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Cardiologie générale

Publié le 11 déc 2012Lecture 9 min

Prise en charge en urgence des pathologies cardiovasculaires chez la femme

N. ASSEZ, SAMU Régional de Lille-Pôle de l’Urgence, CHRU de LILLE

La maladie coronaire féminine, sous-tendue par une physiopathologie différente, apparaît comme une entité clinique particulière influant à la fois sur la clinique, le diagnostic et le pronostic. Elle serait de moins bon pronostic que celle de l’homme. Une admission directe en USIC « gomme » la différence entre les sexes. Une prise en charge précoce et des traitements (médical et interventionnel) conformes aux recommandations actualisées améliorent les résultats observés chez les femmes. Des données spécifiques issues des registres devraient permettre d’adapter les stratégies futures.

 Du fait du vieillissement de la population et de la progression des facteurs de risque cardiovasculaire (FDRCV) dans la population féminine, les maladies cardiovasculaires (MCV) et les syndromes coronariens aigus (SCA) constituent un enjeu majeur de santé publique et ce, d’autant qu’on s’attend plutôt à une progression si des actions efficaces ne sont pas entreprises, notamment en direction des femmes jeunes.   MCV : première cause mondiale de mortalité chez les femmes   On a longtemps considéré que les femmes étaient moins touchées par les MCV que les hommes. Or, les MCV représentent la première cause mondiale de mortalité chez les femmes (à tous les âges) et plus particulièrement chez les femmes de > 40 ans(1). Dans les pays développés, les MCV tuent 7 fois plus que le cancer du sein(2-6). En France, les MCV tuent plus d’une femme sur trois(7) : l’infarctus du myocarde (IDM) reste la première cause de décès : 18 % vs 14 % pour les accidents vasculaires cérébraux (AVC) suivis par les autres pathologies CV (10 %). Ces MCV constituent une cause importante de handicap.    Les femmes qui ont une crise cardiaque risquent davantage d’en mourir que les hommes.    De nombreuses femmes et leurs médecins sous-estiment le risque de MCV. Une explication possible est que les femmes ont tendance à minimiser l’importance des signes avant-coureurs d’infarctus. La perception de l’IDM et de sa gravité est moins marquée : 30 % des femmes pensent que l’IDM est moins grave et moins fréquent chez les femmes que chez l’homme. Elles sont donc moins sensibilisées aux problèmes cardiaques que les hommes(8).   Les estrogènes ou le mythe protecteur À partir d’un certain âge, il est normal que le risque de troubles cardiaques augmente. Relativement épargnées avant la ménopause (effet protecteur des estrogènes), même si certaines études sont contradictoires (Women’s Health Initiative), les femmes ont un risque cardiovasculaire identique à celui de l’homme après 70 ans (70,9 ± 12,1 vs 63,4 ± 12,9 ; p < 0,001), mais davantage de comorbidités(9).    Après la ménopause, toutes les femmes sont à haut risque de SCA.   Les nouveaux risques CV : spécificités féminines   De nouveaux FDRCV sont actuellement bien identifiés (tabagisme, hyperlipidémie, HTA, diabète, obésité, sédentarité, stress, etc.). Certains de ces FDRCV sont plus délétères pour l’endothélium chez la femme que chez l’homme, tels le tabac, l’hypertension, le diabète et le stress(6,7), tandis que l’endothélium est plus sensible aux FDRCV. Il est important que les femmes prennent conscience de ces risques liés à leur mode de vie qui rejoint dangereusement celui des hommes. Ces FDRCV doivent être recherchés devant toute évocation de symptômes évocateurs d’un SCA dès l’appel au SAMU(9).    En Europe, en raison de leur mode de vie, les femmes combinent le stress de la vie moderne avec des conduites « à risque » : tabac 25 vs 34 %(10) ; HTA 70 % vs 35 %(10) ; dyslipidémie(10) ; diabète 31 % vs 20 %(8) ; obésité 52 % contre 38 % ; sédentarité et manque d’exercice(9).    Une présentation et des symptômes atypiques   Le SCA ST+ est une manifestation souvent inaugurale chez la femme La maladie coronaire a plus souvent une présentation aiguë chez la femme que chez l’homme, en particulier sous la forme SCA ST-.  Le SCA ST+ apparaît moins fréquent chez la femme, ce qui laisserait à penser que la femme serait moins sujette à l’occlusion coronaire que l’homme(16). Mais il est plus souvent inaugural, alors que chez les hommes, il est le plus souvent précédé de « menaces »(8).    Les douleurs thoraciques constituent le symptôme le plus courant Les femmes peuvent ressentir des symptômes typiques ou atypiques mais décrivent leur douleur différemment des hommes. Cette présentation clinique de la maladie coronaire est souvent différente chez la femme, reflet d’une physiopathologie particulière (dysfonction endothéliale et microvasculaire).    Les femmes se plaignent moins que les hommes et les signes avant-coureurs d’un infarctus peuvent passer inaperçus et en minorer l’alerte et la prise en charge. « Nous, les femmes, sommes habituées à endurer la douleur. Nous ne pensons pas que nous pouvons faire une crise cardiaque. »    La douleur thoracique absente ou atypique La douleur peut être plus frustre (fatigabilité)(8,9,17), voire absente chez la femme jeune(18). Les symptômes prédominants sont alors une dyspnée (parfois unique signe(6,16), des douleurs inhabituelles (épigastrique ou abdominale : 6 %), des signes digestifs (nausées, vomissements), des sueurs, une grande faiblesse ou encore une anxiété généralisée, de l’angoisse… qui a tort peuvent orienter vers une anxiodépression. Ce riche cortège symptomatique est souvent considéré comme fonctionnel chez la femme(19) et rend le diagnostic plus difficile, même pour des équipes médicales entraînées.   Une mortalité globalement 2 fois plus élevée Mais malgré une prise en charge relativement précoce (< 2 h) et une nette amélioration depuis les années 2000 de la prise en charge grâce au SAMU/SMUR(20,21), le pronostic du SCA reste moins bon chez la femme que chez l’homme et on constate que la mort subite touche davantage les femmes. Même après revascularisation interventionnelle (angioplastie + stent ou pontage), la mortalité est plus élevée que chez l’homme (6 % vs 3,4 % pour les hommes ; p < 0,0001), situation attribuée aux comorbidités et à l’âge plus élevé (Registre du Michigan)(22). Néanmoins, le fossé entre les femmes et les hommes est énorme, avec une hausse de 42 % de la mortalité vs 24 % chez les hommes. Ce taux de mortalité CV augmente principalement chez les femmes jeunes (35-54 ans)(22).   À quoi peut-on attribuer cet écart ?   Des délais plus longs Même si les choses évoluent(18), les femmes appellent plus tardivement les secours et les délais de prise en charge sont toujours plus longs chez la femme : de fait, 21 % (vs 36 % pour les hommes) des patientes n’arrivent dans la filière de soins que dans un délai de 180 min suivant le début des symptômes (p = 0,0309). Le délai douleur- ECG qualifiant est < 120 min pour 40 % d’entre elles (vs 51 %)(8,23). Mais un quart des patients seulement bénéficient de la filière optimale (délai de répercussion < 90 minutes) et rares sont les femmes(24).    Certains préjugés « sexistes » persistent À risque égal, les recommandations sont moins appliquées aux femmes qui, malgré des scores TIMI élevés, sont plus souvent classées en « bas risque ». Des études récentes confirment que, même avec une troponine élevée, le diagnostic de SCA est moins souvent porté que chez l’homme(25,26). La décision de reperfusion en urgence par les équipes médicales préhospitalières est moins souvent prise lorsqu’il s’agit d’une femme et la prise en charge peut être plus attentiste en urgence.    Le traitement médical est moins intensif chez la femme(8) À FDRCV égal, les femmes sont sous-traitées(27). Les médicaments en dehors de l’aspirine (dont la prescription est sensiblement la même 79 % vs 90 %) sont moins souvent prescrits aux femmes qu’aux hommes (statine : 62 % vs 60 % ; bêtabloquant : 84 % vs 80 %)(28). La morphine est sous-utilisée : 14 % alors que la proportion est doublée chez leurs homologues masculins. Les HBPM sont présentes dans 32 % vs 45%. Même symptomatiques, elles reçoivent moins souvent d’agents antithrombotiques (92 vs 95% ; p < 0,001)(10,28). Le sexe féminin, l’âge et le petit poids sont des facteurs prédictifs du saignement et de fait contribuent souvent à limiter l’administration en urgence des anticoagulants et des antiagrégants chez les femmes.    Les femmes demeurent les « oubliées » de la reperfusion En France, malgré des progrès thérapeutiques(29,30) et un accès facilité au « cath lab », les résultats des registres vont tous dans le même sens, à FDRCV égal les femmes sont revascularisées dans 35 % des cas (vs 42 % pour les hommes)(23,31). Elles bénéficient plus souvent d’un traitement conventionnel (31% vs 50 % ; p < 0, 001)(32). Elles sont moins souvent thrombolysées (37 % vs 46 % ; p < 0,01), même prises en charge par les SMUR dans les 3 heures, 5 % des femmes vs 15 % des SCA masculins ne sont pas reperfusées en raison de contre-indications(33) ou de critères électrocardiographiques jugés insuffisants(8).    En effet, les maladies coronaires des femmes sont sous-explorées, sous-diagnostiquées, sous-traitées et la prise en charge des femmes ne semble pas optimale ni en termes de reperfusion à la phase aiguë, ni en termes de traitement pharmacologique.   Comment améliorer la pratique ?   Prise en charge rapide par un urgentiste Au même titre que son homologue masculin, une femme suspecte d’un SCA doit être immédiatement examinée par un médecin urgentiste expérimenté et un ECG qualifiant (18 dérivations) doit être réalisé dans les 10 min de la prise en charge. Le médecin urgentiste doit prendre une décision individuelle en tenant compte du bénéfice/risque et de la balance risque hémorragique/ischémique. Un SCA ST+ doit pouvoir bénéficier d’une reperfusion immédiate (interventionnelle ou par thrombolyse) conforme aux recommandations (figure).  En cas de SCA ST-, elle doit être orientée en fonction du niveau de risque (scores) puis réévaluée.    Admission en USIC Une admission directe en USIC « gomme » la différence entre les sexes. Ce résultat doit inciter les SMUR à les y orienter directement : 20 % des patientes prises en charge par le SAMU sont encore dirigées dans un service d’urgence et des progrès restent à faire.    Faciliter l’accès au « cath lab » Les spécificités anatomiques (artères sinueuses, grêles, moindre collatéralité, des lésions plus diffuses…) connues depuis longtemps (1970) ont souvent limité l’accès à la coronaire pour les cardiologues mêmes expérimentés(34). De fait, les femmes ont moins de coronarographie que les hommes(9) et, à lésions coronaires égales, bénéficient moins que les hommes d’une dilatation coronaire (65 % vs 68 %)(10,28). Des études plus récentes rapportent chez la femme un taux d’événements hospitaliers et une mortalité (un an après angioplastie) identiques à ceux de l’homme malgré un profil de risque plus élevé. Après ajustement sur l’âge et les comorbidités, la mortalité féminine n’excède pas la mortalité masculine. L’apport spécifique des stents actifs chez la femme (étude Taxus Woman) contribue à cette amélioration(35).    Ces résultats plaident en faveur d’une prise en charge « agressive » des MCV chez la femme.   Conclusion   En 2012, les MCV ne sont plus l’apanage des hommes. Du fait de leur mode de vie (tabagisme), la mortalité des MCV progresse chez les femmes jeunes (< 40 ans), avec un taux de décès significativement plus élevé (chez les 25-44 ans)(36) et une augmentation des cardiopathies ischémiques est à craindre dans les futures décennies. Des études et les données des registres devraient dans un proche avenir permettre d’analyser les spécificités liées au sexe et permettre d’adapter les stratégies à la MCV de la femme avec des mesures d’évaluation, de diagnostic et de traitement spécifique.    « Même après ajustement sur les facteurs de risque et le traitement, les femmes jeunes décèdent deux fois plus que les hommes dans les premiers jours. Raison de plus pour améliorer leur prise en charge et envisager une stratégie plus agressive chez les plus jeunes qui constituent un groupe à haut risque. »

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