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Cardiologie générale

Publié le 04 jan 2021Lecture 7 min

Les oméga-3 à l’AHA : effet classe ou effet drogue ?

Jean FERRIÈRES, Fédération de cardiologie, CHU de Toulouse

Le congrès américain de cardiologie 2020 nous a permis de découvrir trois nouvelles études concernant l’utilisation des acides gras oméga-3 dans le domaine du risque cardiovasculaire.

L'étude STRENGTH a été présentée à l’AHA et publiée conjointement dans le JAMA. L’étude STRENGTH a été menée dans un échantillon important de 13 078 patients sur 4 continents. Il s’agissait de patients âgés en moyenne de 63 ans et dont 56 % étaient porteurs d’une maladie cardiovasculaire à l’inclusion, et enfin, 70 % étaient des patients diabétiques. L’ordonnance est appropriée avec 71 % d’agents antiagrégants plaquettaires, 67 % de bêtabloqueurs et 50 % des patients sous statines à fortes doses. Le traitement comportait 4 g par jour d’oméga-3 c’est-à-dire une composition d’acides éicosapentaénoïques (EPA) et d’acides docosahexaénoïques (DHA) et ceci a été comparé à de l’huile de maïs en même quantité. La médiane de suivi de tous ces patients était de 42 mois. Le critère primaire d’évaluation comportait le décès cardiovasculaire, l’infarctus du myocarde, l’accident vasculaire cérébral, la revascularisation coronaire, et l’angor instable nécessitant une hospitalisation. La survenue de cet événement composite a été enregistrée chez 12 % des patients du groupe oméga-3 contre 12,2 % des patients du groupe contrôle. Aucun des critères de cet événement composite ne montrait de différences significatives entre les deux groupes (figure 1). La fréquence de la fibrillation atriale était de 2,2 % dans le groupe oméga-3 contre 1,3 % dans le groupe contrôle soit une augmentation significative de 1,69. Dans une analyse complémentaire, il n’y avait pas d’association entre le taux plasmatique ou le taux au niveau des globules rouges d’EPA et de DHA à 12 mois et les événements cardiovasculaires. Les sujets de cette étude avaient au début du suivi des valeurs de LDL-cholestérol de 0,75 g/l, des valeurs de HDL-cholestérol de 0,36 g/l et des valeurs de triglycérides de 2,4 g/l. Sous traitement par oméga-3, les triglycérides ont diminué de 19 % et le LDL-cholestérol a augmenté de 1,2 % ; par ailleurs, l’administration des acides gras oméga-3 est bien associée à une augmentation de la concentration d’EPA et de DHA, d’une part, dans le plasma et, d’autre part, dans les globules rouges. Figure 1. A. Décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde sans décès, accident vasculaire cérébral sans décès, revascularisation coronaire et hospitalisations pour angor instable. B.Décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde non fatal et accident vasculaire cérébral non fatal. De grands essais cliniques ont montré une amélioration du pronostic lors de la consommation d’oméga-3 en cardiologie. L’étude JELIS est un essai thérapeutique en ouvert qui a testé l’administration de 1,8 g par jour d’EPA en association avec une statine chez 18 645 patients japonais présentant une hypercholestérolémie et suivis 4,6 ans. Cet essai a montré une diminution de 19 % des événements coronaires par rapport à la prise de statines de manière isolée. L’étude REDUCE-IT a testé l’administration de 4 g d’icosapent ethyl (IPE) comparé à une huile minérale chez 8 179 patients traités par des statines et suivis pendant 4,9 ans ; cette étude a montré une réduction significative de 25 % des événements cardiovasculaires. La différence fondamentale dans le groupe placebo entre l’étude REDUCE-IT et l’étude STRENGTH concerne l’utilisation d’huile minérale en comparaison avec de l’huile de maïs malgré le fait que l’huile minérale ne semble pas avoir des effets biochimiques défavorables. En effet, selon l’agence américaine du médicament, un effet potentiellement néfaste de l’huile minérale n’est pas suffisant pour expliquer l’effet bénéfique des acides gras oméga-3 dans l’étude REDUCE-IT. La science continue à avancer puisque les Japonais ont mis en place une nouvelle étude qui s’appelle RESPECT-EPA. Dans cette étude, 3 900 patients porteurs d’une maladie coronarienne chronique et sous traitement par statines sont randomisés et la moitié des patients reçoivent 1,8 g d’EPA. La fin de cette étude est programmée en 2022. L’étude OMEMI a été présentée au congrès américain en même temps que la publication dans Circulation. Cette étude a été menée en Norvège chez des patients âgés et hospitalisés dans les suites d’un infarctus du myocarde. Les patients recevaient soit 1,8 gramme d’oméga-3 sous une forme de combinaison de 930 mg d’EPA et de 660 mg de DHA contre un placebo qui comportait de l’huile de maïs. De 2012 à 2018, 1 027 patients ont été randomisés : l’âge moyen était de 74 ans, environ 1 patient sur 5 est un patient diabétique et le LDLcholestérol à l’inclusion était de 0,76 g/l et les triglycérides étaient de 1,1 g/l. Les statines étaient utilisées chez plus de 96 % de la population et environ 41 % des patients prenaient à l’inclusion des suppléments d’oméga-3 de manière chronique. L’étude biochimique a confirmé qu’il y avait une augmentation de la concentration plasmatique de 87 % d’EPA et une augmentation de 16 % de DHA dans le groupe traité contre une baisse de ces mêmes composants dans le groupe placebo. L’utilisation sur le long terme de suppléments liés aux oméga-3 était d’environ 20 % de manière équivalente dans les deux groupes. L’événement principal utilisé était un critère composite de l’infarctus du myocarde sans décès, la revascularisation non programmée, l’accident vasculaire cérébral et la mortalité totale. Ce critère composite est survenu chez 21,0 % du groupe traité contre 19,8 % du groupe placebo soit une différence non significative ; il n’y avait pas non plus de différences des différents critères secondaires entre les deux groupes. La survenue de la fibrillation atriale était de 7,2 % dans le groupe oméga-3 contre 4,0 % dans le groupe placebo soit une augmentation à la limite de la significativité de 1,84 pour le hazard ratio. En résumé, les essais thérapeutiques concernant les oméga-3 en cardiologie étaient très prometteurs avec l’étude DART montrant une diminution de la mortalité totale de 29 % à 2 ans et l’étude GISSI montrant une diminution de 21 % de la mortalité totale et une diminution de 45 % de la mort subite cardiaque à 3,5 ans. Cet essai OMEMI négatif vient à l’encontre de l’essai positif REDUCE-IT qui a montré une diminution du risque cardiovasculaire. L’essai VITAL est une étude ancillaire du grand essai thérapeutique VITAL qui est une étude de prévention primaire de la maladie cardiovasculaire et du cancer réalisée chez 25 871 personnes aux États-Unis. Il s’agit d’une étude réalisée en double aveugle contre placebo qui a testé l’efficacité de 2 000 unités internationales de vitamine D3 et de 840 mg d’oméga-3 soit 460 mg d’EPA et de 380 mg de DHA. Les patients de cette étude devaient avoir au moins 55 ans et sans antécédents de maladies cardiovasculaires, de cancers ou de fibrillation atriale. L’analyse a porté sur la survenue de nouveaux épisodes de fibrillation atriale et ceci était basé sur des questionnaires annuels de suivi et confirmé éventuellement par l’analyse des dossiers médicaux. Les sujets avaient en moyenne 67 ans, 52 % étaient hypertendus, 14 % étaient des patients diabétiques et 7,3 % étaient des sujets fumeurs. Sur une durée de suivi de 5,3 ans, 900 épisodes de fibrillation atriale ont été confirmés et le hasard ratio est de 1,09, mais non significatif. Ces conclusions sont similaires quel que soit le contexte de la fibrillation atriale ou le caractère paroxystique ou non de cette fibrillation atriale. Le hasard ratio de la vitamine D3 est également de 1,09 et est également non significatif ; l’analyse en sous-groupes pour la vitamine D3 ne montre aucune tendance significative. Les limites de cette étude sont représentées par le fait qu’il n’y a pas eu de documentation de la fibrillation atriale silencieuse c’est-à-dire détectée uniquement par l’enregistrement continu. En conclusion, cette étude montre que la prévention de la fibrillation atriale par la vitamine D3 ou par les acides gras oméga-3 n’est pas efficace en prévention primaire. Sur le plan mécanistique et sur le plan biochimique, il a été démontré que l’EPA a une forte puissance d’inhibition de l’oxydation des lipoprotéines LDL en comparaison avec le DHA. L’EPA semble aussi avoir des effets multiples au niveau des différents tissus avec en particulier une diminution de l’inflammation, une diminution du stress oxydatif, une moindre progression des plaques d’athérosclérose, une diminution des cristaux de cholestérol membranaire, et une réduction au sens large de l’oxydation des lipoprotéines athérogènes (figure 2). Figure 2. Bénéfices cardiovasculaires de l'acide éicosapentaénoïque (EPA). En pratique ▸ Comme pour le coronavirus qui sévit actuellement dans le monde, la science avance au rythme de la recherche académique avec des études en faveur et des études en défaveur des acides gras oméga-3 en cardiologie. ▸ L’ensemble de ces études semble montrer qu’il faut bien de fortes doses d’acides gras oméga-3 pour avoir une efficacité clinique et c’est bien pour cela que les études en prévention primaire ne semblent pas fonctionner. ▸ En prévention secondaire, seul l’IPE semble se détacher avec une efficacité clinique significative dans l’étude REDUCE-IT. ▸ Enfin, les questions qui restent ouvertes sont les suivantes : - Est-ce que l’efficacité de l’acide éicosapentaénoïque est supérieure à l’efficacité de l’acide docosahexaénoïque ? - Est-ce que l’effet bénéfique de l’acide éicosapentaénoïque peut être neutralisé par l’effet potentiellement délétère de l’acide docosahexaénoïque ? - Est-ce qu’il y a une dose minimale d’oméga-3 nécessaire pour modifier la composition des membranes des différents tissus ? - Est-ce qu’il y a un contexte clinique particulier pour utiliser ces produits, à distance ou à proximité des événements coronaires aigus ? ▸ La problématique des acides gras oméga-3 est une problématique fondamentale en cardiologie préventive, car les populations qui consomment naturellement des oméga-3 sont réellement protégées vis-à-vis du risque cardiovasculaire. Il est donc licite et approprié de continuer à essayer de trouver des arguments thérapeutiques afin de reproduire cette situation de protection cardiovasculaire en prévention secondaire. Pour les acides gras oméga-3, il n’y a probablement pas d’effet classe, mais il y a probablement un effet lié à la dose et aux caractéristiques du produit utilisé.

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