Publié le 03 avr 2007Lecture 12 min
Aujourd'hui et demain : le vieillissement cardiovasculaire
O. HANON, hôpital Broca, Paris
En raison de données démographiques, ces dernières années de nombreux travaux épidémiologiques et essais thérapeutiques se sont axés sur la prise en charge spécifique des maladies cardiovasculaires de la personne âgée. L’objectif de cet article est de faire une mise au point sur les particularités des maladies cardiovasculaires après 80 ans et leurs thérapeutiques actuelles comme à venir.
En France, l’espérance de vie à la naissance augmente : elle est actuellement en moyenne de 80,2 ans (76,7 ans pour les hommes et 83,8 ans pour les femmes). L’espérance de vie à 60 ans a, également, progressé en 50 ans pour atteindre aujourd’hui 26,5 ans pour les femmes (soit 7,7 ans de plus qu’en 1954) et 21,5 ans pour les hommes (soit 6 ans de plus qu’en 1954)(1). La proportion des personnes âgées au sein de la population ne cesse donc de croître et la progression des effectifs est d’autant plus marquée qu’il s’agit des groupes les plus âgés : ainsi, le nombre d’octogénaires va passer de 1 à 4 millions entre 2000 et 2050, et celui des nonagénaires de 100 000 à 700 000. Cet allongement exceptionnel de l’espérance de vie est essentiellement lié aux progrès de la lutte contre la mortalité, et en particulier à l’amélioration de la prise en charge des maladies cardiovasculaires (traitement de l’infarctus du myocarde [IDM], prévention primaire, prévention secondaire).
Malgré ces progrès, les maladies cardiovasculaires restent responsables des principales causes de mortalité des personnes âgées devant les pathologies néoplasiques (figure 1). Parmi les plus fréquentes, les cardiopathies ischémiques, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et les insuffisances cardiaques (IC) sont responsables de 75 % des décès d’origine cardiovasculaire. En outre, l’augmentation de la probabilité de survie après un infarctus du myocarde favorise, l’âge aidant, l’apparition d’une insuffisance cardiaque.
Figure 1. Principales causes de décès en France après 75 ans chez les hommes et les femmes.
Particularités des pathologies cardiovasculaires chez le sujet très âgé
Une gravité accrue
De façon générale, les maladies cardiovasculaires sont plus graves chez les personnes âgées dont le système cardiovasculaire a vieilli. Dans le registre de la Cooperative Cardiovascular Project(2) incluant 163 140 sujets âgés de plus 65 ans, la mortalité à J 30 près un IDM passait de 10 % entre 64-69 ans à 30 % après 85 ans. De même, la mortalité à 1 an était de 19 % entre 64-69 ans contre 55 % après 85 ans.
L’étude CRUSADE et le registre GRACE vont dans le même sens
Un manque de données fondées sur les preuves
Les sujets âgés sont sous-représentés dans les essais randomisés portant sur la prise en charge des pathologies cardiovasculaires, alors qu’ils représentent pourtant la majorité des patients traités. Par exemple, 40 % des IDM surviennent après 75 ans, pourtant la moitié des essais conduits entre 1996 et 2000 n’a inclus aucun patient de cet âge(3). Nous ne disposons donc que de très peu d’informations sur la population des plus de 80 ans. Les registres de morbidité constituent souvent le meilleur outil de suivi et d’évaluation des maladies cardiovasculaires chez la personne âgée.
Des atypies diagnostiques
Chez l’octogénaire, le diagnostic des maladies cardiovasculaires est souvent plus difficile à faire que chez les sujets plus jeunes(4). Cela s’explique par une symptomatologie et des signes cliniques souvent atypiques, trop souvent mis sur le compte de l’âge ou d’autres comorbidités. Ainsi, près de 70 % des IDM sont indolores après 85 ans, la symptomatologie étant alors dominée par une dyspnée ou des signes plus trompeurs (nausées, sueurs, vomissements, confusion, etc.). L’âge et la démence représentent les principaux facteurs prédictifs indépendants de présentation atypique.
De même, les signes cliniques habituels d’IC sont souvent absents chez l’octogénaire ou intriqués à d’autres pathologies. Ainsi, la dyspnée d’effort manque fréquemment chez les patients âgés peu mobiles. Certains signes classiques d’IC n’ont plus la même valeur diagnostique chez le sujet très âgé : les râles crépitants sont souvent retrouvés en dehors de toute pathologie cardiovasculaire, les œdèmes des membres inférieurs peuvent être liés à d’autres pathologies (malnutrition, insuffisance veineuse), la tachycardie manque souvent.
À l’inverse, des signes « gériatriques » non spécifiques tels que l’asthénie, la confusion, des troubles du comportement, des troubles du sommeil, des chutes, une perte d’autonomie peuvent parfois représenter la seule manifestation clinique d’insuffisance cardiaque chez l’octogénaire. Ces manifestations très variées, sont souvent à l’origine d’un retard diagnostique et thérapeutique.
Présence de comorbidités
La présentation clinique des maladies cardiovasculaires est d’autant moins typique et le pronostic d’autant plus sombre qu’elles surviennent chez des malades polypathologiques et fragiles. Les données épidémiologiques provenant d’un registre de 86 094 insuffisants cardiaques âgés de 85 ans vivant en institution(5) indiquent qu’un sujet sur trois présente au moins 6 pathologies associées à l’IC, avec une prévalence importante des troubles cognitifs (57 % des cas).
Évaluation gérontologique nécessaire
La présence des comorbidités chez l’octogénaire implique une prise en charge globale, qui nécessite une évaluation gérontologique en plus de l’examen cardiologique. Il s’agit d’une étape indispensable qui permet, par l’utilisation de tests simples, un dépistage rapide des pathologies associées, une évaluation de la dépendance du patient et de sa situation sociale.
La présence des facteurs vasculaires, en particulier l’hypertension artérielle, est associée au risque de déclin cognitif ou de démence.
Ainsi, les patients âgés avec des pathologies cardiaques sont à plus haut risque de troubles cognitifs que les autres. Les recommandations de l’HAS 2005(6) indiquent : « Une évaluation de la fonction cognitive est recommandée chez l’hypertendu de plus de 75 ans au moyen d’une échelle MMSE en raison du risque de survenue de démence et afin d’évaluer le risque de mauvaise observance du traitement ».
L’évaluation de l’autonomie se fait à partir de l’interrogatoire du patient et de son entourage. En pratique, on teste souvent 4 items(7) : l’utilisation du téléphone, des moyens de transport, la prise des médicaments et la gestion du budget.
Enfin, l’examen clinique recherche des signes de « fragilité » : troubles de la marche, chutes, dénutrition, dépression, isolement social qui sont corrélés à un plus mauvais pronostic. Une métaanalyse récente(8) indique, à partir des données de 33 essais randomisés contrôlés, une réduction de la mortalité ou des réhospitalisations chez la personne âgée, grâce aux prises en charge multidisciplinaires associant cardiologues, gériatres, infirmières, assistantes sociales, kinésithérapeutes…
Une sous-utilisation des médicaments recommandés chez le sujet âgé
Les personnes âgées de plus de 80 ans bénéficient moins souvent des médicaments cardiovasculaires recommandés (absence d’essai spécifique > 80 ans, comorbidités, la crainte d’un effet secondaire, etc. alors même que des données récentes indiquent un bénéfice de ces traitements, même après 80 ans.
La prévalence de l’HTA est de 70 % chez les personnes âgées de plus de 65 ans, mais seules 30 % d’entre elles sont bien contrôlées(9). La raison peut-être la plus importante de ce mauvais contrôle tensionnel n’est pas tant la mauvaise observance thérapeutique des patients que la réticence des médecins à traiter l’HTA et à renforcer le traitement comme il se doit, en raison du risque d’accidents iatrogènes et/ou de l’absence de conviction vis-à-vis du risque lié à l’HTA après 80 ans. Pourtant, les données récentes d’une grande métaanalyse(10), portant sur un million d’individus, ont montré que, quel que soit l’âge, même dans les tranches les plus élevées (80-89 ans), une pression artérielle élevée s’accompagne d’un risque significativement augmenté de mortalité par AVC et/ou par coronaropathie.
De même, la prescription des médicaments de l’insuffisance cardiaque est beaucoup moins suivie chez les personnes âgées. Dans Euro Heart Failure Survey(7), l’analyse de 2 780 octogénaires indique que les IEC et les bêtabloquants sont significativement moins souvent prescrits que chez les plus jeunes (figure 2). Dans ce travail, les IEC étaient utilisés dans 50 % des cas et les bêtabloquants dans 25 % des cas après 80 ans.
Figure 2. Prescriptions médicamenteuses chez les insuffisants cardiaques en fonction de l’âge d’après l’étude Euro Heat Failure Survey (n = 10 692).
Dans le même sens, il y a une sous-utilisation des médicaments recommandés dans l’insuffisance coronaire (tableau). En outre, le recours à la revascularisation par angioplastie est inversement proportionnel à l’âge.
Intérêt des traitements cardiovasculaires après 80 ans
La majorité des recommandations est extrapolée des preuves obtenues sur des populations plus jeunes. Néanmoins, certains travaux (essais thérapeutiques ou suivis de registres) chez les octogénaires ont suggéré un bénéfice des principales thérapeutiques au moins similaire à celui observé dans les populations plus jeunes (en cas d’HTA ou dans le cadre de la prévention secondaire).
Hypertension artérielle
Dans les années 70, l’élévation de la pression artérielle avec l’âge était considérée comme un « effet physiologique » du vieillissement. Depuis 1985, plusieurs essais chez les sujets de plus de 60 ans ont conduit à considérer l’élévation tensionnelle du sujet âgé comme un facteur de risque cardiovasculaire à part entière et que son traitement en diminuait les complications.
Des données récentes indiquent un effet bénéfique du traitement antihypertenseur même après 80 ans. Dans SCOPE, le traitement antihypertenseur permet de réduire le risque d’AVC au moins jusqu’à l’âge de 89 ans(11). Une métaanalyse(12) ayant regroupé les octogénaires montre que la baisse tensionnelle obtenue permet de diminuer significativement de 34 % la survenue des AVC et de 39 % celle de l’insuffisance cardiaque, en comparaison au placebo. L’étude « HYVET pilote »(13) et les résultats de l’étude SHEP vont dans le même sens.
Ces données nouvelles ont conduit l’HAS à indiquer dans ses recommandations 2005 : « Au-delà de 80 ans, les données actuelles, justifient l’intervention thérapeutique chez ces patients, en raison d’un bénéfice sur la prévention des AVC ».
Insuffisance cardiaque
La plupart des métaanalyses récentes soulignent que l’effet bénéfique des IEC et des bêtabloquants est constaté sans hétérogénéité, quel que soit l’âge. L’étude CONSENSUS (COoperative North Scandinavian ENalapril SUrvival Study) et l’étude SENIORS (Study of Effects of Nebivolol Intervention on Outcomes and Rehospitalisation in Seniors with heart failure) et les études de cohorte ont montré un bénéfice dans la population d’âge Ž 70 ans. Dans un essai(14) mené chez 11 942 insuffisants cardiaques âgés de 80 ± 8 ans, la prise d’IEC a été associée à une diminution significative de la mortalité à 5 ans de 41 % et l’utilisation des bêtabloquants s’est accompagnée d’une réduction significative de la mortalité de 28 %. Dans l’étude Euro Heart Failure Survey I, la mortalité hospitalière était réduite chez les octogénaires (âge moyen = 85 ans) de 40 % sous IEC et de 30 % sous bêtabloquants(7). L’effet favorable était observé avec de faibles doses d’IEC et/ou de bêtabloquants, suggérant un effet de classe plus qu’un effet de dose chez ces patients âgés.
Insuffisance coronaire
Les données des essais thérapeutiques chez les coronariens âgés sont similaires à celles observées chez les plus jeunes. En postinfarctus, chez des coronariens de 81 ans, un essai randomisé indique que l’utilisation de bêtabloquants réduit de 37 % la mortalité cardiaque(15). De même, le bénéfice des antiagrégants plaquettaires est constaté quel que soit l’âge.
Les études (HOPE, EUROPA) en faveur de la prescription des IEC chez les coronariens suggèrent aussi un bénéfice quel que soit l’âge. Les données épidémiologiques concordent avec ces résultats.
Deux grandes études d’intervention médicamenteuse ont évalué l’effet des statines chez des sujets âgés de plus de 75 ans, HPS(16) et PROSPER(17). Leurs résultats indiquent l'intérêt des statines en prévention secondaire des accidents vasculaires, essentiellement coronaires, chez des sujets à risque, relativement âgés, même lorsque les taux de cholestérol ne sont pas très élevés.
De même, dans les suites d’un syndrome coronaire aigu, l’étude PROVE-IT indique une réduction plus importante des événements cardiovasculaires chez le sujet âgé (OR = 0,60 ; 0,41-0,87) que chez le plus jeune (OR = 0,74 ; 0,59-0,92).
Enfin, une métaanalyse récente(18), regroupant 90 056 su-jets inclus dans 14 essais randomisés ayant étudié une statine, montre un bénéfice du traitement après 75 ans (réduction significative des événements coronaires majeurs de 12 %).
Au total, l’effet d’un traitement par une statine en prévention secondaire fait diminuer le risque cardiovasculaire, essentiellement coronaire ; au moins jusqu’à 82 ans. En revanche, l’instauration d’un traitement en prévention primaire n’est pas recommandée après 80 ans (AFSSAPS).
Enfin, bien qu’aucune étude n’ait évaluée de façon spécifique l’intérêt de l’angioplastie en phase aiguë de l’IDM chez l’octogénaire, une métaanalyse récente des essais randomisés19 souligne son bénéfice même après 80 ans en comparaison à la thrombolyse. Cette donnée est confirmée par plusieurs registres regroupés en métaanalyse, en faveur de « l’angioplastie phase aiguë » dans cette population.
Les études à venir
En raison des données démographiques, l’évolution de la recherche passe par la mise en place d’essais spécifiquement menés dans la population des personnes âgées. Plusieurs études ont été récemment publiées avec cet objectif concernant l’hypertension artérielle (SCOPE [70-89 ans], HYVET pilote [80-96 ans]), l’insuffisance cardiaque (SENIORS [70-95 ans] ou les dyslipidémies (PROSPER [70-82 ans]). D’autres travaux en cours seront bientôt disponibles avec comme objectif une meilleure compréhension et une meilleure prise en charge des pathologies cardiovasculaires chez la personne âgée.
L’étude HYVET (HYpertension in the Very Elderly Trial) est un essai randomisé, en double aveugle, mené chez l’hypertendu très âgé (> 80 ans) visant à démontrer le bénéfice du traitement antihypertenseur (indapamide ± perindopril vs placebo), sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaire à 5 ans. Le suivi de 2 100 hypertendus âgés de plus 80 ans est prévu, les résultats devraient être disponibles en 2008.
L’étude I-PRESERVED (Irbesartan in heart failure with PRESERVED systolic function) a pour objectif l’évaluation d’un traitement par l’irbésartan vs placebo dans l’IC à fonction systolique préservée ; 4 100 patients âgés de plus de 60 ans seront suivis 2 à 4 ans. Le critère principal de jugement est un critère combiné : mortalité totale ou hospitalisation d’origine cardiovasculaire. Les résultats devraient être disponibles fin 2007.
L’étude PRoFESS (Prevention Regimen for Effectively avoiding Second Strokes) évalue, en prévention secondaire de l’AVC, l’intérêt d’un traitement associant le telmisartan et un antiagrégant plaquettaire vs un antiagrégant plaquettaire seul, chez 20 000 sujets suivis 4 ans. En outre, une comparaison de deux stratégies antiagrégantes sera entreprise (dipyridamole + aspirine vs clopidogrel). Le critère de jugement sera la récidive d’un AVC.
D’autres travaux sont en cours afin de développer de nouvelles voies thérapeutiques pour la prise en charge de l’HTA chez la personne âgée, avec comme cibles la rigidité artérielle et la pression pulsée, via un mode d’action directe au sein de la paroi artérielle. Ainsi, des molécules capables de détruire les ponts glycogènes de la matrice extracellulaire pourraient avoir comme conséquence une amélioration de la distensibilité artérielle en diminuant la pression artérielle systolique sans diminuer la pression artérielle diastolique. La recherche de ces nouvelles classes d’antihypertenseurs pourrait aboutir à l’émergence de thérapeutiques spécifiques de l’HTA systolique du sujet âgé au cours des années à venir.
Les octogénaires : la future majorité des cardiaques ?
En raison des données démographiques, les octogénaires vont représenter la majorité des patients « cardiologiques » des années à venir. Pourtant, ils n’ont pas été inclus dans les essais thérapeutiques et il existe un manque crucial de données concernant spécifiquement les thérapeutiques cardiovasculaires après 80 ans.
Le défi des années à venir est la mise en place d’essais thérapeutiques dédiés à cette population afin de déterminer les modalités de prise en charge optimale. Pour l’instant, après 80 ans, bien que le risque cardiovasculaire soit majoré, toutes les études épidémiologiques indiquent une prise en charge insuffisante des pathologies cardiovasculaires, caractérisée par une sous-utilisation des médicaments habituellement recommandés chez le plus jeune. Pourtant, au cours des dernières années, plusieurs travaux ont suggéré un bénéfice des principaux traitements recommandés au moins similaire à celui observé dans les populations plus jeunes.
En pratique, les modalités thérapeutiques doivent reposer pour chaque individu non pas sur l’âge réel, mais sur une analyse individuelle qui prend en compte « l’évaluation gériatrique » du patient âgé (espérance de vie, qualité de vie, comorbidités, fragilité, risque iatrogène, etc.).
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