Publié le 15 nov 2018Lecture 6 min
Association d’un antiagrégant plaquettaire avec un AOD - À propos d’un cas clinique
Pierre AMBROSI, CHU La Timone, Marseille
Mme L., 85 ans, a pour principaux antécédents une HTA, une embolie pulmonaire idiopathique en 2012, un IDM en 2012 et une oblitération de l’artère centrale de la rétine.
Observation
Mme L., 85 ans, a pour principaux antécédents une HTA, une embolie pulmonaire idiopathique en 2012, un IDM en 2012 et une oblitération de l’artère centrale de la rétine. Elle a bénéficié de la mise en place d’un stent coronaire début 2016 et a reçu l’association rivaroxaban 15 mg (Xarelto®) + clopidogrel 75 mg (Plavix®) dans les suites. Elle entre aux urgences en avril 2018 dans un tableau d’hémiparésie qui fait découvrir un hématome cérébelleux gauche avec compression du tronc cérébral (figure 1). Elle pèse 82 kg et sa créatininémie est à 61 μmol/l. Son traitement d’entrée associe rivaroxaban 15 mg, clopidogrel 75 mg, furosémide 20 mg, telmisartan 40 mg, pantoprazole 20 mg, atorvastatine 40 mg. Deux questions se posent :
– l’association rivaroxaban 15 mg + clopidogrel était-elle légitime à l’issue de la mise en place du stent en 2016 ?
– était-il légitime de poursuivre l’association rivaroxaban 15 mg + clopidogrel près de 2 ans après la mise en place du stent coronaire ?
Figure 1. Hématome intracérébelleux gauche spontané chez une patiente de 85 ans traitée par rivaroxaban (Xarelto®) 15 mg + clopidogrel (Plavix®) 75 mg pour embolie pulmonaire idiopathique ancienne et angioplastie coronaire pratiquée près de 2 ans auparavant.
L’association rivaroxaban 15 mg + clopidogrel et l’association dabigatran 110 x 2 + clopidogrel ont été validées chez des patients en FA recevant un stent coronaire.
L’étude PIONEER et l’étude REDUAL ont en effet montré que ces associations d’un AOD avec une thiénopyridine (essentiellement du clopidogrel) font moins saigner que la triple association warfarine + aspirine + thiénopyridine (tableaux 1 et 2).
De plus, en dépit d’une puissance insuffisante, elles suggèrent fortement que la bithérapie thiénopyridine + AOD est aussi efficace que la trithérapie antithrombotique comportant un AVK. L’étude AUGUSTUS en cours permettra peut-être d’étendre ces constatations à l’apixaban. Pour en revenir à notre patiente, l’association rivaroxaban 15 mg + clopidogrel était donc justifiée à l’issue de la mise en place du stent coronaire en 2016.
L’association antiagrégant + anticoagulant oral est très souvent pratiquée en dehors des suites d’un événement coronaire.
L’association antiagrégant + AVK est parfaitement validée chez le patient porteur d’une valve mécanique mitrale. L’association antiagrégant + anticoagulant oral est également bien validée chez les patients ayant, d’une part, fait un événement coronaire récent (SCA, angioplastie coronaire) et ayant, d’autre part, une FA. Cependant, dans la pratique, beaucoup de patients recevant l’association antiagrégant + anticoagulant oral n’entrent dans aucun des cas de figure précédents. Ainsi, dans une série de 36 patients consécutifs recevant cette association à leur entrée dans le service de post-urgence à l’hôpital de la Timone, sa justification était dans la grande majorité des cas la conjonction d’une FA avec une atteinte vasculaire stable (coronaire, carotidienne, ou aux membres inférieurs) (tableau 3). De manière concordante, le registre CLARIFY trouve cette association chez 21 % des coronariens stables en FA. Dans les essais cliniques portant sur la FA, le pourcentage de patients qui reçoivent cette association est encore plus élevé. Il atteint 36 % dans l’étude ROCKET évaluant le rivaroxaban dans la FA non valvulaire ! Quel est le bien-fondé de cette association chez des patients stables ?
Les anticoagulants oraux ont très probablement un effet antiplaquettaire.
Tous les anticoagulants aboutissent à une inhibition de la formation de thrombine. Or, la thrombine est un activateur plaquettaire puissant (figure 2). L’effet antiplaquettaire des anticoagulants oraux est donc attendu. Il est très difficile d’en faire la preuve, pour des raisons de méthode. En effet, les marqueurs de l’activation plaquettaire in vivo ne sont pas très fiables, en particulier à cause des artéfacts de prélèvement.
Figure 2. Trois des principales voies de l’activation plaquettaire médiées par le thromboxane A2 (TXA2), l’ADP et la thrombine. Tous les anticoagulants aboutissent à une inhibition de la formation de thrombine et peuvent avoir un effet antiplaquettaire de ce fait.
La plupart des anticoagulants oraux préviennent les événements coronaires.
Des essais cliniques randomisés ont comparé la warfarine, le rivaroxaban et l’apixaban à l’aspirine dans diverses indications (tableau 4). Il en ressort que la fréquence des événements coronaires est similaire sous ces anticoagulants et sous aspirine. Bien entendu, ces résultats doivent être interprétés avec prudence compte tenu du petit nombre d’événements. Les comparaisons de l’apixaban ou du rivaroxaban avec les AVK vont dans le même sens : il n’y a pas d’augmentation du risque d’événement coronaire sous ces AOD par rapport à la warfarine (tableau 5). En revanche, il est possible que le traitement par dabigatran soit associé à un surrisque d’événement coronaire, ce que suggèrent RE-LY et la métaanalyse de Douxfils, mais il est bien difficile de conclure sur une analyse d’un critère secondaire.
Dans la pratique, en l’absence d’indication spécifique des anticoagulants telles que la FA ou la MTEV, l’aspirine est préférée aux anticoagulants oraux chez le coronarien stable, car elle fait moins saigner. En métaanalyse, nous avons trouvé que l’aspirine fait saigner environ deux fois moins que les AVK (Ambrosi et coll. Int J Cardiol 2016). De même, le risque d’hémorragie majeure est moins élevé sous aspirine que sous rivaroxaban (dans COMPASS : 2 % sous aspirine contre 3 % sous rivaroxaban 10 mg, p < 0,0001). Le risque d’hémorragies majeures et cliniquement significatives est un peu moins élevé sous aspirine que sous apixaban dans AVERROES (123 versus 140, NS).
L’association antiagrégant + anticoagulant oral est-elle supérieure à l’aspirine pour prévenir les événement s vasculaires chez le patient stable ?
Les données de la littérature ne sont pas homogènes. À petite dose, le rivaroxaban a un effet additif par rapport à l’aspirine pour prévenir les événements vasculaires chez des coronariens stables sans FA. C’est ce que montre l’étude COMPASS réalisée chez des coronariens stables dont l’âge moyen était 69 ans, suivis en moyenne 2 ans. L’incidence du critère AVC+ IDM + mort cardiovasculaire était significativement plus basse dans le groupe aspirine + rivaroxaban 2,5 mg x 2 que dans le groupe aspirine. Cet effet protecteur était obtenu au prix d’une augmentation du risque hémorragique, ce qui en limite l’intérêt pratique chez des patients à risque vasculaire moyennement élevé. En revanche, l’ajout de la warfarine à un antiagrégant ne diminue pas le risque vasculaire par rapport à l’antiagrégant seul dans l’étude WAVE menée chez des patients avec artériopathie des membres inférieurs ou des TSAO.
L’association antiagrégant + anticoagulant oral augmente notablement le risque hémorragique.
Dans la même étude WAVE l’association AVK + antiagrégant a provoqué un excès d’hémorragies sévères par rapport au traitement par antiagrégant seul (risque relatif : 3,41 ; IC95% : 1,84 à 6,35).
Par ailleurs, l’étude FFAACS (fluindione, fibrillation atriale, aspirine, et contraste spontané) menée chez des patients en FA à haut risque thrombotique a montré un excès d’hémorragies sous l’association aspirine + fluindione par rapport à la fluindione seule (INR cible de 2 à 2,6).
En pratique
Finalement, dans la plupart des cas, l’association anticoagulant + antiagrégant n’est pas justifiée chez le patient ayant, d’une part, une coronaropathie stable ou une AOMI stable et, d’autre part, une FA ou une MTEV.
Les arguments sont multiples :
– l’anticoagulant peut suffire pour la prévention des événements artériels ;
– chez les patients stables en FA, l’association anticoagulant + antiagrégant n’a pas été correctement évaluée et n’a pas de supériorité démontrée par rapport à la monothérapie par anticoagulant dans la prévention des événements artériels ;
– le risque hémorragique de l’association est sensiblement plus élevé que celui d’une monothérapie antithrombotique.
On n’est donc pas surpris par la recommandation ESC 2016 sur la FA : « Une monothérapie par anticoagulant oral, et non une association anticoagulant + antiagrégant plaquettaire est recommandée chez les patients avec une maladie coronaire stable, sans antécédent de syndrome coronarien aigu ou d’intervention coronaire percutanée au cours des 12 derniers mois ». Une recommandation pas assez suivie.
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