Publié le 15 mar 2018Lecture 6 min
Protection cardiovasculaire : quoi de neuf après un SCA ?
Michèle DEKER, Paris
JESFC
La stratégie de prise en charge après un événement cardiovasculaire majeur a évolué. Toutes les recommandations précisent la prise en charge des lipides en fonction du risque. Après un syndrome coronarien aigu (SCA) les patients doivent être considérés comme à très haut risque. À ce titre, ils doivent rapidement revoir un traitement hypolipémiant puissant avec pour objectif d’abaisser le LDL-C à la cible de < 0,7 g/L. Où en sommes-nous de l’application de cette recommandation ?
Que disent les recommandations ?
Les recommandations de l’ESC et de la HAS sont assez cohérentes ; toutes deux s’appuient sur les concentrations de LDLC. Outre les règles hygiéno-diététiques, nous disposons de 3 classes thérapeutiques susceptibles de modifier le LDL-C : les statines ; l’ézétimibe ; les inhibiteurs de PCSK9 (sans remboursement en France hormis cas particulier des hypercholestérolémies familiales [HF] homozygotes). Le niveau de LDL-C est réparti en 4 catégories de risque : très haut risque ; risque élevé, risque modéré et bas risque.
Les patients en post-syndrome coronarien aigu (SCA), ou ayant présenté tout autre événement athérothrombotique, font partie de la catégorie à très haut risque pour laquelle l’objectif est d’obtenir un LDL-C < 0,7 g/L, et non plus < 1 g/L (ou une réduction ³ 50 % du LDL-C dans les recommandations européennes chez les patients ayant un taux de LDL-C bas initialement). Il est recommandé d’utiliser de fortes doses de statines, les plus puissantes étant l’atorvastatine et la rosuvastatine. L’introduction doit être faite entre le 1er et le 4e jour post-SCA ; la réévaluation du bilan lipidique se fait entre 4 et 6 semaines après (8 à 12 semaines pour la HAS). Il est recommandé de faire un bilan hépatique (avant l’introduction du traitement) avec dosage des transaminases (si augmentation à > 3xN, attendre ou réduire la dose de statine) ; le dosage des CPK doit être réservé aux patients ayant des douleurs musculaires.
La HAS fournit un tableau indiquant la réduction du LDL attendue en fonction de la statine et, curieusement, les deux statines les plus puissantes ne disposent pas d’AMM en prévention secondaire du SCA, contrairement à l’association atorvastatine + ézétimibe (Liptruzet®). L’AMM de Liptruzet® a été obtenue sur la base des résultats de l’étude IMPROVE-IT dans le post-SCA qui a montré une réduction supplémentaire du LDL-C de 20 % avec l’association comparativement à celle obtenue sous simvastatine 40 mg et une réduction significative du critère principal d’événements athérothrombotiques (RRR 7 %, RRA > 2 %) sur un long suivi (6-7 ans), avec une bonne tolérance générale et musculo-squelettique. Une sous-étude d’IMPROVE-IT avait en outre montré un bénéfice sur les événements récurrents, en plus du premier événement.
Dans les données de FAST-MI 2010, le LDL-C moyen au moment du SCA est de 1,20 g/l environ. La proportion de patients qui quittent l’hôpital avec une prescription de statine est > 90 %, mais la moitié des patients seulement reçoivent une statine puissante à forte dose (atorvastatine 80 mg ou rosuvastatine 20 mg). En 2015, on observe peu de changement ; l’ézétimibe est prescrit chez 5 % et 2 % des patients NSTEMI et STEMI respectivement.
Les recommandations européennes ESC/EAS positionnent les i-PCSK9 chez les patients ayant un LDL-C ³ 1,40 g/L sous traitement associant ézétimibe + statine à la dose maximale tolérée ou LDL-C > 1 g/L en fonction de la sévérité du risque défini par : HF ; diabète de type 2 + atteinte d’un organe ou facteur de risque majeur ; maladie athérothrombotique diffuse ; maladie athérothrombotique rapidement progressive.
En pratique :
• Si le LDL-C n’est pas à l’objectif sous traitement, ne pas hésiter à augmenter la dose de statine et à ajouter l’ézétimibe.
• Il ne faut pas avoir peur d’abaisser le taux de LDL-C jusqu’à des valeurs inférieures à 0,7 g/L.
• Dépister l’hypercholestérolémie familiale, en particulier quand le LDL-C est > 1,9 g/L.
Dans le contexte médiatique actuel, les messages négatifs adressés aux patients entretiennent la confusion entre prévention primaire et secondaire. Or, un patient en post-SCA ne répond plus aux critères de la population générale ; l’utilisation des statines ne se discute pas. Des études ont montré que l’arrêt des statines a été associé à une recrudescence des événements cardiovasculaires.
Peut-on encore améliorer la protection cardiovasculaire ?
L’étude DYSIS II chez environ 450 patients post-SCA montre que 96,6 % d’entre eux reçoivent une prescription de statine à la sortie de l’hôpital et sont toujours sous statine à 3 mois (95,1 %)(Arch Cardiovasc Dis 2017). Cependant, le suivi réalisé à 3 mois montre des lacunes en termes de bilan lipidique et que la moitié des patients ne sont pas à l’objectif bien que 70 % soient sous atorvastatine > 40 mg ou son équivalent.
Les recommandations de l’ESC insistent sur deux notions : à la sortie de l’hôpital il faut donner des doses élevées de statine (80 mg d’atorvastatine) si nécessaire en association à l’ézétimibe ; les doses modérées de statine ne conviennent que pour les patients déjà à l’objectif ; 5-10 % des patients en post-SCA ont un LDL-C > 1,9 g/l, ce qui implique de penser à dépister une HF chez la descendance ; un bilan lipidique de suivi doit être réalisé 1 à 2 mois après la sortie afin d’adapter le traitement.
Une enquête réalisée auprès des cardiologues montre une inertie à augmenter le traitement lorsque le LDL-C est abaissé mais pas à l’objectif. Elle montre aussi que les doses de statine sont diminuées lorsque le LDL-C est jugé trop bas lors du suivi (< 0,5 g/l). Contrairement au traitement de l’HTA où la polythérapie est courante, une minorité de patients coronariens reçoit une association statine + ézétimibe, malgré des objectifs non atteints dans environ 1/3 des cas. Ce constat traduit sans doute le fait que les médecins sont moins convaincus du risque lié aux lipides comparativement à l’hypertension. Sans doute, les campagnes médiatiques contre les statines exercent-elles une influence négative, y compris chez les médecins.
Dans le post-SCA, l’ordonnance de sortie mentionne le plus souvent la durée de la bithérapie antiplaquettaire, ce qui est rarement le cas pour les statines. Il conviendrait par conséquent dans le courrier adressé au médecin traitant de mentionner l’objectif de LDL-C, d’expliquer au patient l’objectif du traitement et la cible à atteindre, et de lui remettre une ordonnance pour le bilan lipidique à 1 mois.
Questions pratiques
• Le bilan lipidique peut être effectué à l’admission sans que le patient soit à jeun. L’impact de l’alimentation sur les lipides est très modeste, de l’ordre de 0,04 g/L pour le cholestérol, de 0,2 g/L pour les triglycérides.
• Il faut prescrire une statine de forte intensité rapidement après l’admission pour SCA, même si le LDL-C est proche de l’objectif. L’argument en faveur de cette attitude est fourni par une analyse complémentaire de l’étude MIRACL qui montre une réduction significative de la totalité des ECV « durs » (premiers et récurrents) sous atorvastatine 80 mg versus placebo (NNT = 11 pour 1 an de traitement).
• Chez les patients à très haut risque qui présentent un événement cardiovasculaire récidivant malgré un LDL-C relativement bas sous statine, le traitement devrait être intensifié, soit en augmentant la dose de statine, soit en ajoutant l’ézétimibe. En effet, l’analyse des groupes placebo des études PEGASUS et FOURIER a montré que le risque résiduel des patients ayant présenté deux SCA/IDM est 2 fois plus élevé que celui des patients n’en ayant présenté qu’un seul. Il est donc justifié de prescrire la dose maximale de statine associée à l’ézétimibe, stratégie qui permettra d’abaisser le LDL-C à de très basses concentrations. Aucun effet délétère ni problème de tolérance n’a été mis en évidence dans l’étude IMPROVE-IT où le LDL-C a pu baisser jusqu’à 0,30 g/L, ni dans l’étude FOURIER jusqu’à < 0,2 g/L.
• Le diabète présente un cas particulier en prévention secondaire ; en effet, malgré le traitement par statine de forte intensité, le risque résiduel à 10 ans est très élevé. Cela justifie de prescrire d’emblée l’ézétimibe en association à une statine à la dose maximale tolérée, comme le préconisent les dernières recommandations de l’ADA en prévention secondaire (Diabetes Care 2018 ; 41 : suppl1). En outre, les résultats du sous-groupe de diabétiques de l’étude IMPROVE-IT (Circulation 2018) montrent que la réduction du risque est majeure, de 5,5 % comparativement aux non-diabétiques. Les diabétiques représentent donc une catégorie prioritaire pour prescrire l’ézétimibe en association aux statines, ainsi que les sujets non diabétiques dont le risque SCORE est catégorisé « haut risque résiduel ».
D’après un symposium avec le soutien de MSD avec la participation de É. Puymirat, L. Belle et M. Farnier
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