Publié le 15 mar 2021Lecture 9 min
Nouveautés dans l’imagerie des cardiomyopathies - Cœur d’athlète, CMH, maladie de Fabry, amylose cardiaque…
Théo PEZEL, CHU Lariboisière AP-HP, INSERM, UMRS 942, Paris
Lors du congrès virtuel des eJESFC 2021, plusieurs sessions dédiées aux « Actualités en imagerie cardiaque » ont abordé le sujet complexe des cardiomyopathies. L’objectif de cet article est de proposer une synthèse pratique résumant les points clés de ces actualités.
Le monde des cardiomyopathies représente un véritable challenge pour notre pratique quotidienne. En effet, tant sur le plan du diagnostic étiologique que de la stratification pronostique, nous raisonnons de façon multiparamétrique, et donc multimodale. Dans ce sens, la pierre angulaire de la prise en charge de ces patients repose sur l’imagerie cardiovasculaire multimodale avec, en premier lieu l’échocardiographie, puis l’IRM cardiaque et l’imagerie nucléaire. Cet article se découpe volontairement par pathologie ou situation clinique, afin de facilement cibler les nouveautés et points forts spécifiques à chacune de ces pathologies.
• Intérêt de l’IRM cardiaque chez le sportif de haut niveau (cœur d’athlète)
Il est tout d’abord important de préciser que le premier examen à réaliser lors du bilan d’un sportif de haut niveau avec une suspicion de cardiomyopathie est bien évidemment l’échocardiographie transthoracique. En effet, devant une échocardiographie strictement normale, un ECG de repos 12 dérivations normal, et l’absence de signe clinique d’alerte un diagnostic de cardiomyopathie pourra être écarté dans la plupart des cas.
Cependant, il est important de connaître les signes d’alerte qui feront s’orienter vers la réalisation d’une IRM cardiaque en cas :
– d’hypertrophie du VG pathologique (éliminer une CMH) ;
– de dilatation du VG (éliminer une CMD) ;
– de dilatation du VD (éliminer une DAVD) ;
– ou encore devant toute présentation clinique atypique avec anomalie électrique à l’électrocardiogramme ou symptômes.
Au-delà de la mesure précise des volumes ventriculaires gauche/ droit et de la mesure des fonctions d’éjection ventriculaire gauche/droit, l’IRM cardiaque va permettre la réalisation d’une caractérisation tissulaire précise, permettant d’aller au-delà de l’échocardiographie pour le diagnostic de cardiomyopathie. L’élément le plus important à rechercher correspond à la présence d’un rehaussement tardif en IRM qui permettra de déceler une augmentation localisée du secteur extracellulaire(1), pouvant correspondre à de la fibrose aspécifique, une séquelle d’infarctus du myocarde (en cas de rehaussement tardif sous-endocardique), d’une séquelle de myocardite (en cas de rehaussement tardif sous-épicardique) ou au substrat d’autres cardiomyopathies (dépôts amyloïdes d’amylose cardiaque par exemple…)(1) (figure 1).
Cependant, il est important de comprendre que la séquence de rehaussement tardif utilisée en IRM ne peut mettre en évidence qu’une anomalie localisée du myocarde et non une anomalie qui toucherait de façon diffuse l’ensemble du myocarde(2). Effectivement, rappelons-nous qu’il s’agit d’une imagerie comparative correspondant au fait qu’une zone du myocarde se rehausse davantage (apparaît en blanc) qu’une autre zone du myocarde que l’on dira « myocarde sain » (apparaît en noir).
Or, plusieurs travaux ont montré que dans certaines cardiomyopathies comme la CMH par exemple, l’atteinte myocardique peut être diffuse, liée à une fibrose interstitielle diffuse dans tout le myocarde(2). Chez ces patients il n’y a donc pas de rehaussement tardif visible en IRM cardiaque (figures 2 et 3). La nouveauté technique qui permet de mesurer de façon quantitative ce degré de fibrose interstitielle diffuse est la mesure du T1 mapping natif (prégadolinium) ainsi que celle du T1 mapping post-gadolinium, permettant, après une mesure du taux d’hématocrite par dosage plasmatique réalisé le jour de l’IRM, le calcul du volume extracellulaire du myocarde (extracellular volume, ECV)(3) (figure 4).
Ainsi, plusieurs études récentes ont montré qu’en l’absence d’autres anomalies, une mesure d’ECV inférieure à 30 % rendait très peu probable le diagnostic de cardiomyopathie dans une population de sportifs de haut niveau(4-6). A contrario, la présence d’une mesure d’ECV supérieur à 30 % chez un sportif de haut niveau doit pousser à des explorations complémentaires, à la recherche d’une cardiomyopathie sous-jacente.
Attention à l’interprétation de cette valeur d’ECV qui est en pratique clinique, moins robuste que le T1 mapping natif mesuré en prégadolinium seul. En effet, une erreur de dosage dans le taux d’hématocrite ou dans l’acquisition de la séquence de T1 mapping postgadolinium trop précoce ou trop tardive par rapport à l’injection de gadolinium risque de fausser la mesure d’ECV. Ainsi il est recommandé en pratique, de toujours vérifier la valeur du T1 mapping natif (pré-gadolinium) et de s’assurer qu’il est lui aussi augmenté (> à 1 100-1 200 ms) si l’ECV est augmenté(3). Autrement dit, une augmentation isolée de l’ECV avec un T1 mapping natif normal devra questionner sur la fiabilité de la mesure réalisée.
Ainsi, l’utilisation de la mesure de l’ECV dans le diagnostic du cœur d’athlète constitue un bon exemple du potentiel intérêt de l’innovation en imagerie multimodale, au prix d’une rigueur et d’une expertise dans sa réalisation et dans son interprétation.
• Place de l’imagerie multimodale dans le diagnostic de la maladie de Fabry
Pour bien comprendre l’enjeu de l’imagerie multimodale dans le diagnostic de la maladie de Fabry, il est important de se rappeler brièvement la physiopathologie de cette cardiomyopathie. En effet, la maladie de Fabry correspond à un déficit en alpha-galactosidase A, entraînant une accumulation intracellulaire de sphingolipides +++.
Le premier examen à réaliser pour détecter la maladie de Fabry est bien évidemment l’échocardiographie transthoracique. Au-delà de la présence d’une cardiomyopathie hypertrophique à prédominance septale, un élément technique permettra d’orienter vers le diagnostic de maladie de Fabry, à l’aide de l’utilisation du strain. En effet, le développement du strain sur les machines d’échocardiographie a permis de proposer la mesure du strain longitudinal global, de façon systématique en routine clinique, dans le bilan d’une cardiomyopathie hypertrophique. L’intérêt du strain dans cette situation est qu’il existe certains patterns assez typiques de cardiomyopathies. Concernant la maladie de Fabry, il est important de retenir qu’une altération du strain longitudinal global de la paroi latérale du VG, avec un strain normal des autres segments, fera évoquer une maladie de Fabry.
Toutefois, l’échocardiographie n’est pas suffisante pour poser ce diagnostic et la réalisation d’une IRM cardiaque doit être systématique devant toute suspicion de maladie de Fabry permettant là encore de réaliser une caractérisation tissulaire précise du myocarde du patient. Afin de comprendre les résultats obtenus en IRM cardiaque chez un patient atteint de maladie de Fabry, il est intéressant de se rappeler la séquence chronologique habituelle de la physiopathologie de cette maladie : i) tout commence effectivement par des dépôts intracellulaires de sphingolipides (= gras) ; ii) puis ces dépôts vont entraîner l’apparition progressive d’une fibrose interstitielle diffuse par des mécanismes complexes impliquant notamment certains acteurs de l’inflammation ; iii) enfin, à un stade plus avancé de l’atteinte cardiaque de maladie de Fabry, on note la présence d’une véritable fibrose dense, focalisée, de prédominance latérale.
On comprend alors, que l’un des outils d’imagerie cardiaque le plus pertinent pour le diagnostic de la maladie de Fabry sera la séquence du T1 mapping natif (avant injection de gadolinium). En effet, la valeur du T1 mapping natif permettra la détection de cette surcharge lipidique intracellulaire par une chute de la valeur du T1 mapping mesuré au niveau du septum interventriculaire. Rappelons que le gras diminue la valeur du T1 mapping +++. Ainsi la valeur d’un T1 mapping < à 900-950 ms devra faire évoquer une maladie de Fabry(7). Il est important de retenir qu’il est recommandé de réaliser cette mesure du T1 mapping au milieu du septum interventriculaire. De plus, comme ces dépôts de gras sont intracellulaires la valeur ECV est initialement normale (figure 5).
Puis comme nous l’avons évoqué plus haut, une fibrose interstitielle (extracellulaire) apparaît, entraînant alors une augmentation du T1 mapping natif. C’est une situation complexe à évaluer en pratique, car la diminution du T1 liée au dépôt intracellulaire de gras, associée à l’augmentation du T1 par l’augmentation de la fibrose interstitielle extracellulaire, entraîne une valeur de T1 globale normale, on parle alors de « pseudo-normalisation du T1 ». On comprend alors aisément qu’une valeur normale du T1 mapping natif n’est absolument pas suffisante pour exclure une maladie de Fabry. Puis, à un stade plus évolué de l’atteinte cardiaque, on constate la présence d’une fibrose focale dense à prédominance latérale identifiée par la présence d’un rehaussement tardif.
Enfin, il convient de rappeler le rôle majeur du conseil en génétique dans le cadre de cette pathologie, et toute suspicion de maladie de Fabry devra être orientée vers une structure de référence offrant un conseil génétique permettant tout d’abord, le dosage de l’alpha 1 galactosidase, puis si nécessaire la recherche d’une mutation causale.
• Le diagnostic que l’on ne peut plus manquer en 2021 : « l’amylose cardiaque ! »
Les progrès sur le plan thérapeutique réalisés récemment pour le traitement de l’amylose à transthyrétine (TTR) ont mis l’accent sur l’importance d’un diagnostic précoce et efficace de l’amylose cardiaque, en particulier TTR. De nombreuses publications ont montré le rôle clé de l’échocardiographie pour orienter rapidement le diagnostic, permettant en cas d’amylose cardiaque de mettre en évidence plusieurs signes déjà largement décrits (HVG avec un aspect de myocarde scintillant, dilatation biatriale, épanchement péricardique…). Sur le plan des nouveautés en imagerie, ces dernières années sont marquées là encore, par l’utilisation du strain en échocardiographie(8). En effet, la présence d’un aspect en cocarde (« bull’s eye ») définie par la présence d’un strain longitudinal, conservé dans les segments apicaux mais avec une altération dans les segments basaux, est en faveur d’une amylose cardiaque. Il est important de rappeler que l’absence de cet aspect en cocarde n’élimine absolument pas l’amylose cardiaque(8) (figure 6).
Devant la suspicion d’une amylose cardiaque et après avoir réalisé l’échocardiographie, les recommandations proposent de réaliser systématiquement une IRM cardiaque afin de confirmer le diagnostic, d’éliminer les diagnostics différentiels comme la CMH sarcomérique ou la maladie de Fabry(9). La séquence IRM historique permettant la mise en évidence des dépôts amyloïdes est la séquence de rehaussement tardif qui met en évidence une inversion du temps d’inversion myocardique(10), mais également la présence d’un rehaussement tardif, diffus à tout le myocarde, volontiers circonférentiel avec un aspect en rail, voire parfois patchy(9) (figure 7).
Il est intéressant de savoir que la présence de ces dépôts amyloïdes diffus dans tout le myocarde (dépôts extracellulaires) peut rendre plus complexe l’acquisition de la séquence de rehaussement tardif liée à une difficulté pour « annuler le myocarde sain ». Ainsi, le développement de nouvelles séquences d’IRM avec le T1 mapping et la mesure de l’ECV, précédemment cités pour le diagnostic de maladie de Fabry, permettent d’authentifier cette surcharge extracellulaire liée aux dépôts amyloïdes. En effet, en cas d’amylose cardiaque, le T1 mapping natif sera souvent très élevé (> 1 100-1 200 ms) et la valeur d’ECV sera également élevée (> 30-40 %)(10) (figure 8).
De nombreuses études ont cherché à utiliser l’IRM cardiaque pour déterminer le type d’amylose cardiaque, entre amylose AL et amylose TTR. Ainsi, il a été récemment rapporté que les patients atteints d’une amylose AL présentaient souvent un T1 mapping et un ECV plus élevés que les patients avec une amylose TTR. Cependant, le chevauchement des valeurs dans ces études ne permet pas de retenir le T1 mapping comme un outil suffisamment fiable pour déterminer s’il s’agit d’une l’amylose AL ou d’une amylose TTR(10) (figure 8). Il sera alors pour cela, indispensable de réaliser une scintigraphie à HMDP ou équivalent, afin de rechercher une hyperfixation en faveur d’une amylose TTR, ainsi qu’une recherche des chaînes légères en faveur d’une amylose AL. D’autres travaux sont en cours pour évaluer un nouveau type de séquence très prometteuse appelée le « T1 rho », qui permettrait une caractérisation tissulaire encore plus performante par rapport au simple T1 mapping… Affaire à suivre…
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