Cardiologie interventionnelle
Publié le 01 mai 2017Lecture 8 min
La stimulation cardiaque après TAVI
Robert FRANK et coll.*, Institut de cardiologie, Pitié-Salpêtrière, Paris
Depuis le début des implantations de valves aortiques par voie percutanée, dites transaortiques (TAVI), on a rapidement constaté qu’elles se compliquaient souvent de troubles de conduction, bloc de branche gauche (BBG) et bloc auriculoventriculaires (BAV). Ces troubles surviennent au cours de l’intervention ou dans les jours qui suivent, et souvent régressent après quelques jours ou quelques semaines(1,2). Dans cette population âgée que l’on veut mobiliser au plus vite et remettre dans leurs conditions de vie habituelles, ce risque d’un BAV tardif amène à laisser une sonde temporaire après l’implantation, ou à implanter systématiquement tout patient considéré comme à risque.
Le but de cet article est de préciser la durée de la surveillance postopératoire, l’indication d’une sonde temporaire de stimulation puis le délai de son retrait et enfin les indications d’implantation d’un stimulateur permanent.
Mécanisme des blocs
C’est la proximité de la cusp coronaire droite aortique avec la branche gauche du faisceau de His au niveau de la partie haute du septum et avec son tronc, localisé à gauche dans 30 % des cas(3) qui explique la fréquence des troubles de conduction dans la pathologie aortique (figure 1). Ce rapport entre la pathologie valvulaire aortique et des troubles de conduction est connu depuis les années 30, et en particulier le rôle des calcifications de l’anneau. Puis, le risque de BAV postopératoire a été constaté dès le début du remplacement chirurgical valvulaire aortique, mais nombre de ces BAV sont régressifs en 1 à 3 semaines. Les recommandations(4) conseillent (classe Ic-consensus d’experts) l’implantation de stimulateur en cas de bloc de haut degré pendant une période de surveillance de 7 jours, délai qui peut être raccourci à 48 h en cas de bloc persistant. Le même risque de BAV III a été manifeste dès le début des TAVI, avec un taux variable(1,2), allant de 5 % à 30 % selon le type de valve, et ce sont les mêmes recommandations qui sont proposées.
Figure 1. Schémas de la conduction atrio-venticulaire au niveau des valves aortiques. À gauche : CD, NC : cusp aortique droite coronaire, non coronaire. S1, S2 : septum membraneux, musculaire. HD, HM, HG : positions possibles de l’extrémité du tronc du faisceau de His à son arrivée au niveau du septum musculaire : à droite, au sommet, à gauche. Mi : mitrale. À droite, coupe verticale montrant les différentes positions du His à ce niveau selon Kawashima(3).
Les blocs sont mécaniques, par traumatisme, compression ou lésion du tronc ou de l’origine de la branche gauche du faisceau de His. La structure de la valve implantée avec une jupe plus ou moins longue sous l’anneau valvulaire explique le niveau de compression des tissus de conduction (figure 2). Un bloc peut survenir dès la dilatation de la valve préalable à l’implantation ou lors de son implantation, mais aussi dans les jours suivants. Il peut s’agir d’un oedème inflammatoire qui explique la régression des troubles après quelques jours ou quelques semaines dans plus de la moitié des cas(1,2).
Figure 2. Schéma de l’emplacement respectif des trois types de valves : Corevalve (CV), Sapien SXT, Sapien S3.
Facteurs pronostiques
Les facteurs d’occurrence des BAV ont été étudiés dans de nombreuses séries avec des valeurs prédictives très variables(1,2).
Les facteurs préopératoires sont liés à l’importance des calcifications, et surtout à l’existence préalable d’un bloc de branche droit, du fait du fréquent traumatisme de la branche gauche lors de l’intervention.
Ce sont essentiellement des facteurs techniques : une position de la valve considérée comme trop basse, une valve trop large par rapport à l’anneau, voire à la dimension de la chambre de chasse du VG, ou encore une prédilatation de la valve au ballon(5). C’est surtout le type de valve, avec le risque plus faible(6) de la Sapien XT (5 à 10 %) et de la Sapien 3 actuelle (10 à 14 %) qui a une zone sous-valvulaire un peu plus grande ; mais insérée quelques millimètres plus haut, la différence avec la précédente disparaît(7). Le risque le plus important est celui de la CoreValve (25 à 30 %) avec sa longue jupe de 12 mm en Nitinol, autoexpansive pendant quelques jours(1,2,8), risque moindre de l’ordre de 10 % avec la nouvelle version Evolut R à jupe plus étroite.
En fait, le choix de la valve se fait en fonction du type de sténose aortique et du diamètre de l’anneau, son positionnement est opérateur-dépendant et en général déclaré « optimal », et le seul problème est de définir le risque de BAV une fois la valve implantée. Ce risque n’est révélé que par l’apparition de troubles de conduction qui révèlent le traumatisme du faisceau de His ou de sa branche gauche. Un bloc gauche de novo est observé dans environs 16 %(9) à 30 % des cas(10) selon la valve, avec un risque de BAV de 20 %(11). Le principal facteur de risque de BAV ultérieur est surtout l’apparition d’un BAV complet peropératoire, transitoire ou permanent, facteur pronostique principal, avec un risque relatif de 3 à 6 fois supérieur selon les séries(1,2).
Inversement, on ne trouve pas de BAV postopératoire immédiat ou plus tardif en l’absence peropératoire d’élargissement des QRS ni de BAV transitoire(12,13). Il faut cependant un monitorage per- et postopératoire pour détecter ces anomalies de la conduction qui peuvent persister, mais aussi n’être que transitoires, survenant juste après la valvuloplastie ou l’insertion de la valve.
La valeur pronostique des études électrophysiologiques est controversée, et nous paraissent inutiles car de faible valeur prédictive de BAV(14,15). Elles sont souvent demandées devant la persistance d’un bloc gauche avec un BAV I. Elles montrent le niveau infrahisien des lésions. Dans une étude systématique portant sur 84 patients(13) étudiés avant, puis à la fin de l’intervention, et enfin 2 à 7 jours plus tard, on constate une prolongation immédiate du temps HV dès la fin de l’intervention dans 70 % des cas et une évolution variable dans les jours suivants, allongement, stabilité ou diminution.
Il n’y a cependant pas de corrélation entre les valeurs ou les variations constatées avec un éventuel risque ultérieur de BAV dans les jours et les mois postopératoires du fait de cette grande variabilité.
Des mesures inchangées faites dans les premiers jours n’ont pas prévu les BAV des jours suivants, et des prolongations de ce temps HV, mesurées après le 5e jour en l’absence de BAV, n’ont pas été suivies de BAV ultérieur quel que soit la valeur de cet intervalle.
Les indications de stimulation définitive
Les motifs d’implantation de stimulateurs définitifs après TAVI sont multiples(1,2). Ce sont les BAV III persistants 48 h en postopératoires, les BAV paroxystiques postopératoires et des indications prophylactiques liées à des blocs gauches postopératoires, avec ou sans BAV I, voire après une exploration électrophysiologique. Il s’agit enfin parfois d’une dysfonction sinusale découverte lors de l’hospitalisation. En fait 15 à 20 % des patients implantés sont déjà appareillés d’un stimulateur cardiaque pour des blocs auriculoventriculaires, mais aussi du fait d’une maladie rythmique atriale, fréquente à leur âge de plus de 80 ans.
L’implantation d’un stimulateur est donc indiquée sur les données précédentes, comme après chirurgie, sur la persistance d’un BAV per-opératoire, ou la survenue d’un BAV dans les jours postopératoires même si à un mois, plus de la moitié des patients appareillés n’ont pas récidivé soit sur des ECG, soit dans les mémoires des stimulateurs programmés à cet effet(13,16).
Ces implantations précoces ont l’intérêt de permettre une mobilisation rapide de ces patients âgés et de raccourcir la surveillance.
Qui peut sortir rapidement du monitorage ?
En pratique, la question est de permettre une sortie rapide du patient qui n’était pas déjà appareillé d’un stimulateur cardiaque en l’absence de complication hémodynamique ou autre, dès le 3e jour dans l’expérience de Rouen(17). Tous ceux qui n’ont pas eu de traumatisme manifeste des tissus de conduction, révélé par un bloc de branche gauche de novo ou un BAV peropératoire, transitoire ou persistant, n’ont pas de risque particulier de BAV ultérieur(12,13). Il faut quand même être prudent en cas de maladie rythmique atriale qui nécessiterait l’emploi d’antiarythmiques dépresseurs du noeud sinusal.
Combien de temps surveiller un patient ?
Plus de 90 % des BAV de haut degré postopératoires constatés dans la littérature surviennent pendant la première semaine(2). Des blocs plus tardifs ont été rapportés, mais on sait que dans cette population de patients, des BAV insoupçonnés existent déjà en préopératoire, révélés par un holter systématique(9), et il est difficile alors de les corréler à l’intervention. Dans notre étude(13), les BAV postopératoires sont tous survenus avant le 6e jour, quelle que soit la valve implantée, sauf pour un seul patient implanté d’une Core-Valve, et une exploration normale à J3, avec un BAV I de plus de 300 ms, un BBG de novo qui a fait un BAV à J7. Ce délai de sécurité de 5 jours a été confirmé sur 260 autres patients consécutifs implantés de 2013 à 2015 avec les trois types de valves.
Pour cette raison, tout patient avec un traumatisme des tissus de conduction doit être surveillé au moins 5 jours, voire 7 avec les troubles de conduction du cas cité plus haut, de préférence avec sonde temporaire, et quelle que soit la valve, ce qui correspond aux recommandations des sociétés savantes.
Quel mode de stimulation ?
On connaît le caractère délétère d’un bloc gauche ou d’une stimulation ventriculaire droite permanente exclusive chez certains patients en insuffisance cardiaque quand le QRS dépasse 150 ms. D’autre part, on a aussi montré que les BBG après TAVI ont plus de réhospitalisations pour ce motif et une mortalité plus importante lorsque les QRS font plus de 150 ms(12). Cependant, plus de 50 % des BBG régressent à un mois(1) comme la stimulo-dépendance des BAV III(17).
En pratique, on pourrait proposer, devant un BBG en l’absence de BAV III, d’attendre une première poussée d’IVG ou un élargissement du QRS à 150 ms lors d’un contrôle systématique, pour une resynchronisation. De même, en cas d’appareillage pour BAV III, de ne mettre de sonde gauche que si le QRS électro-entraîné avec la sonde droite atteint 150 ms.
D’autre part, il est important de savoir si le patient appareillé continue de faire du BAV lorsqu’il est en rythme sinusal lors d’une consultation. Le pourcentage de stimulations n’est qu’une approximation, et il vaut mieux utiliser un algorithme dit de préservation de la conduction AV, qui attend deux ondes P bloquées avant de stimuler. Le meilleur est celui qui permet d’enregistrer les électrogrammes lors de l’évènement pour en valider le diagnostic, seul utilisable pour une étude scientifique de la durée du risque de BAV après sa première occurrence. C’est le mode dit « AAIsafeR » (figure 4) des stimulateurs Sorin Liva Nova, utilisé lors de l’étude multicentrique française STIMTAVI en cours sur ce sujet pour préciser les délais de récidive de BAV après l’implantation.
Figure 3. Organigramme de la stratégie de surveillance des troubles de conduction. BAV : bloc atrio-ventriculaire ; BSA : bloc sino-atrial ; SEES : sonde d’entraînement temporaire, en mode ventriculaire à 30/mn sauf BAV III ; MRA : maladie rythmique atriale.
Figure 4. Valve Sapien 3 implantée en Juin 2015 : homme de 72 ans ECG normal. BAV III temporaire peropératoire, BBG résiduel, BAV III J2. Stimulateur Liva Nova Reply implanté, réglé mode « AAI Safe R » qui attend 2 ondes atriales bloquées pour stimuler les ventricules lors de la détection d’un BAV. Détection de BAV III transitoires en août et janvier 2016. Électrogrammes enregistrés confirmant la détection : A : électrogrammes atriaux ; R : détection ventriculaire ; V : stimulation ventriculaire.
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