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Cardiologie générale

Publié le 15 juin 2019Lecture 20 min

Progrès et incertitudes dans l’endocardite infectieuse

Catherine SELTON-SUTY et coll*, service de cardiologie, CHU de Nancy

De par ses multiples facettes et son évolution constante, l’endocardite infectieuse (EI) est une affection passionnante, mais complexe, notamment en raison de la nécessité de sa prise en charge par une équipe multidisciplinaire, au centre de laquelle le cardiologue joue bien évidemment un rôle primordial.

Réflexions autour de l’épidémiologie de l’EI et de ses modes d’étude D’une infection streptococcique d’origine dentaire, se développant principalement chez le sujet jeune aux antécédents de rhumatisme articulaire aigu, l’EI est devenue en quelques décennies une infection touchant majoritairement le sujet âgé, sur valvulopathie dégénérative ou sur matériel. Un grand nombre de cas sont secondaires à des soins médicaux, avec comme corollaire la prédominance des staphylocoques comme microorganismes responsables. Le suivi des caractéristiques démographiques et épidémiologiques de l’EI est donc indispensable afin d’améliorer le diagnostic et la prise en charge précoce. Ces évolutions épidémiologiques ont historiquement été rapportées par des publications de séries mono- ou multicentriques, avec bien évidemment un biais de sélection puisque émanant principalement de gros centres hospitaliers. La réalisation d’études épidémiologiques à base populationnelle comme cela a été fait en France à 3 reprises (en 1991, 1999 et 2008) est parfaitement adaptée au suivi de cette pathologie, et permet notamment de calculer son incidence et d’en surveiller l’évolution. Malheureusement, ce type d’enquête est très difficile à mettre en place et à financer à l’heure actuelle. L’autre moyen d’étudier l’évolution du profil des patients avec EI passe par le biais de cohortes observationnelles et de registres. Ainsi l’International Collaboration on Endocarditis a réuni les données de plus de 7 000 cas d’EI, issus de plus de 60 centres dans 28 pays de par le monde. À l’échelon français, sous l’égide de l’Association pour l’Étude et la Prévention de l’Endocardite Infectieuse (AEPEI), la réunion de plusieurs bases de données monocentriques, ainsi que celles des études épidémiologiques a permis la création de l’Observatoire national sur l’EI en France, qui recueille environ 3 000 cas d’EI. Très récemment, le registre Euro-Endo de l’ESC a recueilli sur 1 an les données de plus de 3 000 patients dans 150 centres et dans 40 pays, et nous sommes impatients d’en connaître les résultats. Le biais de ce type de registres est qu’ils sont principalement abondés par des centres tertiaires à gros volumes, et qu’ils méconnaissent probablement en partie les EI prises en charge dans des centres primaires sans être référés à des centres de référence (en dehors des périodes d’études épidémio pour l’observatoire français). Néanmoins, la volumétrie de cas qu’ils génèrent permet d’apporter des renseignements intéressants. Enfin, l’un des nouveaux modes d’études de l’EI est la consultation de bases de données de santé, telles que celles des hospitalisations avec codage PMSI en France, où le codage qui correspond à l’EI est en général assez bien rempli. Le problème est que, bien souvent, ces bases de données ne permettent pas de rentrer dans le détail de l’épisode d’EI, que ce soit sur le plan microbiologique, échocardiographique ou thérapeutique. En pratique, à l’échelon français, une participation large à l’Observatoire national permettra de poursuivre la surveillance de l’épidémiologie de l’EI, en l’absence de financement possible d’une nouvelle enquête épidémiologique par les appels à projets de recherche actuels. Donc n’hésitez pas à saisir vos cas par le biais de l’eCRF, accessible à tous après contact avec le centre de gestion via l’adresse mail suivante : observatoireei@ chru-nancy.fr. Réflexions autour des recommandations de prophylaxie Les plus anciens d’entre nous se rappellent les recommandations de prévention de l’EI dans les années 1980-1990 où tout patient à risque d’EI devait avoir une antibioprophylaxie, le plus souvent per os, mais parfois même par voie intraveineuse, avant et après tout type de geste invasif. L’absence de preuve de l’efficacité de celle-ci, ainsi que l’absence de preuve de culpabilité d’un geste donné sur la survenue de l’EI ont été à l’origine de la désescalade des recommandations. Selon les recommandations européennes de 2015, l’antibioprophylaxie per os en une seule prise une heure avant le geste est à l’heure actuelle limitée aux cardiopathies à haut risque d’EI (prothèse valvulaire, antécédent d’EI, cardiopathie congénitale cyanogène non opérée) lors de gestes à risque dentaire avec effraction de la muqueuse buccale(1). En parallèle, l’accent est mis sur l’importance de l’hygiène cutanée et bucco-dentaire, et ceci est un élément très important dans notre pratique quotidienne, où, même si l’on n’a plus de prescription à faire, il reste important d’expliquer aux patients qu’ils sont à risque d’endocardite, et quelles sont les mesures simples à prendre pour essayer de l’éviter (tableau 1). En France, la Société française de cardiologie a récemment fait le point sur la prise en charge de l’état buccodentaire des patients valvulaires(2). En Angleterre, le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) a carrément recommandé en 2008 de ne plus recourir à aucune antibioprophylaxie, y compris chez les patients à haut risque. Le choix de l’ESC en 2015 a été de maintenir la prophylaxie chez ces sujets à haut risque compte tenu de la gravité potentielle de l’EI chez ce type de patients. Néanmoins, cet aspect d’antibioprophylaxie lors de gestes dentaires ne concerne qu’un petit nombre de patients puisqu’une grande partie des EI à l’heure actuelle surviennent chez des patients avec comorbidités (hémodialyse, cancer, diabète…) et ne sont pas d’origine dentaire. Dans ce cadre, il est donc indispensable d’insister aussi sur la prévention des bactériémies liées aux soins par un respect draconien des mesures d’hygiène (asepsie rigoureuse lors de gestes, port de gants, changement régulier des voies veineuses, etc.). Par ailleurs, la recherche se tourne aussi vers l’utilisation de matériaux sur lesquels les micro-organismes auraient des difficultés à adhérer et à développer des biofilms. De nouvelles formules de vaccins antistaphylococciques sont aussi à l’étude. Réflexions autour de l’incidence de l’endocardite infectieuse Bien évidemment, l’incidence de l’EI a été étroitement surveillée dans les suites de ce recul de l’antibioprophylaxie. En France, les 3 enquêtes épidémiologiques successives ont permis de constater la stabilité de l’incidence de l’EI, actuellement de l’ordre de 35 cas par an et par million d’habitants, et notamment l’absence d’augmentation de l’EI à streptocoques oraux chez les sujets avec cardiopathies préalablement connues(3). En Angleterre, les données issues de systèmes de santé ont semé le doute. Sur la période 2000-2013, il a été noté une diminution de la prescription d’antibioprophylaxie de 89 % suite aux recommandations de 2008 (NICE), et en parallèle, une augmentation du nombre de cas par rapport à la projection historique a été rapportée(4). Ainsi, 35 cas supplémentaires d’EI par mois auraient été enregistrés. Comme déjà souligné, il est impossible de savoir si cette augmentation du nombre de cas d’EI est liée à des germes oraux ou autres. Le même type d’étude a été réalisé aux États-Unis à partir des données de Medicare et d’autres bases de données de santé et permet de mieux préciser les choses(5). Une analyse séparée des patients à haut risque, à moyen risque et sans risque a montré une diminution significative de la prescription d’antibioprophylaxie chez les sujets à moyen risque et sans risque, mais aussi une diminution de 20 % des prescriptions chez les sujets à haut risque dans les suites des recommandations. En parallèle, l’incidence de l’EI a augmenté de 177 % chez les sujets à haut risque, de 75 % chez les sujets à moyen risque et ne s’est pas modifiée chez les sujets non à risque. Même, là encore, il est impossible de démontrer un lien de causalité entre la diminution de l’antibioprophylaxie et l’augmentation de l’incidence. La première réflexion que l’on peut faire suite à cette étude est que la notion de risque variable des cardiopathies est manifestement mal connue et que la diminution de l’antibioprophylaxie chez les patients à haut risque est inquiétante, d’autant plus qu’elle s’accompagne d’une augmentation frappante de l’incidence de l’EI dans ce sous-groupe. La deuxième question concerne l’estimation du risque des cardiopathies considérées à moyen risque ; dans la mesure où la diminution de l’antibioprophylaxie s’est là aussi accompagnée d’une augmentation de l’incidence, on peut se demander si certaines cardiopathies valvulaires natives ne seraient pas à plus haut risque qu’on ne le croit et devraient donc être la cible d’une attention particulière. Réflexions autour de la notion de cardiopathie à risque Certaines équipes, notamment anglaises(6) et danoises(7) ont essayé de le démontrer à partir des registres de données de santé avec des résultats un peu discordants. Si les Anglais retrouvent une surestimation du risque de certaines cardiopathies congénitales opérées avec matériel et une sous-estimation du risque des valvulopathies natives, les danois, à partir d’une méthodologie peut-être un peu plus robuste, considèrent que la classification des cardiopathies à haut risque et à moyen risque est appropriée avec effectivement un sur-risque d’EI très important pour les patients ayant déjà fait une endocardite (Hazard Ratio 65), et pour les porteurs de prothèse (HR 19) et un risque moindre pour les valvulopathies natives (HR 9) en comparaison avec des sujets contrôles. Une équipe espagnole(8), là encore à base de registres de données de santé, insiste sur le fait que les patients avec bicuspidie ou prolapsus valvulaire mitral font plus fréquemment des EI à germes d’origine dentaire que les patients à haut risque, qu’ils développent autant de complications cardiaques que les patients à haut risque, et que les EI sur bicuspidie notamment sont traitées chirurgicalement dans quasiment 70 % des cas. Ceci l’amène à s’interroger sur l’intérêt de l’antibioprophylaxie dans ces deux sous-groupes de patients avec valvulopathie native. En ce qui concerne le prolapsus valvulaire, une étude américaine confirme la franche majoration du risque dès lors que le prolapsus est associé à une fuite mitrale significative(9). Au sein des cardiopathies congénitales, les cardiopathies cyanogènes sont clairement à risque plus élevé d’EI, de même que les pathologies des coussinets endocardiques (canal atrio-ventriculaire). Il y a donc encore matière à beaucoup d’études et de discussions dans ce domaine des cardiopathies à risque et de l’antibioprophylaxie de l’EI, même s’il est malheureusement impossible de répondre à ces questions par le biais d’études randomisées, qui, compte tenu de la rareté de la maladie, nécessiteraient l’inclusion d’un nombre considérable de patients avec un coût totalement prohibitif. Réflexions autour des EI sur matériel de stimulation Toutes les études épidémiologiques constatent l’augmentation en fréquence des EI sur matériel de stimulation, qui représentaient environ 15 % des cas en France en 2008. Depuis le début du siècle, l’avènement de la resynchronisation et des défibrillateurs implantables a provoqué une forte augmentation du nombre de patients porteurs de ce type de matériel, patients souvent âgés avec de multiples comorbidités. La fréquence des infections de matériel a augmenté de manière beaucoup plus importante que celle de leur implantation. Ainsi, l’incidence de l’EI sur matériel, rapportée à partir d’un registre danois, varie de 210 cas (PM simple monochambre) à 630 (défibrillateur triple chambre) pour 100 000 patients porteurs de matériel. Les patients porteurs de matériel de stimulation ne sont pas considérés comme étant à risque d’EI au sens où on l’entend habituellement, c’est-à-dire qu’ils ne justifient pas d’une antibioprophylaxie lors de gestes à risque. Ils ne sont d’ailleurs pas non plus considérés comme à risque dans la classification diagnostique de la Duke University. Néanmoins, le risque est réel et principalement lié à la contamination du matériel par la flore cutanée lors de l’implantation et des gestes ultérieurs. Dans ce cadre, une étude récente a montré que l’utilisation d’enveloppes antibactériennes lors de l’implantation de matériel résulte en une diminution significative de l’incidence d’infections majeures du dispositif de stimulation par rapport aux procédures standards, sans majoration des complications, de 1,2 à 0,7 % à 1 an(10). La Heart Rhythm Society a récemment publié des recommandations sur la prise en charge des matériels de stimulation et notamment de leurs complications infectieuses(11). Celles-ci soulignent l’importance des hémocultures et de l’ETO quasi systématique et précisent les conduites à tenir en termes d’extraction de matériel et de durée d’antibiothérapie (figure 1). Figure 1. Algorithme décisionnel face à une suspicion d’infection de matériel de stimulation (d’après les recommandations de la Heart Rhythm Society). DECI : dispositif intracardiaque Réflexions autour des modalités de prise en charge Les recommandations européennes de 2015 ont été les premières à mettre l’accent sur l’importance pronostique de la prise en charge des patients par des équipes multidisciplinaires (Endocarditis Team) dans des centres experts, qui permet une diminution de la mortalité de l’EI. Elles insistent sur l’importance d’un transfert rapide de toute EI compliquée vers un centre expert, et, pour les EI non compliquées, sur la nécessité d’une prise de contact précoce et régulière avec une Endocarditis Team, voire de consultations ou courtes hospitalisations dans un centre expert. À nous donc de mieux nous organiser à l’échelon français pour que les centres experts puissent être sollicités facilement par les autres centres hospitaliers publics ou privés, de manière à prendre en charge nos patients encore plus rapidement et encore plus efficacement. Outre les décisions thérapeutiques initiales, ces équipes multidisciplinaires organiseront la recherche de la porte d’entrée(12) et le suivi régulier de ces patients tout au long de leur traitement initial, puis à moyen et à long terme. Réflexions autour de l’imagerie dans l’endocardite Si nous, cardiologues, sommes bien persuadés de l’immense intérêt de l’échocardiographie à la fois transthoracique ET transœsophagienne (jamais l’une sans l’autre !) dans la mise en évidence des lésions de base de l’atteinte cardiaque de l’endocardite, à savoir végétation, abcès et/ou désinsertion de prothèse  (figures 2 à 6), il faut aussi reconnaître nos limites et savoir que nos performances diagnostiques varient en fonction de la cardiopathie sous-jacente. Elles sont en effet notablement moins bonnes en présence de matériel intracardiaque (prothèses valvulaires, matériel de stimulation…), et c’est dans ce domaine que les autres techniques d’imagerietrouvent toute leur place. Figure 2. Végétation anévrismale avec perforation d’une sigmoïde aortique vue en ETO. Figure 3. Petite végétation en battant de cloche sur une sonde de PM vue mitrale vue en ETO. en ETO dans l’oreillette droite. Figure 4. Végétation sur la face atriale de la mitrale vue en ETO. Figure 5. Abcès détergé ou pseudo-anévrisme de la face postérieure de l’anneau aortique avec végétations et délabrement de toute la valve aortique vu en ETO (en haut, grand axe, en bas, petit axe). Figure 6. Volumineuses végétations sur une prothèse à ailettes mitrale en ETO 2D et 3D. En effet, le scanner cardiaque permet parfois de visualiser des lésions périprothétiques non vues en échocardiographie, notamment au niveau aortique (figure 7). Figure 7. Endocardite sur bioprothèse aortique avec faux anévrisme (abcès détergé) du trigone mitro-aortique (aspect en écho [A] : zone vide d’écho postérieure ; au scanner cardiaque [B] : image additionnelle de 12 × 9 mm ; et au TEP-scanner [C] : hyperfixation hétérogène périprothétique). L’imagerie dite fonctionnelle, avec principalement le TEP-scanner, mais aussi la scintigraphie aux leucocytes marqués, a prouvé son immense intérêt dans la mise en évidence d’une hyperfixation sur ces matériels intracardiaques. Ceci a donc justifié l’entrée de ces imageries comme critère majeur, au même niveau que l’échocardiographie, dans la classification diagnostique de Duke revisitée par les recommandations européennes de 2015(1) (tableau 2). Certes, ces techniques ne sont pas non plus infaillibles, ont des limites et nécessitent d’être interprétées par des médecins expérimentés dans le domaine de l’EI. Ainsi, des prothèses examinées en dehors de tout contexte infectieux peuvent avoir une hyperfixation normale au TEP-scanner. Il est important de s’intéresser non seulement à la présence d’une hyperfixation, mais aussi à son caractère hétérogène pour poser le diagnostic d’EI. Il faut aussi souligner l’intérêt du TEP-scanner pour la mise en évidence de la porte d’entrée éventuelle et de sites d’infection secondaires (emboliques ou autres). Par ailleurs, les recommandations soulignent aussi l’importance de l’imagerie extracardiaque, notamment cérébrale, pour la détection systématique et rapide de complications emboliques éventuellement asymptomatiques, qui peuvent influencer la prise en charge chirurgicale. Ainsi, une IRM cérébrale systématique met en évidence des anomalies chez 80 % des patients, et apporte donc des informations diagnostiques importantes. Bien évidemment, l’imagerie doit être pratiquée rapidement et en aucun cas ne retarder une éventuelle chirurgie urgente, si nécessaire. Réflexions autour de l’antibiothérapie Dans ce domaine aussi, les choses évoluent. Le principe de l’antibiothérapie bactéricide en permanence, à doses élevées, et de durée prolongée de 2 à 6 semaines selon les cas, est bien évidemment toujours de rigueur, mais il y a des évolutions en termes de choix d’antibiotiques et de durée d’antibiothérapie. Ainsi, les aminosides, en raison de l’absence de bénéfice démontré et d’un surrisque de néphrotoxicité, ne doivent plus être utilisés dans le traitement de première intention des endocardites à Staphylococcus aureus sur valve native. La daptomycine est indiquée dans le traitement des bactériémies et des EI du cœur droit à Staphylococcus aureus sur la base des résultats d’un essai randomisé ayant démontré sa non-infériorité par rapport au traitement de référence (pénicilline antistaphylococcique ou vancomycine). Elle est aussi recommandée comme une alternative à la vancomycine dans les EI du cœur gauche à S. aureus résistant à la méthicilline, sur valve native ou prothétique. Le choix de l’antibiothérapie probabiliste avant identification de tout micro-organisme se fera en fonction de nombreux paramètres (terrain, porte d’entrée, évolutivité des symptômes…) et les recommandations donnent des conseils en la matière. Par ailleurs, la durée optimale du traitement antibiotique par voie intraveineuse risque d’évoluer lors des prochaines recommandations. En effet, l’essai randomisé POET (Partial Oral vs Intravenous Antibiotic Treatment of Endocarditis) récemment conduit chez 400 adultes traités par voie parentérale pour une endocardite du cœur gauche, sur valve native ou prothétique, causée par un streptocoque, un entérocoque ou un staphylocoque, a montré que lorsque l’évolution clinique est favorable après au moins 10 jours de traitement intraveineux, un relais par une antibiothérapie orale adaptée est aussi efficace que la poursuite du traitement par voie intraveineuse(13). Ainsi, après une première période de traitement parentéral, un relais oral par une antibiothérapie à biodisponibilité orale élevée pourra être réalisé et permettra un retour à domicile plus précoce. Le retour à domicile précoce du patient est d’ores et déjà une réalité. En effet, la poursuite du traitement parentéral à domicile est possible chez les patients à bonne évolution clinique, soit au cours de véritables hospitalisations à domicile, soit avec l’aide de prestataires, qui tous assurent la gestion à domicile de l’antibiothérapie IV au travers de cathéters périphériques veineux longs et à longue durée d’action (PICC line, Midline). Ces sorties précoces se font bien évidemment sous surveillance rapprochée, clinique, biologique et échocardiographique par l’équipe médicale initiale. La règle d’or dans le domaine du traitement médical reste bien évidemment de discuter toute antibiothérapie pour suspicion et traitement d’endocardite avec les infectiologues des centres experts, au chevet du malade et au sein des réunions de l’Endocarditis Team. Réflexions autour de la prise en charge chirurgicale Durant ces trente dernières années, le recours à la chirurgie est devenu de plus en plus fréquent, avec une augmentation de 7 % par décade entre 1969 et 2000. En France, la fréquence du recours à la chirurgie est passée de 24 % en 1991 à près de 50 % dans les années 2000. Les raisons de cette augmentation du recours à la chirurgie sont probablement multiples, liées à la fois à des diagnostics plus précis des lésions cardiaques par les différentes imageries, et à l’amélioration considérable des pratiques chirurgicales y compris sur des lésions très délabrantes. Ce pourcentage de 50 % de chirurgie pendant la prise en charge initiale de l’EI est toutefois inférieur à celui des indications théoriques si on appliquait parfaitement les recommandations, qui est de 73 % dans une étude réalisée à partir des données de l’étude épidémiologique française de 2008(14). Cette différence est expliquée pour moitié par des contre-indications à la chirurgie, et pour moitié par un défaut de reconnaissance de l’indication chirurgicale par l’équipe médicale. Ce dernier élément est un argument supplémentaire pour justifier la sollicitation de l’avis d’une Endocarditis Team pour tous les patients pris en charge pour EI dans des centres non chirurgicaux. Jusqu’à récemment, il n’y avait jamais eu d’étude randomisée confirmant la supériorité de la chirurgie par rapport à un traitement médical bien conduit et les recommandations étaient fondées sur des études observationnelles montrant une amélioration du pronostic après chirurgie chez les patients qui ont le score de propension à être opérés le plus élevé, c’est-à-dire les indications opératoires les plus évidentes, notamment l’insuffisance cardiaque. Récemment, une étude randomisée coréenne a comparé traitement conventionnel et chirurgie ultraprécoce (< 48 h) chez des patients atteints d’endocardite du coeur gauche avec végétation de grande taille sans indications de chirurgie en extrême urgence(15). Elle démontre un bénéfice significatif à 6 semaines et à 6 mois de la chirurgie ultraprécoce sur un critère combinant mortalité et événement embolique, d’ailleurs essentiellement lié à une diminution des accidents emboliques. Néanmoins, cet essai a inclus principalement des sujets jeunes avec des EI d’origine streptococcique, avec un recours à la chirurgie très élevé aussi dans le bras conventionnel, et n’est donc probablement pas directement transposable à nos populations européennes de sujets plus âgés avec des endocardites plus souvent d’origine staphylococcique. Il faudra probablement d’autres essais randomisés dans le domaine de la chirurgie pour mieux préciser les choses. En effet, beaucoup de questions et d’incertitudes persistent autour des indications de la chirurgie de l’EI. Si les indications d’ordre hémodynamique sont largement reconnues et appliquées, les autres types d’indications sont plus discutables et soumis à des variations d’interprétations. Ainsi, la non-maîtrise du syndrome infectieux est-elle définie de manière arbitraire par une persistance de la fièvre ou des hémocultures positives audelà d’un délai d’environ 7 jours, mais sans preuve réelle que, passé ce délai, le pronostic des patients non opérés s’aggrave ; les abcès de petite taille, de même que les infections sur prothèse à staphylocoques ou à champignons, peuvent parfois être gérés médicalement alors que ces situations sont considérées comme des indications formelles dans les recommandations. Les indications d’ordre embolique sont encore plus sujettes à discussion au quotidien ; quiconque fait de l’écho sait que rien n’est plus difficile que de mesurer avec précision une végétation, structure par définition très mobile en 3 dimensions. En l’absence d’autre indication, la décision de chirurgie basée sur cette seule mesure est donc parfois très difficile, mais heureusement, assez rarement rencontrée ! Une fois l’indication retenue se pose le problème du délai de réalisation de la chirurgie, et là encore, le moment optimal n’est pas clairement défini. L’étude randomisée coréenne qui montre une franche diminution du risque embolique en cas de chirurgie ultra-précoce nous pousserait à ne pas attendre dès lors qu’une indication est retenue et à pratiquer la chirurgie le plus rapidement possible, même si une étude rapporte un taux de récidive et de dysfonctionnement de prothèse peut-être un peu plus important dans le suivi des patients opérés très précocement(16). La chirurgie ultraprécoce paraît justifiée en cas d’indication d’ordre embolique, car la courbe de fréquence de survenue d’un accident embolique symptomatique au cours de l’EI montre une diminution très rapide de celle-ci dès l’instauration de l’antibiothérapie. Une étude randomisée dans le cadre d’un PHRC français (ChirurgEndo) va bientôt débuter pour vérifier si la chirurgie ultraprécoce en cas de végétation de grande taille apporte un bénéfice réel aux patients comparativement à une prise en charge standard. À l’heure actuelle, la tendance est à intervenir sans attendre dès lors que l’indication chirurgicale est posée. Par ailleurs, certaines formes particulières d’EI posent de réel s problèmes de prise en charge chirurgicale, notamment les EI chez les toxicomanes, avec un taux de récidives postopératoires très élevés, les EI sur TAVI, dont la mortalité chirurgicale est très élevée. De même, la décision de chirurgie chez les patients avec complication neurologique, si elle n’est pas formellement contre-indiquée en dehors de l’AVC hémorragique symptomatique sévère, suscite toujours de nombreuses discussions. Là encore, toutes ces difficultés décisionnelles soulignent l’importance des discussions multidisciplinaires au sein de l’Endocarditis Team pour discuter au cas par cas de chaque patient. À noter que plusieurs équipes ont développé des scores de risque chirurgical adaptés à l’EI, qui peuvent nous aider dans la prise de décision. Dans le score de l’AEPEI, élaboré à partir des données françaises de 2008, les facteurs qui rentrent en ligne de compte pour estimer le risque de mortalité intrahospitalière sont l’état critique préopératoire, le BMI > 27, la clairance à la créatinine < 50 ml/min, la classe IV de la NYHA et la PAPs > 55 mmHg(17). Réflexions autour de la mortalité et de la morbidité La prise en charge standardisée par des équipes expertes est à même d’améliorer le pronostic de l’endocardite, ainsi que ça a été démontré dans les centres experts, notamment à Marseille(18) et à Barcelone. Quoi qu’il en soit, au niveau de la France, les différentes enquêtes épidémiologiques répétées montrent une stabilité dans le temps de la mortalité hospitalière. Celle-ci est aux alentours de 20 %, soit 1 patient sur 5, dans les pays développés. Ce chiffre, déjà impressionnant en lui-même, cache de grandes disparités avec une mortalité pouvant atteindre quasiment 50 % dans des populations de patients fragiles (sujets âgés, dialysés, immunodéprimés…) atteints d’endocardite à Staphylocoques sur prothèse par exemple. La mortalité à 5 ans est elle aussi élevée, de l’ordre de 40 %. Par ailleurs, outre la mortalité, il faut rappeler la morbidité de l’EI. Ainsi, le recours à la chirurgie chez quasi la moitié des patients induit une morbidité liée au port de prothèse, avec risque d’accident vasculaire, d’hémorragies, de réinterventions et bien évidemment, de nouvel épisode d’EI, responsables d’une surmortalité au long cours(19). La morbidité liée aux complications emboliques, aux complications rénales de l’endocardite est, elle aussi, non négligeable. Par ailleurs, le pic d’incidence de l’EI en France se situe dans la tranche d’âge de 70-80 ans, et l’EI entraîne une mortalité et une morbidité importante chez ces patients fragiles. Ainsi, une altération significative de l’état gériatrique du patient âgé à la fois sur le plan de l’autonomie, du statut cognitif et nutritionnel, a été démontrée dans l’étude Elderl-IE réalisée en France avec le soutien de la Fondation Cœur et Recherche(20). Enfin, les rares études sur la qualité de vie à distance d’un épisode d’endocardite infectieuse ont montré que plus de la moitié des patients ressentaient encore des symptômes physiques et que 1/3 de ceux qui travaillaient n’avaient pas repris leur activité professionnelle un an après l’épisode, témoignant de la sévérité de cette pathologie multi-organes. Dans ce cadre, un essai randomisé (the CopenHeartIE trial) est en cours pour analyser les effets d’une réadaptation cardiaque physique accompagnée de consultations psycho-éducationnelles sur le fonctionnement physique et psychosocial de patients traités pour EI. En pratique Les différents aspects de cette maladie aux multiples visages sont autant de thèmes à creuser et à étudier pour nous permettre de la prévenir, d’en améliorer le diagnostic, le traitement et la survie. Les éléments clés de la prise en charge sont un diagnostic le plus rapide possible et une gestion multidisciplinaire par une équipe expérimentée disposant d’un plateau médical, technique et chirurgical complet. Outre la prise en charge thérapeutique initiale optimale qui est d’importance vitale pour le patient, il ne faut pas omettre la recherche et l’éradication de la porte d’entrée à l’origine de l’infection et il est très important d’organiser un suivi ultérieur régulier et particulièrement rigoureux compte tenu du risque important de survenue d’un nouvel épisode d’EI chez un patient qui en a déjà fait un, risque majoré par la présence de prothèse valvulaire éventuellement mise en place lors de l’épisode initial (figure 8). Figure 8. Les différents aspects du rôle des médecins dans l’endocardite infectieuse.

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