Publié le 31 mai 2005Lecture 5 min
De quoi est mort le soldat de Marathon ?
A. CASTAIGNE, hôpital Henri Mondor, Créteil
On connaît l’image d’Épinal – pour ne pas dire la légende – du soldat Philippides, qui, devant annoncer la victoire des Grecs sur le champ de bataille de Marathon, eût à courir 42 kilomètres pour rejoindre Athènes et mourut en arrivant. L’hypothèse commune est qu’il mourut de déshydratation aiguë.
Cette hypothèse est renforcée par des paroles attribuées à ce très endurant soldat qui avait déjà fait l’aller-retour Athènes-Sparte à la course (500 km) ; Philippides aurait en effet déclaré à ses chefs qu’il courrait jusqu’à Athènes sans s’arrêter, fût-ce pour boire ! Une perte d’eau excessive peut entraîner une hypernatrémie aiguë qui « pompe » l’eau du secteur intracellulaire et aboutit à une nécrose cellulaire ; cependant cette situation est rigoureusement exceptionnelle en physiologie, même dans les sports extrêmes. En revanche, une perte d’eau et de sel à peu près isotoniques au plasma, comme lors d’une sudation extrême, peut entraîner une déshydratation globale avec une natrémie normale et un poids effondré. Faute d’avoir pesé le soldat de Marathon, au départ et à l’arrivée de ce premier marathon, ce scénario paraissait plus plausible.
Plusieurs données ont amené à revoir cette idée simpliste
des cas cliniques de sujets décédés après un marathon, qui faisaient état d’une hyponatrémie profonde et de signes cliniques d’hyperhydratation cellulaire à type d’œdème cérébral voire d’œdème pulmonaire non-cardiogénique.
des observations itératives faites dans les déserts américains dans les périodes de très grande chaleur ; les gardes de ces parcs sont habitués à voir des gens, pourtant bien pourvus en bidons d’eau, fort hypotendus et hyponatrémiques.
une étude faite sur les coureurs du marathon de Boston : 488 coureurs qui ont accepté une prise de sang sitôt la ligne d’arrivée franchie. Parmi eux, 62 coureurs (13 %) avaient une natrémie < 135 mmol/l, dont 3 < 120 mmol/l. Lorsque l’on compare ces 62 coureurs aux 426 autres, on trouve quelques différences notables. La différence la plus impressionnante est que 71 % des sujets avec une hyponatrémie ont terminé le marathon avec un poids supérieur à leur poids de départ alors que ce n’est le cas que de 29 % des sujets ayant une natrémie normale. Les autres différences sont, vous l’aviez deviné, que les sujets hyponatrémiques ont bu plus et plus souvent que les sujets ayant une natrémie normale. La durée de course des hyponatrémiques a été de 4 h 12 minutes alors qu’elle n’était que de 3 h 42 minutes pour les sujets ayant une natrémie normale. Enfin 60 % des hyponatrémiques sont des femmes, contre 30 % de la population des normonatrémiques.
Interprétation des hyponatrémies
Arrêtons-nous une seconde sur la signification des hyponatrémies pour qu’il n’y ait pas d’erreur d’interprétation par la suite.
Une hyponatrémie est le symptôme d’une hyperhydratation intracellulaire : le sodium est le principal cation plasmatique, le support principal de l’osmolarité plasmatique. Toute baisse de la natrémie s’accompagne d’une baisse de l’osmolarité et d’une fuite d’eau vers le secteur cellulaire. À l’inverse l’hypernatrémie est un signe de déshydratation intracellulaire. Ces données de base sont souvent oubliées.
Du moins en théorie, on peut devenir hyponatrémique par deux moyens :
la perte de plus de sel que d’eau ; dans ce cas le poids baisse, mais la sudation, même extrême, ne peut pas provoquer cela et cette hypothèse est très peu probable ;
l’administration de quantités excessives de fluides hypotoniques, donc en hydratant un sujet avec plus d’eau que de sel ; dans ce cas le poids augmente.
C’est bien ce qui se passe dans le cas des marathoniens qui perdent une certaine quantité d’eau et de sel pendant la course et se réhydratent avec des solutés habituellement hypotoniques.
Cette étude permet donc de dire que certains coureurs de marathon arrivent à une véritable intoxication par l’eau à la fin de leur course et à une hyperhydratation intracellulaire qui peut être majeure et a pu, dans certains cas, être mortelle.
D’où vient l’erreur ?
Mais comment se fait-il qu’on puisse être à ce point déréglé qu’on ingère des quantités excessives d’eau sans en avoir besoin ?
Il faut probablement en chercher la raison dans les manuels de jogging et autres revues qui aident les marathoniens à se préparer à l’événement sportif de l’année ou de leur vie. Il faut avoir participé à ces épreuves d’endurance pour connaître cet appétit pour la littérature qui décrit la préparation idéale. Dans ces manuels, il était, jusqu’à il y a deux ans, recommandé de rester « en avance sur sa soif » et donc de boire souvent et même sans avoir soif : 75 % des hyponatrémiques de Boston buvaient tous les 1,6 km. Dans d’autres sports d’endurance, comme le vélo, la possibilité de boire fréquemment n’est pas donnée aux participants, mais au cours d’un marathon, et particulièrement pour les coureurs dont la principale ambition est de terminer, les occasions de boire un peu sans s’arrêter, voire abondamment en s’arrêtant sont nombreuses ; il en va de même lorsqu’on marche en climat hyperthermique dans les parcs désertiques américains.
Les auteurs de cet article publient une superbe droite reliant le risque d’être hyponatrémique avec la variation de poids durant le marathon. Un sujet qui perd 4 kg a un risque quasi-nul d’hyponatrémie alors que, chez ceux qui ont pris 3 kg pendant la course, 7 sujets sur 10, étaient hyponatrémiques.
De quoi est donc mort le soldat de marathon ?
Aurait-il bu à toutes les fontaines, d’une hyponatrémie mais ce serait lui faire injure ; le malheureux restera, pour la postérité et pour sa gloire, bien mort d’une vraie déshydratation.
Il en va donc des conseils concernant la boisson pendant le marathon comme des conseils que l’on donnait, il y a 30 ans aux parents auxquels on conseillait de faire dormir leurs nourrissons sur le ventre pour éviter la mort subite du nouveau-né. Aujourd’hui on les fait dormir sur le dos exactement pour le même motif.
On disait aux marathoniens de boire trop et, depuis les travaux de Boston, on en arrive à un conseil intéressant : il est souhaitable, au cours d’un effort de plus de 4 heures, de perdre un peu de poids pour éviter de mourir d’une intoxication par l’eau ! Quelle horreur ! C’est décidé, je ne bois plus que du vin…
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