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Cardiologie générale

Publié le 20 sep 2011Lecture 5 min

Bilan cardiologique avant expatriation (sujet asymptomatique)

H. HOOREMAN, Taverny

Poser la question de l’aptitude cardiovasculaire à une expatriation peut paraître quelque peu incongru à une époque où les revues cardiologiques abordent quotidiennement des difficultés bien plus « sérieuses » : aspirine ou AVK ? Resynchroniser sur des critères échographiques ou électriques ? Fermeture ou non des FOP ? Stent actif ou nu ?…
Christophe Colomb (1451-1506), bon exemple d’expatrié, a probablement traversé l’Atlantique sans demander nulle autorisation médicale. On ne soulèvera pas le débat de savoir si son départ était plus ou moins risqué que celui de l’expatrié de 2011. En revanche, on a le droit de comparer la conquête de l’Amérique et celle de nouveaux marchés industriels (quelle différence, au fond ?), l’animation d’une bordée de matelots ou d’une équipe de commerciaux, ou encore la lutte contre de vrais pirates ou contre des virus informatiques, et les exemples peuvent se multiplier.
À y regarder de plus près, les deux points « clefs » de l’expatriation concernent à notre avis le rôle du stress, d’une part, celui de l’évaluation du risque d’incapacité subite, d’autre part.

Le stress Depuis l’étude Interheart (2004), le stress a été reconnu comme un facteur de risque majeur d’infarctus, en troisième position derrière les troubles lipidiques et le tabagisme, mais avant l’hypertension artérielle et le diabète. Si l’on admet que le stress est la réponse de l’organisme à une demande d’adaptation à une contrainte imposée de l’extérieur, il faut se rendre à l’évidence : l’expatriation est un exemple quasi expérimental de stress : culture et langage différents, déménagement, éloignement familial, peur de ne pas réussir son intégration, sans parler de l’éventuelle insécurité matérielle, sanitaire, administrative… On devine déjà l’intérêt qu’aura le cardiologue chargé de cette consultation d’aptitude à poser quelques questions sommaires mais indispensables d’évaluation du terrain « stressé », avec une mention particulière pour les contraintes de productivité et de temps sur lesquelles le sujet a peu de latitude de décision. Il en est de même du dépistage des traits de caractères de type A : esprit de compétition, impatience, hostilité, investissement exagéré dans le travail… À travers l’évaluation du risque d’incapacité physique, on ne peut bien entendu pas comparer un contrat avec la Communauté européenne à Bruxelles, une mission humanitaire en Afrique, une entreprise à redémarrer à Singapour, ou une permanence médicale aux Kerguélen ou aux Marquises… Même s’il s’agit dans chaque situation d’une « expatriation » avec son stress habituel, déjà mentionné, la situation d’isolement, d’éloignement, de climat, d’accès aux soins, etc. varie du plus bénin au plus dramatique, en cas de syndrome coronaire, de dissection artérielle, de phlébite, d’endocardite, d’accident neurovasculaire, etc. C’est donc nécessairement poser la question d’une possible perte de chance, corollaire du retard éventuel de prise en charge.   Comment mener la consultation en pratique ? Par analogie avec la consultation de non-contre-indication à la pratique du sport en compétition, chez un sujet asymptomatique (moins de 35 ans), il faut garder à l’esprit que l’examen clinique ne peut, à lui seul, dépister que 3 à 6 % des pathologies cardiovasculaires, avec un chiffre de 60 % si on lui adjoint un ECG de repos, qui est donc incontournable. L’ECG de repos permet entre autres un dépistage de plusieurs cardiopathies à risque : WPW, Brugada, QT long, parfois dysplasie arythmogène. On accordera une attention toute particulière à la repolarisation, dans l’hypothèse où risque éventuellement de se poser la question d’une prophylaxie antipaludéenne, connue pour allonger l’intervalle QT. L’ECG de repos peut néanmoins être pris en défaut, d’une part en cas d’expression phénotypique retardée d’une anomalie génétique (cardiomyopathie hypertrophique), d’autre part en cas de pathologies non forcément accessibles à un diagnostic de certitude clinique (anomalies de naissance des coronaires, valvulopathie débutante, bicuspidie et Marfan entre autres). La place de l’échocardiographie est bien entendu large, même si elle n’est pas systématique. Toujours par analogie avec la visite de non-contre-indication sportive, elle est évidemment impérative en cas d’antécédent de mort subite familiale ou de cardiopathie familiale transmissible (d’où la valeur capitale d’un interrogatoire orienté), d’anomalie physique ou ECG. Avec l’estimation du risque cardiovasculaire global, les investigations à proposer dans le cadre de la visite pré-expatriation vont être plus discutables. Le modèle européen SCORE, dérivé de l’étude de 200 000 individus de 11 pays européens suivis 13 ans, peut être utilisé. Il tient compte du cholestérol, de la pression artérielle et du tabac, mais non du diabète ni des antécédents familiaux, ni du surpoids, ni du stress, déjà envisagé plus haut, et pas davantage du terrain propice aux troubles du sommeil (SAS). Le gradient Nord-Sud est par contre pris en compte. Vouloir aller plus loin dans l’estimation du risque c’est poser la question du dépistage de l’athérosclérose infraclinique, avec des investigations de deuxième intention : – calcul de l’index de pression systolique : excellente accessibilité au point d’être presque une prolongation de l’examen clinique, bonne valeur prédictive de l’AOMI, avec une valeur seuil de 0,9 ; – le calcul de l’épaisseur intima-média : facilement accessible, valeur prédictive du risque l’AVC et d’infarctus reconnu, valeur seuil voisine de 0,9 mm ; la vitesse de l’onde de pouls occupe, à tort, une place réduite en raison de son manque de disponibilité, alors que la valeur seuil de 12 m/s est reconnue comme un bon marqueur de rigidité artérielle ; – la détermination du score calcique par scanner et les applications de l’IRM sont mal adaptées à un dépistage réaliste, dans le cadre d’une expatriation, essentiellement pour des raisons d’accessibilité et de coût.   Quelle est la place de l'épreuve d'effort ? Toujours par analogie avec le contenu de la visite de non-contre-indication du sportif, et en restant dans un contexte asymptomatique, on peut proposer la pratique d’un test d’effort de principe chez un patient porteur d’au moins 2 facteurs de risque en dehors de l’âge et du sexe, ou bien d’un seul facteur mais très marqué. En revanche, tous les cardiologues savent bien les limites du classique sous-décalage de ST, qu’il est illusoire de vouloir dépister dans ce cadre. Il est bien plus « rentable » de s’attacher aux critères indirects représentés par : – l’impossibilité d’atteindre au moins 85 % de sa FMT, – ou bien de la capacité physique prédite, – ou encore une récupération longue de la FC après l’effort. On peut sans doute évoquer ici aussi l’intérêt du profil tensionnel d’effort, comme probable prédiction d’une future HTA réelle, même si les recommandations thérapeutiques tensionnelles ne tiennent pas compte des mesures d’effort. Parmi tous ces indices, c’est sans doute la capacité physique qui dispose des bases les plus solides comme facteur prédictif de mortalité : les seuils critiques ont été établis à respectivement 9, 8 et 7 METS chez les hommes de 40, 50, et 60 ans, et 7, 6 et 5 METS, chez les femmes du même âge (Kodama). Néanmoins, tous ces indices dérivés de l’épreuve d’effort restent incapables de prédire le risque de rupture de plaque, phénomène complexe, sous des déterminants multiples, morphologiques, histologiques, physiques, biochimiques. Ce domaine reste très actuel, avec des recommandations non figées.   Après l'expatriation, le deuxième stress : celui du retour ! Le nombre de sites consacrés à l’aide au retour et notamment à ses aspects matériels, familiaux, administratifs, professionnels, témoigne bien de l’importance de cette deuxième contrainte. À en croire la presse spécialisée, 25 % des expatriés quittent leur entreprise dans les 2 ans qui suivent le retour, et 40 % seraient insatisfaits des conditions de ce dernier. Il est certainement utile de conseiller au futur expatrié de réfléchir, dès la mi-parcours, et au plus tard 6 mois avant le retour, aux conditions de ce dernier. Toutefois, il serait déplacé de ne voir dans l’expatriation qu’une épreuve, comportant des risques cardiologiques potentiels. Sans nier ces derniers, il est à notre avis indispensable d’adopter la même attitude que devant une demande de certificat d’aptitude sportive : examiner, informer, rassurer si possible, et enfin statuer. En restant optimiste le plus souvent possible. Christophe Colomb ne nous contredira pas.

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