Artériopathies
Publié le 15 jan 2024Lecture 8 min
Prise en charge de la dysplasie fibromusculaire en 2024
François SILHOL, Centre de compétence des maladies vasculaires rares PACA Unité d’hypertension artérielle, CHU Timone, Marseille
La dysplasie fibromusculaire (DFM) est une pathologie diffuse des artères de moyen calibre, avec un fort ratio femme/homme de 9/1. Cette affection peut s’exprimer sous différents modes d’expression. Seul l’aspect en collier de perles permet d’en faire le diagnostic. Elle peut également s’exprimer sous la forme d’une dissection, d’un anévrisme ou de tortuosités artérielles, mais ces dernières formes ne sont pas pathognomoniques, car existant dans d’autres pathologies artérielles. Il existe une forme unifocale plus rare que l’on rencontre plus souvent chez les patients jeunes.
Présentation de la DFM
La DFM peut atteindre toutes les artères, mais elle touche préférentiellement les artères rénales, les artères carotidiennes intra et extra-crâniennes, les artères vertébrales, mais aussi les artères viscérales et les artères des membres. Elle se présente diversement sous forme de sténose, d’anévrisme, de dissection ou d’occlusion des artères. Ces formes multiples expliquent les différentes expressions cliniques initiales de la maladie menant à son diagnostic allant de simples acouphènes à une dissection artérielle en passant bien sûr par une hypertension artérielle (HTA).
Il est important de comprendre précisément la nature de la DFM pour appréhender correctement sa prise en charge et anticiper son évolution.
Les premiers médecins ayant décrit une DFM l’on fait sur une angiographie. C’est une image caractéristique où l’on voit une succession de piles d’assiettes formant un collier de perles, mais elle ne reflète qu’une partie de la réalité. L’angiographie (figure 1) étant une image en soustraction, elle ne reflète qu’une partie de la nature de la DFM. On n’y voit ni l’hyperplasie irrégulière de la paroi génératrice de spasmes ni les diaphragmes intravasculaires.
Figure 1. Angiographie d’une DFM multifocale de l’artère rénale droite.
Cette représentation artistique (figure 2) montre comment est traditionnellement représentée une DFM : une hyperplasie de la paroi et des irrégularités. La représentation artistique que nous voyons ici a le mérite d’exposer les 3 modes d’expression de la DFM : collier de perles, anévrisme et dissection artérielle. Dans notre esprit, c’est cet aspect en collier de perles qui est principalement responsable de la sténose. Mais c’est en partie incorrect, car il manque là aussi un élément essentiel qui permettra de comprendre la difficulté d’évaluer quantitativement cette maladie. Il s’agit des diaphragmes intravasculaires visibles, parfois en échographie-Doppler. Ce sont essentiellement eux qui provoquent les turbulences et les sténoses hémodynamiquement significatives.
Figure 2. Représentation artistique de la dysplasie multifocale et de ses 3 modes d’expression : collier de perles, anévrisme et dissection artérielle.
Ainsi lors d’une revascularisation endovasculaire l’objectif est de rompre ces diaphragmes et non de dilater la paroi hyperplasique. Si le ballon présente un trop grand diamètre, le risque est de provoquer une dissection. Également, l’utilisation d’un stent (en dehors d’une complication de type dissection) est à proscrire, car la paroi hyperplasie a tendance à spasmer et à entraîner une resténose. Cette propension au spasme est tout à fait notable en échographie intravasculaire (figures 3 à 5).
Figure 3. Aspect d’échographie endovasculaire IVUS d’une dysplasie de l’artère rénale (F. Silhol, JL Bonnet). Succession d’hyperplasie et d’atrophie de la média avec un comportement très spastique de l’artère lors du passage de la sonde endovasculaire.
Figure 4. Échographie d’une artère rénale montrant l’hyperplasie irrégulière de la paroi et les diaphragmes intravasculaires.
Figure 5. Aspect histologique de la dysplasie fibromusculaire. Coupe histologique de la série F. Silhol, B. Chetaille recueillie par P. Piquet, CHU Timone, Marseille. Coupe histologique photomicroscopique d’une dysplasie médiale (Leica DMD 108 digital photomicroscope) : hypertrophie fibreuse, rupture de la limitante élastique interne. On note une épaisseur variable de la média parfois hypertrophiée dans certaines zones. Certaines cellules musculaires lisses sont remplacées par de la matrice extra-cellulaire. Dans d’autres zones, on observe une atrophie ou une disparition de la média permettant le développement d’anévrismes ou de dissections. Les cellules musculaires lisses apparaissent globalement désorganisées dans l’espace.
Évaluation d’une sténose dysplasique des artères rénales
Le plus souvent, pour un cardiologue, le diagnostic d’une DFM est évoqué devant une HTA chez une femme. La première étape sera de faire le diagnostic. Si l’on est au cabinet avec un appareil d’échographie, on pourra retenir les critères suivants.
Critères écho-Doppler qualitatifs
– Aspect de perles enfilées couleur/énergie (figure 6) ;
– épaississement irrégulier de la paroi vasculaire ;
– diaphragmes intravasculaires : signe du peigne ;
– variations irrégulières des vélocités Doppler : coup de râpe acoustique.
Figure 6. Dysplasie médiale de l’artère rénale droite. Réglages Doppler spécifiques en Doppler énergie directionnel permettant d’apprécier l’anatomie de l’artère et l’aspect en collier de perles (F. Silhol).
L’évaluation quantitative est plus délicate : la nature même de la DFM, la présence de sténoses étagées, la difficulté technique de l’examen peuvent être des obstacles. Pourtant actuellement c’est bien la combinaison d’un examen Doppler approfondi confirmé par un gradient de pression angiographique réalisé lors de la revascularisation qui est le meilleur « couple » pour déterminer le caractère serré ou non de la DFM. Des études sont en cours pour mieux exploiter l’angioscanner dans la quantification de la sténose. Ce qui est certain c’est que les critères écho-Doppler des sténoses athéromateuses des artères rénales ne sont pas du tout adaptés à l’évaluation des DFM. Dans l’étude DYSART récemment publiée, nous avons déterminé des critères de pression angiographique ainsi que des critères écho-Doppler (PSV > 300 cm/s, rapport réno/aortique > 3,2) comme seuils de vitesse des sténoses hémodynamiquement significatives. Chez les patients sélectionnés par des indicateurs cliniques et écho-Doppler, la diminution du gradient systolique translésionnel ≤ 10 mmHg ou réduit d’au moins 80 % après angioplastie, est corrélé avec un taux de réussite significativement élevé de l’ATP dans l’hypertension secondaire à une sténose fibrodysplasique multifocale à 7 mois.
Les dysplasies rénales peuvent parfois se présenter de façon très complexe, le repérage de la portion la plus serrée de l’artère est important pour le radiologue interventionnel. Nous effectuons un repérage écho-Doppler, avec mesure de la zone la plus serrée de la dysplasie et son repérage par rapport à l’ostium de l’artère (figure 7).
Figure 7. Repérage échographique avant angioplastie. La zone la plus serrée d’une dysplasie de l’artère rénale droite est à 37 mm de l’ostium. Notez le réglage spécifique échographique avec des PRF à 77 cm/s, le gain à 53 %, les filtres hauts (F. Silhol).
Bien entendu, d’autres critères entrent en considération avant une revascularisation comme la pression artérielle ambulatoire, l’histoire de la maladie, la fonction rénale, etc. Le recours à un centre spécialisé ESH, un centre de compétence des dysplasies est actuellement aisé en France et les praticiens peuvent demander un avis complémentaire en cas de doute.
Diffusion de la maladie
La DFM est une maladie diffuse, son diagnostic sur un segment artériel doit faire rechercher une autre localisation sur les territoires artériels. Dans notre centre nous effectuons un « body scan » artériel systématique.
Recherche chez les collatéraux
La DFM peut être également familiale, cela concerne un peu plus de 10 % des DFM. Des éléments épidémiologiques provenant de familles présentant une DFM sont en faveur d’une origine génétique. Dans notre série la présence d’une DFM est diagnostiquée chez environ 20 % des collatéraux du premier degré.
Dans la littérature, la prévalence des atteintes vasculaires dans les familles de patients atteints de DFM (en dehors des seuls cas de DFM familiale) est très élevée chez les collatéraux du premier et second degré. On note des antécédents familiaux d’AVC (plus de 50 %), d’anévrismes dans plus de 20 % des collatéraux et des morts subites dans près de 20 % alors que le diagnostic d’une DFM chez un autre membre de la famille n’est établi que dans 7 % des cas. Ces chiffres soulignent d’une part la sévérité de la maladie et d’autre part la probable sous-évaluation diagnostique de la maladie dans les familles de DFM et la population générale.
Il n’y a pas de consensus concernant la recherche de dysplasie sur un territoire asymptomatique. Dans notre centre nous réalisons devant la découverte d’une DFM des artères rénales systématiquement un angioscanner cérébral avec évaluation des troncs supra-aortiques et des artères intra-crâniennes ainsi qu’une recherche de dysplasie des branches de l’aorte abdominales, des artères viscérales et des artères iliaques.
La dysplasie est une maladie évolutive, mais faiblement
Dans notre cohorte, bien que le site artériel le plus touché par les lésions de DFM soit les artères rénales, les événements cérébro-vasculaires représentent la principale complication que ce soit au moment du diagnostic (15,7 % des patients et 31,4 % des complications totales) ou au cours du suivi (4,3 % des patients et 40 % des complications totales). Il s’agit majoritairement des accidents vasculaires cérébraux ischémiques qu’ils soient constitués (AVC) ou non (AIT) ; respectivement 16 (11,4 %) et 2 (1,4 %).
Au moment du diagnostic, 50 % des patients avaient présenté une complication majeure contre seulement 10,7 % au cours du suivi : la prise en charge optimale permet une éviction des risques des complications majeures ; la majorité de ces événements neurologiques : AVC et AIT.
Les dernières recommandations européennes résument bien l’évolution de la prise en charge de la DFM (figure 8).
Figure 8.
La dysplasie fibromusculaire est l’objet de recherches importantes
Polymorphisme nucléotidique unique dans le gène PHACTR1 commun à la DFM, la dissection spontanée des artères cervicales (CeAD) et la dissection des artères coronaires (SCAD).
Variante récurrente du gène COL5A1 associée à un phénotype englobant la DFM multifocale, les dissections, les anévrismes et les tortuosités artérielles.
Implication de la voie de signalisation du TGF-β a été suggéré.
Facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGF codé par le gène PDGFRB).
Recherche en protéomique
La DFM implique des changements dans la composition de la paroi artérielle : étude DEFINE-FMD est une étude de biologie des systèmes multi-omiques fonctionnels visant à déchiffrer les bases moléculaires et génétiques de la DFM Olin et coll.). La protéine associée au CD2 = CD2AP associée au risque d’avoir une DFM (P = 0,0003) fortement exprimée dans les cellules endothéliales de lysophosphatidylcholine (lysoPC).
Biomarqueurs de la DFM : nous avons mis en évidence la présence d’un biomarqueur, les récepteurs A2B de l’adénosine présents chez les patients présentant une DFM par rapport à une population témoin : cela pourra permettre un diagnostic biologique de la DFM (figure 9).
Figure 9.
Pour les patients, l’association « collier de perles » verra le jour début 2024 et permettra d’informer les patients, favoriser les échanges et les aider pour la prise en charge de cette maladie.
EN PRATIQUE
• La dysplasie fibromusculaire est une maladie vasculaire rare dont l’étiologie, l’évaluation et le pronostic progressent à mesure des nouveautés de la recherche clinique.
• L’objectif du praticien sera de dépister les patients, de préciser la sévérité et le pronostic de leurs lésions, d’explorer leur famille et d’assurer un suivi en collaboration avec les centres spécialisés.
• Cela permettra au travers du registre national et des études prospectives d’améliorer la prise en charge et le pronostic des patients et de leurs familles.
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