Risque
Publié le 11 nov 2008Lecture 6 min
Fréquence cardiaque : quel rôle dans le continuum du risque cardiovasculaire ?
D. LOGEART, Hôpital Lariboisière, Paris
De nombreuses études épidémiologiques ont montré qu’une fréquence cardiaque élevée au repos est associée à une augmentation du risque cardiovasculaire, notamment à celui de mort subite mais aussi à celui d’événements coronaires aigus. La FC est donc certainement un marqueur du risque, reflétant notamment le tonus sympathique dont les effets potentiellement délétères sont bien connus. Par ailleurs, une fréquence cardiaque élevée pourrait avoir en soi un effet délétère, par aggravation de la rigidité artérielle, de l’athérosclérose ou encore par altération des conditions de travail d’un ventricule défaillant.
Fréquence cardiaque : prédicteur de mortalité
De nombreuses études épidémiologiques ont montré avec cohérence, une relation positive entre la fréquence cardiaque (FC) et la mortalité. Malgré l’importance des preuves accumulées, ce simple paramètre clinique reste peu pris en compte dans l’évaluation du risque.
Chez les sujets sains
L’étude la plus connue est celle de Framingham. Dans une cohorte de 5 070 adultes de moins de 65 ans suivis pendant 30 ans, la FC de repos était positivement corrélée aux risques de décès « toute cause », de décès cardiovasculaire et de décès d’origine coronarienne. Ce lien statistique, plus marqué pour le risque de mort subite, était indépendant des autres facteurs de risque cardiovasculaire.
Une étude française financée par la Sécurité sociale et la CNAM a enrôlé 25 000 individus à l’occasion d’un bilan de santé au Centre d’investigations cliniques et préventives de Paris ; avec un suivi de près de 20 ans, les FC les plus élevées y étaient associées à une augmentation de la mortalité chez les hommes. L’excès de mortalité cardiovasculaire était essentiellement d’origine coronarienne.
Après ajustement sur les autres facteurs de risque, l’augmentation du risque de décès cardiovasculaire était de 40 % pour une augmentation de 20 battements/min. L’étude Prospective de Paris a enrôlé 7 746 fonctionnaires, de sexe masculin avec un suivi de 23 ans : une relation positive entre la FC de repos et la mortalité a également été mise en évidence après ajustement sur les autres facteurs de risque. La force de cette association n’apparaît clairement que pour la mort subite (risque augmenté par 3,8 entre le plus haut et le plus bas quintiles de FC).
Chez les patients hypertendus, coronariens ou insuffisants cardiaques
Une FC élevée est associée à une mortalité plus importante dans diverses populations de sujets à risque. Dans la cohorte d’hypertendus du Centre d’investigations cliniques et préventives de Paris, une association positive avec la mortalité a été montrée avec un risque relatif autour de 2. Dans une cohorte de 24 900 patients coronariens stables, suivis pendant 14,7 ans, la FC de repos était prédictive de la mortalité totale et de la mortalité cardiovasculaire, avec un risque relatif de 1,30 après ajustement sur de multiples covariables.
Très récemment, l’étude BEAUTIFUL – comparaison du procoralan au placebo chez 10 917 coronariens avec FEVG altérée – a fourni de nouvelles preuves de ce lien statistique dans le groupe placebo : les patients ayant une FC supérieure à la médiane (70/min) avaient un risque nettement plus élevé de décès CV (+ 34 %), d’événements coronaires aigus (+ 46 %) ou d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque (+ 53 %) comparativement à ceux ayant une FC < 70/min.
Dans l’insuffisance cardiaque avérée, plus spécifiquement, une analyse de l’étude CIBIS2 (essai comparant le bisoprolol au placebo) montrait une augmentation graduelle de la mortalité avec les tertiles de FC à l’inclusion (9 % à 1 an pour une fréquence < 72/min contre 14 % pour une fréquence > 84/min).
Marqueur ou acteur du risque cardiovasculaire ? Mécanismes physiopathologiques
Lorsqu’elles pointent une association entre un paramètre clinique ou biologique et un risque, les études épidémiologiques débouchent fréquemment sur ce dilemme : « marqueur ou acteur du risque ». Un support physiopathologique évident permet alors de soutenir l’idée que ce paramètre est un véritable acteur. Pour ce qui est de la FC, ce rationnel physiopathologique existe mais apparaît complexe tant la FC est liée à d’autres phénomènes agissant eux-mêmes directement sur le système cardiovasculaire (activité sympathique, système nerveux autonome, taille du cœur, poids corporel, etc.).
Fréquence cardiaque : marqueur de l’activité sympathique
Il existe une corrélation positive entre la FC et le niveau de pression artérielle (systolique surtout). Dans la cohorte du Centre d’investigations cliniques et préventives de Paris, les hommes hypertendus non traités avaient une fréquence ≥ 85/min dans 21,3 % des cas contre seulement 4 % chez les non-hypertendus. Une corrélation plus faible existe entre FC et triglycéridémie, glycémie, voire cholestérolémie. Une relation existe aussi avec le poids (relation positive) et le degré d’activité physique (relation négative). Cela suggère que les patients ayant une FC élevée ont un profil à haut risque.
Divers arguments plaident pour que le lien unissant ces différents facteurs de risque soit une hyperactivité du système sympathique ; celle-ci est incriminée dans la genèse de l’hypertension artérielle essentielle et induit une insulinorésistance, une dyslipidémie, etc. La FC serait alors un marqueur du déséquilibre de la balance du système nerveux autonome. Rappelons que c’est le risque de mort subite qui apparaît le mieux corrélé à l’augmentation de FC. L’analyse récente de la base de données Prospective de Paris va dans ce sens : la FC de repos mais également son degré d’accélération à l’effort puis de récupération, témoins du fonctionnement du système nerveux autonome, étaient fortement corrélés au risque de mort subite.
Fréquence cardiaque, rigidité artérielle et athérosclérose
Les lésions de la paroi artérielle (modifications des fibres élastiques notamment) sont dues à la force des contraintes s’y exerçant. Le niveau de pression artérielle moyenne définit un niveau basal de contrainte, l’amplitude de la pression pulsée et la FC définissent le niveau et la fréquence des contraintes cycliques. Il existe une relation positive entre la rigidité artérielle (dont la pression pulsée est un reflet) et la FC ; cette dernière est un déterminant important de la progression de la rigidité artérielle chez l’hypertendu. Concernant l’athérosclérose coronaire, une autre étude longitudinale de Benetos et coll. montrait une majoration de l’incidence de la maladie coronaire d’environ 40 % chez les hommes ayant une FC de repos > 90/min. Une étude rétrospective allemande a aussi montré qu’une FC > 80/min était un prédicteur de rupture de la plaque coronaire.
Fréquence cardiaque et fonction cardiaque
La FC est un déterminant de la fonction ventriculaire en agissant directement sur le rapport entre les besoins et les apports énergétiques myocardiques. En effet, la FC est un déterminant essentiel de la consommation en O2, aux côtés de la contractilité et de la masse ventriculaire. D’autre part, la FC module le temps de perfusion diastolique et donc l’importance du flux coronaire notamment aux couches sous-endocardiques et ce, d’autant plus qu’il existe une altération de cette perfusion (sténose coronaire, hypertrophie ventriculaire). On comprend aisément l’effet anti-angineux ou anti-ischémique d’un ralentissement de la FC.
Par ailleurs, il existe une relation fréquence-contractilité (effet Bowditch). L’importance du remplissage ventriculaire – et donc le volume télédiastolique – est en partie déterminée par la durée du remplissage, c’est-à-dire par la FC ; une FC élevée peut diminuer significativement ce volume ventriculaire en cas d’altération de la relaxation. À noter qu’une FC très ralentie peut accroître le remplissage au prix d’une élévation exagérée de la pression de remplissage en cas de ventricule peu distensible.
Enfin, la FC interagit avec le couplage VG-aorte : l’augmentation de la FC augmente la pente de l’élastance artérielle, et peut ainsi altérer le couplage et l’efficacité du travail mécanique du ventricule. Il existe ainsi un rationnel pour abaisser la FC en cas de dysfonction VG et d’insuffisance cardiaque.
Des études interventionnelles dirigées spécifiquement sur la FC sont maintenant possibles grâce au développement d’une nouvelle classe thérapeutique – les bloqueurs du courant If – ayant un effet bradycardisant pur et dont le chef de file est le procoralan. Les récents résultats de l’étude BEAUTIFUL, chez le coronarien avec FEVG altérée, pas ou peu symptomatique, ont montré qu’une réduction de la FC de 10 %, pendant 2 années, diminue de 36 % le risque d’infarctus dans le sous groupe préspécifié de patients ayant une FC supérieure à la médiane de la population, soit 70/min. Le critère principal de jugement (décès CV ou infarctus ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque) n’a pas été amélioré, mais ces résultats nettement significatifs suggèrent fortement un effet favorable de la réduction de la FC au moins sur l’athérosclérose et/ou athérothrombose.
Pour l’insuffisance cardiaque, nous avons récemment montré dans une étude pilote chez des patients insuffisants cardiaques stables et dépendants d’un pacemaker, qu’une fréquence de stimulation basse 55/min est bénéfique sur la fonction VG (FEVG, BNP, écho) comparativement à une fréquence de 75/min. De façon plutôt inattendue, les résultats de BEAUTIFUL étaient neutres sur l’insuffisance cardiaque, mais il est préférable d’attendre les résultats de l’étude SHIFT (procoralan versus placebo), ciblant spécifiquement des patients insuffisants cardiaques avec FEVG altérée, pour se faire une idée plus précise.
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