Publié le 15 déc 2017Lecture 7 min
Les nouveaux enseignements des études de la vraie vie
Yves COTTIN, CHU de Dijon
CNCF
Les antagonistes de la vitamine K (AVK), en particulier la warfarine, étaient le traitement de référence pour la prévention des accidents vasculaires (AVC) dans la fibrillation atriale (FA) mais au prix d’un risque accru de saignement grave. Les nouveaux anticoagulants oraux directs (AOD), avec un mode d'action différent de celui de l'AVK, ont démontré des avantages supérieurs et/ou des risques plus faibles, en particulier sur les hémorragies intracrâniennes.
Bien que les essais cliniques randomisés apportent des réponses majeures pour évaluer le bénéfice clinique de chaque thérapeutique, il existe des différences cliniques significatives entre les patients avec FA inclus dans les essais cliniques et les patients dits de « vraie vie », c’est-à-dire l’ensemble des patients vus en pratique clinique quotidienne. Les résultats des essais randomisés pourraient ne pas être directement applicables à la pratique pour certains patients ou dans le contexte d’une organisation de soins différente de celle d’un essai clinique. Il est donc licite et nécessaire d’effectuer des analyses avec des registres de « la vie réelle » ou des bases de données à grande échelle. Ces données en conditions réelles de prescription sont devenues disponibles ces derniers mois pour les AOD en raison de leur utilisation croissante en routine.
Ainsi, pour le dabigatran, la métaanalyse de Romanelli a étudié 348 750 patients (57 % sous warfarine, 40 % sous dabigatran 150 mg et 3 % sous dabigatran 110 mg) en soins courants, soit 20 fois la taille de la population de RE-LY. Les patients sous dabigatran-110 mg « en conditions réelles de prescription » ont tendance à être plus vieux que les patients de l’essai RE-LY. Par contre, dans cette métaanalyse, les patients recevant du dabigatran-150 mg par rapport aux patients sous AVK étaient associés à un risque comparable d’AVC (hazard ratio, 0,92, p = 0,07) et un risque significativement plus faible de saignement intracrânien (HR 0,44, p < 0,001).
La métaanalyse de Carmo publiée en 2016 a inclus 20 études et 711 298 patients, dont 210 279 traités par dabigatran et 501 019 par AVK. Dans cette métaanalyse, l’incidence des AVC ischémiques était significativement plus faible pour les patients traités par du dabigatran et cela quelle que soit la posologie, 1,65/100 patients-années versus 2,85/100 patients-années (HR 0,86 ; IC95% : 0,74-0,99). De plus, le taux de saignement majeur était également significativement plus bas pour le dabigatran par rapport aux AVK 3,93/100 patients-années versus 5,61/100 patients-années (HR 0,79 ; IC95% : 0,69-0,89) et en particulier pour les hémorragies intracrâniennes (HR 0,45 ; IC95% : 0,38-0,52). Les auteurs soulignent également qu’aucune différence significative n’a été observée sur le risque d’infarctus du myocarde.
Les données de la « vraie vie » varient d’une étude à l’autre et selon les spécificités de la population et du pays d’origine. Ainsi, l’étude de la cohorte nationale française issue des bases de données médico-administratives françaises (SNIIRAM et PMSI) a inclus des patients présentant une fibrillation atriale non valvulaire pour lesquels un traitement par dabigatran ou rivaroxaban a été initié. Les nouveaux utilisateurs de dabigatran et de rivaroxaban ont été appariés aux nouveaux utilisateurs d’AVK en utilisant un appariement 1:2 par un score de propension. Ce travail publié dans Circulation en 2015 a inclus 19 713 patients bénéficiant d’un AVK, 8 443 du dabigatran et 4 651 du rivaroxaban. Après appariement, à 90 jours, aucune différence statistiquement significative n’a été observée entre le dabigatran et les AVK, ou le rivaroxaban et les AVK pour le critère de jugement principal qui était une hospitalisation pour un événement cardio-embolique ou pour une hémorragie sévère.
Les données de la cohorte danoise sont également importantes, en effet, cette cohorte a inclus 61 678 patients en FA avec un suivi de 2,5 ans. Les auteurs mettent en évidence dans ce travail publié en 2016 dans le BMJ que la prescription d’AOD dans cette indication augmente significativement et qu’il n’existe pas de différence entre les 3 AOD sur le marché et la warfarine concernant les accidents vasculaires ischémiques. Les auteurs mettent en évidence deux points importants : 1/ le rivaroxaban est associé à une réduction du risque d’AVC ischémique et/ou d’embolies systémiques (ES) mais associé à un risque comparable d’hémorragie majeure par rapport à la warfarine ; et 2/ par contre, avec le dabigatran et l’apixaban par rapport à la warfarine il n’existe pas de différence significative pour les AVC ischémiques et/ou ES mais une réduction significative du risque d’hémorragie majeure (figure 1).
Figure 1. Cohorte danoise.
Impact de la réduction de posologie
Bien qu’un ajustement méticuleux de la posologie par des INR réguliers ne soit pas requis avec les AOD comme avec la warfarine, une évaluation clinique et biologique de la posologie appropriée est nécessaire. Ainsi, les recommandations suggèrent un schéma posologique réduit pour le dabigatran (110 mg deux fois par jour) si les patients sont âgés de 80 ans ou traités par vérapamil, ; pour le rivaroxaban (15 mg une fois par jour) si l’eGRF est comprise entre 15-49 ml/min ; pour l’apixaban (2,5 mg deux fois par jour) si le patient a deux des trois critères suivants : âge ≥ 80, ou eGRF entre 15-29 ml/min ou poids corporel ≤ 60 kg. Les données en vie réelle sur la réduction des schémas posologiques des AOD sont rares. Un autre travail danois publié par Nielsen dans le BMJ a inclus 55 664 patients en FA et les auteurs mettent en évidence : 1/ qu’il n’existe aucune différence significative à 2,5 ans pour le pourcentage d’AVC ischémique et/ou d’ES entre les 3 AOD et la warfarine ; 2/ que le pourcentage d’hémorragies graves est significativement plus faible avec l’apixaban qu’avec la warfarine ; et 3/ que le pourcentage d’hémorragies intracrâniennes est significativement plus faible avec le dabigatran qu’avec la warfarine.
AOD chez le sujet âgé
Les sujets âgés ont un haut risque hémorragique mais également ischémique. Dans ce contexte particulier, les données de la vraie vie apportent des informations majeures. Ainsi le travail de Graham publié en 2015 dans Circulation a inclus 134 414 patients âgés de plus de 65 ans issus de la base Medicare qui recevaient dans le cadre du traitement anticoagulant d’une FA soit le dabigatran, soit la warfarine. Sur un suivi de 6 mois après l’initiation du traitement, les auteurs mettent en évidence une réduction significative des AVC ischémiques chez les patients traités par dabigatran vs warfarine 11,3 vs 13,9 pour 1 000 patients-années (p = 0,02) et une absence de différence significative pour les hémorragies majeures entre les 2 groupes. Surtout les auteurs démontrent un taux d’hémorragie intra-crâniennes et une mortalité toutes causes inférieurs chez les patients sous dabigatran par rapport à ceux recevant la warfarine, respectivement 3,3 vs 9,6 pour 1 000 patients-années (p < 0,001), et 32,6 vs 37,8 pour 1 000 patients-années (p = 0,006) (figure 2).
Figure 2. Risques cardiovasculaire, de saignements et de mortalité chez les patients âgés traités par dabigatran ou warfarine dans la FANV (Medicare).
Les données récentes françaises du SNIIRAM
Les différences entre les essais cliniques et la vie réelle peuvent être particulièrement pertinentes lorsqu’on examine les effets liés à la dose. Pour le dabigatran, l’étude RE-LY a montré une plus grande efficacité mais plus de saignements avec 150 mg deux fois par jour contre 110 mg deux fois par jour. Dans la vraie vie, cependant, on ne s’attend pas à retrouver les mêmes caractéristiques des patients pour les posologies de 110 ou 150 mg de dabigatran (D150, D110) et évaluer les bénéfices réels du D150 et du D110 est donc indispensable. Dans ce contexte le travail récent issu du SNIIRAM (Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie) est majeur. En effet, les auteurs ont évalué les avantages et les risques des AOD dans un environnement stable, 6 mois ou plus après l’introduction sur le marché. Ainsi, les nouveaux utilisateurs de dabigatran ont été comparés aux nouveaux utilisateurs d’un AVK dans la FA non valvulaire en France avec une méthodologie particulière le « high-dimensional propensity score (hdPS) ». En effet, les scores de propension en haute dimension (hdPS) ont été développés pour estimer l’effet d’une intervention en tenant compte d’un très grand nombre de variables pour prédire le fait de recevoir l’un ou l’autre des traitements. Ainsi, dans ce travail, c’est plus de 500 variables sur 3 ans qui ont été incluses dans le modèle pour obtenir un appariement optimal (caractéristiques sociodémographiques, facteurs de risque thromboembolique et hémorragique, diagnostics d’hospitalisation, médicaments, consultations médicales/paramédicales/biologies, etc.). Ce travail présenté à l’ACC 2017 par Nicholas Moore a inclus 37 539 patients et a comparé après appariement 1:1 par « hdPS » 20 489 patients recevant du dabigatran à 20 489 patients recevant un AVK pour FA (figure 3). Ce travail a surtout testé les deux posologies disponibles en France. Ainsi, pour les 14 442 patients appariés sur le dabigatran 110 mg et les AVK, l’âge moyen était de 79 ans (49 % d’hommes), 91 % des patients avaient avec un score CHA2DS2-VASc ≥ 2 et 8 % des patients avaient un score HASBLED > 3. L’incidence cumulée d’événements thrombotiques (AVC ou ES) sur 1 an était significativement plus faible sous dabigatran 110 mg par rapport aux AVK : 1,6 % vs 2,3 % (HR 0,69 [0,56-0,84]). L’incidence cumulée à 1 an des saignements cliniquement significatifs ou des décès toutes causes était également significativement plus basse, respectivement 9 % vs 4,7 % (0,62 [0,54-0,72]), et 6,2 % vs 7,6 % (0,84 [0,76-0,94]).
Figure 3. Distribution hdPS.
Pour les 8 389 patients appariés sur le dabigatran 150 mg et les AVK, l’âge moyen était de 67 ans (67 % d’hommes), 65 % des patients présentaient un score CHA2DS2-VASc ≥ 2 et 5 % avaient un score HAS-BLED > 3. Les incidences cumulées sur 1 an pour les événements thrombotiques artériels ou les syndromes coronariens aigus étaient plus basses sous dabigatran mais non significatives, respectivement de 1,3 % vs 1,7 % (HR 0,76 [0,56-1,04]), et 0,9 % vs 1,6 % (0,58 [0,42-0,81]). Par contre sur cette large série française, les hémorragies graves et les décès étaient significativement plus faibles sous dabigatran 150 mg par rapport aux AVK, respectivement, 1,4 % vs 3,4 %, 1,4 % vs 3,1 %.
En pratique
Au cours des dernières années, les grandes cohortes et métaanalyses ont confirmé le profil favorable des AOD comparés aux AVK pour les patients avec FA.
Les bénéfices obtenus dans les études « de vraie vie » avec les AOD en termes de commodité, d'efficacité et de sécurité par rapport aux AVK sont aussi importants que ceux observés dans les essais cliniques.
Ceci confirme le bien-fondé des recommandations qui, en l’absence de contre-indication, mettent en avant les AOD pour la prévention de l’AVC en cas de FA.
Malgré cela, les AOD ne sont pas utilisables chez tous et une bonne sélection des patients pour chaque traitement, leur suivi approprié et la capacité à prévenir et à gérer les complications hémorragiques permettront d'optimiser l'utilisation des anticoagulants dans la FA.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :