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Diabéto-Cardio

Publié le 18 mai 2010Lecture 9 min

Faut-il réaliser un test d'ischémie myocardique chez le patient asymptomatique avec un diabète de type 2 ?

P.-V. ENNEZAT, F. MOUQUET, E. TISON, P. ASSEMAN, Centre Hospitalier Régional et Universitaire, Clinique du Bois (FM), Clinique de la Louvière (ET), Lille

L'incidence et la prévalence du diabète de type 2 sont en pleine expansion (2,5 millions en France, 17 millions aux États-Unis en 2007) ; la population des patients diabétiques est sur le point d'atteindre 330 millions de personnes dans le monde en 2025. On assiste également à une "épidémie" de l'obésité favorisée par une sédentarité croissante et une alimentation désastreuse administrée dès l'enfance (prolifération de l'alimentation discount, soda, utilisation massive de l'huile de palme et du sel, des graisses hydrogénées, etc.).

Le diabète est associé à une majoration du risque cardiovasculaire démontrée dans maintes études. De plus, les taux de mortalité par infarctus du myocarde (IDM) ou accident vasculaire cérébral (AVC) sont, eux aussi, augmentés par le diabète, ce qui souligne la nécessité d’une prévention primaire des maladies cardiovasculaires chez les diabétiques de type 2. Pour chaque augmentation de l’HbA1c de 1 %, le risque relatif de décès est de 1,24 chez l’homme et 1,27 chez la femme. La maladie coronaire est la principale cause de mortalité (65 à 80 %) chez les patients diabétiques alors qu’environ 20 % des patients diabétiques ont une maladie coronaire diagnostiquée au cours de leur vie. De plus, les études autopsiques montrent que 75 % des patients diabétiques ont une athérosclérose coronaire de haut grade. Le risque de développer une maladie coronaire pour une femme atteinte d’un diabète de type 2 est de 5,1 x le risque de la femme non diabétique et le risque de l’homme diabétique 2,4 x celui de l’homme non diabétique. Quel est le véritable risque cardiovasculaire du diabétique ? Des données contradictoires Les résultats de l’étude finlandaise d’Haffner et coll. (figure 1 d’après N Engl J Med 1998) ont suggéré que le diabète confère un risque d’IDM chez les diabétiques sans antécédent d’IDM (durée moyenne du diabète de 8 ans, durée moyenne du suivi 7 ans) équivalent à celui des patients non diabétiques ayant un antécédent d’IDM. On a donc considéré que la présence d’un diabète place d’emblée le sujet dans une situation de prise en charge de type prévention secondaire. Néanmoins, la comparaison à des études réalisées dans d’autres pays, après celle d’Haffner, a montré qu’en Finlande, la population des patients diabétiques sans antécédent cardiovasculaire était à ultra-haut risque avec 15 % de décès cardiovasculaires, 20 % d’IDM et 10 % d’AVC à 7 ans. Par exemple, la mortalité cardiovasculaire liée au diabète est 5 fois plus basse en France qu’en Finlande. Les données d’Haffner et coll. ont été également tempérées par l’étude québécoise de Dagenais et coll. (CMAJ 2009) qui a comparé, dans une population « saine » (sélectionnée en 1974 parmi des hommes âgés de 35 à 64 ans, 49 ans en moyenne) sur une durée de suivi de 24 ans, à la fois l’incidence du diabète et celle des événements cardiovasculaires comprenant syndromes coronaires aigus (SCA) et AVC (figure 2). Après une durée moyenne de diabète de 5 ans, le risque des patients diabétiques devient non différent de celui des patients non diabétiques ayant présenté un événement cardiovasculaire. Figure 1. Haffner et coll. Figure 2. Dagenais et coll. Ischémie myocardique silencieuse, une spécificité du diabétique L’ischémie myocardique chez les patients diabétiques est plus souvent asymptomatique (en raison de la neuropathie associée et de la sédentarité favorisée par la vie moderne !) et ne devient cliniquement décelable qu’à un stade plus avancé de la maladie coronaire comparativement au patient non diabétique. Ainsi, pour un même sous-décalage du segment ST à l’effort, l’angor est 3 fois moins fréquent chez le diabétique comparativement au non diabétique. Il faut donc s’efforcer de rechercher d’autres signes fonctionnels que l’angor. Cliniquement, l’existence d’une dyspnée d’effort témoigne souvent d’une maladie coronaire plus diffuse et parfois d’une dysfonction ventriculaire gauche à l’effort. La dyspnée est ainsi un signe de plus mauvais pronostic que l’angor (lorsqu’il est présent). La dysfonction érectile du diabétique a également été corrélée avec la présence d’une ischémie myocardique silencieuse (Gazzaruso et coll. Circulation 2004). Sur le plan biologique, une étude a montré la présence d’une ischémie myocardique silencieuse dans 50 % de cas lorsque l’HbA1c est ≥ 7,6 % contre 28 % lorsque l’HbA1c est < 7,6 % (DeLuca et coll. Am J Cardiol 2005). L’ischémie myocardique silencieuse : une prévalence éminemment variable La prévalence de l’ischémie myocardique silencieuse dans la population diabétique (par définition chez le patient asymptomatique sans angor ni dyspnée) est très variable (14 à 59 %) selon les études ; toutes (mise à part l’étude DIAD) sont rétrospectives et par conséquent « entachées » d’un biais de sélection. Cette variabilité est également expliquée par les performances diagnostiques différentes selon la méthode utilisée pour la recherche de l’ischémie et le niveau de risque de la population étudiée (probabilité pré-test). Il faut également souligner que les performances annoncées des tests diagnostiques sont à prendre avec précaution. Par ailleurs, la méthodologie de la plupart des études incorpore intrinsèquement un biais de vérification (workup bias). En effet, lorsque la décision de réaliser le test de référence (c’est-à-dire la coronarographie qui attestera d’une coronaropathie) est influencée par le résultat du test lui-même (soit un test d’ischémie positif), on introduit un biais puisqu’on sélectionne de facto un sous-groupe de patients à plus haut risque. Par conséquent, la sensibilité du test est surestimée et sa spécificité sous-estimée. Par exemple, la sensibilité et la spécificité de l’épreuve d’effort sont d’environ 70 %/70 % lorsque la coronarographie est guidée par la positivité de l’ECG d’effort, alors qu’elles sont respectivement de 45 %/85 % lorsque la coronarographie est réalisée quel que soit le résultat de l’épreuve d’effort (Froelicher et coll. Ann Intern Med 1998). Des résultats similaires (baisse significative de la sensibilité et augmentation de la spécificité) sont retrouvés pour l’échocardiographie d’effort (Roger et coll. Circulation 1997) et la scintigraphie myocardique (Miller et coll. Am J Med 2002) en tenant compte du biais de vérification. Le pronostic de l’ischémie myocardique silencieuse : des résultats cohérents Quelle que soit la méthode utilisée pour détecter l’ischémie myocardique, les résultats sont cohérents et mettent en évidence une augmentation du risque de morbi-mortalité cardiovasculaire chez les diabétiques dont le test est anormal en comparaison avec les patients diabétiques dont le test d’ischémie est normal. L’ECG d’effort est considéré comme le moins performant en termes de sensibilité et de spécificité mais il apporte, au-delà des modifications du segment ST, des informations sur la capacité fonctionnelle et la cinétique de décroissance de la fréquence cardiaque qui apparaissent comme des éléments pronostiques. La littérature utilisant les méthodes scintigraphiques est la plus abondante sur ce sujet. L’étude DIAD est la dernière d’entre elles. L’étude DIAD (Detection of silent myocardial Ischemia in Asymptomatic) Diabetic subjects, JAMA 2009) est la première étude d’intervention randomisée multicentrique contrôlée visant à évaluer le dépistage systématique de la maladie coronaire asymptomatique chez des diabétiques de type 2 âgés de 50 à 75 ans. Les patients étaient randomisés en deux groupes : « dépistage » ou « non-dépistage ». Les patients symptomatiques, ou ayant un antécédent d’IDM, d’insuffisance cardiaque ou de revascularisation coronaire étaient exclus. Le test utilisé était la scintigraphie myocardique Tc-99m sestamibi sensibilisée par l’adénosine. En revanche, la prise en charge consécutive au dépistage n’était pas systématisée. Le critère principal d’évaluation était la survenue d’un décès cardiaque ou d’un infarctus du myocarde. Le calcul d’effectif de l’étude était basé sur un taux d’événements cardiovasculaires prédit de 5 à 10 % à 5 ans (très différent et inférieur à celui observé dans l’étude d’Haffner et coll.) et une réduction des événements de 20 % dans le groupe « dépistage » comparativement au groupe « non-dépistage ». L’âge moyen était de 60 ans, la durée moyenne du diabète de 8,5 ans (HbA1C moyenne 7,1 %) et 60 % des patients avaient plus de 2 facteurs de risque associés au diabète. Le taux d’ischémie silencieuse dans le groupe « dépistage » (n = 522) était de 22 % avec seulement 6 % de défects de perfusion modérés à sévères (> 5 % du myocarde). Le taux d’événements constaté à 4,8 ans a été de 3 % dans le groupe « nondépistage » et de 2,7 % dans le groupe « dépistage » (p = 0,73). Les traitements pharmacologiques ne différaient pas entre les groupes et finalement le nombre de coronarographies, qui différait dans les 3 mois suivant le screening (0,5 versus 4,4 %), a été similaire à la fin du suivi (12 versus 14 %). On retrouvait, à l’instar des études précédentes rétrospectives, une corrélation entre le degré d’anomalies à la scintigraphie et le pronostic (figure 3). Cette étude, malgré une faible puissance, suggère que l’incidence et la sévérité de l’ischémie myocardique sont modestes dans une population de patients diabétiques bien traités (HbA1c à 7 %, et donc à bas risque) et que le dépistage systématique n’améliore pas leur pronostic. Les équations surestiment le risque. De plus, les communications récentes du congrès de Montréal (International Diabetes Federation 2009 World Diabetes Congress) suggèrent que les équations dérivées des modèles Framingham (datant des années 70) ou UKPDS surestiment le risque cardiovasculaire des cohortes contemporaines de patients diabétiques. Par exemple, lorsqu’on analyse 7 000 patients enrôlés dans l’essai randomisé ADVANCE, ces équations surestiment le risque cardiovasculaire à 4 ans jusqu’à près de 300 % (Dr Kengne, University of Sydney, Australia). Dans une autre cohorte de 900 patients diabétiques, les équations Framingham et UKPDS prédisaient un risque d’événement coronaire de 10 % à 5 ans alors que le risque observé était de 6,8 % (Dr Kofinis, National University of Athens, Greece). Une des explications du défaut de ces équations de risque est que l’IMC moyen, qui n’est pas pris en compte dans ces équations, était de 28 kg/m2 alors qu’il est actuellement de 33-34 dans la population générale nord-américaine. En outre, les statines sont largement prescrites dans les populations diabétiques. Ainsi, la recherche d’ischémie myocardique dans une population de patients diabétiques à bas risque (anciennenté du diabète < 10 ans, HbA1c < 7 %) est probablement inutile. Ce, d’autant plus que, selon la technique utilisée, la quantité d’irradiation cumulée par les patients n’est pas négligeable et qu’il existe une probabilité non nulle de cancers radioinduits (Fazel et coll. N Engl J Med 2009). Figure 3. Étude DIAD. Après la détection de l’ischémie myocardique silencieuse ? La prise en charge après un examen de dépistage positif reste mal définie. L’efficacité du traitement médical préventif prenant en charge l’ensemble des facteurs de risque a été validée par de nombreuses études randomisées. En revanche, la réalisation d’une coronarographie suivie d’une revascularisation systématique par angioplastie ou par pontage n’a pas été validée par une médecine fondée sur les preuves (evidence-based medicine). Ce chapitre pourrait faire l’objet d’un article entier. En pratique Rechercher des signes indirects témoignant d’une ischémie sous-jacente et notamment la dyspnée d’effort et donc vérifier que le patient est réellement asymptomatique ; le patient luimême minore la plupart du temps ses symptômes et s’adapte à sa maladie en s’autolimitant progressivement dans sa vie quotidienne. Contrôler au maximum les facteurs de risque cardiovasculaire associés au diabète (tabagisme, hypertension artérielle, hypercholestérolémie, activité physique, etc.) : le bénéfice de ces actions de prévention primaire ou secondaire a fait l’objet de preuves irréfutables. L’utilisation des examens, irradiants ou non, doit être basée sur des indications cliniques justifiées et réservée aux patients à haut risque. Néanmoins les recommandations ALFEDIAM restent basées sur un consensus d’experts et non pas sur des études randomisées (encadré) Le bénéfice du traitement systématique et immédiat par revascularisation de l’ischémie myocardique silencieuse chez un patient diabétique asymptomatique reste mal démontré, même dans le contexte préopératoire (études COURAGE, BARI 2D, CARP, etc.).

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