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Vasculaire

Publié le 06 juin 2006Lecture 9 min

Chez quels patients faut-il rechercher une sténose carotidienne systématique ?

F. BECKER, Université de Franche-Comté, Besançon

L’attitude à adopter face aux sténoses carotidiennes (SC) serrées symptomatiques fait quasiment l’unanimité depuis la publication des résultats des études NASCET en 1991 et ACST en 1998. En revanche, il en va tout autrement des SC asymptomatiques qui restent l’objet de débats.

Les risques   - Lederle, en pointe dans la prise en charge des anévrismes de l’aorte abdominale (ADAM study) rappelait, en 2003 que l’un des problèmes majeurs du dépistage est le risque de procédures inutiles (« of greater concern for patients with small AAAs detected at screening is the risk from unnecessary procedures »). - Barnett, l’un des pères de NASCET (North America Symptomatic Carotid Endarterectomy Trial), commentant la publication des premiers résultats de l’étude européenne ACST (Asymptomatic Carotid Surgery Trial) évaluant le bénéfice de la chirurgie des SC asymptomatiques (Lancet mai 2004), soulignait qu’au-delà de 3 % de morbi-mortalité opératoire « la chirurgie » devait être incluse à la liste des facteurs de risque d’AVC des SC asymptomatiques : « Carotid endarterectomy with any less skill than exhibited by ACST and ACAS surgeons quickly casts the procedure into the list of risk factors for stroke ». - A.-R. Naylor (département de chirurgie vasculaire, Leicester, Royaume-Uni) ajoutait, lui, une autre dimension en se demandant si le concept de « meilleur traitement médical » ne rend pas obsolète la chirurgie carotidienne. Ces propos récents sont au cœur de la problématique de la prise en charge des SC asymptomatiques et de leur dépistage : • sélectionner des populations et établir un diagnostic sûr en évitant les actes inutiles ou redondants, • établir un objectif clair de réduction des accidents vasculaires cérébraux (AVC) par sténose carotidienne au moindre risque iatrogène. La prise en charge moderne des SC étant très imprégnée de l’esprit de la médecine basée sur les preuves (evidence based medicine), il importe de rappeler quelques définitions avant d’envisager les enjeux du dépistage de SC asymptomatiques.   Définitions Sans autre précision, on entend par SC les sténoses athéroscléreuses de la bifurcation carotidienne proprement dite ou des deux à trois premiers centimètres de la carotide interne cervicale. Sont exclues : • les sténoses de la carotide primitive, • les sténoses de l’ACI cervicale haute sous la base du crâne, les sténoses intracrâniennes (siphon carotidien, sylvienne), • les sténoses limitées à la carotide externe, • ainsi que les sténoses non athéromateuses (dysplasie fibromusculaire, dissection, sténose radique, resténose postendartériectomie ou postangioplastie, etc.). Hémodynamiquement parlant, une sténose n’est significative qu’au-delà de 50 à 70 % de réduction de calibre. On parle de plaque non sténosante pour les lésions réduisant de moins de 50 % le diamètre luminal de l’artère et de sténose pour les lésions réduisant d’au moins 50 % le diamètre luminal. Dans toutes les études, les SC ont été estimées soit par rapport au diamètre in situ, le plus souvent celui du bulbe carotidien (mode européen ECST), soit par rapport au diamètre régulier de l’ACI en aval de la sténose (mode nord-américain NASCET). Dans les deux cas, c’est le plus petit diamètre de la sténose (d) qui est rapporté au diamètre intima-intima (D) du site de référence [(D-d)/D]. Le bulbe carotidien étant d’un calibre supérieur à celui de l’ACI post-bulbaire, les évaluations ECST et NASCET diffèrent. Un compte-rendu d’écho-Doppler ou d’artériographie doit impérativement spécifier le degré de SC en réduction de diamètre luminal (en %) en précisant le site de référence (figure). Figure. Sténose carotidienne vulnérable. Pièce d’endartériectomie carotidienne, prélevée en monobloc, présentée en section transversale. Plaque lipidique, cape fibreuse réduite, hémorragie intraplaque récente, érosion intimale. Sténose 85 % diamètre in situ. L’écho-Doppler couleur aujourd’hui, l’imagerie IRM demain, permettent de calculer le degré de sténose en rapport de sections au site de sténose maximal sur des coupes transversales. Mais ce mode de calcul, plus séduisant au plan de l’hydraulique : • n’est pas conforme aux études sur lesquelles sont basées les indications, • demande à être validé en multicentrique, en termes de fiabilité et de reproductibilité, bien que les corrélations versus pièces opératoires ou cadavériques, réalisées en monocentrique, soient bonnes sous réserve de réglage correct des gains. L’appréciation du caractère asymptomatique ou symptomatique d’une SC est purement clinique. Les SC asymptomatiques ont été définies dans ACAS (Endarterectomy for Asymptomatic Carotid Artery Stenosis) (JAMA 1995) comme sans antécédent cérébro-vasculaire dans le territoire carotidien homolatéral ou dans le territoire vertébro-basilaire et sans antécédent d’artère carotide interne (ACI) dans le territoire carotidien controlatéral dans les 45 jours précédents. Dans ACST (Lancet 2004), une SC asymptomatique était définie comme n’ayant causé ni AVC ni AIT ni aucun symptôme neurologique pertinent dans les 6 mois précédents. Un quart à un tiers des patients de ACAS avait des antécédents neurologiques sur le territoire cérébral controlatéral et 12 % des patients de ACST avaient des antécédents neurologiques homolatéraux datant de plus de 6 mois.   Histoire naturelle des sténoses carotidiennes asymptomatiques L’histoire naturelle des SC est très mal connue. La plupart des études souffrent de biais de recrutement et nous ne disposons pas d’études de forte puissance en population générale, selon des critères uniformes. Les quatre points suivants sont à considérer. La prévalence des SC. Selon les séries en population générale, chez les sujets > 65 ans, la prévalence des SC asymptomatiques > 50-70 % en réduction de diamètre varie de 1 à 6 % (Puja Stroke 1999, Joakimsen Stroke 2000, Niclot Rev Med Intern 2001). Toutes les études sont, en revanche, concordantes pour démontrer une augmentation nette de la prévalence des SC asymptomatiques avec : - l’âge (et à âge égal elles sont plus fréquentes chez l’homme), - l’existence et la sommation de facteurs de risque cardiovasculaires (tabagisme, HTA, diabète, dyslipidémie, antécédents familiaux cardiovasculaires), - l’existence d’autre(s) localisation(s), symptomatique(s) ou non, d’athérosclérose quel que soit le siège. La progression des SC. La progression des SC est, elle aussi, assez mal connue. On peut estimer qu’à 3 ans, 20 % des SC asymptomatiques auront progressé de façon significative (environ 5 % la première année puis 5 à 10 %). Le taux moyen de progression de ces SC serait de 15 % par an ; celle-ci semble plutôt aléatoire. Le risque d’AVC homolatéral à une SC asymptomatique. Même imparfaites, les études de suivi de lésions carotidiennes asymptomatiques montrent clairement que le risque d’AVC homolatéral à la SC est faible et qu’il ne devient « palpable » que pour des sténoses très serrées. Selon l’étude ACAS, le risque annuel d’AVC double entre moins et plus de 60 %-NASCET-ACAS (80 %-ECST), passant de 1,5 à 3 %. Ce faible risque doit encore être pondéré car la moitié de ces AVC sont homolatéraux à la SC et même dans ce cas, l’AVC apparaît plus vraisemblablement cardioembolique ou lacunaire que le fait de la SC (Inzitari, N Engl J Med 2000). Eu égard au risque d’AVC, il est important de comprendre que, si le risque d’AVC est augmenté, le risque d’AVC homolatéral à la SC asymptomatique et lié à cette SC est faible. La comparaison est éloquente avec les SC symptomatiques > 70 %-NASCET/ECST pour lesquelles le risque annuel spontané d’AVC est trois fois plus important et la survenue d’un AVC est essentiellement liée à la SC. Au total, si 80 % des AVC sont d’origine ischémique, 10 à 20 % des infarctus cérébraux sont le fait d’une SC (Zhu Stroke 1990, Hankey Lancet 1999, Bousser ARH Ile de France et Société française neurovasculaire, 2001, Coccheri Pathophysiol Haemost Thromb 2003). Le risque cardiovasculaire du porteur de SC. Toutes les études à caractère épidémiologique ou thérapeutique sur les plaques et SC asymptomatiques montrent de façon claire que le premier risque auquel sont exposés ces patients est le risque cardiovasculaire au sens large et ce quel que soit le degré de la plaque ou de la sténose. La SC asymptomatique est avant tout un marqueur de risque cardiovasculaire avec un risque de décès de cause vasculaire de 2 à 6 % par an, risque multiplié par 3 par rapport à une population témoin sans SC ; la cause du décès est 6 fois plus souvent cardiaque que cérébrale.   Quels patients considérer ? L’épidémiologie des SC asymptomatiques, leur place dans la problématique des AVC, la fragilité des données quant à une prise en charge spécifique, ne plaident pas en faveur d’un dépistage de masse des SC asymptomatiques. La question ne se pose réellement que pour des populations ciblées à prévalence assez élevée de SC serrée et susceptible de bénéficier d’un geste chirurgical préventif. Le dépistage se discute essentiellement chez les patients > 55 ans présentant une autre localisation d’athérosclérose (essentiellement artériopathie des membres inférieurs évoluée ou cardiopathie ischémique) ou des facteurs de risque vasculaire (surtout tabagisme actif et hypercholestérolémie). Il faut y ajouter tout sujet ou patient chez lequel un examen clinique classique découvre un souffle systolique, surtout s’il est piaulant, serratique ou systolo-diastolique feutré. Si l’on s’en tenait aux données strictes des études de coût-efficacité, le dépistage ne serait rentable que chez des populations à très haut risque, 20 à 50 % de prévalence de SC > 50 %, que l’on ne sait pas correctement définir en pratique clinique. Bien que cela soit pratiqué tous les jours, il n’y a pas de preuve d’efficacité du dépistage carotidien avant chirurgie dite « lourde » ou CEC en termes de réduction du risque d’AVC postopératoire homolatéral. Pour certaines chirurgies, comme la chirurgie de la cataracte, il est démontré que la recherche systématique préopératoire d’une SC n’a pas d’intérêt. Le grand âge mérite des précisions. Une limite d’âge, plus ou moins artificielle, à 80 ans, a été longtemps considérée en matière de chirurgie carotidienne ; cette limite tend à être repoussée à 90 ans… mais la discussion intéresse essentiellement les SC symptomatiques. Pour les SC asymptomatiques, il faut compter avec l’âge physiologique du patient en n’occultant pas le fait que les SC n’ont qu’une responsabilité mineure dans les AVC du sujet très âgé.   Quelles sténoses carotidiennes considérer ? Les études VA, ACAS, ACST ont clairement défini le degré de sténose comme un facteur majeur du risque d’AVC lié à une SC asymptomatique. Mais, au-delà de ce degré de sténose (> 60-70 % en réduction de diamètre/ACI d’aval), il apparaît de plus en plus nécessaire de reconnaître l’hétérogénéité des SC asymptomatiques. Le groupe des SC asymptomatiques, quasi définies par opposition aux SC symptomatiques telles que définies dans NASCET et ECST, comprend des SC : • sans aucun antécédent (ni clinique ni imagerie) d’accident ischémique cérébral (AIC), • avec anomalies hémodynamiques (altération du signal sylvien) ou signaux très brefs de haute intensité de type micro-embols (HITS) détectés en monitorage Doppler transcrânien, • avec séquelles d’ischémie focalisée asymptomatiques homolatérales en scanner ou en IRM cérébral (unilatérales ?, bilatérales ?), • avec symptomatologie non hémisphérique non focalisée, • avec antécédent d’AIC de l’hémisphère controlatéral, • avec antécédent de déficit mono-oculaire ou hémisphérique homolatéral datant de plus de 6 mois (6 mois à 1 an ?, > 1 an ?). Pour l’instant les études (de faible puissance il est vrai) n’emportent pas la conviction sur la nécessité de considérer des sous-groupes de SC asymptomatiques à surrisque, sauf peut-être pour les SC asymptomatiques avec détection de HITS homolatéraux à la SC. Il reste une place importante pour la décision médecin/patient au cas par cas.   En pratique   La sténose carotidienne athéroscléreuse est d’abord un puissant marqueur de risque cardiovasculaire et accessoirement un facteur d’accident ischémique cérébral homolatéral. Il est logique de rechercher une sténose carotidienne chez les sujets et patients > 55 ans présentant des facteurs de risque vasculaire, une autre localisation connue d’athérosclérose ou un souffle cervical systolique. L’objectif ne doit toutefois pas être perdu de vue : la recherche d’une sténose carotidienne se justifie par la recherche d’une sténose serrée, cause potentielle modeste mais curable d’AVC homolatéral à la sténose ; l’objectif de santé publique est la réduction du nombre total d’AVC. La recherche d’une sténose carotidienne implique, que du diagnostic au traitement spécifique, la « chaîne » soit sûre, que l’on soit convaincu que les examens inutiles ou redondants et le risque iatrogène plombent cette démarche. Si tel n’est pas le cas, le moindre risque pour le patient est sans doute obtenu avec la seule prise en charge médicale et médicamenteuse de l’athérosclérose, qu’une sténose carotidienne soit connue ou non. Une bibliographie sera adressée aux lecteurs sur demande au journal.

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