Hypertension pulmonaire
Publié le 22 déc 2023Lecture 8 min
Hypertension pulmonaire post-embolique chronique (HTP-TEC)
Ali SHARAREH, Clinique Saint-Joseph, Angers
L’HTP-TEC se caractérise par l’association des symptômes cliniques, des images d’une obstruction vasculaire pulmonaire persistante et une HTP précapillaire objectivée par le cathétérisme droit. Elle fait partie du groupe IV de la classification d’HTP. Il s’agit sur le plan physiopathologique de la persistance et organisation fibreuse de thrombi au sein de l’arbre vasculaire pulmonaire dans les suites d’un ou plusieurs épisodes d’embolies pulmonaires et malgré au moins trois mois d’une anticoagulation efficace et ininterrompue.
La connaissance de cette maladie est importante car le pronostic spontané est sombre avec décès prématuré du patient par défaillance ventriculaire droite du fait de l’élévation chronique des résistances vasculaires pulmonaires (RVP).
Les recommandations de l’ESC/ERS 2022(1) déterminent la définition de l’HTP (figure 1).
Figure 1. Définition de l’hypertension pulmonaire.
La scintigraphie pulmonaire de ventilation- perfusion est l’examen clé pour démontrer des défects perfusionnels (au moins un) sans anomalie ventilatoire confirmant l’origine obstructive vasculaire de cette pathologie. La valeur prédictive négative est de 98,5 %.
Complication rare d’une maladie fréquente, son incidence est actuellement considérée en France à 1-2 %.
Dans 30 % des cas les patients n’ont pas eu d’épisode embolique connu mais pourraient rapporter des épisodes dyspnéiques non pris en charge ou rattachés à d’autres étiologies.
Des symptômes sont aspécifiques tels que dyspnée et asthénie au stade précoce puis hémoptysie, syncopes ainsi que la douleur thoracique, toux et dysphonie aux stades plus tardifs. Certaines situations (encadré 1) sont considérées comme des facteurs de risque d’évolution vers une HTP-TEC.
L’échographie cardiaque est l’examen essentiel de dépistage (figure 2) permettant de déterminer la probabilité faible, intermédiaire ou forte en fonction de la V max d’insuffisance tricuspide (IT). L’absence d’IT ne permet pas d’éliminer le diagnostic. Dans ce cas, il faudra approfondir l’examen en multipliant les incidences, explorer le flux pulmonaire ainsi que rechercher les signes indirects morphologiques et Doppler en faveur d’une HTP. En cas de suspicion, le patient doit être adressé à un centre de référence pour exploration et la suite de la prise en charge.
Figure 2. Probabilité échographique de l’hypertension pulmonaire.
Circonstances de découverte : dans 55 % des cas l’HTP-TEC est découverte à l’occasion du bilan étiologique d’une HTP, dans 5 % des cas au cours du suivi habituel d’une EP. Dans environ 40 % des cas l’HTP-TEC est diagnostiquée à la phase aiguë d’une EP.
En effet la constatation d’une PAPs > 60 mmHg à la phase aiguë d’une EP doit faire évoquer une HTP-TEC. Certaines caractéristiques radiologiques à l’angioscanner doivent également faire évoquer une obstruction vasculaire chronique, signale le Pr Montani. Ce sont des images d’artères en arbres morts, des bandes, webs, un épaississement de la paroi des artères, un développement anormal de la circulation bronchique, une dilatation du tronc de l’artère pulmonaire, une hypertrophie ventriculaire droite et des images de perfusion en mosaïque.
Le diagnostic confirmé, le patient sera mis sous traitement anticoagulant AVK ou AOD. En présence d’une thrombophilie de type SAPL les AVK sont privilégiés du fait d’une meilleur efficacité.
Le patient doit être adressé à une équipe multidisciplinaire afin d’évaluer son éligibilité à une approche multimodale (figure 3).
Figure 3. Évaluation de l’éligibilité du patient à une approche multimodale.
Il existe différents types de lésion ; d’une part, une composante obstructive proximale pouvant atteindre des artères segmentaires et sous-segmentaires et, d’autre part, une microangiopathie distale. Ceci explique le rationnel de l’approche multimodale (figure 4). Ainsi l’endartériectomie chirurgicale permet d’extraire les éléments fibreux des troncs des artères pulmonaires et segmentaires proximales alors que l’angioplastie des artères pulmonaires permet une reperfusion artérielle jusqu’au niveau sous-segmentaire. Le remodelage vasculaire distal est similaire aux lésions constatées en cas d’HTAP de groupe 1 justifiant donc l’utilisation du traitement médicamenteux spécifique de l’HTAP dans cette indication.
Figure 4. Rationnel de l’approche multimodale.
PEA : endartériectomie pulmonaire - BPA : angioplastie par ballonnet
Le travail de l’équipe multidisciplinaire d’un centre de référence disposant de toutes les possibilités thérapeutiques, consiste entre autres à tenter de déterminer la part respective de chaque type de lésion et proposer au patient une combinaison séquentielle d’au moins deux modalités thérapeutiques, comme le signale le Dr Jaïs. Ce centre évalue en premier lieu l’éligibilité du patient à l’endartériectomie des artères pulmonaires qui reste le traitement de référence.
Le pronostic postopératoire est étroitement lié à l’hémodynamique pré-opératoire et la valeur des RVP(2). Ainsi la mortalité augmente considérablement à partir d’une valeur de RVP > 10 UW.
Ceci amène à se demander s’il y a un bénéfice pour le patient de suivre un traitement médicamenteux, en attendant la chirurgie, afin de diminuer les RVP en espérant d’améliorer son pronostic péri-opératoire.
Cette option thérapeutique bien que pratiquée n’a pas démontré un bénéfice net selon la littérature(1) et serait à discuter au cas par cas.
Le patient doit être réévalué 3 à 6 mois après la chirurgie à la recherche d’une HTP persistante.
En cas de persistance d’une HTP résiduelle le patient pourra bénéficier d’une angioplastie et/ou un traitement médicamenteux.
Parmi les traitements médicamenteux le riociguat est le premier recommandé chez les patients symptomatiques avec une HTP résiduelle après la chirurgie classe I A(1).
Le tréprostinil SC peut être également envisagé chez des patients dyspnéiques au stade III dans ce cadre (classe II B). D’autres thérapies médicamenteuses spécifiques de l’HTAP peuvent être utilisées en off label avec en effet un niveau de preuve plus faible (II B) selon les recommandations actuelles.
Plusieurs séries ont évalué l’angioplastie des artères pulmonaires chez des patients opérés. Ce traitement améliore l’hémodynamique en faisant baisser les RVP. Ainsi ce traitement est recommandé (classe I), si l’anatomie le permet, après la chirurgie chez les malades conservant une HTP.
Environ 40 % des patients sont jugés inopérables du fait d’une localisation plus distale de leur obstruction vasculaire.
L’étude randomisée française RACE(3) ainsi que l’étude japonaise MR BPA(4) toutes deux publiées en 2022 ont évalué l’angioplastie dans cette population versus le traitement médical par riociguat. Le critère de jugement dans l’étude RACE était les RVP à 26 semaines alors que ce critère dans l’essai MR BPA était la PAPm à un an.
Les deux essais ont démontré la supériorité de l’angioplastie par rapport au traitement médical mais au prix d’une augmentation des complications vasculaires qui sont également liées à la sévérité de l’hémodynamique.
Dans l’étude RACE, si après 26 semaines, le patient restait symptomatique avec des RVP > 4 UW, il pouvait bénéficier du traitement de l’autre groupe. L’efficacité de ce traitement séquentiel reste le même dans les deux groupes. Il est important de signaler que l’étude RACE est la première étude qui a démontré que l’instauration d’un traitement par riociguat avant l’angioplastie peut, en améliorant l’hémodynamique, réduire les complications vasculaires. Les recommandations de 2022 préconisent un traitement médical avant la réalisation de l’angioplastie (classe IIa B).
Suivi post-EP au cabinet
L’EP aiguë reste fréquente avec une incidence 1/1 000 chaque année et une mortalité de 10 %. Les éléments cliniques, échographiques et biologiques permettent d’établir la sévérité du tableau. En absence de comorbidités ou difficulté de suivi, un score de sPESI ou HESTIA à 0 et biomarqueurs négatifs, le patient pourra quitter l’établissement en moins de 24 h. Dans ce cas il faut impérativement planifier le suivi du patient avec un rendez-vous en moins de 72 h programmé dans le centre ou avec un cardiologue.
Il est impératif de suivre les patients à la sortie avec notamment une visite à 1 puis à 3-6 mois pour empêcher une rupture du suivi, insiste Pr Couturaud, et de déterminer le parcours de soins.
Lors du suivi, plusieurs problématiques doivent être abordées dont la durée optimale du traitement, le bilan étiologique dont la recherche d’une thrombophilie, recherche d’un néoplasie et la CAT en cas d’une dyspnée résiduelle dans les mois suivant l’épisode aigu. Cette dyspnée ne serait pas expliquée par les comorbidités. La réalisation de l’échographie cardiaque, d’un test d’effort respiratoire (VO2max) et la scintigraphie de ventilation-perfusion permettront avancer la démarche diagnostique au cas par cas. En cas de doute le patient est adressé à un centre de référence.
Le syndrome post-EP regroupe les maladies post-emboliques chroniques sans HTP au repos (CTED en anglais) ou avec (HTPTEC ou CTEPH en anglais). Vingt à 30 % des patients vont conserver une obstruction vasculaire mais seulement 2 % vont développer une HTP chronique. Une attention particulière doit être accordée au syndrome posttraumatique avec un syndrome anxiodépressif qui doit être impérativement recherché et pris en charge.
Concernant la thrombophilie, les deux seules entités à rechercher sont des SAPL et le déficit en antithrombine. Les autres anomalies n’ont pas d’impact sur le risque de récidive(5).
Il n’est pas conseillé non plus de rechercher systématiquement un cancer dont la prévalence est à moins de 5 % et dont la moitié sont déjà connus(6). La prévalence est encore plus faible chez les moins de 50 ans.
Durée du traitement anticoagulant après une EP
Il existe schématiquement trois grands cas de figure. En présence d’un facteur majeur transitoire (anesthésie générale > 30 min ; fracture, alitement > 3 jours et césarienne), le traitement sera arrêté au bout de 3 à 6 mois. S’il existe un facteur persistant tel qu’un cancer ou une maladie inflammatoire, le traitement sera conservé tant que la maladie sera active.
La troisième situation concerne une EP non provoquée. Dans ce cadre les patients atteints d’un SAPL ou d’un déficit en AT, ceux qui ont eu une EP avec risque de décès (état de choc) ou ceux qui présentent une EP récidivante seront traités au long cours avec un traitement à plaine dose. Dans les autres cas la durée du traitement sera déterminée en fonction du sexe, l’existence ou non d’un facteur mineur transitoire et le score de HERDOO2 pour les femmes. Ceci est à moduler en fonction du risque hémorragique du patient (figure 5).
Figure 5. Durée de traitement après une EP.
Chez les femmes ayant présenté un épisode thrombo-embolique sous traitement estrogénique, le risque de récidive après l’arrêt de l’anticoagulation est faible(7). Ceci plaide en faveur d’un traitement de courte durée.
Il est à noter que dans l’essai randomisé PADIS-PE le degré d’obstruction vasculaire initial au moment du diagnostic (40 %) et résiduel (> 5 %) à 6 mois du traitement sont respectivement associés à un risque de récidive 2 fois plus élevé(8).
Actuellement, il n’existe pas de preuve formelle dans la littérature pour recommander une faible dose d’AOD au long cours par rapport à dose pleine dans une population à haut risque de récidive de maladie thromboembolique veineuse. Il faudra donc attendre les résultats de l’étude RENOVE conçue au CHU de Brest pour répondre à cette question.
D’après les communications du Pr Montani (Centre de référence national – Le Kremlin-Bicêtre), du Dr Jaïs (Centre de référence national – Le Kremlin-Bicêtre) et du Pr Couturaud (CHU de Brest)
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