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Vasculaire

Publié le 05 sep 2006Lecture 8 min

Découverte de plaques de la crosse de l'aorte : quelles conclusions pratiques ?

P. LAVALLÉE et P. AMARENCO, hôpital Bichat, Paris

L'infarctus cérébral (IC) est une maladie fréquente et grave. Chaque année en France, elle touche entre 60 000 et 120 000 personnes. C’est la première cause de handicap et la troisième cause de mortalité après les cancers et les maladies cardiaques.

L'IC peut être la conséquence de maladies très différentes dont les plus fréquentes sont : • l’athérosclérose des artères cérébrales, • l’artériolopathie intracérébrale • les sources cardiaques d’embolie (dont la fibrillation auriculaire principalement). D’autres sources d’embolies cérébrales non-décelables par les techniques de détection des causes fréquentes se doivent d’exister car, dans près de 40 % des cas, malgré des investigations poussées, la cause de l’IC n’est pas retrouvée.   Relation entre infarctus cérébral et plaque de la crosse de l’aorte La crosse de l'aorte, artère précérébrale, peut être le siège de plaque d’athérosclérose. Une rupture de plaque d’athérosclérose située sur la crosse de l'aorte en amont de l'origine de l'artère sous-clavière gauche pourrait ainsi se compliquer d’un IC par migration d’un embole, une hypothèse étayée par de nombreuses études dans les années 90. L'échocardiographie transœsophagienne (ETO) est actuellement la seule méthode validée pour détecter les plaques de la crosse. Les principales limites sont le caractère opérateur-dépendant de la technique, l’existence d’une zone aveugle due à l'interposition de la bronche souche gauche et souvent d’une réticence de certains cardiologues à réaliser cet examen chez des patients âgés. L'imagerie haute résolution par résonance magnétique est en train de se développer et permettra certainement de pallier ces limites.   Études cas-témoins Localisation de la plaque. En 1992, l’étude autopsique de 500 patients consécutifs du laboratoire de neuropathologie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière a montré que les plaques ulcérées de la crosse de l'aorte étaient beaucoup plus fréquentes chez des patients ayant été atteints d’une maladie cérébrovasculaire que chez ceux ayant été atteints d’une autre maladie neurologique (28 vs 5 %) et chez des patients avec infarctus cérébral inexpliqué que chez ceux dont la cause était connue (61 vs 28 %). La présence de ces plaques n'était pas nécessairement liée à celle d'une sténose carotide ou d'une fibrillation auriculaire, ce qui suggère un possible lien causal avec l’IC ; 97 % des patients avec plaque ulcérée étaient âgés > 60 ans. Épaisseur de la plaque. Entre 1991 et 1996, plusieurs études cas-témoins, utilisant l’ETO, ont montré que la présence d’une athérosclérose sévère de la crosse de l’aorte définie principalement par une épaisseur de plaque ≥ 4 ou 5 mm était significativement plus fréquente chez des patients avec IC (14,4 à 48 %) que chez les sujets témoins (2 à 22 %) (tableau 1). Amarenco et coll. ont étudié le risque d’IC en fonction de l'épaisseur et de la localisation de la plaque chez 250 patients consécutifs âgés > 60 ans admis à l'hôpital pour un IC et 250 sujets témoins. Le risque était d'autant plus élevé que les plaques étaient plus épaisses. Cette forte augmentation du risque n'a été observée que pour les plaques ≥ 4 mm situées en amont de l'ostium de l'artère sous-clavière gauche, et non pour celles situées en aval de celui-ci. Là encore, cette relation était indépendante de la présence des deux causes majeures d’IC du sujet âgé, la sténose de l'origine de l'artère carotide interne et la fibrillation auriculaire. Les plaques > 4 mm d'épaisseur mais aussi la présence d'une composante mobile (figure 1) au sein de la plaque étaient plus fréquentes dans le groupe de patients dont l'IC était de cause inexpliquée. Figure 1. Plaque d’athérosclérose sur la crosse de l’aorte (flèche blanche), compliquée d’un thrombus (flèche jaune), réalisant un aspect en bâton de cloche. Autres critères. Outre l’épaisseur de la plaque, d’autres critères échographiques plus subjectifs, donc moins reproductibles, ont été associés au risque d’IC. L’existence d’une « ulcération » sur la plaque (cratères ≥ 2 mm de profondeur et de largeur) a été retrouvée, par Stone et coll., comme plus fréquentes chez les patients dont l'IC était inexpliqué (39 %) que chez les autres (8 %) ou encore que chez les témoins (7 %). Di Tullio et coll. ont observé des résultats similaires. Dans l'étude FAPS (Felodipine Atherosclerosis Prevention Study), les calcifications et l'irrégularité de la surface des plaques étaient indépendamment associées à l'IC, mais l'épaisseur des plaques restait le paramètre morphologique le plus fortement associé.   Études prospectives : quel est le risque associé à la présence de plaques sur la crosse de l’aorte ? Les patients ayant eu un IC et présentant de volumineuses plaques sur la crosse de l’aorte ont un risque de récidive important. Outre le risque cérébral, le risque d’infarctus du myocarde et d’embolie périphérique est particulièrement élevé (tableau 2), ce qui suggère que la présence de plaques ≥ 4 mm d'épaisseur de la crosse de l'aorte est avant tout un excellent marqueur d'une athérosclérose particulièrement sévère et généralisée. Après un IC, en présence d’une plaque d’athérosclérose ≥ 4 ou 5 mm, le risque d’IC est d’environ 12 % à 1 an et le risque cumulé d’IC, d’infarctus du myocarde et d’embolie périphérique de 26 à 30 % à 1 an. Dans l'étude FAPS (331 patients admis à l'hôpital pour un IC ont été suivis entre 2 et 4 ans), les plaques ≥ 4 mm étaient significativement prédictrices de récidive d’IC, indépendamment de la présence d'une sténose carotide, d'une fibrillation auriculaire et d'une artérite des membres inférieurs. Les autres paramètres morphologiques (irrégularité de surface, calcification, aspect hypoéchogène suggérant la présence d'un thrombus) ne semblent pas avoir une valeur pronostique supérieure. En revanche, la valeur pronostique des plaques ≥ 4 mm non calcifiées était bien supérieure au seul paramètre « épaisseur de plaque ≥ 4 mm ». Comme toute lésion athéroscléreuse, les plaques de la crosse ont un potentiel évolutif. Montgomery et coll. ont observé chez 33 patients pendant un an 24 % de décès et, lors d'une seconde ETO, les lésions les plus sévères s'étaient modifiées : formation d'une nouvelle composante mobile dans 61 % des cas, disparition d'une lésion mobile constatée à l'examen initial dans près de 70 % des cas. Ces plaques peuvent même exceptionnellement évoluer vers la formation d’un volumineux anévrisme susceptible de se rompre (figure 2). Figure 2. Anévrisme ulcéré de la crosse de l’aorte. Homme de 70 ans hospitalisé en 1996 pour un IC. L’ETO montrait une plaque de 4 mm sur la crosse. Récidive d’IC en 2003, l’angioscanner montre un volumineux anévrisme de la crosse de l’aorte. Quelle prévention secondaire en cas d’IC associé à une athérosclérose sévère de la crosse de l’aorte ? Le pronostic vasculaire des patients ayant un IC et une athérosclérose de la crosse aortique est particulièrement péjoratif sous monothérapie antiplaquettaire ou anticoagulante. Aucune stratégie thérapeutique spécifique n’a été testée dans ce groupe de patients, et l’usage fait que beaucoup de ces patients reçoivent un traitement anticoagulant oral, au motif qu’un matériel thrombotique (parfois mobile ou flottant) est observé en imagerie ultrason, avec une morbidité non évaluée à ce jour mais certainement élevée chez ces patients âgés > 60 ans le plus souvent. D’autres utilisent un traitement antiplaquettaire en monothérapie ou bithérapie (clopidogrel et aspirine) ou encore, plus rarement, proposent une endartérectomie sous CEC. L’étude de Nyu a évalué rétrospectivement, chez 519 patients, l’incidence de la récidive d’IC et d’embolie périphérique chez des patients présentant une athérosclérose sévère de l’aorte thoracique. Il n’y a pas eu de randomisation et les traitements évalués ont été l’aspirine, les anticoagulants et les statines. Chaque patient prenant l’un de ces traitements a été apparié sur l’âge, le sexe, un antécédent d’embolie, l’hypertension artérielle, le diabète, l’insuffisance cardiaque et la fibrillation auriculaire à un autre patient ne prenant pas ce traitement. Au cours du suivi, il y a eu 111 événements emboliques chez 21 % des patients. L’analyse de survie a montré que les anticoagulants et l’aspirine n’avaient pas d’effet protecteur et que les statines réduisaient le risque de 61 %. Pourtant, il est intéressant de noter que les plaques d'athérosclérose ≥ 4 mm (vs 1 à 3,9 mm ou pas de plaque) sont très fortement associées à l'intoxication tabagique et à l'artérite des membres inférieurs, et non à l'hypercholestérolémie ni à l'hypertension artérielle. Définir des stratégies thérapeutiques basées sur des éléments de preuve, et non sur l'expérience des uns ou des autres dans un total empirisme devient urgent. L’analyse des résultats de l’étude ARCH (Amiodarone Reduces CABG Hospitalization), essai séquentiel ouvert, randomisé, contrôlé, international, qui compare l’efficacité et la tolérance de deux stratégies thérapeutiques, l’association aspirine + clopidogrel versus warfarine (INR entre 2 et 3) chez les patients qui ont une athérothrombose de l’aorte thoracique et un événement embolique récent (< 6 mois) cérébral, rénal, splénique ou mésentérique permettront probablement de définir la meilleure stratégie.   Conclusion   Les plaques d’athérosclérose de la crosse de l’aorte ≥ 4 mm d'épaisseur sont très fréquemment retrouvées en cas d’IC. Elles sont observées chez un tiers des patients qui ont un IC « inexpliqué », qui eux-mêmes représentent un tiers de la totalité des infarctus cérébraux dans une population de patients consécutifs âgés > 60 ans. Le risque attribuable des plaques ≥ 4 mm, c'est-à-dire leur part étiologique, est de 12,6 %. Cela signifie que la part étiologique des plaques de la crosse de l'aorte ≥ 4 mm d'épaisseur pourrait être aussi grande que celle de la fibrillation auriculaire ou la sténose carotide (> 70 % chez les sujets > 60 ans). Elles sont associées à un pronostic vasculaire cérébral mais également cardiaque et périphérique particulièrement sévère. Il n’y a pas actuellement de traitement préventif spécifique. Le traitement antithrombotique, association aspirine + clopidogrel versus warfarine est en cours d’évaluation. Le strict contrôle des facteurs de risque est indispensable avec surtout l’arrêt du tabac, un traitement par statine, de même que le contrôle de la pression artérielle. Le clinicien devra être particulièrement attentif à l’existence de signes d’appel de souffrance coronaire ou d’artérite des membres inférieurs.   Points forts   Les plaques d’athérosclérose de la crosse de l’aorte ≥ 4 mm d’épaisseur sont fréquemment retrouvées en cas d’infarctus cérébral de cause inconnue chez des patients > 60 ans. Elles sont associées à un risque très élevé de survenue d’infarctus cérébral, d’infarctus du myocarde et d’embolies périphériques. Elles pourraient être la cause de l’infarctus cérébral par mécanisme embolique mais également le témoin d’une athérosclérose généralisée sévère. Le traitement n’est pas actuellement codifié. L’étude ARCH, testant l’efficacité de l’association thérapeutique aspirine + clopidogrel versus warfarine permettra sûrement de répondre à cette question.

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