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Cardiologie générale

Publié le 15 mai 2021Lecture 7 min

Cardiotoxicité aux anthracyclines

Mathilde BAUDET, Unité fonctionnelle de cardiologie et cardio-oncologie, hôpital Saint-Louis/Lariboisière, Paris

Depuis les années 1970, les anthracyclines sont devenues un traitement incontournable dans de nombreux cancers (lymphome hodgkinien ou non, cancer du sein, sarcome…). Elles ont permis d’améliorer considérablement leur pronostic. Cependant, cette efficacité s’est faite au prix d’une toxicité cardiaque allant de la dysfonction ventriculaire gauche (VG) asymptomatique à des tableaux d’insuffisance cardiaque (IC) avec un pronostic parmi les plus sombres des cardiopathies dilatées non ischémiques(1). Il est donc indispensable pour nous cardiologues de connaître les modalités de dépistage et de prévention de la cardiotoxicité aux anthracyclines afin de déterminer une surveillance adéquate pour chaque patient et le cas échéant pouvoir traiter cette toxicité pour que le patient survivant à un cancer aujourd’hui ne soit pas l’insuffisant cardiaque de demain.

• Généralités La cardiotoxicité aux anthracyclines est définie comme une cardiotoxicité de type I. Elle est dose-dépendante, avec une incidence de survenue de dysfonction VG croissante avec les doses reçues allant de 5 % pour des doses cumulées de 400 mg/m² à 48 % pour des doses de 700 mg/m² de doxorubicine ou équivalent(2) (tableau 1). Décrite initialement comme une toxicité tardive, elle semble survenir en majorité dans la première année suivant la fin de la chimiothérapie(3), faisant de cette période, un temps de dépistage crucial. Elle est secondaire à des lésions de nécrose myocytaire aboutissant à une dysfonction VG irréversible. Nous verrons que ce dernier point est largement discutable puisqu’un traitement de l’IC initié précocement permet une amélioration de la fonction VG dans plus de 2/3 des cas. Les facteurs de risque de cette cardiotoxicité sont l’âge (< 18 ans ou > 60 ans), une cardiopathie préexistante, des traitements cardiotoxiques antérieurs ou concomitants, des facteurs de risque associés (tabac, HTA, dyslipidémie, diabète, insuffisance rénale chronique, obésité). • Quelles recommandations ? Depuis 2014, les cardiologues peuvent s’appuyer sur plusieurs consensus de sociétés savantes de cardio-oncologie(2), oncologie(4) ou d’imagerie cardiaque(5). Même si le niveau de preuve dans cette thématique reste assez faible, il est possible d’en retirer une utilisation pragmatique comme l’a proposé en 2020 le groupe de travail de cardiooncologie de la SFC(6). • Comment dépister ? (figure 1) Le potentiel cardiotoxique des anthracyclines étant maintenant bien établi, il est indispensable de mettre en place un suivi longitudinal des patients recevant cette molécule avant, pendant et après la chimiothérapie afin de dépister sa survenue le plus précocement possible. La cardiotoxicité est définie comme une diminution de plus de 10 points de fraction d’éjection du VG (FEVG) par rapport à la valeur baseline avec une valeur inférieure à 50 % (tableau 2). Tous les patients recevant des anthracyclines doivent avoir une surveillance au cours d’une consultation de cardio-oncologie (tableau 3) avec au minimum un examen clinique avec une prise de pression artérielle, un ECG, un bilan biologique (dosage baseline de troponine, un bilan lipidique et une glycémie à jeun ou une HbA1c) et une évaluation de la FEVG idéalement par échographie cardiaque transthoracique 2D ou 3D (non irradiante, peu coûteuse, facilement accessible). Chez les patients peu échogènes ou si l’ETT n’est pas accessible, cette mesure pourra être faire par une IRM cardiaque ou une ventriculographie isotopique. On gardera idéalement la même technique et le même opérateur au cours du suivi. Chaque patient sera vu avant et à la fin du traitement (ou après 240 mg/m² de doxorubicine ou équivalent puis après chaque cure). Une nouvelle évaluation sera faite à 6 mois, 1 an, 2 ans puis régulièrement après la fin du traitement(6). Tableau 3. Il est aujourd’hui possible d’avoir une stratégie de dépistage encore plus précoce afin d’introduire un traitement cardioprotecteur en cas de signe de cardiotoxicité infraclinique. Les 2 marqueurs les plus couramment étudiés sont les biomarqueurs cardiaques (troponine et peptides natriurétiques) et la mesure de la déformation myocardique par le strain longitudianl global (SLG) lorsqu’elle est disponible sur l’échographe utilisé. Le dosage de la troponine comme marqueur de toxicité précoce a fait l’objet de multiples études monocentriques avec des résultats parfois discordants. Il semble être prédictif non seulement d’une dysfonction VG mais aussi de la survenue d’événements cardiovasculaires péjoratifs, et ce surtout dans une population à haut risque de cardiotoxicité. On peut retenir qu’un dosage de troponine après chaque cure d’anthracyclines pourra être proposé chez des patients recevant des doses supérieures à 250 mg/m² ou avec des facteurs de risque de cardiotoxicités (1-âge > 60 ans, 2-radiothérapie médiastinale, 3-cardiopathie connue, 4-) élévation des biomarqueurs baseline 5- au moins 2 facteurs de risque cardiovasculaire parmi tabac, HTA, diabète, dyslipidémie, insuffisance rénale chronique et obésité)(6). La troponine sera dosée toujours par le même laboratoire dans les 72 h après chaque cycle d’anthracyclines. Elle sera considérée comme élevée si elle est supérieure au 99e percentile de la norme du laboratoire (tableau 2). Une élévation de la troponine en cours de chimiothérapie doit être suivie d’une consultation de cardiologie pour éliminer toute autre cause d’élévation de la troponine (syndrome coronaire aigu, embolie pulmonaire…) et pour également évaluer la FEVG du patient. Il est clair que cette stratégie ne peut être employée que dans le cadre d’une prise en charge commune entre le cardiologue et l’oncologue traitant du patient. Il est assez clairement établi qu’un dosage per chimiothérapie de peptides natriurétiques, ne permet pas de façon fiable de dépister les patients à risque de développer une toxicité myocardique aux anthracyclines. La mesure du SLG s’avère être un marqueur prédictif de survenue d’une dysfonction VG induite par les anthracyclines. Le consensus actuel définit la cardiotoxicité infraclinique mesurée par le SLG comme une variation de 15 % du SLG par rapport à sa valeur de base (tableau 2)(2). Si on opte pour une stratégie de dépistage par mesure du SLG, là encore il faudra utiliser le même échographe (variabilité inter-constructeurs) et prêter attention aux conditions de charge (pression artérielle, volémie…). • Comment la prévenir ? (figure 1) La prévention de la cardiotoxicité aux anthracyclines repose sur le choix du type d’anthracyclines et sur la prise en charge optimisée du patient. Il est recommandé de ne pas débuter un traitement par anthracyclines si la FEVG initiale est < 40 %. Lorsque le patient a une FEVG entre 40 et 50 %, une cardiopathie connue sans dysfonction VG ou un très haut risque de cardiotoxicité, on pourra discuter avec l’oncologue de réduire la dose cumulée d’anthracyclines, de choisir une doxorubicine liposomale ou une autre molécule avec un meilleur profil de tolérance cardiovasculaire si ces alternatives sont acceptables sur le plan de la réponse tumorale. Une autre clé est celle de l’introduction d’un traitement cardioprotecteur par IEC ± bêtabloquant avant le début de la chimiothérapie. Si cette stratégie chez le patient tout-venant n’a pas montré la preuve de son efficacité chez les patients recevant des anthracyclines, elle s’avère une stratégie payante chez les patients avec les profils les plus à risque(6) (FEVG 40-50 %, hautes doses cumulées d’anthracyclines et facteurs de risque cardiovasculaire). Il est également recommandé d’optimiser la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire du patient durant la consultation de cardio-oncologie(6) même si cette stratégie n’a jamais fait l’objet d’études particulières. Il faudra donc traiter une HTA non connue ou mal contrôlée, en privilégiant un traitement par IEC/ARAII, traitée une dyslipidémie, encourager l’arrêt du tabac ou traiter un diabète. Il faudra également promouvoir dans cette population, la reprise ou la poursuite de l’activité physique. • Comment la traiter ? En cas de survenue d’une dysfonction VG asymptomatique ou symptomatique ? (figure 2) En cas de diminution de plus de 10 points de FEVG par rapport à la valeur baseline avec une valeur inférieure à 50 %, il est maintenant reconnu qu’il faut introduire d’emblée un traitement par bêtabloquant et IEC(2) ; de la rapidité d’introduction du traitement dépend la récupération de la fonction VG. On pourra commencer par de petites doses et les augmenter progressivement selon le profil de tolérance du patient. Si la FEVG est inférieure à 40 %, le traitement reposera sur les recommandations ESC de l’IC. La durée du traitement en cas de récupération ad integrum de la FEVG n’est pas tranchée. Un traitement au long cours pourra être discuté, ce d’autant que le patient tolère correctement ce traitement. Chez les patients présentant une insuffisance cardiaque clinique, on ajoutera un traitement symptomatique par diurétiques de l’anse. Dans le cas de patients avec une insuffisance cardiaque sévère, si le patient requiert une resynchronisation, un défibrillateur automatique implantable, une assistance ventriculaire ou une transplantation, il ne faudra pas l’y contre-indiquer sur son seul antécédent de cancer(7). Dans les études où les patients avec des insuffisances cardiaques chimio-induites ont été inclus, les résultats en termes d’efficacité et de complications sont similaires aux autres causes d’insuffisance cardiaque avec très peu de cas de récidive du cancer. En cas d’élévation de la troponine ? Si on opte pour une stratégie de surveillance de la troponine per chimiothérapie, on introduira un traitement par IEC en cas d’élévation(2). Il faudra toujours se méfier du risque de survenue d’une insuffisance rénale potentialisant les effets secondaires des IEC (déshydratation sur diarrhées ou vomissements, syndrome de lyse, sepsis…). Une nouvelle évaluation cardiologique sera à prévoir avant la cure suivante. En cas de modification du strain longitudinal global ? Récemment, les résultats de la première étude randomisée sur une stratégie de traitement cardioprotecteur (IEC + bêtabloquant) guidée par la modification du SLG (variation de 12 %) suggèrent qu’introduire précocement un traitement cardioprotecteur en cas de variation du strain de 12 % permet d’éviter la survenue de cardiotoxicité clinique. Toutefois, cette étude n’a pas permis de valider son critère de jugement principal qui était une différence de FEVG après 1 an de suivi entre les groupes guidés par le SLG ou guidé par la FEVG(8). En pratique quotidienne une variation isolée du SLG de plus de 15 % entre deux examens doit au minimum amener à une surveillance plus rapprochée avec une consultation de cardio-oncologie avant la cure suivante(2). Quid de la chimiothérapie causale ? En cas de cardiotoxicité aux anthracyclines, le traitement devra être stoppé afin de traiter l’insuffisance cardiaque. Une discussion entre le cardiologue et l’oncologue référent du patient sera alors indispensable pour déterminer la balance bénéfice/risque à reprendre le traitement ou choisir une molécule avec un meilleur profil de tolérance cardiovasculaire. Par contre, une élévation de la troponine ou une variation du SLG sans dysfonction VG ne devra pas faire arrêter les anthracyclines. Une surveillance rapprochée sera mise en place avec une évaluation cardiologique avant la cure suivante(2).

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