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Insuffisance cardiaque

Publié le 15 oct 2024Lecture 6 min

Diagnostic de l’insuffisance cardiaque avancée

François PICARD, Unité de traitement de l’insuffisance cardiaque (UTIC), CHU de Bordeaux

L’insuffisance cardiaque avancée correspond au moment de bascule d’une maladie contrôlée par le traitement de fond à un échappement à celui-ci. C’est le moment où un projet plus complexe et plus radical doit être construit avec le patient et son entourage (transplantation, assistance de longue durée, prise en charge symptomatique). Le moment de l’adressage au centre tertiaire d’insuffisance cardiaque avancée est donc crucial.

Définition de l’insuffisance cardiaque avancée   Les recommandations européennes de 2021(1) ont repris la classification américaine de l’insuffisance cardiaque (IC) en 4 stades. Dans cette classification : – le stade A correspond aux patients présentant des facteurs de risque de devenir insuffisants cardiaques (HTA, diabète, obésité, antécédents familiaux, prise de cardiotoxiques…), mais qui ne présentent ni syndrome clinique d’IC ni anomalie cardiaque structurelle ; – au stade B, celui de pré-IC, les sujets présentent des anomalies structurelles (hypertrophie pariétale ou dilatation cavitaire, anomalies valvulaires ou tissulaires) ou de biomarqueurs (peptides natriurétiques ou troponine augmentés), mais sans tableau clinique d’IC ; – le stade C correspond au tableau clinique d’IC à proprement parler, associant signes et symptômes d’IC, anomalies structurelles et anomalies des biomarqueurs. C’est à ce stade que sont validés les traitements habituels de l’IC, qu’ils soient médicamenteux (quadrithérapie), électriques (resynchronisation) ou mécaniques (réparation percutanée de valvulopathie de type clip ou TAVI par exemple) ; – enfin, le stade D correspond à l’IC avancée, c’est-à-dire un tableau clinique invalidant avec persistance de symptômes sévères, réfractaires à un traitement optimal, ou présents en cas d’intolérance à celui-ci. La définition de l’IC avancée(2) repose sur l’association des 4 critères suivants malgré la présence d’un traitement optimal : – symptômes sévères et persistants (NYHA III/IV) ; – dysfonction cardiaque sévère : FEVG ≤ 30 % et/ou défaillance VD isolée et/ou valvulopathie sévère non opérable et/ou malformation congénitale non opérable et/ou dysfonction diastolique sévère avec élévation des peptides natriurétiques ; – au moins une hospitalisation imprévue dans les 12 derniers mois pour un épisode de congestion pulmonaire ou systémique nécessitant l’utilisation de fortes doses de diurétiques intraveineux et/ou pour un épisode de bas débit nécessitant l’utilisation d’inotropes et/ou pour la survenue d’une arythmie maligne ; – altération sévère des capacités fonctionnelles (périmètre de marche < 300 m en 6 minutes ou pic de VO2 > 12 mL/kg/min ou < 50 % de la valeur théorique, liée à une origine cardiaque et au cours d’un exercice maximal). À ces critères, on peut ajouter la présence d’un retentissement sur d’autres organes (dysfonction rénale ou hépatique), d’une hypertension pulmonaire postcapillaire ou d’une cachexie, mais ces paramètres ne sont pas nécessaires à la définition de l’IC avancée. On le voit, cette définition assez large permet d’intégrer toutes les formes hétérogènes d’IC réfractaires, principalement par altération de la FEVG, mais également par dysfonction diastolique sévère ou par défaillance VD isolée, valvulopathie ou anomalie congénitale. Depuis la dernière version de 2007, les critères hémodynamiques de bas débit ou d’élévation de la pression capillaire pulmonaire ont disparu. Dans le modèle d’IC à FE réduite, le tableau d’IC avancée peut ainsi correspondre par exemple au moment où la défaillance VG évoluée et réfractaire au traitement devient responsable d’une hypertension pulmonaire postcapillaire, d’une insuffisance mitrale secondaire, d’une défaillance droite responsable d’une congestion veineuse occasionnant un syndrome cardio-rénal et hépatique ainsi que d’une cachexie favorisée par le bas débit.   Marqueurs diagnostiques d’IC avancée   Si la définition de l’IC avancée ne repose pas sur une valeur seuil de biomarqueur ou d’un score de risque, un certain nombre de marqueurs servent à distinguer un patient stable d’un patient basculant en IC avancée : hospitalisation pour une poussée congestive ou un bas débit, nécessité d’utilisation de diurétique IV ou d’inotrope, intolérance à la quadrithérapie spécifique, hypotension marquée, symptômes invalidants, cachexie, dégradation de fonction rénale et/ou hépatique, hyponatrémie, élévation du taux de peptide natriurétique (NT-proBNP ≥ 1 000 pg/mL), dysfonction VG ou VD évoluée, élévation persistante des pressions gauches ou droites… Les principaux marqueurs qui doivent faire appel au centre tertiaire régional d’IC avancée sont listés dans le tableau 1.   Épidémiologie   Les sujets en IC avancée représentent selon les séries de 1 à 10 % de l’ensemble des patients souffrant d’insuffisance cardiaque(1). Cette prévalence augmente actuellement du fait de l’augmentation de la prévalence globale de l’IC, du vieillissement de la population, mais également paradoxalement du fait de l’amélioration progressive des traitements, qui améliorent la survie, mais prolongent ainsi l’exposition temporelle au risque de dégradation de celle-ci sur la durée. Le pronostic est sombre allant de 25 à 75 % de mortalité à 1 an en fonction du niveau de sévérité de l’état du patient(1).   Classification INTERMACS   La classification INTERMACS(2) rend compte à la fois des disparités de pronostic des différents profils de patients en IC avancée (classe NYHA III/IV), ainsi que du type de prise en charge dont ils relèvent (assistance circulatoire et/ou transplantation). Cependant, si cette classification a été initialement développée pour évaluer les patients candidats à une assistance circulatoire de longue durée, et qu’elle correspond spécifiquement à une problématique d’IC à FE réduite, elle est désormais étendue à toutes les problématiques d’IC avancée(2). Elle est séparée en 7 profils selon le niveau de sévérité hémodynamique, l’utilisation ou non d’inotropes, la limitation fonctionnelle, le caractère ambulatoire ou non du sujet et comprend également des paramètres modifiant le profil initial (arythmie ventriculaire, assistance circulatoire aiguë, hospitalisation fréquente). La classification INTERMACS, sa correspondance avec la classe NYHA, le statut clinique et la localisation du patient, les facteurs potentiels de modification, le délai nécessaire de réaction ainsi que le traitement de référence sont représentés dans le tableau 2. Il est rappelé que la présence d’hospitalisations à répétition, une dégradation d’organe, une congestion persistante, une hypertension pulmonaire devenue « irréversible », un pic de VO2 < 12 mL/kg/min ou < 50 % de la théorique ou l’incapacité à réaliser une épreuve d’effort VO2 sont des facteurs aggravants qui placent le sujet à plus haut risque et doivent faire envisager une transplantation ou la mise en place d’une assistance de longue durée (LVAD).   Possibilités thérapeutiques   C’est le caractère réfractaire à la prise en charge optimale (médicaments, dispositifs électriques ou mécaniques) qui constitue l’élément majeur du diagnostic de l’IC avancée. À ce stade de la maladie, le traitement pharmacologique spécifique (quadrithérapie dans l’IC à FE réduite par exemple) doit souvent malheureusement être réduit devant des hypotensions marquées, une détérioration rénale et, à l’inverse, le traitement diurétique doit habituellement être majoré. L’IC avancée correspond donc au moment où il faut adresser le patient à un centre tertiaire qui sera à même de proposer, le cas échéant, l’accès à une thérapeutique d’exception que sont la transplantation et l’assistance ventriculaire de longue durée (LVAD) qui constituent les traitements de référence de l’IC avancée. Si le patient n’est pas éligible à ce type de stratégie, il faut alors réfléchir, selon les cas et les possibilités, à des solutions de prise en charge palliatives par soins de confort ou techniques d’épuration extra-rénale en cas de congestion persistante et de défaillance rénale. L’administration répétée d’inotropes n’est recommandée qu’en cas de situation de pont à la transplantation ou à l’assistance.     En pratique   L’IC avancée correspond donc à la croisée des chemins où il faut décider avec le patient et son entourage vers quel projet concerté et construit (transplantation, assistance de longue durée, prise en charge symptomatique ou palliative…) on va pouvoir le diriger devant sa maladie qui devient réfractaire à la prise en charge classique. La prise en charge symptomatique ou palliative ne signifie d’ailleurs pas nécessairement fin de vie à court terme et peut durer plusieurs mois ou années et doit donc permettre de proposer un accompagnement structuré et anticipé.

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