Publié le 27 nov 2012Lecture 6 min
L’ivabradine en pratique
Un entretien avec Alain COHEN-SOLAL (hôpital Lariboisière, Paris)
Entretien
Après la publication des nouvelles recommandations dans l’insuffisance cardiaque à l’ESC, peut-on faire un point pratique sur le traitement par l’ivabradine ; chez quels patients faut-il le donner ?
L’ivabradine qui a été mis en avant par les recommandations 2012 de l’ESC est un traitement indiqué dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique stable par dysfonction systolique, c’est à dire avec une fraction d’éjection abaissée, inférieure à 30-45 % chez les patients qui restent symptomatiques, c’est-à-dire en classes II, III et IV de la NYHA. Ce traitement s’adresse donc à une population stable, à distance d’un épisode aigu, qui est traitée de façon optimale et qui reçoit des IEC ou, en cas d’intolérance, des ARA II et des bêtabloquants.
Comment commencer le traitement en pratique ?
Le traitement ne nécessite pas d’hospitalisation, il débute en ambulatoire et la posologie biquotidienne initiale est de 5 mg, matin et soir. Si le traitement est bien toléré, nous le vérifions après une quinzaine de jours par un ECG de contrôle et nous augmentons la posologie à 7,5 mg, matin et soir. Chez le patient âgé, on doit débuter le traitement avec une posologie de 2,5 mg, matin et soir.
Ce traitement est-il fonction de la fréquence cardiaque ?
La fréquence cardiaque est un élément clé de la décision thérapeutique. Le but est, chez tous les patients, d’obtenir une fréquence cardiaque inférieure à 60 bpm. On commence donc avec 5 mg matin et soir et on augmente la posologie de façon à obtenir une cible à 60 bpm ou moins. Si on est à moins de 50 bpm, on diminue la posologie. La cible idéale est donc entre 50 et 60 bpm. L’efficacité du traitement n’a pas été étudiée quand la fréquence de base est inférieure égale à 70 bpm.
Vous dites démarrer le traitement lorsque la fréquence cardiaque est supérieure à 70 bpm. Il y a une petite différence entre l’AMM en France qui recommande de démarrer lorsque la fréquence cardiaque est à 75 bpm et les recommandations qui préconisent de débuter lorsque la fréquence est à 70 bpm.
D’après les études BEAUTIFUL et SHIFT, l’ivabradine est un médicament qui ralentit la fréquence cardiaque, il faut donc que les patients ne soient pas trop lents au départ pour que le médicament agisse. Les recommandations précisent que l’ivabradine est indiqué pour réduire la morbi-mortalité chez les patients qui ont une fréquence cardiaque de repos supérieure à 70 bpm. En France, l’AMM a proposé 75 bpm pour réduire aussi la mortalité totale, car c’est audessus de cette fréquence de base qu’il a été obtenu un bénéfice sur la mortalité totale. Entre 70 et 75 bpm de base, les recommandations ont bien montré un bénéfice indiscutable sur la morbimortalité.
Y a-t-il des précautions particulières chez les patients qui ont une insuffisance rénale ou qui reçoivent de la digoxine ?
Chez les sujets âgés, il faut, nous l’avons dit, réduire la posologie. L’insuffisance rénale n’est pas une contre-indication ; le traitement par digoxine n’est pas non plus une contre-indication, mais il s’agit d’un traitement de l’insuffisance cardiaque, qui est de moins en moins utilisé. Il faut simplement être prudent car ce sont deux médicaments bradycardisants. Par contre, les antagonistes calciques ralentisseurs comme le vérapamil et le diltiazem sont contre-indiqués mais ils ne sont pas indiqués dans l’insuffisance cardiaque « systolique ». Il faut éviter d’associer l’ivabradine à des médicaments que nous rencontrons plus rarement, les antifongiques par inhibition du cytochrome 450 et les macrolides.
Et au cours de la fibrillation atriale ?
La fibrillation atriale n’est pas une contre-indication mais une non-indication. L’ivabradine est un médicament qui ralentit le coeur au niveau du noeud sinusal donc en cas de fibrillation auriculaire, ce médicament n’a aucune action et ce n’est pas une indication. Il est vrai que 20 à 25 % des patients insuffisants cardiaques systoliques ou à FEVG préservée ont une fibrillation auriculaire permanente, dans ce cas, ce n’est pas une indication. Cependant, si le patient est une heure par jour en fibrillation auriculaire et 23 heures en rythme sinusal, l’ivabradine reste indiquée.
Quelles sont les précautions d’emploi et faut-il surveiller la pression artérielle ?
Il faut reconnaître que l’ivabradine est un médicament particulièrement bien toléré, qu’il n’a pas d’action délétère sur la contractilité, la pression artérielle, la fonction rénale et n’a pas d’effets secondaires généraux (cérébraux, vertiges, cauchemars, etc.). Il faut seulement surveiller l’ECG pour vérifier la fréquence cardiaque avant le traitement et à chaque augmentation de posologie et 2 semaines après. Il faut contre-indiquer les patients qui ont une dysfonction sinusale ou un bloc auriculo- ventriculaire. Le bloc de branche n’est pas une contreindication, le QT long non plus mais justifie qu’on le corrige : il peut en effet y avoir, du fait de la bradycardie, comme avec tous les médicaments bradycardisants, un allongement du QT. Si les patients ont un QT long sur l’ECG avant le traitement, il est préférable d’éviter l’ivabradine.
Le fait que la fréquence cardiaque ne soit pas freinée à l’effort est-il un paramètre intéressant chez ces patients ?
Des études sont en cours pour comparer l’efficacité de l’ivabradine versus bêtabloquant sur la tolérance à l’effort des insuffisants cardiaques lorsqu’en particulier ils sont très bridés ou qu’ils ont une véritable incompétence chronotrope. On n’a pas la réponse à la question. Il faut quand même savoir que l’ivabradine ralentit la fréquence de repos mais également la fréquence au maximum de l’effort. L’effet de l’ivabradine est un effet use-dependant, plus la fréquence de repos est élevée, plus la baisse de fréquence est importante, un peu comme le « bêtablocage » mais par un mécanisme différent. À l’inverse, chez un patient qui a une fréquence basale à 65, 68 bpm, la réduction de fréquence avec l’ivabradine sera moins importante que lorsque la fréquence est plus rapide. Finalement, il y a une sorte d’autoajustement de la réduction de fréquence, en fonction de la fréquence de base.
Propos recueillis par J. CHAPSAL
Interview de Alain COHEN-SOLAL à l’ESC
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