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Vasculaire

Publié le 25 sep 2024Lecture 7 min

Comment Donald inventa le désilet à partir d’une paille

Thierry CORCOS, F.A.C.C., F.A.H.A., F.E.S.C., F.S.C.A.I., cardiologue interventionnel, hôpital Foch, Suresnes

Tous les cardiologues ont utilisé au cours de leur formation un introducteur vasculaire, appelé en France désilet (sans majuscule, avec un accent aigu et sans s final). Cette gaine est devenue le 4e système vasculaire le plus utilisé, après les aiguilles, les cathéters et les guides, dans les services de cardiologie interventionnelle à travers le monde. Voici son histoire.

La technique de Seldinger, inventée par le radiologue suédois Sven Ivar Seldinger en 1953, a donné aux radiologues et aux cardiologues la possibilité d’accéder au système vasculaire en utilisant simplement une aiguille, un guide et un cathéter(1). La technique de Seldinger a été une percée médicale qui a permis un accès percutané rapide, sûr et peu invasif, contrairement à la technique de Sones, qui nécessitait une dissection, une artériotomie et une suture artérielle(2). Elle avait cependant 2 inconvénients : – la nécessité d’une compression du vaisseau lors des échanges de cathéters par-dessus le guide ; – « dans la technique de Seldinger, le cathéter doit avoir un trou à l’extrémité distale pour recevoir un guide. Les cathéters à extrémité fermée avec des trous latéraux sont supérieurs aux cathéters à extrémité ouverte pour l’angiocardiographie, car ils sont moins susceptibles de reculer hors de position pendant l’injection, des débits plus élevés peuvent être obtenus en augmentant la pression d’injection et la perforation du myocarde pendant l’injection est beaucoup moins probable. Ces cathéters ne peuvent pas être passés sur un guide comme l’exigent les techniques percutanées conventionnelles, car ils n’ont pas de trou distal(3) » (N. B. : le cathéter Pigtail à trous distaux et latéraux n’existait pas à l’époque et ne fut inventé qu’en 1968). En 1965, à la cafétéria du centre médical de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), aux États-Unis, Donald Desilets, radiologue et Richard Hoffman, pédiatre, étaient assis et conversaient en buvant des sodas, à l’aide de pailles en matière plastique (figure 1). Figure 1. Pailles en matière plastique.   Ils ont alors compris qu’une gaine en forme de paille était l’outil dont ils avaient besoin pour accéder à un vaisseau sans échanger des guides et des cathéters à travers les tissus. Les premiers prototypes de gaine de cathéter ont été fabriqués par Desilets et Hoffman à partir de pailles de soda Mylar®(4-5). Le poly(téréphtalate d’éthylène), plus connu sous le nom anglais de polyethylene terephthalate ou PET, est la résine polymère thermoplastique la plus courante de la famille des polyesters. Il a été breveté par la société DuPont sous le nom de Mylar®. Peu de temps après, les médecins ont travaillé avec la société Cook pour produire la toute première gaine d’introduction, qui a été fabriquée à partir du même matériau Mylar que les pailles. En 1969, le Teflon® (DuPont) à paroi mince a remplacé le Mylar. Le polytétrafluoroéthylène (PTFE) est un fluoropolymère synthétique, communément connu sous le nom de Teflon. C’est une des plus grosses molécules connues et une des substances les plus glissantes. D’autres matières plastiques ont par la suite été utilisées par les différentes sociétés de matériel médical. Au cours des années 1960, Desilets conçut la première salle de cathétérisme cardiaque pédiatrique biplan dans laquelle un arceau en C multiangulaire était combiné à la toute nouvelle technologie de cinéfluorographie : cela permit pour la première fois les angulations crâniales et caudales pour l’étude de la pathologie cardiaque, angulations qui ne furent redécouvertes que bien plus tard. Il commença par ailleurs à développer avec la Rand Corporation le premier système informatisé de ventriculographie pour l’étude des volumes et de la fonction ventriculaire. Une maladie mentale l’empêcha de développer et de publier ses visions et ses idées et il mourut en 1996 à l’âge de 60 ans d’une maladie coronaire(6-7). Voici des extraits de l’article détaillé de Desilets et Hoffman sur leur gaine(4) : « La solution serait une gaine à paroi fine introduite dans une artère ou une veine par-dessus le cathéter percutané conventionnel qui pourrait être introduit de la manière habituelle. Cette gaine agirait comme une extension du vaisseau hors du corps, et les cathéters ou autres instruments pourraient ensuite être introduits à travers la gaine dans le système vasculaire. Bien que l’idée soit simple, les exigences pour le matériel pour une telle gaine sont grandes. La gaine idéale doit avoir une paroi très fine pour que le trou de ponction dans l’artère ne soit pas sensiblement agrandi. Avec un élargissement du trou de ponction, il y aurait un risque accru de complications. » « Un faible coefficient de frottement est souhaitable pour que les cathéters d’échange soient glissés facilement à travers la gaine. La gaine doit être lisse et inerte pour ne pas blesser le vaisseau sanguin. À ce jour, nous n’avons pas trouvé de substance qui satisfasse entièrement aux exigences ci-dessus. » « Dès le début, nous avons choisi le Mylar* (PET), qui est extrêmement dur et fort, mais avons trouvé qu’il ne pouvait pas être extrudé. Des recherches ultérieures ont permis de se procurer des tubes de PET qui étaient fabriqués pour isoler des fils électriques. Ces tubes ne sont pas extrudés, mais sont enveloppés et collés avec un adhésif, de structure très similaire à une paille à boire. Ce matériel, bien qu’il ne soit pas idéal, est de loin supérieur comme gaine intravasculaire à tout ce qui a été trouvé. La gaine est très solide avec une épaisseur de paroi de seulement 0,002 pouce (0,05 mm = 50 microns). » « Le système percutané à gaine est constitué de trois composantes : – le cathéter d’introduction en téflon nécessaire pour insérer la gaine dans le vaisseau (un cathéter en Téflon® est supérieur à cet effet en raison de son faible coefficient de frottement) ; – la gaine elle-même ; – et le cathéter ou les cathéters qui sont à utiliser pour l’étude. Les tolérances des diamètres de ces pièces constitutives sont assez critiques. La gaine doit s’adapter parfaitement au cathéter d’introduction en téflon. Si la gaine est trop grande, elle se coincera dans le tissu sous-cutané et ne suivra pas le cathéter dans le vaisseau. Le cathéter cardiaque introduit dans la gaine doit être assez petit pour glisser librement et assez grand pour empêcher les fuites de sang autour du cathéter. » « La gaine est aussi courte que possible afin de réduire les frottements. La plupart des gaines sont d’environ 7 cm de long. » « Un morceau d’acier cylindrique est collé à la gaine et fait office de poignée. Un demi-centimètre de la gaine de PET dépasse du manche en acier. » « Après une anesthésie locale, une incision cutanée d’environ un centimètre est réalisée. L’incision doit être assez profonde pour inciser entièrement le derme afin de laisser libre le passage de la gaine à travers la peau. L’artère ou la veine est ponctionnée de la manière habituelle, le cathéter d’introduction en téflon est passé dans le vaisseau, et le guide est retiré (figure 2). Le cathéter est essuyé avec de l’héparine, qui sert de lubrifiant et empêche le sang coagulé de se lier à la gaine. La gaine est ensuite avancée sur le cathéter en téflon jusqu’à la peau. La gaine et le cathéter sont saisis ensemble juste au-dessus de l’incision et tournés doucement dans le vaisseau. Il est important de les tenir fermement pour qu’ils avancent ensemble. La gaine est avancée jusqu’au tube en acier. Le cathéter en téflon est retiré et l’extrémité de la gaine est pincée avec les doigts pour arrêter l’écoulement du sang. Un cathéter cardiaque préalablement essuyé avec de l’héparine est ensuite glissé à travers la gaine, et la gaine retirée du vaisseau. Le cathéter cardiaque est mieux manipulé de cette façon, bien qu’il soit possible de laisser la gaine à l’intérieur du vaisseau et de manipuler le cathéter dans la gaine. » Figure 2. D’après réf. 2. De haut en bas : Cathéter introducteur. La gaine s’arrête. Poignée en acier. Gaine dans le vaisseau. Gaine seule. Le cathéter introducteur a été retiré. Cathéter à extrémité fermée à travers la gaine. Gaine retirée. Cathéter à extrémité fermée dans le vaisseau   « Jusqu’à présent, la méthode a été utilisée presque exclusivement chez des enfants de 2 à 16 ans avec des cathéters 5 et 6 French. Trente cathétérismes artériels et 6 cathétérismes veineux ont été effectués sans complication grave. Dans notre laboratoire, cette technique a été un ajout considérable à la flexibilité et à l’utilisation de la méthode percutanée conventionnelle de cathétérisme. » En effet, depuis cette publication, la technique de Desilets et Hoffman a été adoptée partout et a indéniablement permis l’utilisation universelle de la méthode percutanée de Seldinger. Leur technique permet l’insertion de tout type de cathéter dans un vaisseau par voie percutanée. Des pinces à biopsie, des cathéters spéciaux à extrémité fermée ou même des cathéters sans lumière peuvent tous être insérés facilement et en toute sécurité. Ainsi, comme pour Cardigan, Chatterton, Colt, Diesel, Jacuzzi, Macadam, Poubelle, Sandwich et tant d’autres (dont en cardiologie Doppler et Holter), l’invention de Donald Desilets a eu tant de succès que l’on a fini par oublier que c’était le nom de son inventeur…

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