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Obésité

Publié le 10 juin 2024Lecture 12 min

État du traitement de l’obésité en 2024 - Apport des incrétinomimétiques

Bernard BAUDUCEAU(1)*, Jean-Louis SCHLIENGER(2)*, Louis MONNIER(3)*

Après des millénaires de disette et de famine, du moins pour les classes défavorisées, la lutte contre l’obésité est devenue un enjeu mondial. En ce domaine, la conquête de la pierre philosophale n’a pas encore abouti même si la « presse people » et les annonces sur internet proposent régulièrement des solutions miracles. En revanche, les techniques modernes comme la chirurgie bariatrique et les nouvelles classes médicamenteuses permettent d’améliorer la prise en charge des personnes en situation d’obésité, termemaintenant adopté pour parler des obèses, bien que cette sémantique ne change pas grand-chose à ce problème de société.

Fréquence et « poids » de l’obésité en France   Selon la dernière étude ObEpiRoche, en France métropolitaine, la prévalence de l’obésité (index de masse corporelle, IMC > 30 kg/m2) est régulièrement passée de 8,5 % en 1997 à 17 % en 2020 chez les personnes de plus de 18 ans, avec 2 % d’entre elles atteintes d’une obésité morbide (IMC > 40 kg/m2 )(1). L’obésité prédomine chez les femmes (17,4 % versus 16,7 % chez les hommes) et le surpoids est plus fréquent dans le nord et l’est de la France. Ces données peu encourageantes le sont encore moins si on considère qu’aux États-Unis, pays à l’avant-garde dans ce triste domaine, la prévalence de l’obésité pourrait avoisiner les 50 % de la population adulte si on continue sur la trajectoire actuelle(2). L’obésité s’accompagne de nombreuses comorbidités : hépatiques, rhumatologiques, apnée du sommeil, certains cancers, états dépressifs, et surtout complications cardio-vasculaires(3). Ces dernières sont favorisées par l’association de l’obésité avec des facteurs de risque comme l’hypertension artérielle, le diabète et les dyslipidémies. Il s’agit donc d’une affection chronique, fréquente et potentiellement grave pour laquelle une prise en charge raisonnée doit être mise en place. Ainsi, l’OMS et d’autres organisations considèrent que les excès pondéraux (surpoids et obésité) sont la cinquième cause de mortalité dans le monde et qu’ils entraînent le décès d’au moins 2,8 millions de personnes chaque année(4).   Pratiques fantaisistes ou dangereuses   Tout a été dit, écrit et surtout vendu en ce domaine. Parmi ces pratiques, il convient de citer les prescriptions dangereuses : amphétamines, hormones thyroïdiennes, diurétiques et laxatifs. Tous les médicaments destinés à perdre du poids (Sibutral®, Isoméride®, Acomplia®) ont été progressivement retirés du marché. Seul Xénical®, qui agit en inhibant les lipases intestinales, est encore disponible, mais son efficacité est modeste. Ce vide de la pharmacopée a plus encore développé un déchaînement de la promotion de toutes sortes de mirages destinés à perdre sans effort les kilos superflus allant des gélules d’extrait de choux au vinaigre de cidre, produit actuellement particulièrement en vogue. Naturellement, toutes ces solutions prétendument miraculeuses ne sont efficaces à court terme que pour les chiffres d’affaires de leurs promoteurs.   Mesures hygiéno-diététiques   Les modifications des apports alimentaires quantitatifs, à condition de maintenir leur diversité (équilibre entre les différents nutriments) et leur palatabilité (en jouant sur les saveurs et les arômes) et de les associer à une activité physique, sont des mesures à la base de toute prise en charge rationnelle des surcharges pondérales (surpoids et obésité)(5,6). Comme l’obésité est une maladie chronique dont l’évolution naturelle se caractérise par une aggravation progressive et par la fréquence des rechutes, ces mesures non médicamenteuses nécessitent d’être raisonnables pour être pérennes. C’est ainsi que les régimes à très faible teneur énergétique (≤ 800 kcal/jour) pendant 8 à 12 semaines permettent une perte de plusieurs kilogrammes tandis que les régimes hypocaloriques classiques (déficit de 500 à 750 kcal/jour par rapport à la dépense énergétique totale) le sont beaucoup moins (perte de 5 kg au bout de quelques semaines)(7,8), ce qui ne constitue pas une grande surprise. Les régimes trop restrictifs exposent à des rebonds ou effets « yoyo » et sont fortement déconseillés chez les personnes âgées en raison du risque de sarcopénie. Les régimes pauvres en glucides ne sont pas plus efficaces que ceux qui sont riches en glucides et faibles en graisse. Les régimes riches en protéines, en acides gras mono-insaturés, de types méditerranéens, végétariens et à faible indice glycémique obtiennent des résultats minimes allant d’une perte de 0,3 à 2 kg. Il en va de même avec la pratique du jeûne intermittent. Le dénominateur commun de toutes les mesures nutritionnelles ciblant l’obésité repose sur un déséquilibre de la balance énergétique afin d’établir un gradient énergétique négatif entre les entrées et les dépenses caloriques (1er principe de la thermodynamique)(9). Malheureusement, ce gradient s’estompe avec le temps ce qui explique une partie des échecs à moyen ou long terme(8,9), l’autre partie étant liée à une perte d’observance des régimes restrictifs en calories par des personnes qui acceptent mal les contraintes diététiques et qui les suivent de manière plus ou moins laxiste(8). En réalité, seule compte la perte de poids durable et force est de constater qu’après un an les résultats des différentes formules diététiques s’avèrent souvent équivalents. L’activité physique régulière à condition d’être possible et adaptée à la personne (150 à 300 minutes par semaine d’exercice modéré ou 75 à 150 minutes d’exercice plus vigoureux[7]) possède de multiples effets bénéfiques sur la santé. Toutefois, cette stratégie est insuffisante à elle seule pour perdre du poids et doit nécessairement être associée à des mesures diététiques. En revanche, son importance est cruciale pour le maintien de la perte de poids. Les modifications du mode de vie permettent d’obtenir une perte de quelques kilos au bout d’un an, ce qui est suffisant pour réduire significativement le risque cardio-métabolique, mais qui reste décevant pour la plupart des personnes en quête de minceur.   Chirurgie bariatrique   La chirurgie bariatrique connaît un succès remarquable. Si la technique des anneaux gastrique est moins utilisée, la gastrectomie en manchon (« sleeve ») est de plus en plus pratiquée en France tandis que le « by-pass » gastrique obtient les meilleurs résultats. L’étude SOS, qui fait référence, enregistre une perte de poids moyenne de 27,5 kg à 2 ans et de 22,7 kg à 10 ans dans le groupe chirurgie versus respectivement 3,2 kg et 4,8 kg chez les patients du groupe traité conventionnellement(10). La perte de poids s’est stabilisée en dessous de 25 % du poids initial dans le groupe by-pass, de 16 % dans celui de la gastroplastie et de 14 % chez les patients ayant reçu un anneau gastrique. Cet effet pondéral remarquable est associé à une diminution de la mortalité globale et d’origine cardio-vasculaire, à une rémission du diabète et à une amélioration de la qualité de vie. Ces résultats très favorables ont été confirmés par 20 ans de suivi dans l’étude SOS et par d’autres études(11,12). Les indications sont actuellement réservées aux personnes dont l’IMC dépasse 40 kg/m2 ou 35 kg/m2 en cas de comorbidité associée. Cependant, la chirurgie bariatrique n’est pas un traitement anodin de l’obésité. Certes, la mortalité péri-opératoire a beaucoup diminué dans les centres experts, mais elle constitue un acte irréversible en dehors de la pose d’anneau ou de ballon intragastrique. Cet acte nécessite un suivi à long terme qui n’est pas toujours facile à obtenir des malades et la prise de vitamines pour éviter des carences qui peuvent être graves. Enfin, les conséquences sociales ne doivent pas être sous-estimées, car cette chirurgie modifie considérablement les habitudes alimentaires.   Incrétinomimétiques (agonistes des récepteurs aux incrétines)   Effet pondéral des agonistes des récepteurs du GLP-1 (AR GLP-1) Cette classe médicamenteuse, administrée par voie injectable, est particulièrement intéressante pour contrôler la glycémie des personnes diabétiques de type 2. En effet, ces molécules stimulent la sécrétion d’insuline et diminuent celle du glucagon en fonction du niveau de la glycémie évitant ainsi des accidents hypoglycémiques(13). Les AR GLP-1 ralentissent la vidange gastrique créant une sensation de satiété et exercent une action centrale en diminuant l’appétit. Ces deux mécanismes expliquent la limitation de la prise alimentaire et la perte de poids qui en résulte. Cependant, il existe des différences entre les personnes avec notamment des sujets non répondeurs.   Liraglutide L’étude LEADER est la première étude de grande ampleur publiée avec cette classe médicamenteuse(14). Le liraglutide (Victoza®) à la dose maximale de 1,8 mg par jour a obtenu, outre ses effets favorables sur la glycémie, une perte de 2,3 kg dans le groupe traité. La forme plus dosée à 3 mg par jour du liraglutide (Saxenda®) enregistre une perte de poids de 6 à 8 kg dans les différentes études SCALE.   Sémaglutide et dulaglutide Les résultats intéressants obtenus avec le liraglutide ont également été observés avec les formulations hebdomadaires d’AR GLP-1. C’est ainsi que le dulaglutide (Trulicity®) à la dose de 1,5 mg par semaine alors que la dose maximale est de 4,5 mg, enregistre une perte de poids de 1,3 à 3 kg dans les différentes études AWARD(15). La forme hebdomadaire du sémaglutide (Ozempic®) à la dose de 1 mg permet d’obtenir une perte moyenne de poids de 4,5 kg à 6,5 kg dans les différentes études SUSTAIN. Ces résultats ont conduit à une inflation considérable de la prescription et même à un mésusage de ce médicament dont les indications ont été modifiées pour passer du traitement du diabète de type 2 à celui de l’obésité, notamment aux États-Unis et en Australie. Ce fait explique les difficultés d’approvisionnement et les ruptures de stock qui limitent l’accès de ces molécules aux nouveaux patients diabétiques qui pourraient en bénéficier. La forme hebdomadaire du sémaglutide dosée à 2,4 mg (Wegovy®) est plus spécifiquement destinée au traitement de l’obésité. L’étude SELECT a permis de réduire de 20 % les événements cardiovasculaires chez des patients obèses ou en surpoids, mais sans diabète avec un antécédent de maladie cardio-vasculaire tandis qu’une perte de poids de 9,4 % était notée versus 0,9 % avec le placebo. Enfin, le sémaglutide oral (Rybelsus®) est disponible en particulier en Belgique. Il se présente aux doses de 3, 7 et 14 mg et nécessite d’être pris strictement à jeun. Dans l’étude Pionner 1 à la dose de 14 mg, une diminution de l’HbA1c de 1,1 % et du poids de 2,6 kg versus placebo a été notée. Ce médicament pourrait constituer une des solutions à la pénurie du sémaglutide injectable. Les troubles digestifs, qui doivent être annoncés au malade, sont les effets secondaires indésirables les plus fréquents de tous ces médicaments, mais ils diminuent habituellement au bout de quelques semaines.   Futures classes médicamenteuses   Tirzépatide (Mounjaro®) Il s’agit d’un double agoniste du GIP et du GLP-1, disponible aux doses de 5, 10 et 15 mg, nécessitant une injection par semaine et développé initialement pour être utilisé chez les patients vivant avec un diabète de type 2 en raison de ses propriétés hypoglycémiantes, largement confirmées dans les études SURPASS(16,17). De surcroît, ces études ont montré l’efficacité du tirzépatide sur le poids après 40 semaines de suivi : -9,5 kg versus -0,7 kg dans l’étude SURPASS 1(16) avec un placebo comme comparateur et -11,2 kg versus -5,7 kg dans l’étude SURPASS 2(17) avec le sémaglutide comme comparateur. L’effet du tirzépatide (TZP) a ultérieurement été évalué chez des personnes obèses non diabétiques. L’étude SURMOUNT-1 a été menée en double aveugle chez 2 539 patients présentant un IMC ≥ 30 kg/m² ou un IMC ≥ 27 kg/m² avec au moins une comorbidité liée au surpoids, à l’exception du diabète. Au terme du suivi de 72 semaines, le pourcentage de perte de poids était respectivement de 15 % (TZP 5 mg), de 19,5 % (TZP 10 mg) et de 20,9 % (TZP 15 mg) versus 3,1 % sous placebo(18). Ces résultats correspondent à une perte moyenne de poids de 16,1 kg (TZP 5), de 22,2 kg (TZP 10), de 23,6 kg (TZP 15) versus 2,4 kg sous placebo. Il s’agit là de moyennes ; pour les patients répondant bien au traitement, la perte de poids s’avère donc très voisine des meilleurs résultats obtenus avec la chirurgie bariatrique. Les risques potentiels au long cours des incrétinomimétiques les plus puissants ne doivent pas être négligés. Ils sont marqués par la survenue éventuelle de carences nutritionnelles, d’une alopécie (SURMOUNT 1) et de conséquences psychologiques toujours possibles. Une surveillance régulière est donc indispensable tout au long du suivi.   Rétatrutide Cette molécule est un triple agoniste GIP, GLP-1 et glucagon en cours de développement. Dans un essai de phase 2 randomisé contrôlé, en groupes parallèles avec le dulaglutide 1,5 mg comme comparateur actif, le rétatrutide a été administré aux doses variables de 0,5 mg, 4 mg, 8 mg ou 12 mg. Lors de l’inclusion, l’HbA1c était de 8,3 % et l’IMC de 35 kg/m2. Après 24 semaines de traitement, la diminution de l’HbA1c était plus importante sous rétatrutide et, à 36 semaines, la perte de poids augmentait en fonction de la dose de 3,2 % à 16,9 % du poids initial versus 2 % sous dulaglutide et 3 % sous placebo.   Nouvelles classes : un progrès, mais probablement pas encore définitif   Les résultats très brillants obtenus avec ces nouvelles classes médicamenteuses apportent un espoir nouveau pour les personnes en situation d’obésité, surtout dans les formes les plus sévères pour lesquelles la chirurgie bariatrique semblait la seule solution suffisamment efficace avec les conséquences cliniques et psychologiques bien connues. Cependant, un certain nombre de questions se posent avec la mise à disposition de ces médicaments. Le point essentiel concerne la poursuite du traitement initial. Des études montrent, en effet, qu’à l’arrêt des AR GLP-1, une reprise pondérale doit être redoutée. La plus récente (SURMOUNT-4) concerne le tirzépatide(19). Après un traitement de 36 semaines chez des adultes obèses, les sujets ont été randomisés en 2 groupes (dans un rapport 1:1) avec une période de suivi supplémentaire de 52 semaines au cours de laquelle le traitement par tirzépatide a été soit arrêté (remplacé par un placebo), soit poursuivi. Après une perte de poids de -20,9 % pendant les 36 premières semaines, les 52 semaines suivantes ont été marquées par une reprise de poids de +14 % dans le groupe placebo et par une perte de poids supplémentaire de -5,5 % dans le groupe tirzépatide. Ces résultats, probablement extrapolables à toute la classe des incrétinomimétiques, indiquent clairement que le tirzépatide devrait être poursuivi sur de longues durées si on veut maintenir le résultat initial. Ceci n’a rien de surprenant si on considère que l’obésité est une « maladie chronique ». Dès lors, la question qui se pose est celle du coût de ces traitements en sachant qu’aux États-Unis où la prescription du tirzépatide vient d’être approuvée par la FDA le 8 novembre 2023 dans l’indication « obésité », le prix mensuel du traitement est de 1 060 $US. Cependant, il convient de signaler que, dans ce pays, le prix des médicaments est globalement multiplié par un facteur 10. Un simple calcul – que nous laissons au lecteur – permet d’évaluer les coûts faramineux de tels traitements quand ils s’inscriront dans la durée et quand ils porteront sur de grandes populations. Faudra-t-il envisager un traitement permanent peut-être en diminuant ou en espaçant les doses ? Faudra-t-il choisir les traitements en fonction du caractère métaboliquement malsain (« unhealthy ») ou sain (« healthy ») des obésités selon qu’elles s’accompagnent ou non d’un état d’insulinorésistance sévère, d’un état inflammatoire de bas grade, de complications cardio-métaboliques, d’une stéatose hépatique et d’une faible sensibilité aux mesures diététiques classiques(20) et réserver les traitements sophistiqués (pharmacologiques et chirurgicaux) aux formes « métaboliquement malsaines »(21) ? Quoi qu’il en soit, les indications devront être clairement définies(7) afin d’éviter les prescriptions abusives ; les prescripteurs devront être bien informés sur les impacts économiques résultant d’une utilisation incontrôlée de ces classes médicamenteuses très onéreuses. D’un point de vue pratique, le phénotypage des obésités en formes métaboliquement saines et malsaines peut passer par des outils simples : la bascule et la toise pour calculer l’IMC, le ruban métrique pour mesurer le tour de taille, le tensiomètre pour la mesure de la pression artérielle et des dosages simples (glycémie, lipides plasmatiques, enzymes hépatiques, CRP ultrasensible). Sur le tableau, nous avons tenté de résumer les avantages et les inconvénients potentiels des différents traitements de l’obésité en considérant que l’efficience de tout traitement est la somme de son efficacité, de sa sécurité, de la qualité de vie et la satisfaction qu’il procure au patient et enfin de son coût.   Les problèmes que nous avons soulevés et les interrogations qu’elles suscitent amènent à souligner une fois encore l’importance des mesures préventives de l’obésité, notamment chez les enfants et les adolescents, alors que l’épidémie ne fait que croître et intéresse des sujets de plus en plus jeunes. De toute manière, quelles que soient les avancées pharmacologiques, la modification du mode de vie (habitudes alimentaires, activité physique) reste aujourd’hui l’auxiliaire du traitement de l’obésité et devrait sans doute le rester demain.   * 1. Ancien chef du service d’endocrinologie de l’hôpital Bégin, Saint-Mandé 2. Faculté de médecine, université de Strasbourg 3. Université de Montpellier, faculté de médecine, Montpellier

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