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Cardiologie générale

Publié le 05 oct 2010Lecture 6 min

Comment évaluer la fonction rénale chez le sujet âgé ?

R. PEQUIGNOT, Hôpital de Saint-Maurice

L’évaluation de la fonction rénale chez le patient âgé est importante à double titre : d’une part parce que la simple lecture de la créatininémie n’est plus suffisante, ce qui nécessite des moyens plus complexes à mettre en oeuvre, d’autre part parce que l’insuffisance rénale étant beaucoup plus fréquente chez les sujets âgés, cet effort est bien plus nécessaire que chez les patients jeunes. La formule de Cockcroft résiste encore et toujours à ses concurrentes chez les patients très âgés, la formule MDRD pourrait être intéressante chez les sujets âgés en bonne santé, mais lorsque la mesure de la clairance doit être précise, seul un recueil urinaire par sondage de 24 heures apporte le renseignement pour une difficulté acceptable.

Les données du contexte Pourquoi la population hospitalisée vieillit plus vite que la population générale ? La gériatrie s’occupe de patients définis avant tout par leur polypathologie et accessoirement par leur âge (même si le seuil de 80 ans est le seul critère retenu par la logique comptable). Or, si les patients polypathologiques existent, c’est parce qu’ils ont survécu... à la monopathologie! Les progrès de la médecine ont également permis aux patients de survivre dans des conditions suffisamment proches de la normalité pour passer toujours moins de temps à l’hôpital. On ne reste donc longtemps hospitalisé que si on souffre de plusieurs pathologies déséquilibrées à la fois. Les cardiopathies sont celles qui ont bénéficié des progrès les plus spectaculaires depuis 20 ans. Ainsi, nous vivons de plus en plus longtemps, malgré les maladies, et nous sommes capables de vivre avec plusieurs maladies moyennant des passages hospitaliers lors de poussées d’une des pathologies, ou lors d’épisodes traumatiques. La moyenne d’âge et le nombre moyen de pathologies des sujets hospitalisés augmente donc plus rapidement que ceux de la population générale. Tous les spécialistes (hormis la pédiatrie et l’obstétrique...) sont donc désormais confrontés à la pratique gériatrique. Pourquoi est-ce important d’évaluer la fonction rénale chez les patients très âgés ? De nombreux médicaments sont éliminés au moins partiellement par voie rénale. Les antibiotiques, de nombreux antihypertenseurs, la digoxine (dont l’usage diminue heureusement), de nombreux psychotropes - on évitera toujours les neuroleptiques, mais les antidépresseurs sont une classe très utile - et bien sûr, les produits de contraste iodés, notamment utilisés pour les coronarographies. Chez le sujet jeune monopathologique, la fonction rénale est généralement normale. Au contraire, chez le sujet âgé polypathologique, l’insuffisance rénale est la règle. Plus du tiers des patients de plus de 80 ans hospitalisés présentent même une insuffisance rénale sévère. La question doit donc être traitée pour tout patient âgé. Pourquoi doit-on estimer la clairance pour évaluer la fonction rénale ? Chez le jeune, un coup d’oeil sur la créatininémie pour s’assurer qu’elle est dans les normes et à peu près égale au poids règle la question. Chez les sujets très âgés hospitalisés, on observe une diminution de la part de la masse musculaire dans le poids total, ainsi qu’une diminution du métabolisme musculaire, dont la production de créatinine pour un même poids de muscle : ce double phénomène aboutit à une diminution marquée – et très hétérogène d’un patient à l’autre – de la production de créatinine endogène. La créatininémie peut donc être normale chez des patients ayant à la fois une fonction rénale très altérée et une faible production de créatinine. Il est donc indispensable de poursuivre les investigations pour évaluer la fonction rénale et ne pas se sentir rassuré face à une créatininémie qui s’inscrit dans les normes. Quels sont nos outils ? Les mesures de clairance isotopique Ces méthodes basées sur l’injection et le recueil d’un radioisotope sont inutilisables en pratique gériatrique : l’incontinence fréquente et les troubles cognitifs, ainsi que la fragilité générale des patients empêchant leur transfert dans un laboratoire de médecine nucléaire doivent faire oublier cette possibilité sauf exception. Le « Gold standard » du patient jeune lui reste réservé... La clairance urinaire des 24 heures Elle reste la méthode de référence en gériatrie, puisque l’élimination glomérulaire de créatinine diminue proportionnellement à l’excrétion tubulaire. Mais elle impose un recueil précis et complet des urines de 24 heures : en pratique elle est inenvisageable en l’absence d’un sondage urinaire à demeure. Si le patient porte une sonde, elle est à privilégier, sinon, poser une sonde juste pour mesurer la clairance peut sembler trop invasif. Ceci pousse à utiliser des formules de calcul basées sur des paramètres plus faciles à obtenir. La formule de Cockcroft et Gault (CG) La formule plus que trentenaire est facile à calculer au lit du patient, au besoin en utilisant une réglette fournie par de nombreux visiteurs médicaux. Elle présuppose que la masse musculaire occupe le même pourcentage du poids total chez tous les sujets, et que la baisse de la production de créatinine est une fonction linéaire du temps qui tend vers zéro lorsque l’âge se rapproche de 140 ans. Enfin, elle implique une proportion stable dans le temps de la part de l’élimination de la créatinine par les glomérules (filtration) ou par les tubules (excrétion). Chez les sujets très âgés hospitalisés, le facteur (140-Âge) est trop sévère, mais le facteur Poids est trop clément. Enfin, contrairement aux insuffisances rénales dues à des maladies inflammatoires du glomérule, la néphroangiosclérose – qui représente l’immense majorité des étiologies d’insuffisance rénale du sujet âgé – atteint autant les glomérules que les tubules, ce qui préserve la validité de la formule. La formule de la MDRD Study Cette formule a été mise au point sur une population d’adultes de 18 à 70 ans insuffisants rénaux chroniques. Moins sévère avec le grand âge, elle ne tient pas non plus compte de la diminution de la masse musculaire chez les patients très âgés. Enfin, elle donne une clairance normalisée pour 1,73m², utile pour diagnostiquer une néphropathie, mais inappropriée pour décrire l’élimination d’un médicament. Il faut donc « dénormaliser » la clairance obtenue en la multipliant par la surface corporelle (SC) et en divisant par 1,73. On arrive donc à un degré de complication rebutant... Certains auteurs ont montré que les patients âgés en consultation étaient un peu mieux représentés par cette formule. Les études sur de grandes cohortes ont montré que plus on avançait en âge, plus la clairance MDRD augmentait par rapport à la clairance CG, atteignant le double chez les centenaires... La formule à 6 paramètres incluant l’urée et l’albumine est un peu meilleure mais n’apporte pas d’avantage sur la formule de Cockcroft dans cette population alors qu’elle est considérablement plus difficile à obtenir. Comment choisir ? Quelle précision est requise ? S’il s’agit d’adapter une dose de bêta-lactamine, une formule de calcul est suffisante. De même, s’il s’agit simplement de vérifier qu’un patient est très largement au-dessus d’un seuil critique pour un médicament. Par contre, si on veut avoir une estimation précise de la clairance, soit que l’ajustement de la dose thérapeutique soit cruciale, soit que le patient apparaisse par les formules très proches d’un seuil critique (par exemple : 27 ou 34 ml/min), alors il faudra préférer une mesure de la clairance urinaire. Quel patient âgé ? Chez le patient âgé de consultation, avec une activité physique conservée, c’est peut-être la formule de MDRD qui donne les meilleurs résultats, mais CG sera proche. Au contraire, comme nous l’avons démontré chez le sujet très âgé hospitalisé, seule la formule de Cockcroft et Gault est valide, MDRD amenant généralement à une surestimation marquée de la fonction rénale. Chez un patient très dénutri et sarcopénique - par exemple un patient grabataire - les deux formules surestiment la clairance : CG peut doubler les chiffres, MDRD les tripler. Il est donc indispensable dans ce cas de recourir à une mesure de la clairance urinaire par sondage de 24 heures. En pratique Le vieillissement des patients est un succès de la médecine, la « gériatrisation » des patients hospitalisés est aussi une conséquence du succès de l’efficacité hospitalière. Elle impose cependant à chacun d’entre nous de faire face à ces patients polypathologiques. La mesure de la fonction rénale est l’un des défis quotidiens qui illustrent cette évolution démographique. Schéma illustrant les valeurs respectives des formules Cockroft & Gault et MDRD en fonction de l’âge. En bleu : la zone où se retrouve la majorité des clairances des sujets âgés bien portants. En jaune : la zone où se retrouve la majorité des clairances des sujets âgés fragiles. Le trait gras en bleu montre les résultats moyens rendus par MDRD. Le trait gras en vert montre les résultats moyens rendus par Cockcroft et Gault. 

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