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Thérapeutique

Publié le 20 sep 2023Lecture 8 min

Le traitement antithrombotique dans la maladie coronaire stable

David SULMAN, Niki PROCOPI, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, APHP, Paris

La maladie coronaire stable, ou syndrome coronaire chronique (SCC) selon les dernières définitions de la Société européenne de cardiologie (ESC), englobe des situations cliniques variables dont l’évolution dans le temps peut être stable, d’aggravation progressive, voire brutale avec survenue d’un infarctus du myocarde (IDM). Alors qu’il n’a pas montré de bénéfice clair pour la prévention primaire d’événements cardiovasculaires sévères (accident vasculaire cérébral [AVC], IDM), le traitement antithrombotique constitue la pierre angulaire du traitement de prévention secondaire. Il est discuté pour chaque patient en fonction du risque individuel ischémique et hémorragique.
La décision d’introduire un traitement antithrombotique dans le cas de la maladie coronaire stable est guidée par les réponses aux questions suivantes :
1. Mon patient nécessite-t-il un traitement antiagrégant ou anticoagulant ?
2. Quel traitement antithrombotique choisir ?
a. Place des différents antiagrégants plaquettaires
b. Place des anticoagulants dans le SCC
c. Quelles sont les indications d’une bithérapie dans le SCC ?
3. Quelle durée de traitement après angioplastie ?

Mon patient nécessite-t-il un traitement antiagrégant ou anticoagulant ?   Les recommandations européennes de 2019 distinguent 2 situations selon les antécédents du patients : • S’il n’y a pas d’indication à une anticoagulation au long cours : un traitement antiagrégant par aspirine est recommandé avec un haut niveau de preuve (classe IA) chez tous les patients avec un antécédent d’IDM ou de revascularisation coronaire (angioplastie ou pontage aorto-coronarien). Le traitement par aspirine doit être poursuivi au long cours. • S’il y a une indication d’anticoagulation au long cours (fibrillation atriale, valve mécanique) : une monothérapie par anticoagulation curative seule est recommandée dans la plupart des cas, sauf en cas d’angioplastie coronaire récente. À noter également, qu’il faut associer au traitement antithrombotique un inhibiteur de la pompe à protons chez les patients à haut risque de saignement gastro-intestinal (IA).   Quel traitement antithrombotique choisir ?   Place des différents antiagrégants plaquettaires • Aspirine L’aspirine a une action antiagrégante à dose faible (75 à 100 mg) en bloquant la voie du thromboxane A2 par acétylation de la cyclo-oxygénase plaquettaire de type 1 (Cox1). Elle est formellement recommandée chez tous les sujets avec un diagnostic de SCC et antécédent d’IDM ou revascularisation coronaire (classe IA)(1,2). En l’absence d’antécédent d’IDM ou de revascularisation, sa prescription peut être considérée s’il existe une preuve d’athérome coronaire en imagerie (IIb, C). • Les inhibiteurs du récepteur P2Y12 Les inhibiteurs du récepteur P2Y12 empêchent la fixation de l’ADP sur les récepteurs P2Y12 plaquettaires, qui joue un rôle central dans l’hémostase physiologique, mais aussi dans la formation des thrombi coronaires à l’origine des syndromes coronaires aigus. Il existe 2 classes d’anti-P2Y12 : les thiénopyridines qui sont des prodrogues devant être métabolisées par le foie pour être actives (clopidogrel et prasugrel) et les antagonistes directs (ticagrélor). Il existe des molécules pouvant être administrées par voie intraveineuse ou intramusculaire (cangrélor, sélatogrel) mais qui n’ont pas leur place dans le SCC que nous ne développerons pas dans ce chapitre – Le clopidogrel a montré un profil de sécurité satisfaisant en prévention secondaire dans l’étude CAPRIE publiée en 1996, avec une efficacité légèrement supérieure pour la réduction des événements ischémiques comparé à l’aspirine chez les patients avec antécédents d’IDM, d’AVC ou porteurs d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI)(3). Il est possible de le prescrire en alternative à l’aspirine dans le SCC en cas d’intolérance à l’aspirine (IB) ou d’antécédent d’AOMI ou d’AVC ischémique (IIB). Il existe des limites néanmoins liées au métabolisme de ce traitement qui peut être variable selon les patients, certaines variations alléliques du cytochrome CYP2C19 le rendant peu efficace. – Le ticagrélor et le prasugrel permettent une réduction plus importante des événements ischémiques mais sont associés à un sur-risque hémorragique s’ils sont associés à l’aspirine, ce qui limite leur utilisation dans le SCC(4). Néanmoins, l’étude GLOBAL LEADERS(5) montrait une non-infériorité d’une monothérapie par ticagrélor comparée à une bithérapie au long cours par aspirine et clopidogrel après 1 mois d’une angioplastie coronaire (dont 53 % de la population avaient une maladie stable). Une monothérapie par ticagrélor ou prasugrel pourrait être une alternative intéressante à la bithérapie au long cours chez les patients à haut risque thrombotique.   Place des anticoagulants Lorsque qu’il y a une indication d’anticoagulation curative comme la fibrillation atriale, une monothérapie antithrombotique est recommandée. Les anticoagulants oraux directs (AOD) doivent être préférés aux anti-vitamine K (AVK) sauf contre-indication. Les anticoagulants ont montré une supériorité par rapport à l’aspirine en monothérapie et en bithérapie avec le clopidogrel pour la prévention des événements ischémiques induits par la fibrillation atriale, qui sont de mécanisme embolique, et notamment cérébraux(6). Dans l’étude AUGUSTUS pu bliée en 2019, la monothérapie par apixaban réduisait le risque hémorragique sans augmenter de façon significative les événements ischémiques, comparée à une bithérapie associant l’aspirine à l’apixaban ou à un AVK, ou encore à la monothérapie par AVK dans une population de patients ayant bénéficié d’une angioplastie coronaire 14 jours avant. Cependant, une augmentation numérique mais non statistiquement significative du pourcentage de thromboses de stent dans les groupes sans aspirine était observée, l’étude n’ayant pas la puissance pour détecter des différences en termes de thrombose de stent.   Quelles sont les indications d’une bithérapie dans le SCC ? • Avant la mise en place de stent ou sans stenting coronaire récent Plusieurs études ont évalué l’utilisation d’une bithérapie antiagrégante au long cours, à distance de la mise en place d’un stent ou d’un IDM, ou chez les patients considérés comme à très haut risque ischémique. Ces études ont montré un risque résiduel d’événements ischémiques important mais un bénéfice semblant modeste de la bithérapie au prix de l’augmentation des événements hémorragiques. C’est le cas de l’étude CHARISMA(7), où le taux d’événements (IDM, AVC, décès de cause cardiovasculaire) était autour de 7 % à 28 mois, et dans l’étude PEGASUS-TIMI 54(8) de 9 % à 36 mois. Dans le cas d’une angioplastie programmée pour SCC, il existe peu de données sur le timing optimal d’instauration du traitement par anti-P2Y12. L’utilisation majoritaire de la voie radiale plutôt que fémorale et la réduction des saignements au niveau des voies d’abord, ont facilité leur prescription avant l’angioplastie en cas de forte probabilité d’angioplastie coronaire (IIb,C ESC). En pratique, on privilégie souvent de connaître l’anatomie coronaire avant de mettre en place cette bithérapie. La mise en place d’une antiagrégation efficace en péri-angioplastie a été montrée comme efficace dans la réduction du risque de thrombose aiguë ou subaiguë notamment intra-stent. • Après l’angioplastie et la mise en place de stent coronaire Une bithérapie antiagrégante par aspirine + clopidogrel est recommandée par les sociétés européennes et américaines, après une angioplastie coronaire pour SCC. Le clopidogrel à la dose de 75 mg par jour après une dose de charge orale de 600 mg est la molécule recommandée en ajout à l’aspirine après l’angioplastie. Le ticagrélor et le prasugrel peuvent être considérés avec un niveau de preuve faible(9) (IIb, C) à la phase initiale poststenting, dans certaines situations spécifiques à haut risque de thrombose. Par exemple, un déploiement sub-optimal du stent, une atteinte complexe proximale ou en cas d’intolérance à l’aspirine. En cas d’indication à une anticogulation curative, une bithérapie par aspirine et clopidogrel est toujours recommandée pour encadrer le geste d’angioplastie. En cas de haut risque de thrombose de stent, il peut être considéré de poursuivre la trithérapie plus d’un mois après le stenting (IIa, C). En revanche, il n’est pas recommandé d’utiliser le ticagrélor et le prasugrel devant le sur-risque hémorragique (III, C).   Quelle durée de traitement après angioplastie ?   Plusieurs études de non-infériorité (RESET(10), MASTERDAPT(11), One-month DAPT(12)) ont montré un profil de sécurité satisfaisant du passage à une monothérapie précoce. En l’absence d’indication à une anticoagulation curative : – la durée standard de la double antiagrégation plaquettaire (DAPT) recommandée est de 6 mois ; – la DAPT peut être réduite à 3 mois (IIa, A), voire à 1 mois (IIb, C) en cas de risque hémorragique élevé ou très élevé ; – la DAPT peut être prolongée plus de 6 mois, chez les patients à très haut risque de récidive ischémique, notamment en cas de terrain polyvasculaire, de diabète avec insuffisance rénale, de matériel intravasculaire important, d’atteintes vasculaires complexes ou d’antécédent d’IDM (IIa, A) ; – l’aspirine est à poursuivre au long cours sans interruption ; – un traitement antiagrégant prolongé par prasugrel, ticagrélor ou clopidogrel au-delà de 1 an a montré une réduction des événements ischémiques et thromboses de stents tardives, mais au prix d’une augmentation du risque hémorragique(13). Chez les patients à haut risque ischémique en post-IDM, il peut être prolongé au-delà d’un an si celui-ci a bien été toléré(14,15) (IIb, C). En cas d’indication à une anticoagulation curative : – la DAPT est recommandée au minimum pendant 1 semaine en association à l’anticoagulation curative ; – en l’absence de complication ou de haut risque de thrombose, on peut relayer à 1 semaine de l’angioplastie pour une bithérapie par AOD + clopidogrel (IIa, B) ; – relais à 6 mois pour une anticoagulation curative seule. La stratégie antithrombotique est résumée de façon plus simple sur le tableau 1. A : aspirine ; C : clopidogrel ; P : prasugrel ; T : ticagrélor ; AOD : Aaticoagulant oral direct ; AVK : anti-vitamine K ; AOMI : artériopathie oblitérante des membres inférieurs ; AVC : accident vasculaire cérébral   La gestion des antithrombotiques, et notamment la durée de la DAPT, repose sur l’évaluation de la balance entre le risque thrombotique et le risque hémorragique de chaque patient comme illustré sur la figure 1. Figure 1. Évaluation de la balance risque ischémique-hémorragique.   On peut citer deux outils permettant d’identifier les individus à haut risque de saignement : le PRECISE-DAPT score et le HBRARC score (tableau 2)(16). AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; AVC : accident vasculaire cérébral ; DAPT : double antiagrégation plaquettaire ; DFG : débit de filtration glomérulaire ; F : femmes ; H : hommes ; IRC : insuffisance rénale chronique   Quelle monothérapie au long cours ? (figure 2 ) CAS CLINIQUE   M. C. 88 ans, avec antécédents de : syndrome coronaire chronique depuis 2010, traité initialement médicalement devant des lésions diffuses ; fibrillation atriale avec un CHADVASC à 3 diagnostiquée au décours d’un œdème aigu pulmonaire il y a 4 mois ; un saignement récent abondant avec transfusions, sur une hématurie caillotante vésicale et une insuffisance rénale chronique avec DFG à 35 mL/min. le patient est adressé pour contrôle coronaire devant une dyspnée croissante et un angor d’effort. La coronarographie met en évidence une lésion complexe de l’IVA proximale et du tronc commun distal avec athérome coronaire tritronculaire. Le patient bénéficie d’une angioplastie coronaire avec implantation d’un stent actif.   QCM1 - Quelle thérapie en post-angioplastie coronaire ? A. AOD + Kardégic® (K) + Plavix® (P) B. AVK + K + P C. K + P D. K + bithérapie   QCM2 - Quelle désescalade thérapeutique ? A. Trithérapie 7 jours puis bithérapie pour 6 mois au total B. Trithérapie 1 mois puis bithérapie pour 6 mois au total C. Trithérapie 6 mois au total D. Trithérapie 1 mois puis bithérapie pour 3 mois au total   Conclusion   • Évaluation du risque à l’aide du score HBR-ARC(17) estimant le risque hémorragique à 5,38 % à 1 an et un risque d’infarctus du myocarde de 2,7 %. Le patient est à haut risque hémorragique mais également à haut risque d’événement ischémique (IDM ou AVC sur FA). • Décision prise dans ce cas de privilégier une trithérapie courte par AOD + Kardégic® + Plavix® pendant 7 jours relayée par une bithérapie par AOD + Plavix® idéalement 6 mois à défaut 3 mois si le patient venait à récidiver des saignements. • Suivis réguliers permettant d’évaluer l’évolution clinique et biologique (dosages répétés de l’hémoglobine).

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