Publié le 23 oct 2012Lecture 7 min
Les cardiopathies congénitales de l’adulte
Propos recueillis par P. Attali
Rencontre avec Jean-Benoît Thambo, responsable du département de prise en charge des pathologies cardiaques congénitales du fœtus, de l’enfant, et de l’adulte, et avec Philippe Mauriat, responsable du département de l’anesthésie-réanimation de l’Hôpital Cardiologique du Haut-Lévêque, à Pessac.
Cardiologie pratique : les adultes atteints d’une cardiopathie congénitale (CC) sont-ils nombreux ?
Jean-Benoît Thambo. En France, environ 150 000 patients sont concernés[1]. Les CC représentent près du tiers des malformations congénitales diagnostiquées en Europe durant la période fœtale ou dans l’enfance. L’efficacité de leur prise en charge thérapeutique explique que plus de 85 % de ces enfants arrivent à l’âge adulte[2]. En 2000, la prévalence des CC chez l'adulte a été estimée autour de 4 ‰[3], avec environ un cas sévère sur dix.
La prise en charge de ces adultes « cardiaques congénitaux » est-elle optimale ?
JBT. En France, 150 000 cœurs grandissent parfois sans qu’un suivi médical adapté n’ait été mis en place. Or, il est démontré qu’il s’agit d’une population à risque de complications parfois sévères. Cette pathologie pose de vrais problèmes en termes de filière de soins. Le vieillissement des CC « réparées » est associé à des complications spécifiques et potentiellement graves. La gestion de ces patients adultes est souvent impossible dans les centres pédiatriques, même « experts ». Beaucoup de cardiologues ne connaissent pas les conséquences à long terme de ces pathologies, et les pédiatres ont beaucoup de difficultés à faire face aux problèmes spécifiques de l’adulte.
La situation est-elle la même partout dans le monde ?
JBT. Un centre pionnier dans la prise en charge des CC de l’adulte a vu le jour, à Toronto au Canada, en 1959. Mais, il a fallu attendre l’année 2000 pour qu’un groupe spécifique d’experts soit créé au sein de l’ESC, et de plus, leurs dernières recommandations n’ont été publiées qu’en 2010 !
Et pour la France ?
JBT. En France, nous ne disposions pas de véritables unités spécialisées, car l’attitude se limitait trop souvent à désigner, dans des services de cardiologie pour adulte, un cardiologue responsable de la prise en charge de ces patients. Des unités spécialisées en nombre suffisant et une formation spécifique, un DESC, apparaissent aujourd’hui indispensables. Le réseau M3C (Malformations Cardiaques Congénitales Complexes http://www.carpedem.fr), labellisé en 2006, est une initiative qui va dans le bon sens. La labellisation de ce réseau a permis de créer un centre expert de référence, à visée transversale, c’est-à-dire avec des cardiologues, des rythmologues, des chirurgiens cardiaques, des anesthésistes-réanimateurs, et des spécialistes de la transplantation cardiaque, tous spécialisés dans la prise en charge des CC. Il réunit l’hôpital Necker-Enfants Malades, l’HEGP et le Centre Chirurgical Marie Lannelongue. Par ailleurs, un réseau de 20 centres de compétences répartis sur le territoire national, y compris les DOM/COM, a vu le jour. Ceci permet un accès aux soins facilité pour les patients ayant une CC complexe et l’utilisation la plus optimale des compétences et ressources de chacun.
Au-delà des soins et de la formation, qu’en est-il de la recherche dans cette discipline ?
JBT. La majorité des travaux publiés s’appuie sur des analyses rétrospectives et peu de grandes études sont menées. La constitution d’un registre et le recueil de données au niveau national, voire européen, paraissent indispensables pour mieux étudier l’évolution de cette nouvelle population et uniformiser sa prise en charge.
Commençons par les CC les plus fréquentes, par exemple les CIA.
JBT. Le pronostic est meilleur lorsque la CIA est fermée avant l’âge de 25 ans, mais les patients semblent bénéficier de la fermeture du shunt quel que soit leur âge, par voie percutanée si l’anatomie le permet. Cependant, chez les patients âgés qui ne peuvent pas bénéficier d’une fermeture par cathétérisme, le rapport bénéfice/risque de la chirurgie doit être attentivement évalué.
Quel suivi faut-il mettre en place après une fermeture de CIA ?
JBT. Les patients opérés avant l’âge de 25 ans n’ayant pas de lésions résiduelles (shunt résiduel, HTAP, ou (simple) élévation des pressions pulmonaires, arythmies) ne requièrent pas de suivi régulier mais doivent être informés de la possibilité de survenue d’arythmies tardives. Par contre, ceux avec des lésions résiduelles doivent être régulièrement suivis dans des centres spécialisés en CC. La fréquence de ce suivi dépend de la sévérité des lésions. Après une fermeture percutanée, le suivi doit être fréquent durant les deux premières années, puis plus espacé (tous les deux à quatre ans environ).
Et les patients cyanosés ?
JBT. Rappelons les deux circonstances à l’origine de la survenue d’un shunt droite-gauche : soit l’association d’un obstacle sur la voie pulmonaire et du shunt en amont, comme dans la tétralogie de Fallot ; soit une erreur de cloisonnement ou de « branchement » entre les cavités cardiaques, comme dans la transposition des gros vaisseaux. La cyanose est une pathologie complexe qui touche l’ensemble de l’organisme, avec une mortalité élevée liée à diverses complications : hématologiques, neurologiques, infectieuses, etc.
Quel doit en être le suivi ?
JBT. Un suivi régulier tous les 6 à 12 mois dans un centre spécialisé est indispensable, en collaboration avec le médecin traitant. Il faut porter une attention particulière au bilan sanguin. L’éducation des patients est fondamentale en ce qui concerne la vie quotidienne : pratique d’un sport (éviter les efforts soutenus sévères), voyages en avion (les vols réguliers sont bien tolérés, mais il faut prévenir la déshydratation), séjour en altitude au-delà de 2 500 m (privilégier une ascension progressive par téléphérique). Enfin, la prévention des thromboses veineuses profondes et de l’endocardite bactérienne sont aussi des mesures fondamentales.
Une grossesse chez une femme atteinte de CC est-elle envisageable ?
JBT. La survenue de complications, pour elle ou son fœtus, est estimée autour de 10 à 15 %[4]. Quatre facteurs de risque de complications ont été identifiés[4] : fraction d’éjection du ventricule systémique < 40 %, classe fonctionnelle NYHA > II ou cyanose, cardiopathie obstructive du cœur gauche (surface aortique < 1,5 cm2 avec un gradient > 30 mmHg ou surface mitrale < 2 cm2), et antécédents cardiovasculaires. Un seul de ces facteurs expose déjà la patiente à un risque de 27 % de complications, lequel peut atteindre 75 % avec deux facteurs ou plus[5]. La mortalité maternelle a été évaluée à moins de 1 % pour les patientes en classe NYHA, avant la grossesse, I ou II et à 7 % pour les patientes en classe III ou IV[2]. Il est pratique de prendre en compte trois catégories de cardiopathies : à haut risque, à risque modéré et à risque faible[2].
La classification de l’OMS (WHO) est-elle encore pertinente ?
JBT. Oui, les patientes atteintes d’une cardiopathie à très haut risque de complications sévères (WHO 3) doivent être dissuadées d’envisager une grossesse. C’est le cas des femmes porteuses d’une HTAP sévère (syndrome d’Eisenmenger), d’une aorte > 40 mm, d’une cardiopathie obstructive du ventricule systémique, ou celles en classe fonctionnelle III ou IV de la NYHA.
Dans quelle structure doit se faire le suivi d’une grossesse à haut risque chez une femme atteinte de CC complexe ?
JBT. Le suivi continu et régulier de ces patientes doit être précoce et multidisciplinaire. Il nécessite l'implication de spécialistes et de centres spécialisés tels que le réseau M3C. En raison du risque de récurrence de la malformation chez l’enfant, qui varie de 2 à 50 %, une échographie cardiaque fœtale doit être proposée à partir de 18 semaines d’aménorrhée, ainsi qu’une consultation génétique[4].
Quelles sont les principales complications des CC que l’on peut rencontrer à l’âge adulte ?
PM. Tout d’abord, les défaillances cardiaques avec la limitation des efforts qui vont nécessiter une nouvelle prise en charge : chirurgie réparatrice, traitement médicamenteux d’une HTAP, voire transplantation cardiaque. Ensuite, les troubles du rythme, assez fréquents, qui parfois nécessiteront le recours à des cardiologues spécialisés dans la rythmologie des CC (ablation). Enfin, il peut s’agir de problèmes respiratoires, notamment d’infections en lien avec les CC lorsque la réparation a été incomplète, des troubles digestifs comme l’entéropathie exsudative, etc.
Certaines CC à l’âge adulte sont difficiles à gérer, comme l’HTAP. A-t-on fait des progrès ?
PM. En cas d’intervention cardiaque trop tardive, par exemple une CIV à très gros shunt fermée trop tardivement alors que l’atteinte endothéliale pulmonaire est très avancée, on peut déplorer une HTAP fixée, voire un syndrome d’Eisenmenger, avec une HTAP supra-systémique qui évolue de façon fatale. Cependant, depuis l’avènement des vasodilatateurs, surtout en association, agissant sur les voies du monoxyde d’azote, des prostanoïdes, et de l’endothéline, on observe des résultats très intéressants qui témoignent de progrès certains, avec un gain appréciable sur le périmètre de marche. Le but est de retarder le moment de la greffe cœur-poumons qui reste de très mauvais pronostic avec une survie autour de 50 % à 10 ans[6], et qui nécessite un suivi très lourd grevé de nombreuses complications pulmonaires.
Vos messages de conclusion ?
PM. Je souhaiterais souligner l’importance de la campagne de sensibilisation à destination du grand public « Votre cœur veut continuer de battre ». Elle est particulièrement orientée vers les jeunes adultes opérés dans l’enfance d’une cardiopathie congénitale pour leur rappeler la nécessité d’être suivis régulièrement, afin d’éviter d’être confrontés à des complications très graves à l’âge de 50 ans. Sensibiliser ces patients « perdus de vue » à l’importance d’un suivi médical spécialisé devient un enjeu majeur de Santé Publique. Les messages de cette campagne doivent être repris par la participation active et synergique non seulement des cardiologues mais de l’ensemble du corps médical.
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