Publié le 01 déc 2019Lecture 7 min
Comment mieux diagnostiquer la fibrillation atriale en 2019 ?
Nicolas BADENCO, Institut de Cardiologie – Unité de rythmologie ; GHU Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris
Le recueil du signal cardiaque électrique connaît actuellement une révolution technologique ; d’une part, par l’analyse des signaux endocavitaires avec l’essor de l’électrophysiologie cardiaque et des techniques ablatives ; d’autre part, par les nombreux dispositifs d’enregistrements percutanés. L’analyse de l’onde de pouls constitue également un outil en voie de développement pour l’analyse du rythme cardiaque, potentialisé par les technologies des smartphones et montres connectées.
Les développements technologiques permettent à une large population intéressée par la e-santé et le e-bien-être de collecter leurs données biométriques afin d’évaluer leur performance au quotidien, ou dans la pratique d’un sport. D’un point de vue plus médical, concernant l’application dans les troubles du rythme, ces différents outils peuvent aider au diagnostic dans les bilans de palpitations et notamment de la fibrillation atriale (FA) qui constitue l’arythmie la plus fréquente.
Actuellement, le diagnostic repose sur des outils classiques que sont l’ECG, les holters de 24 h à 72 h ou bien l’implantation de holters longue durée, et dont les actes sont remboursés. Les autres outils, notamment holters de longue durée, ou enregistreurs d’événements, ne sont pas remboursés et leur utilisation en pratique courante est donc moins bien standardisée en France.
Un challenge diagnostique
Par son évolution naturelle, la fibrillation atriale constitue souvent un challenge diagnostique. Celui-ci repose sur un enregistrement électrocardiographique d’au moins 30 secondes avec intervalles R-R irréguliers et l’absence d’onde P distincte(1). Elle peut se présenter sous forme paroxystique avec des accès de quelques minutes à quelques heures dont il peut être difficile d’obtenir un enregistrement. Elle peut aussi être « silencieuse », c’est-à-dire non ressentie par le patient mais tout de même potentiellement associée à un risque thromboembolique qu’il est nécessaire de détecter. Il est effectivement important de souligner que les FA symptomatiques et asymptomatiques ont le même pronostic(2). La FA persistante est plus simple à diagnostiquer à partir du moment où le médecin consulté par le patient est équipé d’un électrocardiogramme.
Le diagnostic de la FA prend une importance toute particulière dans la prévention des accidents thromboemboliques mais peut s’avérer difficile. La détection et le screening de la FA s’est considérablement simplifié ces dernières années grâce au développement de nouveaux outils accessibles et aux holters implantables. Les recommandations quant au dépistage de la FA sont rassemblées dans le tableau et ont évolué parallèlement au développement de ces outils. Les situations suivantes représentent les différents cadres où le dépistage de la FA est nécessaire dans la pratique courante :
• Le dépistage de la FA silencieuse à partir de 65 ans : les recommandations 2016 de l’ESC sur la FA préconisent la simple prise de pouls par tout médecin traitant et la réalisation d’ECG en cas de suspicion de FA.
• Le bilan de palpitations paroxystiques : l’utilisation d’enregistreurs d’événements en possession des patients permettent d’avoir un enregistrement immédiat ; les nombreux dispositifs disponibles sont cependant hétérogènes dans la qualité de leurs informations.
• La recherche de FA comme source cardio-embolique dans le cadre des infarctus cérébraux emboliques de source indéterminée (ESUS) : le monitoring longue durée jusqu’aux dispositifs implantables est alors ici capital pour démarrer le traitement antithrombotique en prévention secondaire.
Il existe donc plusieurs outils ou enregistreurs permettant d’obtenir un tracé du rythme cardiaque, le diagnostic se fait ensuite par l’interprétation du médecin dans la majorité des cas. Mais les dispositifs se sont implémentés d’algorithmes permettant d’établir une première analyse pour faciliter le diagnostic de FA. Ces algorithmes sont actuellement basés sur la stabilité du rythme et la fréquence ; avec certains faux positifs et faux négatifs. L’intelligence artificielle permettra probablement dans le futur d’obtenir une spécificité et sensibilité bien plus grande.
Les enregistreurs d’événements activés par le patient
Les innovations technologiques ont mis à jour un large panel de dispositifs capables de détecter la FA, utilisables facilement à large échelle mais avec un rapport coût-efficacité relativement limitant. On retrouve des appareils d’automesure tensionnelle avec fréquence cardiaque, dont l’inconvénient est de ne pas proposer de tracé ECG (nécessaire pour asseoir le diagnostic de FA) et bien sûr les dispositifs d’ECG portables avec applications smartphones et montres connectées(3). La qualité des tracés enregistrés est cependant très hétérogène selon les modèles. Ils peuvent être loués ou achetés par le patient et sont d’une grande rentabilité pour le bilan de palpitations paroxystiques, survenant mensuellement ou moins, chez des patients compliants et dont les épisodes durent assez longtemps pour pouvoir être enregistrés. Ils permettent ainsi au patient de pouvoir obtenir un tracé ECG au moment où il ressent ses symptômes ; par la pose d’électrodes ou d’une carte sur le thorax, généralement assez facile d’utilisation. Ce type d’enregistreur s’est développé avec des transmissions transtéléphoniques effectuées par le patient vers une plateforme spécialisée dans l’analyse des enregistrements.
Applications smartphones et montres
De nombreux outils sur smartphones et montres utilisent la technologie de photopléthysmographie. Celle-ci utilise une source lumineuse (la lampe du téléphone sur laquelle on pose l’extrémité d’un doigt par exemple) pour mesurer les variations de flux sanguins corrélés aux battements cardiaques.
De très nombreuses applications utilisent cette technologie mais leurs performances diagnostiques sont très hétérogènes. Cette technologie est utilisée dans l’AppleWatch® (figure 1) pour la mesure de la fréquence cardiaque ; mais l’enregistrement d’un ECG avec l’application dédiée, approuvée aux États-Unis, est en attente de validation des autorités européennes.
Figure 1. AppleWatch®.
Le système Kardiamobile Alive-Cor® (figure 1), dont les électrodes très ergonomiques sont associées à une application sur smartphone, est approuvé en Europe et donc maintenant commercialisé et distribué en France. L’ECG est enregistré en posant les doigts sur 2 électrodes qui peuvent être collées au dos du téléphone. Il intègre un algorithme d’analyse du tracé ECG permettant de distinguer : rythme normal, possible FA, ou non classifié. Les performances de ce dispositif en termes de sensibilité et de spécificité en font l’un des plus répandus actuellement(4). L’étude REHEARSE a de plus montré son intérêt pour le dépistage de FA dans le bilan d’AVC d’étiologie indéterminée(5).
Figure 1. Kardiamobile Alivecor®.
Les holters de longue durée et T-shirts connectés
Les enregistreurs continus externes ou holter de longue durée peuvent être proposés aux patients dont les symptômes sont assez brefs, non capables d’activer un enregistrement ou asymptomatiques. Ils peuvent être mis en place pour 1 à 4 semaines, mais leur disponibilité est plus limitée et accès plus difficile. Ils ont l’avantage de pouvoir rapporter des tracés ECG réguliers et systématiques, de détecter automatiquement certaines anomalies du rythme mais aussi de rapporter des tracés déclenchés par le patient, et sont plus performants que les Holters de 24 h. Leur utilisation est parfois limitée par la compliance des patients et parfois le risque d’irritations par les patchs sur une longue durée. De nombreux dispositifs sont disponibles, de coûts variables : Holters multidérivations classiques, ceintures ou patchs : CAM et ZioXT (figure 2). Les dernières avancées technologiques ont permis de mettre au jour des « T-shirts connectés » (système Cardionexion, @health® ou Cardioskin®, WeHealth® by Servier) dont des électrodes sont intégrées à des vêtements. Ils ont l’avantage d’être simple d’utilisation et sont connectés avec une plateforme spécialisée dans l’analyse des enregistrements. Le Cardioskin® offre la possibilité d’enregistrer 15 dérivations (figure 3).
Figure 2. ECG continus externes. Patch CAM, BardyDx® et ZioXT, IRhythm®. Ceinture QardioCore®.
Figure 3. Le T-shirt connecté Cardioskin, WeHealth® by Servier et son application associée.
Ces enregistrements peuvent générer un volume de données assez important dont l’analyse peut être fastidieuse. L’apport de l’intelligence artificielle avec notamment la solution Cardiologs® pourra permettre une gestion plus efficiente de celles-ci, en aide aux médecins chargés de l’analyse des holters actuellement. Cette technologie a été récemment approuvée aux États-Unis et est en attente de preuve clinique pour son développement.
Les enregistreurs implantables
Les holters implantables, sous-cutanés, et dont la longévité peut atteindre 4 années permettent d’avoir un enregistrement continu. Ils présentent l’inconvénient d’être plus invasifs. Leur place est validée pour le bilan de syncope et récemment pour le bilan cardiaque dans le cadre des infarctus cérébraux d’origine embolique indéterminée ou ESUS. Le Reveal XT, Medtronic® bénéficie d’ailleurs d’un remboursement dans cette indication suite aux performances diagnostiques de FA dans ces populations ciblées. Dans l’essai CRYSTAL AF, le bilan avec holter implantable avait permis un diagnostic de FA plus efficace chez des patients de plus de 40 ans avec AVC cryptogéniques (12 % à 1 an versus 2 % avec un dépistage conventionnel)(6). Ces dispositifs offrent la possibilité d’un suivi par télécardiologie.
De nouveaux holters implantables de taille réduite avec une grande facilité d’implantation (systèmes injectables) sont également disponibles, mais non remboursés, promettent une utilisation probablement plus large dans le futur (figure 4).
Figure 4. Les holters implantables. A. Reveal XT® et Reveal link®, Medtronic. B. Confirm RX®, Abbott. C. Biomonitor® II, Biotronik.
En pratique
La révolution des dispositifs permettant une analyse de l’ECG est en route, et le diagnostic de FA va connaître un réel changement dans les années à venir.
Le dépistage est recommandé dans des populations cibles, de la simple prise de pouls à l’implantation d’enregistreurs longue durée.
Ce sont les stratégies de santé publique qui guident l’utilisation des différents dispositifs de par leur remboursement, notamment avec les holters.
Mais un dépistage plus large par des dispositifs portables associés, notamment aux smartphones, certes parfois coûteux, permettent déjà une amélioration dans le diagnostic de la FA.
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