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HTA

Publié le 15 fév 2017Lecture 6 min

HTA : le recours à la trithérapie n’est pas une exception

Un entretien avec Jean-Jacques MOURAD

Avec l’objectif de contrôler 70 % des hypertendus en 2015, Jean-Jacques Mourad (Hôpital Avicenne, Bobigny) s’était engagé en 2012 aux côtés du CFLHTA dans un programme ambitieux. Malgré les progrès, cet objectif n’est pas encore atteint et il plaide aujourd’hui pour vaincre les derniers freins à la prescription.

Cardiologie Pratique – En 2012, vous avez lancé avec le Comité français de lutte contre l’hypertension artérielle (CFLHTA) un programme avec l’objectif de traiter et contrôler 70 % des patients hypertendus en 2015. Pouvez-vous nous rappeler les grands principes que vous aviez alors mis en avant ? J.-J. Mourad – Cette campagne qui s’inscrivait dans le plan AVC avait pour but de lutter contre deux freins majeurs au bon traitement des patients : l’inertie thérapeutique ; le problème de l’observance et du parcours de soin. Nous avons donc mis en place un protocole de titration dyna mique et sécurisé des traitements antihypertenseurs, avec l’ambition d’obtenir un contrôle tensionnel en moins de 6 mois après la prise en charge. (Si cet équilibre n’est pas atteint, c’est qu’il existe un problème.) CP – Qu’appelez-vous la règle des 10 ? J.-J. Mourad – En 2012, le comportement de prescription des médecins ne correspondait plus à une bonne utilisation des médicaments à notre disposition. Nous étions habitués à une rotation des monothérapies à une époque où on pensait que chaque nouvelle molécule pouvait être la solution idéale pour tous les hypertendus. Aujourd‘hui, nous nous trouvons dans une situation comparable, mais cette fois avec la bithérapie. Les médecins ont tendance à réaliser une rotation des bithérapies, ils hésitent à passer à la trithérapie, alors qu’environ 40 % des patients nécessitent un tel traitement pour obtenir un contrôle satisfaisant de leur pression artérielle. Or, d’après les chiffres dont nous disposons, seulement 15 % des hyperten dus reçoivent une trithérapie. La règle des 10 signifie que toute mono thérapie permet une diminution de 10 mmHg de la PA systolique, et le doublement de la dose aboutira au mieux à un gain maximal de 5 mmHg supplémentaire. En revanche, la bithérapie est à l’origine d’un abaissement de 20 mmHg de la PA et là aussi le doublement des doses ne fait jamais mieux qu’une trithérapie, qui permet en moyenne une diminution de 30 mmHg de la PAS. Cette règle reprise dans les recommandations taiwanaises invite à reconsidérer les habitudes de prescription des médecins. CP – Quel est le pourcentage de patients qui méritent une bithérapie d’emblée, et quels sont les arguments pour la prescrire en première intention ? J.-J. Mourad – À mon avis, cela est un faux débat car dans le cadre d’une stratégie de titration dynamique telle qu’elle est recommandée en France, les patients doivent être revus 1 mois à 6 semaines après une modification du traitement afin de vérifier son efficacité et sa tolérance. La question ne se pose donc que dans les pays ou les régions où il est difficile d’obtenir des rendez-vous rapprochés et à ce moment une PAS > 160 mmHg peut être un argument pour débuter une bithérapie d’emblée, toujours selon la règle des 10. CP – Quelle famille thérapeutique choisir en monothérapie ? J.-J. Mourad – Le choix de classe est très ouvert dans les recommandations car il existe peu d’indications et de contre-indications formelles. L’objectif est que le patient accepte sa maladie et son traitement car il va cristalliser le deuil de sa bonne santé sur le médicament. Il faut donc préférer les médicaments associés à une meilleure persistance, les bloqueurs du SRAA étant les mieux placés, les diurétiques et les bêtabloquants étant les moins bien tolérés. Le choix de la molécule au sein de la classe repose sur son efficacité, mais dont on sait qu’elle est corrélée à la fréquence des effets indésirables : plus on est efficace, plus on risque d’avoir des effets indésirables. Trois critères sont à prendre en compte : choisir une molécule qui a fait ses preuves dans les études de morbimortalité, qui a une durée d’action réelle sur 24 h, et qui est adossée à une gamme, car seuls 25 % des patients sont contrôlés par une monothérapie. Or, les molécules qui répondent à ces trois critères ne sont pas aussi nombreuses qu’on pourrait le croire. Les comorbidités sont souvent mises en avant comme critère de choix du traitement, mais en général, au début du traitement, les patients en ont peu ou pratiquement pas, l’HTA étant leur première maladie. CP – Comment orienter le choix de l’association pour les 75 % de patients non équilibrés par une monothérapie ? J.-J. Mourad – Les recommandations se sont encore simplifiées de ce point de vue car les bêtabloquants n’ont plus leur place en bithérapie. Il faut donc se tourner vers une association de deux des trois classes thérapeutiques possibles, bloqueurs du SRAA (IEC et sartans), inhibiteurs calciques et diurétiques, en respectant les règles connues d’association de ces familles thérapeutiques. CP – Sur quelles preuves se fonde le chiffre de 40 % de patients qui nécessitent une trithérapie ? J.-J. Mourad – Ce chiffre est issu des données des essais thérapeutiques sur des populations sélectionnées, souvent en meilleur état de santé que les patients vus en pratique clinique. En France les patients sont traités en moyenne par 1,9 classe thérapeutique et seulement 50 % d’entre eux ont une PA contrôlée. Dans les essais thérapeutiques, les volontaires qui ont une PA atteignant les objectifs recommandés reçoivent en moyenne une classe thérapeutique en plus, soit 2,9 à 3. Au Canada, où le nombre de patients hypertendus contrôlés est passé en 20 ans de 13 à 70 %, l’augmentation du nombre de classes thérapeutiques par patient s’est accru parallèlement. Pour autant, il ne faut pas rajouter une classe thérapeutique à tous les hypertendus, seulement à ceux qui en ont réellement besoin, d’après leurs chiffres tensionnels mesurés en ambulatoire, le plus souvent par automesure. Les chiffres obtenus au cabinet n’ont en effet qu’une valeur secondaire par rapport à ceux enregistrés à domicile. Il faut par ailleurs avoir confirmé la bonne observance car, surtout à cette période initiale du traitement, de nombreux facteurs peuvent conduire à l’arrêt des prises médicamenteuses. Il faut s’assurer de la bonne compréhension de la maladie, de la durée du traitement, de la suspicion vis-à-vis des médicaments, etc. L’annonce du diagnostic et l’information sont donc des moments très importants qui nécessitent une consultation plus longue, d’au moins 30 minutes. CP – Quelle autre classe thérapeutique ajouter si la trithérapie se révèle insuffisante ? J.-J. Mourad – Lorsque l’on est face à une HTA résistante, correctement traitée par une association avec un bloqueur du SRAA, un inhibiteur calcique et un diurétique, et des mesures ambulatoires indiquant que la PA demeure au-dessus de l’objectif, se pose alors la question d’un bilan étiologique. Si celui-ci est négatif, il faut renforcer le traitement. L’essai PATHWAY 2(1) a testé différentes hypothèses dans cette situation et a démontré que le traitement le plus efficace est d’ajouter de la spironolactone à la dose de 25 à 50 mg/j, ce qui figure aujourd’hui dans les recommandations. Une surveillance étroite de la fonction rénale et de la kaliémie est nécessaire, au moins au début du traitement et à chaque aléa médical de type gastro-entérite, coup de chaleur, etc. CP – Vous aviez fixé un objectif de 70 % des patients traités et contrôlés en 2015. Qu’en est-il ? J.-J. Mourad – L’enquête PASSAGE(2) en 2014 a montré que nous avions atteint cette objectif de 70 % chez les octogénaires, mais cela est notamment dû au fait que la cible thérapeutique est un peu plus élevé chez eux (< 150 mmHg de systolique). Dans les autres tranches d’âge, cette proportion était plutôt de 55 %, mais on notait qu’il n’y avait plus de différence entre les hommes et les femmes. En 2015, l’enquête FLAHS(3) réalisée par le CFLHTA a mis en évidence une tendance à l’amélioration, avec une proportion de patients aux objectifs thérapeutiques proche de 60 %. Malheureusement, nous n’avons pas de photographie régulière du contrôle tensionnel en France et c’est ce que demandent sociétés savantes et fondation pour la recherche, la mise en place d’un suivi régulier en population homogène. Propos recueillis par C. LAMBERT

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