Publié le 23 mai 2006Lecture 8 min
Conduite à tenir devant une hypercholestérolémie chez l'enfant
J.-P. GIRARDET, Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques, hôpital Armand-Trousseau, Paris
Jusqu’à une période récente les hypercholestérolémies (HC) de l'enfant étaient volontiers négligées car elles se limitent généralement à des anomalies biologiques isolées sans conséquence clinique à cet âge. Cependant, une meilleure connaissance de l'histoire naturelle de l'athérosclérose ainsi que l’accumulation de données épidémiologiques révélant chez des adultes jeunes la très forte morbi-mortalité cardiovasculaire associée à certaines HC héréditaires incite à modifier cette attitude.
Hypercholestérolémie de l'enfant : facteur de risque cardiovasculaire prématuré
Plusieurs études ont permis de préciser les risques d'accidents cardiovasculaires prématurés associés aux HC de l’enfant, en particulier chez les sujets porteurs à l'état hétérozygote d'une HC familiale (HF).
Hypercholestérolémie familiale pure
L’HF est une maladie héréditaire transmise sur le mode autosomique dominant, responsable d’une HC pure, généralement > 300 mg/dl, qui s’exprime dès l’enfance et qui est due à une diminution de l’activité des récepteurs du LDL-cholestérol. Le gène codant pour le récepteur du LDL-cholestérol est unique, localisé sur le bras court du chromosome 19. Dans sa forme hétérozygote, la prévalence de l’HF dans la population générale est de 1 sur 500.
L’HF est également une maladie grave. Les travaux de J.-L. Goldstein et M.-S. Brown ont révélé que, chez les sujets hétérozygotes, la probabilité de morbidité coronarienne avant l’âge de 50 ans est de 20 % chez les femmes et de 50 % chez les hommes. L’augmentation du risque coronarien prématuré chez ces sujets a été confirmée par l’étude britannique du Simon Broome Register Group qui montre que le risque de mortalité coronarienne avant l’âge de 40 ans est multiplié par 125 chez les femmes hétérozygotes et par 48 chez les hommes comparativement à la population générale.
Autres hypercholestérolémies monogéniques
D'autres formes d'HC héréditaires monogéniques dominantes s'exprimant dès l'enfance s'accompagnent également d'un risque vasculaire élevé. Tel est le cas notamment de la déficience familiale en apolipoprotéine B100, due à une mutation unique (Arg3500Gln) du gène de l’Apo B, dont la prévalence dans la population générale française est de l'ordre de 1/1 200. C'est également le cas d'autres dyslipidémies héréditaires dont on ignore encore le ou les gènes responsables, telles la dyslipidémie combinée familiale dont la pénétrance chez l’enfant est cependant moins élevée que les précédentes et l’expression phénotypique plus variable.
La prévention du risque coronarien associé à ces HC héréditaires monogéniques à expression pédiatrique justifie donc leur dépistage dès l’enfance. C’est, en effet, dès cet âge que peuvent commencer à se constituer à bas bruit les lésions d’athérome.
L’athérosclérose est un processus qui débute tôt dans la vie
Les stries lipidiques qui constituent la lésion élémentaire de l’athérosclérose ont été observées sur l’intima de l’aorte d’enfants décédés à partir de l’âge de 3 ans. Dès cet âge, la constitution de ces lésions est favorisée par l’existence d’une HC.
Les lésions d’athérome se développent ensuite progressivement et de façon silencieuse pendant toute l’enfance, comme le révèlent les anomalies de la fonction artérielle mises en évidence dès l’âge de 11 ans par échographie à haute résolution chez les enfants atteints d’HF hétérozygote.
L’ensemble de ces données montre que l’HC est responsable, dès l’enfance, de lésions athéromateuses pouvant conduire à une ischémie myocardique précoce, et qu’elle est associée à un risque accru de morbidité et de mortalité coronarienne prématurée à l’âge adulte. L’importance de ce risque est clairement précisée pour les formes héréditaires monogéniques transmises sur le mode autosomique dominant qui s’expriment très tôt au cours de l’enfance.
L’objectif de la prise en charge d’un enfant hypercholestérolémique sera par conséquent de diagnostiquer, de traiter et de surveiller de façon régulière ces formes monogéniques particulièrement athérogènes de dyslipidémies héréditaires.
Modalités pratiques de la prise en charge
La prise en charge d’une HC chez l’enfant doit permettre de confirmer l’HC et évaluer le degré de l’hyper LDL-cholestérolémie ; d’affirmer son caractère héréditaire, puis de la traiter et de la surveiller.
Confirmer l’hyper LDL-cholestérolémie
(tableau 1)
Deux contrôles espacés de l’EAL de quelques semaines devront être réalisés avant de débuter tout traitement.
Rechercher la transmission héréditaire de l’hypercholestérolémie
Après avoir affirmé le caractère primitif de l’HC en recherchant les symptômes ou les affections susceptibles de se compliquer d’hypercholestérolémie secondaire (tableau 2), l’enquête familiale permet de reconnaître les hypercholestérolémies à transmission dominante (un des deux parents et la moitié des frères et sœurs ayant une hypercholestérolémie) ; elle permet aussi de rechercher des antécédents cardiovasculaires prématurés chez les parents ou les grands-parents.
Au terme de ce bilan, on peut distinguer :
Les hypercholestérolémies monogéniques à transmission dominante :
- soit pures, entrant dans le cadre d’une hypercholestérolémie familiale par défaut des récepteurs du LDL ou d’une déficience familiale en apolipoprotéine B ;
- soit mixtes (l’hypertriglycéridémie ne pouvant s’exprimer qu’à l’âge adulte et n’étant alors trouvée que chez les parents) entrant dans le cadre d’une dyslipidémie combinée familiale.
Les hypercholestérolémies polygéniques : le LDL-cholestérol y est souvent moins élevé que dans les formes précédentes et, surtout, on ne retrouve pas dans la famille les caractéristiques spécifiques d’une transmission mendélienne stricte. Le profil biologique des parents et de la fratrie est variable.
Le bilan clinique recherche également des facteurs de risque cardiovasculaires associés, tels que : une obésité, une hypertension artérielle et, chez l’adolescent, un tabagisme ou la prise de certains médicaments tels que des œstroprogestatifs ou des trétinoïnes.
Traiter l’hypercholestérolémie
Le traitement diététique.
Il existe un consensus pour recommander dans un premier temps un traitement diététique à tous les enfants ayant une HC confirmée, quel que soit le mécanisme et le niveau de cette HC.
Il existe également un consensus concernant les modalités du traitement diététique qui ne doivent en aucun cas donner lieu à un régime restrictif mais reposent sur des recommandations d'équilibre alimentaire limitant les apports en acides gras saturés et en cholestérol, encourageant la consommation d'aliments riches en fibres et en antioxydants, et veillant à maintenir des apports caloriques correspondant aux besoins pour l'âge. Le traitement diététique doit être poursuivi au moins 6 mois avant d’évaluer son effet et d’envisager un éventuel traitement médicamenteux.
Les indications du traitement médicamenteux.
Les indications d’un traitement médicamenteux restent pour l’instant limitées aux enfants porteurs d'une des formes d’HC héréditaire monogénique dominante dont on connaît le risque élevé d'accidents cardiovasculaire prématurés.
Il se dégage à l’heure actuelle un accord pour débuter un traitement médicamenteux uniquement après 6 mois à 1 an de traitement diététique bien conduit, lorsque le taux de LDL-cholestérol reste > 190 mg/dl.
La discussion porte principalement sur l'âge à partir duquel le traitement médicamenteux doit être institué :
• 10 ans pour le National Cholesterol Education Program,
• 8 à 9 ans pour d'autres auteurs,
• plus jeune, dès 5 ou 6 ans, dans notre expérience lorsqu'il existe d'autres facteurs de risque, en particulier des antécédents cardiovasculaires prématurés chez des apparentés au 1er degré.
Les médicaments hypocholestérolémiants utilisés en pédiatrie.
En cas d'indication à un traitement médicamenteux, le médicament de première intention chez l'enfant est la colestyramine (Questran®). En effet, son site d'action localisé dans la lumière intestinale où elle fixe les sels biliaires et interrompt leur cycle entéro-hépatique, ainsi que son absence d'absorption intestinale limitent les risques d'effets indésirables. Par ailleurs, la colestyramine possède une efficacité démontrée sur la concentration plasmatique de LDL-cholestérol et son utilisation déjà ancienne permet d’affirmer son absence de retentissement à long terme sur la croissance.
Toutefois, la colestyramine est susceptible d’interférer avec l’absorption de nombreux autres médicaments et de diminuer l’absorption des vitamines liposolubles, ce qui justifie de lui adjoindre de façon systématique une supplémentation en vitamine D. Celle-ci doit être prescrite à la dose quotidienne de 800 à 1 200 UI, et administrée, comme tout autre médicament associé, à distance de la prise de colestyramine afin de limiter les risques de malabsorption.
Il est habituel de commencer le traitement par 1 ou 2 sachets de 4 grammes par jour, puis d’adapter la posologie en fonction du résultat obtenu. Il est de bonne règle de surveiller une fois par an les concentrations des vitamines liposolubles sériques et de folates érythrocytaires.
- Les fibrates n’ont pas fait l’objet d’études contrôlées en pédiatrie.
- En revanche, l’efficacité et la tolérance des statines ont fait l’objet au cours de ces dernières années de plusieurs études randomisées contre placebo sur de larges populations d'enfants âgés de 8 à 17 ans. Ces études montrent non seulement la bonne tolérance à court et moyen termes des inhibiteurs de l'HMG-CoA réductase ainsi que leur efficacité sur le taux de LDL-cholestérol, mais ont également permis de mettre en évidence une amélioration des anomalies de la fonction artérielle observées chez les enfants atteints d’HF hétérozygote. Ces médicaments sont donc susceptibles d'être prescrits chez l'enfant en relais de la colestyramine lorsque celle-ci se révèle insuffisamment efficace ou mal tolérée. Il persiste cependant une incertitude sur leur tolérance à long terme qui incite à ne pas les prescrire en première intention et à assurer une surveillance soigneuse à la fois clinique (de la croissance et de la puberté) et biologique (des transaminases et de la CPK).
Il est logique d'utiliser la pravastatine qui est la seule des molécule de ce groupe disponible en France à avoir fait l'objet d'une étude contrôlée chez l'enfant. La posologie initiale est de 10 mg par jour en une prise le soir, cette dose pouvant être augmentée à 20 mg après 4 semaines en fonction de l'évolution de la cholestérolémie et de la tolérance.
- Parmi les autres médicaments, il faut surtout mentionner les stérols végétaux ou phytostérols. Ce sont des composés naturels, dont la structure est très proche de celle du cholestérol et qui inhibent son absorption intestinale. La consommation de margarines enrichies en stérols végétaux (sitostérol et sitostanol) permet, selon certaines études, une baisse de 7 à 8 % du LDL-cholestérol plasmatique.
- Enfin, dans tous les cas, il faut insister sur les effets bénéfiques de l’exercice physique et ne pas négliger le traitement ou la suppression des autres facteurs de risque cardiovasculaire que sont l’obésité, l’hypertension artérielle et le tabagisme chez l’adolescent.
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