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Échocardiographie

Publié le 23 mar 2004Lecture 8 min

Apport des essais cliniques dans notre cardiologie pratique et notre pratique cardiologique

A. CASTAIGNE, hôpital Henri-Mondor, Créteil

Deux anecdotes pour vous faire sourire en commençant, mais ne comptez pas sur moi pour nommer les auteurs de ces mots historiques :
- un des maîtres de la médecine française à qui je proposais un essai aspirine contre AVK après l’infarctus du myocarde m’a répondu : « C’est très intéressant, mais je n’y participerai pas car je connais la réponse : les AVK sont de très loin supérieurs à l’aspirine » ;
- un autre, à qui je confiais mon intention de faire une revue générale sur les bêtabloquants, me répondit : « Cela ne vaut pas la peine, tout le monde les aura oubliés dans cinq ans, car ils seront totalement remplacés par les inhibiteurs calciques ».

C'était le bon temps, où la vérité scientifique tombait de la bouche des maîtres, où les essais thérapeutiques et les statistiques sentaient le soufre, où l’on pouvait être blâmé par le Conseil départemental de l’ordre pour avoir tiré au sort le traitement d’un malade (histoire personnelle vécue) et où le seul mot de métaanalyse déclenchait la fureur de bon nombre des meilleurs esprits. Aujourd’hui, la Clinical Epidemiology des Anglo-Saxons, qui englobe toutes les méthodes permettant de pratiquer la recherche clinique, depuis l’épidémiologie descriptive jusqu’aux essais thérapeutiques en passant par la recherche des causes des maladies, est devenue la vraie science fondamentale de la pratique médicale en général et de la cardiologie quotidienne en particulier. Je voudrais en quelques exemples montrer l’étendue de ce progrès et ses évidentes limites.   Nous avons appris à vivre avec la notion de preuve Cent ans après Claude Bernard, les médecins ont commencé à admettre que la plupart des décisions diagnostiques et thérapeutiques pouvaient être modélisées et évaluées de façon à avoir la preuve de leur utilité ou de leur inutilité. Claude Bernard avait rationalisé la recherche expérimentale en imposant : 1. la définition préalable de l’hypothèse ; 2. la mise au point de l’instrument de mesure adapté à la question ; 3. l’analyse limitée à l’hypothèse initiale. Cent ans après, nous avons appris à faire de même : - à poser des questions pertinentes ; - à utiliser les méthodes correctes ; - à analyser les données suivant un plan défini à l’avance ; - à interpréter les résultats, rien que les résultats, mais tous les résultats. Nous savons dire quand un résultat est lié à la chance ou quand il est lié à un médicament, un facteur de risque, une intervention... Bref, nous avons appris à démontrer l’existence de relations de cause à effet et à savoir quelle est la force de cette relation.   De l’hypothèse à la preuve : quelques exemples   L’idée que le cholestérol puisse être une des causes de l’athérosclérose était une hypothèse tentante sur des arguments tirés de l’expérimentation animale et de l’anatomie pathologique humaine, et tout particulièrement des comparaisons de l’état artériel des pays à forte consommation lipidique par rapport aux pays exposés à la famine ou coutumiers d’une alimentation végétarienne. Il a fallu les études épidémiologiques correctement organisées (Framingham, bien sûr, mais aussi MONICA et bien d’autres) pour quantifier cette relation et découvrir que la relation entre cholestérol et infarctus du myocarde, mortel ou non, est linéaire et sans seuil. Puis il a fallu une dizaine d’essais thérapeutiques, faits avec les statines, pour montrer que cette relation découverte par les épidémiologistes existe aussi en thérapeutique ; chez les sujets à risque de mort coronaire supérieur à 5 % à 10 ans, tous les essais montrent que les statines font diminuer le risque d’infarctus du myocarde mortel ou non et ce, quel que soit le niveau de cholestérol de départ. Ainsi avons-nous cheminé en 50 ans des premières données de Framingham aux données récentes des études HPS et ASCOT qui démontrent la validité de l’hypothèse. Mais pendant ce temps, combien d’hypothèses sont tombées : - les antiarythmiques, préviennent les extrasystoles, ne réduisent pas la mortalité - et au contraire, les hormones comme les estrogènes ne réduisent pas le risque de maladie coronaire après la ménopause, - les antagonistes du calcium ne donnent pas plus d’infarctus du myocarde que les autres antihypertenseurs... Les médecins d’aujourd’hui savent faire la différence entre l’hypothèse séduisante et la preuve scientifique.   Faut-il pour autant baser la médecine sur les preuves scientifiques ?   Cette question est un objet d’agacement qui a remplacé les inquiétudes vis-à-vis des statistiques. Si la médecine est une série de recettes, quelle est la valeur ajoutée du médecin et a fortiori du professeur ? Cette polémique est vaine. La médecine fondée sur les preuves est volontiers présentée sous un jour réducteur, alors que ses promoteurs insistent sur le fait qu’il s’agit d’un ménage à trois : le malade, le médecin et les données scientifiques. Pour un malade donné, le médecin peut aujourd’hui aisément accéder aux données scientifiques concernant le diagnostic et le traitement de sa maladie. Le métier de médecin est de discuter avec le patient pour voir dans quelle mesure ces données scientifiques acquises dans des conditions expérimentales particulières sont applicables à la personne unique présente dans le cabinet de consultation. Le médecin doit connaître et/ou avoir accès aux données scientifiques, mais il sait bien plus de choses que cela. Il sait qui est le patient, ce qu’il a eu avant, comment il aborde la maladie, quelles sont ses expériences précédentes. Quant au malade, il sait de plus en plus de choses ; d’abord parce qu’il demande de plus en plus (n’êtes-vous pas frappés du nombre de patients qui essaient de comprendre leur ECG ?!), ensuite parce qu’il se documente auprès des autres patients et sur Internet, et enfin parce qu’il a conscience que c’est son droit. Bien entendu, il faut utiliser les preuves scientifiques pour faire de la médecine, mais la médecine est de plus en plus une proposition d’un médecin — en fonction d’une synthèse de données complexes — à un patient qui accepte ou refuse en fonction d’autres données complexes.   Où en sommes-nous dans notre pratique cardiologique ?   Pour ce qui est de l’utilisation de médicaments, à première vue ce n’est pas mal ! Encore faudrait-il savoir si ces produits sont utilisés dans les indications de l’AMM et là les choses se gâtent : les enquêtes de prescription des statines, de l’aspirine, du clopidogrel font apparaître des déviations par rapport aux indications. Certaines sont des anticipations d’évolutions probables de l’AMM, mais d’autres sont franchement moins défendables comme l’explosion de la prescription de statines chez les sujets très âgés — pour lesquels nous n’avons pas de preuve de l’utilité — ou la prescription de clopidogrel dans la prévention des thromboses veineuses. Enfin, on sait par les enquêtes de prescription à distance de l’infarctus du myocarde que les recommandations sont très bien suivies pour les antithrombotiques, bien pour les statines et médiocrement pour les bêtabloquants. Peu importe, toutes les tendances évolutives montrent qu’on va dans le bon sens et que, de plus en plus, ce sont les produits efficaces qui sont prescrits (en cardiologie qui est une spécialité très gâtée en termes d’essais thérapeutiques).   Est-on aussi scientifique en termes de méthodes interventionnelles ? Certes non. Nous souffrons du fait que l’évaluation des dispositifs médicaux n’est pas soumise aux mêmes niveaux d’exigence que le sont les médicaments. Cela aboutit au fait que nous croyons de bonne foi que les stents sont supérieurs au ballon, que les stents recouverts de sirolimus ou de paclitaxel sont supérieurs aux stents non recouverts, que le dernier stimulateur cardiaque vaut mieux que les précédents, alors que nous n’avons aucune preuve sérieuse de cela, même sur le moyen terme. Nous nous fions à des données à très court terme, analysées dans des conditions méthodologiques souvent bien peu satisfaisantes. Est-ce bien raisonnable ? Clairement non ! Les cardiologues qui ont quelques heures de vol ont vécu l’expérience des bioprothèses et se souviennent d’en avoir fait poser de nombreuses qu’il a fallu changer ensuite au prix d’une réintervention et de quelques mésaventures pénibles pour les patients. Pire encore, nous nous laissons emporter par des modes et des croyances ; aujourd’hui le principal argument pour utiliser les endoprothèses — et en particulier les endoprothèses actives — est que « les autres le font ».     Une médecine orientée ? Faisons-nous de la médecine fondée sur les preuves ou de la médecine orientée par les intérêts des industriels et des cardiologues ? La question doit être posée à cette époque où le service médical rendu est regardé de plus en plus près par nos gouvernants qui ont à gérer un certain trou de la sécurité sociale. La réponse est que nous faisons de la médecine fondée sur les preuves, mais que certaines preuves sont plus populaires ou plus popularisées que d’autres. L’accumulation des preuves en faveur des diurétiques thiazidiques dans le traitement de l’HTA s’est accompagnée de la disparition du marché du mieux évalué de tous : la chlortalidone (Hygroton®) !! Aujourd’hui, qui prescrit un diurétique thiazidique isolé comme traitement initial de l’HTA, comme cela est recommandé par de nombreux consensus ? Le nombre de prescripteurs de bêtabloquants dans cette même indication baisse de façon continue, alors que les preuves s’accumulent, montrant qu’aucune stratégie n’est clairement supérieure à la combinaison diurétiques + bêtabloquants. Il faut en être conscient, le choix que nous faisons dans les faits scientifiques est orienté par l’industrie pharmaceutique qui fait son travail et le fait fort bien. Un autre exemple est celui de la multiplication des scintigraphies myocardiques de contrôle chez les coronariens « stentés », asymptomatiques et ayant une bonne fonction VG. Ces examens aboutissent, dans un nombre non négligeable de cas, à des opacifications coronaires et des gestes de cardiologie interventionnelle qu’on aurait du mal à justifier en se basant « sur des preuves ». Mais nous avons des angoisses, les patients aussi, et nous avons le sentiment en étant actifs de contribuer à lever les angoisses en question. Nous manquons cruellement de preuves de l’utilité de ce type de raisonnement. Il faut réfléchir à tout cela car, demain, la visualisation des coronaires sans abord artériel va nous entraîner à des comportements de moins en moins basés sur les preuves et de plus en plus basés sur l’émotif.   En conclusion   L’utilisation de la médecine scientifique nous fait progresser énormément dans notre façon de pratiquer la médecine cardiologique de tous les jours. Nous devons encore progresser et nous garder des phénomènes de mode pour fonder effectivement notre pratique sur ce qui est démontré et non sur ce qui est séduisant. Ce discours a, je le sais, quelque chose de déplaisant, mais les cardiologues tiennent dans leurs mains l’avenir de l’aspect libéral de leur profession. Ou ils raisonneront aussi en fonction de la dépense, ou il arrivera à nos pratiques ce qui vient d’arriver aux médicaments : elles seront classées en fonction du service médical rendu et cotées (ou plutôt décotées) en fonction.

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