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Vasculaire

Publié le 13 nov 2012Lecture 10 min

Les démences vasculaires

M.-L. SEUX, Hôpital Broca, CMRR Paris Ile de France-Sud

La généralisation de l’imagerie cérébrale a considérablement fait évoluer le concept de démence vasculaire. Après la démence artériosclérotique décrite au début du XXe siècle, puis les démences par infarctus multiples et les démences mixtes associant des lésions dégénératives et vasculaires, deux nouveaux concepts sont évoqués en ce début du 21e siècle. L’« altération cognitive vasculaire » correspond à l’identification de troubles cognitifs présumés d’origine vasculaire d’après des éléments cliniques (facteurs de risque vasculaire, athérome extracérébral) et radiologiques (lésions vasculaires cérébrales) mais n’entraînant pas encore un syndrome démentiel. L’entité de « dépression vasculaire » est plus discutée : elle caractérise une dépression de survenue tardive, peu sensible aux traitements antidépresseurs, chez des patients ayant des facteurs de risque vasculaire ou des lésions vasculaires cérébrales en particulier sous-cortico-frontales.

Qu’appelle-t-on démence vasculaire ?   Les démences vasculaires caractérisent donc un état démentiel associé à des lésions vasculaires cérébrales. Leurs présentations cliniques sont extrêmement diverses en lien avec la variété des lésions vasculaires à l’origine de l’altération cognitive. Leur survenue est liée à trois mécanismes différents : ischémique, hémorragique ou anoxique. Les causes en sont diverses : soit atteinte des gros troncs artériels intra ou extra-craniens, soit atteinte des micro-vaisseaux cérébraux entraînant des lacunes ou des lésions plus diffuses de la substance blanche soit enfin, embolie à point de départ cardiaque. Si la plupart des démences vasculaires sont liées aux complications athéromateuses, des facteurs génétiques sont à l’origine de l’angiopathie amyloide et de la maladie de CADASIL et des facteurs inflammatoires à l’origine de certaines angéites cérébrales.   À côté des démences purement vasculaires, plus de 40 % des démences sont d’origine mixte, associant des lésions cérébrales vasculaires et dégénératives. Ces lésions exercent un effet additif ou synergique sur la détérioration cognitive. Il a ainsi été démontré que les sujets ayant des lésions vasculaires associées aux lésions histologiques de maladie d’Alzheimer présentent une démence plus souvent que ceux n’ayant que des lésions dégénératives.   Très schématiquement, le diagnostic de démence vasculaire peut être évoqué au décours d’un accident vasculaire cérébral soit unique mais dans une localisation stratégique, soit multiple ou en cas d’atteinte sous-corticale plus diffuse. Si des troubles cognitifs légers existaient avant la survenue de l’accident vasculaire cérébral responsable de l’aggravation cognitive ou si une aggravation cognitive progressive survient secondairement très à distance de l’accident vasculaire cérébral, alors est évoqué le diagnostic de démence mixte.   Les démences vasculaires sont-elles fréquentes ?   La prévalence des démences vasculaires augmente nettement avec l’âge, passant de 3 % à 75 ans à des taux variant entre 5 et 10 % à 85 ans. Elle varie selon les critères diagnostiques utilisés et la fréquence des facteurs de risque vasculaires dans la population étudiée.   Le principal facteur de risque de démence vasculaire est l’accident vasculaire cérébral (AVC). L’incidence de démence après un AVC est de 7 % au cours de la première année puis augmente jusqu’à 48 % vingt-cinq ans après. Comparé à un groupe témoin, le risque de survenue de démence est 8,8 fois supérieur la première année puis diminue pour rester le double à partir de la dixième année.   Parmi les facteurs pouvant expliquer l’apparition d’un syndrome démentiel après un AVC, certains concernent l’AVC lui-même et les lésions cérébrales associées, d’autres le patient avec son âge, ses facteurs de risque vasculaire et son niveau cognitif antérieur (tableau 1).   Une équipe finlandaise a récemment proposé un score de risque de survenue 20 ans plus tard de démences toutes étiologies confondues (vasculaires et dégénératives) (tableau 2). Même s’il doit être validé dans d’autres populations, il objective le poids respectif des différents facteurs de risque de démences.   Quand suspecter le diagnostic de démence vasculaire ?   La présentation clinique découle du démantèlement étiologique des démences vasculaires. Au tableau de démence vasculaire « aiguë » qui s’installe au décours d’un accident vasculaire cérébral s’oppose le tableau subaigu de démence par atteinte sous-corticale diffuse. Progressivement s’installent des signes frontaux, des troubles de la marche et de l’équilibre avec un syndrome d’hypertonie axiale d’allure extrapyramidale, une incontinence urinaire, voire une paralysie pseudobulbaire. Le tableau complet correspond à l’état lacunaire décrit par Pierre Marie.   Les troubles neuropsychologiques sont liés à la localisation des lésions vasculaires corticales ou sous-corticales. Contrairement à la maladie d’Alzheimer, il a été décrit chez les patients présentant une démence vasculaire une prédominance des troubles exécutifs comparée à l’atteinte de la mémoire épisodique liée surtout à un trouble de la récupération. Les perturbations touchent les capacités de raisonnement, d’abstraction, la flexibilité mentale, les fluences verbales et la mémoire de travail.   L’atteinte psychoaffective est une autre caractéristique des démences vasculaires : la dépression concerne 30 à 40 % des patients. Elle ne serait pas liée uniquement à la perte d’autonomie ou à la conscience des troubles mais aussi à l’atteinte vasculaire elle-même lorsqu’elle atteint les lobes frontaux ou interrompt les circuits sous-corticaux de régulation de l’humeur. A l’inverse certains symptômes (apathie, labilité émotionnelle, pleurs spasmodiques) sont caractéristiques d’une atteinte cérébrovasculaire et non d’une dépression.   Comment faire le diagnostic de démence vasculaire ?   Le diagnostic de démence vasculaire repose sur un ensemble d’éléments : les facteurs de risque vasculaire, le mode de survenue et l’évolution des troubles cognitifs, les données neuropsychologiques, l’examen clinique et les examens paracliniques. L’imagerie morphologique cérébrale et en particulier l’IRM cérébrale est indispensable pour rechercher des lésions vasculaires focales ou diffuses mais aussi pour rechercher une atrophie temporale interne en particulier hippocampique en rapport avec une éventuelle maladie d’Alzheimer associée. D’autres imageries fonctionnelles ne sont pas indiquées en pratique courante mais elles peuvent mettre en évidence un hypo-métabolisme cortico-souscortical affectant de multiples régions en PET-scan ou un défaut de perfusion préfrontale en SPECT.   Si les dosages de la protéine tau hyperphosphorylée et du peptide amyloide A 42 dans le liquide céphalorachidien ont une bonne sensibilité dans la maladie d’Alzheimer, ces biomarqueurs n’ont aucune spécificité dans les troubles cognitifs vasculaires.   En fin de compte, la plus grande difficulté diagnostique est d’établir le lien de causalité entre la survenue de troubles cognitifs et la découverte de lésions vasculaires cérébrales radiologiques s’exprimant cliniquement ou non. Selon les critères en vigueur seule une relation temporelle permet d’attribuer l’existence du syndrome démentiel aux phénomènes vasculaires en gardant à l’esprit que des lésions dégénératives infra-cliniques peuvent co-exister. Néanmoins les lésions sous-corticales peuvent être initialement asymptomatiques et c’est alors leur localisation qui va permettre au clinicien de leur imputer la responsabilité de l’atteinte cognitive. Pour certains auteurs, plus que la taille des lésions vasculaires c’est leur position stratégique impliquant les thalamus et les ganglions de la base qui peut engendrer les troubles cognitifs observés dans les démences vasculaires sous-corticales. Pour d’autres, l’atteinte isolée de la substance blanche, sans lésion des noyaux gris, peut entraîner des troubles cognitifs par interruption des circuits sous-corticaux frontaux notamment. Pour ces mêmes auteurs l’atteinte des fonctions exécutives devient manifeste lorsque l’IRM montre des anomalies radiologiques touchant le quart au moins de la substance blanche.   Comment traiter les démences vasculaires ?   Malgré les nombreux essais thérapeutiques dans la démence vasculaire aucun traitement à ce jour n’a démontré un bénéfice suffisant pour justifier son autorisation de mise sur le marché dans cette indication, même si des effets positifs ont pu être observés avec des anticholinestérasiques comme la galantamine ou le donepezil sur des périodes de 6 mois.   Dans les démences mixtes, le traitement de la part dégénérative du syndrome démentiel peut faire appel aux anticholinestérasiques et la mémantine, en évaluant régulièrement leur rapport bénéfice/risque. Une attention particulière sera apportée au suivi des patients ayant des troubles conductifs ou nécessitant des traitements bradycardisants comme les bêtabloquants compte-tenu du risque de bradycardielié à l’effet vagotonique des anticholinestérasiques.   Comment prévenir les démences vasculaires ?   Tous les auteurs s’accordent à dire que la correction des facteurs de risque vasculaire pourrait prévenir la survenue de démence vasculaire mais ceci doit être prouvé par des études interventionnelles incluant dans leurs objectifs la prévention de la démence.   Quelques essais ont inclus dans leurs objectifs secondaires l’impact de traitements antihypertenseurs sur l’incidence de la démence chez des sujets hypertendus, d’autres chez des sujets ayant déjà eu un premier accident vasculaire quelle que soit leur pression artérielle. Si la réduction d’incidence de la démence toutes causes confondues était significative dans Syst-Eur (50 % à 2 ans et 55 % à près de 4 ans), une tendance non significative (14 % à 2 ans) était observée dans Hyvet-Cog et chez les patients récidivant leur accident vasculaire dans Progress. La diversité des résultats s’explique par la difficulté méthodologique : risque de perdus, introduction d’autres traitements antihypertenseurs dans le groupe placebo, durée de suivi insuffisante pour observer l’impact cognitif alors que la réduction d’accident vasculaire est, elle, significative... Une piste pourrait être de cibler les patients à risque d’évolution cognitive péjorative comme ceux ayant déjà des lésions extensives de la substance blanche et d’évaluer l’impact des traitements préventifs sur l’évolution de ces lésions, marqueurs du risque cognitif.   Les études encore plus rares évaluant l’impact cognitif du traitement des dyslipidémies par des statines (HPS, Prosper) ou celui du contrôle glycémique rigoureux du diabète de type II (Advance) se sont avérées négatives. Aucune étude n’a étudié l’impact cognitif du traitement des autres facteurs de risque d’accident vasculaire tels que celui de l’ACFA.   Si l’effet des antiagrégants plaquettaires en prévention des AVC n’est plus à démontrer, en revanche un seul essai thérapeutique déjà ancien a inclus 70 patients ayant une démence vasculaire essentiellement par infarctus multiples. L’évaluation du groupe traité par 325 mg/j d’aspirine (n = 37) et du groupe témoin (n = 33) a été faite en aveugle même si le groupe témoin n’a pas reçu de placebo. À 1 an, l’amélioration de 17,2 % du score cognitif était significative dans le groupe « aspirine » (p < 0,001) persistait à 2 ans (+ 21 %, p < 0,001) pour devenir moins significative pour les 27 patients évalués à 3 ans.   Une comparaison de l’aspirine combinée au dipyridamole et du clopidogrel en prévention secondaire des AVC n’a pas montré de différence d’évolution cognitive entre les deux traitements antiagrégants au terme de 2 ans et demi de suivi dans l’étude ProFESS.   Dans tous les cas, le traitement des facteurs de risque vasculaire reste indiscutable pour prévenir toutes les complications vasculaires y compris coronariennes ou d’autres territoires artériels. En effet les patients ayant des troubles cognitifs d’origine vasculaire dans un contexte athéromateux ont un risque accru d’infarctus du myocarde, d’insuffisance cardiaque ou d’accident vasculaire.   La prise en charge globale   La démence vasculaire s’accompagne fréquemment de syndromes dépressifs nécessitant un traitement psychotrope approprié. Le déficit cholinergique observé chez les patients atteints de démence vasculaire pure ou mixte incite à utiliser avec prudence les molécules ayant un effet anticholinergique. Le risque de comitialité associée aux lésions vasculaires corticales nécessite une surveillance, les antidépresseurs abaissant le seuil épileptogène. Les sérotoninergiques trouveraient une indication de choix chez les patients ayant des troubles frontaux. En cas de troubles de la marche pseudoparkinsoniens, la dopathérapie n’a pas fait la preuve de son efficacité et peut être délétère s’il survient une hypotension orthostatique.   La prise en charge de la dépendance allie une évaluation précise de l’autonomie et la mise en place d’aides adaptées. Celles-ci doivent prendre en compte les troubles cognitifs et les troubles sensori-moteurs s’il existe des séquelles d’accidents vasculaires cérébraux.   Conclusion   Indépendamment du risque d’accident vasculaire cérébral, le risque de démence vasculaire et à un moindre degré celui de maladie d’Alzheimer, augmente chez les sujets ayant des facteurs de risque vasculaire. L’évaluation cognitive, au mieux ciblée sur le syndrome dysexécutif, doit donc faire partie de l’examen clinique de tout patient ayant de tels facteurs de risque en particulier hypertension, diabète, hypercholestérolémie et arythmie complète par fibrillation auriculaire ou tout patient ayant des lésions d’athérosclérose. Des tests simples comme la fluence verbale et une épreuve de mémoire épisodique comme le MIS (Memory Impairment Screen) ou le test des Cinq mots sont très adaptés à la pratique courante. Chez un patient qui présente des troubles cognitifs, une évaluation précise intégrant des données cliniques et neuropsychologiques doit être réalisée afin de documenter une éventuelle atteinte vasculaire. En cas de découverte de lésions vasculaires cérébrales focalisées, un bilan étiologique doit être effectué à la recherche de lésions emboligènes. En cas de lésions cérébrales diffuses comme la leucoaraiose, la recherche de facteurs de risque comme l’hypertension est impérative, incluant la recherche d’hypertension masquée. L’automesure tensionnelle trouve sa place de choix, aisément réalisable. En cas de troubles cognitifs altérant la compréhension du sujet, l’automesure sera remplacée par une hétéromesure réalisée dans les mêmes conditions au domicile par le conjoint ou par une mesure ambulatoire de la pression artérielle. Le traitement curatif des  démences vasculaires doit tenir compte des mécanismes vasculaires en cause et des lésions cérébrales dégénératives potentiellement associées. L’efficacité des traitements préventifs et la population-cible à laquelle ils s’adressent restent à déterminer. Une collaboration avec les cardiologues est donc essentielle à la fois pour rechercher et prendre en charge les facteurs de risque en cas de découverte de lésions vasculaires cérébrales mais aussi pour dépister des altérations cognitives interférant avec l’observance des patients suivis pour leurs facteurs de risque vasculaire. Leucoaraiose périventriculaire et sous-corticale confluente (IRM coupe axiale Flair)

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