Cardiopathies congénitales
Publié le 15 oct 2019Lecture 6 min
Les cardiopathies congénitales chez l’adulte : ce que le clinicien doit savoir
Marielle GOUTON, Institut Mutualiste Montsouris, Paris
En 1939 — année qui voit naître la chirurgie cardiaque congénitale, avec la publication de Robert Gross sur le traitement chirurgical du canal artériel persistant —, Dick Ket peint un de ses derniers autoportraits, témoignant dans les moindres détails de la sévérité de la cardiopathie cyanogène dont il était atteint - et qui devait l’emporter quelques mois plus tard à l’âge de 37 ans : hippocratisme digital majeur, cyanose des téguments, hyperhémie conjonctivale, turgescence veineuse. Bien qu’étant l’un des peintres les plus représentatifs du réalisme magique néerlandais, son oeuvre tombe dans l’oubli. En 2006, Shaun White, né avec la même cardiopathie que Dick Ket — une tétralogie de Fallot — devient champion olympique de half-pipe en snowboard, et devient une star dans son pays.
Entre ces deux destins, six décennies d’inventions, d’héroïsme et de progrès dans le diagnostic et le traitement des cardiopathies congénitales : en 2019, toutes cardiopathies confondues, 90 % des enfants nés avec une malformation cardiaque atteignent l’âge adulte (contre moins de 20 % à l’époque de l’évolution naturelle, préchirurgicale). Avec 7 000 nouveaux cas par an (8 naissances/1 000), on estime aujourd’hui, en France, entre 150 000 et 200 000 adultes atteints d’une cardiopathie congénitale (patients GUCH, pour Grown Up with Congenital Heart defect), nombre qui dépasse, depuis les années 2000, la population pédiatrique.
Néanmoins, si la survie des cardiopathies congénitales à l’âge adulte est excellente, elle ne signifie pas pour autant guérison.
Le suivi de ces adultes nécessite une expertise cardiologique spécialisée, du fait de problèmes évolutifs spécifiques à chaque cardiopathie et/ou à chaque chirurgie réalisée — rythmiques ou hémodynamiques.
Clés diagnostiques
Connaître la cardiopathie pour mieux la prendre en charge
Le cardiologue non congénitaliste est souvent démuni devant un patient GUCH, du fait de la multitude et de la complexité anatomique des différentes cardiopathies congénitales, ainsi que de leur évolution spontanée ou consécutive à la chirurgie. L’objectif de cet article n’est pas de dresser un inventaire exhaustif de la multitude des cardiopathies congénitales — natives, ou opérées — et de leur prise en charge, mais de donner des clés, simples d’application, pour permettre au cardiologue non spécialiste de débrouiller un problème congénital avant de le confier, si besoin, au congénitaliste.
Chirurgie des cardiopathies congénitales
Le tableau détaille les différentes chirurgies ayant existé — pour certaines abandonnées depuis plusieurs décennies — avec l’année de leur première réalisation mondiale, leur nom, leur indication, leur voie d’abord chirurgicale, et leurs conséquences obligatoires éventuelles.
Échographie cardiaque des cardiopathies congénitales
• Le cœur droit congénital
Si la cardiologie adulte conventionnelle est plutôt une cardiologie du coeur gauche, la cardiologie adulte congénitale est la plupart du temps une cardiologie du cœur droit.
Les figures 1 à 3 et 5 détaillent les éléments à considérer et les diagnostics à envisager en fonction de l’aspect échographique du ventricule droit : la simple incidence 4-cavités renseigne et oriente vers la cardiopathie sous-jacente, et la conduite à tenir éventuelle :
– un ventricule droit dilaté (figure 1) oriente vers un shunt prétricuspidien (CIA, RVPAP) chez le sujet inconnu des cardiologues, ou une fuite pulmonaire ancienne chez le sujet opéré dans l’enfance ;
– un ventricule droit hypertrophié (figure 2) oriente vers un obstacle sur la voie pulmonaire (organique ou hémodynamique) ;
– un ventricule anatomiquement droit (figure 3) assurant la circulation systémique (c’est-à-dire aortique) se diagnostique simplement grâce à l’analyse du décalage mitrotricuspidien, la valve atrio-ventriculaire la plus apicale étant la valve tricuspide, le ventricule en dépendant étant automatiquement le ventricule droit, même s’il assure la circulation aortique (figure 4) ;
– un ventricule droit cicatriciel (figure 5) suite à une chirurgie dans l’enfance (classiquement pour une cardiopathie conotroncale — tétralogie de Fallot, truncus arteriosus — ou une pathologie de la voie pulmonaire — sténose valvulaire ou supra-valvulaire pulmonaire, trilogie de Fallot) ;
– un ventricule atrialisé (décalage mitrotricuspidien > 8 mm/m2 de surface corporelle) signe la maladie d’Ebstein. Il faut alors rechercher l’existence d’une CIA ou d’un FOP associé, ainsi que d’une préexcitation (Wolf-Parkinson-White) à l’ECG ;
– le ventricule droit peut être absent dans le cadre d’un ventricule unique, avec circulation de Fontan (ou dérivation cavopulmonaire totale).
Figure 1. Éléments à considérer devant un VD dilaté.
Figure 2. Éléments à considérer devant un VD hypertrophié.
Figure 3. Éléments à considérer devant un VD systémique.
Figure 4. Double discordance, voie apicale 4C, mettant en évidence le décalage mitrotricuspidien inversé (flèche).
Figure 5. VD cicatriciel.
• Le cœur gauche congénital
La coarctation aortique et les anomalies de connexion ou de trajet des coronaires sont les pathologies congénitales du coeur gauche que l’on peut diagnostiquer tardivement ou qui nécessitent un suivi chez l’adulte.
- La coarctation aortique de l’adulte doit être évoquée dans tout bilan d’HTA du sujet jeune avec prise de la TA aux 2 membres supérieurs, et aux membres inférieurs, à la recherche d’une différentielle tensionnelle, palpation des pouls fémoraux (faibles ou absents) et recherche de pouls intercostaux.
Les pouls intercostaux sont un signe pathognomonique, correspondant à la circulation collatérale développée dans le cercle intercostal anastomotique.
À l’échographie, une bicuspidie aortique est présente dans 50 % des cas de coarctation. Enfin, le flux continu dans l’isthme scelle le diagnostic, mais est parfois difficile à obtenir chez l’adulte corpulent. Une imagerie de coupe (scanner aortique ou IRM) est souvent indispensable. Le traitement en est le plus souvent chirurgical même si certaines équipes optent pour un traitement interventionnel.
- Les anomalies de connexion (ALCAPA ou ARCAPA) sont de diagnostic exceptionnel à l’âge adulte.
• Les anomalies de trajet des coronaires sont de découverte moins rare, soit au décours d’un accident ischémique sévère (mort subite récupérée) chez un jeune adulte asymptomatique jusque-là, soit de manière parfaitement fortuite à l’échographie (difficilement) ou, le plus souvent, au coroscanner. Le traitement en est chirurgical lorsque existe une preuve de compression de la coronaire.
Vivre avec une cardiopathie congénitale
Le suivi médical
Le traitement ainsi que le suivi des patients cardiaques congénitaux nécessitent souvent une approche cardiologique multidisciplinaire, justifiant le travail conjoint d’une équipe comprenant un médecin cardiologue congénitaliste, un rythmologue, un cathétériseur interventionnel et un chirurgien cardiaque, ayant chacun une compétence en cardiologie congénitale.
Il est prouvé que ce suivi cardiologique expert en cardiologie congénitale offre une meilleure survie que dans des centres non experts.
Grossesse
Rares, désormais, sont les cardiopathies congénitales contreindiquant une grossesse. Néanmoins, le surcroît de risque est réel, mais dépend essentiellement de la cardiopathie sous-jacente. Ce surcroît de risque est lié aux modifications cardiovasculaires physiologiques de la grossesse (en particulier : augmentation de la fréquence cardiaque, augmentation du débit cardiaque, augmentation du volume sanguin, modification de la coagulation), qui peuvent amener à une décompensation cardiaque, à des troubles rythmiques ou à des problèmes thrombotiques tout au long de la grossesse (encadré).
Avant d’envisager une grossesse, un bilan fonctionnel est conseillé, comportant généralement une échographie cardiaque, un holter ECG, une épreuve d’effort avec mesure de VO2 et éventuellement une IRM cardiaque.
Le score ZAHARA (Drenthen, Eur Heart J 2010 ; 31 : 2124-32) (figure 6) a été élaboré afin de catégoriser le risque maternel de survenue d’événement cardiovasculaire en cours de grossesse et aider le cardiologue dans les conseils préconceptionnels.
Figure 6. Score ZAHARA.
Lors de la grossesse, un suivi multidisciplinaire (cardiologue congénitaliste, obstétricien, réanimateur, néonatologue) est indispensable.
En pratique
Les cardiopathies congénitales de l’adulte, fréquentes à raison de 3 000 adultes/million d’habitant grâce aux progrès de la cardiologie et de la chirurgie cardiaque pédiatriques, forment un groupe particulièrement hétérogène.
Leur prise en charge, que ce soit pour le diagnostic ou le suivi, nécessite une bonne connaissance de la part du cardiologue de la multitude des malformations existantes et doit tenir compte des techniques chirurgicales, parfois anciennes, voire abandonnées, et de leurs conséquences et/ou séquelles potentielles.
La plupart du temps, l’observation à l’échographie du cœur droit, et la connaissance de l’histoire chirurgicale du patient permettent d’organiser le suivi et les examens complémentaires nécessaires avant d’adresser le patient à un centre expert en cardiopathies congénitales.
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