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Publié le 20 juin 2023Lecture 6 min
Dépistage de la cardiotoxicité aux anthracyclines : ce que disent les recommandations
Elena GALLI, Guillaume L’OFFICIAL, service de cardiologie, CHU de Rennes
Les anthracyclines (doxorubicine, daurorubicine, épirubicine, idarubicine et mitoxantrone) sont des molécules largement utilisées en oncologie pour le traitement de plusieurs types de cancers y compris le cancer mammaire, le cancer du poumon et les lymphomes (tableau 1). Le mécanisme d’action des anthracyclines repose sur l’inhibition de la topoisomérase-2α dans les cellules tumorales et 2β dans les cardiomyocytes. Cette inhibition provoque dans les deux cellules l’accumulation de fragments d’ADN, la dysfonction mitochondriale et l’accumulation d’espèces réactives de l’oxygène, ce qui amène à la mort cellulaire(1).
La cardiotoxicité des anthracyclines est dose-dépendante et entraîne le développement d’une défaillance cardiaque avec un spectre de manifestations pouvant aller de l’insuffisance cardiaque symptomatique à des formes infracliniques d’insuffisance cardiaque, identifiées par des modifications de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG), du strain global longitudinal (SGL) du ventricule gauche (VG) ou par l’augmentation de biomarqueurs tels que la troponine et le NT-proBNP. Les recommandations de la Société européenne de cardiologie (ESC) sur la cardio-oncologie, réalisées en collaboration avec la Société européenne d’hématologie (EHA), la Société européenne de radiothérapie et oncologie (ESTRO) et la Société internationale de cardiooncologie (IC-OS), ont le mérite de donner des informations précises sur la définition de la cardiotoxicité induite par les différents types de chimiothérapie, sur la stratification du risque et sur les stratégies de dépistage de la cardiotoxicité, ainsi que sur la prise en charge des patients(2).
Définition de la cardiotoxicité induite par une chimiothérapie
Comme indiqué dans l’introduction, la cardiotoxicité induite par les anthracyclines peut se manifester sous formes différentes et avec une sévérité variable. Les recommandations ESC 2022 fournissent désormais une définition univoque de cardiotoxicité induite par la chimiothérapie anticancéreuse, ce qui limite les incohérences diagnostiques et facilite la prise en charge des patients.
Les éléments principaux pour l’identification et la stratification de la cardiotoxicité aux anthracyclines en fonction des symptômes, de la fonction ventriculaire gauche et du dosage des biomarqueurs sont résumés dans le tableau 2.
FEVG, fraction d’éjection du ventricule gauche ; SGL, strain global longitudinal
*TnI/TnI > 99 th, BNP ≥ 35 pg/ml ; NT-proBNP ≥ 125 pg
Stratification du risque de cardiotoxicité aux anthracyclines
La stratification du risque de cardiotoxicité aux anthracyclines est fondamentale pour la prise en charge des patients qui vont recevoir ce traitement et doit être réalisée avant la mise en place de la chimiothérapie.
Cette stratification prend en compte les facteurs de risque cardiovasculaires, mais aussi d’autres éléments tels que les antécédents de chimiothérapie et/ou radiothérapie. L’outil proposé par la Société européenne d’insuffisance cardiaque et la Société internationale de cardiooncologie (HFA/ICOS) pour le calcul du risque de cardiotoxicité aux anthracyclines permet de distinguer trois échelles de risque, correspondant à la probabilité de développer une cardiotoxicité dans les 10 ans qui suivent le traitement. Les antécédents de cardiomyopathie, insuffisance cardiaque ou cardiotoxicité à la chimiothérapie sont associés à un très haut risque de cardiotoxicité (> 5 % à 10 ans). L’âge > 80 ans, la présence d’une valvulopathie sévère, d’une cardiopathie ischémique, d’une FEVG < 50 % ainsi qu’un antécédent de traitement par anthracyclines, voire une irradiation du médiastin sont associées à un haut risque de cardiotoxicité. Il y a enfin plusieurs autres facteurs de risque modéré auxquels un score est attribué (facteurs M1 = score 1 ; facteurs M2 = risque 2) afin de calculer le niveau de risque global.
L’absence de facteur de risque ou la présence d’un seul facteur de risque modéré s’associe à un faible risque de cardiotoxicité (< 2 % à 10 ans). Les patients ayant un ou plusieurs facteurs de risque modérés et un score global entre 2 et 4 sont considérés comme à risque modéré de développer une toxicité aux anthracyclines (entre 2 et 5 % à 10 ans).
Les patients ayant plusieurs facteurs de risque modéré et un score global > 4 sont considérés comme à haut risque de cardiotoxicité (tableau 3).
*Définie par la présence d’un traitement ou par des valeurs tensionnelles > 140/90 mmHg
**Définie par un débit de filtration glomérulaire < 60 ml/min/1,72 m2
***Défini par la présence d’un traitement ou par une hémoglobine glyquée > 7 %
Bilan cardiovasculaire avant traitement
Tous les patients recevant un traitement par anthracyclines doivent bénéficier d’un bilan cardiovasculaire global avant la mise en place de la chimiothérapie. Ce bilan doit être le plus complet possible et inclure la réalisation d’un électrocardiogramme. L’estimation du risque cardiovasculaire globale et l’estimation du risque d’événements à 10 ans doivent être réalisées selon les recommandations et un traitement des facteurs de risque cardiovasculaires doit être mis en place si nécessaire(3).
Les patients ayant une cardiopathie préexistante au traitement par anthracycline doivent poursuivre le traitement cardioprotecteur et ce traitement doit être optimisé.
Une imagerie cardiaque est aussi nécessaire avant le démarrage de la chimiothérapie afin de quantifier la FEVG. L’échocardiographie transthoracique est l’examen de référence pour l’évaluation de la fonction ventriculaire gauche. Cette évaluation doit être réalisée par la méthode de Simpson biplan (classe IC) et si possible en échographie 3D (classe IB). La mesure du SGL du VG est également recommandée (classe IC). L’IRM cardiaque pour la quantification des volumes et de la FEVG est à prévoir chez les patients peu échogènes (classe IIA). En revanche, la ventriculographie radio-isotopique, auparavant largement utilisée pour la quantification de la fonction cardiaque avant chimiothérapie n’est pas recommandée (classe IIB).
L’échographie cardiaque des patients qui bénéficieront d’un traitement par anthracycline doit être la plus complète possible et ne pas se limiter à l’estimation de la FEVG afin de permettre l’identification d’autres facteurs (par exemple valvulopathies significatives, altération de la cinétique segmentaire du ventricule gauche, élévation des pressions de remplissage) qui pourraient favoriser l’apparition d’une cardiotoxicité aux anthracyclines.
Suivi des patients
Le suivi des patients traités par anthracyclines doit être organisé en fonction du risque de cardiotoxicité établi avant le traitement.
Une fois le traitement par anthracyclines terminé, et indépendamment du risque de base, il est indispensable de garantir aux patients un suivi et une prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaires, notamment quand ceux-ci se modifient au fil du temps. Il est également primordial de solliciter les patients à consulter leur médecin en cas d’apparition de symptômes suspects d’insuffisance cardiaque.
Les patients à risque faible doivent bénéficier d’une échographie cardiaque de contrôle 1 an après la fin du traitement et ensuite d’une évaluation périodique chez leur médecin traitant. Un contrôle échographique peut se discuter pendant le traitement, quand la dose de doxorubicine ou équivalent dépasse 250 mg/m2 (classe IIB). Les patients à risque intermédiaire doivent bénéficier d’une échographie cardiaque de contrôle 1 an après la fin du traitement. Un contrôle échographique peut se discuter pendant le traitement, quand la dose de doxorubicine ou équivalent dépasse 250 mg/m2 (classe IIA). Ensuite, une échographie cardiaque de contrôle doit être réalisée tous les 5 ans, particulièrement chez les sujets qui ont reçu un traitement par anthracyclines pendant l’enfance ou l’adolescence (classe IIA).
Les patients à risque élevé ou très élevé doivent bénéficier d’une échographie cardiaque tous les deux cycles pendant le traitement par anthracyclines, ensuite 3 mois et 1 an après la fin du traitement. Chez les sujets qui ont reçu des anthracyclines pendant l’enfance ou l’adolescence, un suivi échographique doit être réalisé tous les 2 ans. Chez les sujets adultes, le contrôle échographique doit être proposé 3 et 5 ans après la fin du traitement, et ensuite tous les 5 ans (figure 1).
Figure 1. Stratégie de suivi des patients à risque. ATC : anthracyclines.
Prise en charge des patients avec une cardiotoxicité aux anthracyclines
En cas de cardiotoxicité aux anthracyclines, la prise en charge cardiologique et la poursuite de la chimiothérapie doivent être discutées en fonction de la sévérité de la cardiotoxicité.
Les patients ayant une cardiotoxicité symptomatique ou asymptomatique modérée doivent bénéficier d’un traitement adapté et optimisé de l’insuffisance cardiaque.
Chez les patients ayant une cardiotoxicité légère asymptomatique, la mise en place d’un traitement cardioprotecteur peut se discuter, notamment en présence d’une baisse significative du SGL et/ou d’une augmentation des troponines.
En ce qui concerne la chimiothérapie, le traitement par anthracycline est arrêté en cas de cardiotoxicité modérée à sévère, avec reprise possible en cas de cardiotoxicité modérée en fonction de l’amélioration du tableau cardiologique et après discussion multidisciplinaire.
Le suivi cardiologique de ces patients doit être évalué en fonction de la gravité de la dysfonction ventriculaire gauche, des symptômes, et adapté au contexte clinique de chaque patient. La figure 2 montre un diagramme de flux avec les indications sur la conduite à tenir en cas de découverte d’une cardiotoxicité aux anthracyclines pendant le suivi.
Figure 2. Prise en charge des patients en cas de cardiotoxicité symptomatique (A) ou cardiotoxicité asymptomatique (B) aux anthracyclines (ATC). ATC : anthracyclines ; BB : bêtabloquants ; GLS : global longitudinal strain ; IEC : Inhibiteur de l’enzyme de conversion ; TN : troponine.
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