourrait donc être un dénominateur commun dans la physiopathologie de la thrombose veineuse et artérielle. Dès lors, il est possible de concevoir des traitements communs aux deux types de thrombose. Figure 2. Voies de formation d’un thrombus fibrino-plaquettaire. Implications thérapeutiques Les traitements « artériels » dans la thrombose veineuse ? Dans la MTEV idiopathique, il existe un risque de récidive élevé (environ 10 %/an), contrebalancé par un risque d’hémorragie sous traitement anticoagulant au long cours. Dans les alternatives au traitement anticoagulant en prévention secondaire de MTEV, l’aspirine a montré une certaine efficacité, avec une diminution du risque de récidive d’environ 50 % par rapport à un placebo (étude WARFASA(12)). L’étude ASPIRE publiée en 2013 a confirmé une réduction de récidive de thrombose veineuse, sans augmentation significative du risque hémorragique, et a mis en lumière une réduction d’événement artériel(13). L’intérêt des statines dans la MTEV a été également évoqué. Les données restent pour l’instant contradictoires. L’essai JUPITER en 2009 avait montré une efficacité d’une statine à la dose de 20 mg/j versus placebo, en prévention primaire d’événement thromboembolique veineux, avec une réduction du risque de 43 %(14). Ces données n’ont toutefois pas été confirmées par une métaanalyse publiée en 2012, montrant une tendance à la réduction du risque d’événement thromboembolique veineux de 11 %, qui n’était pas statistiquement significative(15). Les traitements « veineux » dans la thrombose artérielle ? La voie de la thrombine est une cible privilégiée dans la thrombose veineuse, par inhibition directe (inhibiteur direct de la thrombine) ou indirectement en ciblant le facteur Xa (héparines, anti-Xa oraux). Dans la thrombose artérielle, la base du traitement repose sur l’utilisation d’antiagrégants plaquettaires, en mono ou bi-thérapie, dont l’éfficacité reste imparfaite.  En effet, après syndrome coronarien aigu, le risque de récidive à 1 an est d’environ 10 % malgré un traitement antiagrégant plaquettaire en bithérapie. Un traitement anticoagulant associé réduit le risque de récidive : l’efficacité des AVK dans ce cas avait déjà été montrée, mais leur utilisation en association avec les antiagrégants plaquettaires était grevée d’un risque hémorragique important. Les anticoagulants oraux directs pourraient constituer une alternative intéressante dans la mesure où la contrainte hémorragique semble moindre. L’utilisation d’un anti-Xa oral en association au traitement antiagrégant plaquettaire après syndrome coronarien a permis une diminution du risque d’événement coronarien au prix, certes d’une augmentation de risque hémorragique, mais avec un effet sur la mortalité globale positif(16). Conclusion La thrombose artérielle et la thrombose veineuse ont des points communs, dont certains restent probablement à découvrir. La situation la plus préoccupante semble être le risque d’événement artériel après MTEV idiopathique, avec en corollaire des stratégies thérapeutiques potentielles, notamment le traitement par antiagrégant plaquettaire en prévention secondaire. Les données sont toutefois trop ténues pour adopter cette stratégie thérapeutique de façon systématique, mais la question de l’évaluation du risque artériel doit être posée lors de la prise en charge d’un patient avec MTEV idiopathique.

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