Publié le 30 nov 2010Lecture 12 min
L’essai clinique au moment de l’analyse des résultats
L. MONNIER, C. COLETTE, Institut universitaire de recherche clinique, Montpellier.
Quelques années après le début de l’essai, il est indispensable de faire le point, d’analyser les résultats et de savoir si l’hypothèse de départ est confirmée. Le méthodologiquement correct du départ doit être retrouvé à l’arrivée. C’est cet aspect du problème que nous allons envisager.
Analyse des résultats en traitement actuel ou en intention de traiter
Tout essai thérapeutique doit s’étaler sur une durée de temps suffisante (plusieurs mois et parfois plusieurs années) pour donner à un événement (accident cardiovasculaire) la possibilité de se produire. Si la durée du suivi est trop courte, le nombre d’événements qui se sera produit à la fin de l’étude sera trop faible et l’analyse des résultats sera impossible, sauf si on accepte une augmentation inconsidérée du nombre de sujets à inclure dans l’essai. Un essai trop long se traduit par un nombre de « perdus de vue » important ou par un nombre trop important de sujets qui sortent de l’essai pour des raisons diverses.
Pour cette raison, la durée de l’essai thérapeutique ne doit être ni trop longue ni trop courte. Trois à 5 ans est une durée raisonnable, bien que l’on puisse faire plus long dans le suivi à distance après la fin de l’essai (DCCT, UKPDS par exemple)(1,2). Même si la durée est raisonnable, un certain nombre de sujets arrêteront le traitement en cours d’étude.
Pour mieux comprendre les choses, supposons que N soit le nombre de sujets inclus dans l’un des deux groupes à comparer. À la fin de l’étude, au bout de quelques années, on s’aperçoit que le nombre de sujets qui sont venus en consultation ou qui ont réellement suivi le traitement n’est que de N’, avec N’ < N. Il est préférable évidemment que N’ soit peu différent de N. Toutefois même si les deux nombres sont proches, sur quelle valeur doit-on faire l’analyse pour calculer par exemple le risque absolu dans ce groupe ? En d’autres termes, doit-on faire l’analyse sur n/N’ ou sur n/N, si n est le nombre d’événements qui ont été enregistrés dans ce groupe.
Si on choisit n/N, on dit que l’analyse est faite en intention de traiter.
Si on choisit n/N’, on dit que l’analyse est faite en traitement actuel.
En général c’est la première option qui est choisie mais, dans tous les cas, il est préférable d’éviter les perdus de vue ou les manques d’observance.
La correction de Kaplan Meier
Elle est destinée à corriger les résultats de l’analyse en fonction du nombre de perdus de vue et de décès qui accompagnent le déroulement de l’étude. Pour comprendre ce point, prenons un exemple simple. Dix sujets entrent dans un essai pour une durée de 4 mois et l’on veut calculer le pourcentage de survie. Un sujet meurt dans le 1er mois de l’étude, un 2e dans le 3e mois et un 3e dans le 4e mois. Au bout de 4 mois, il y a donc 3 décès sur 10. Le pourcentage de survie apparent est donc de 7/10 = 70 %. Cette valeur n’est toutefois pas la valeur réelle car on doit tenir compte des perdus de vue (correction de Kaplan Meier). Supposons que, sur les 10 patients, il y ait un perdu de vue au 2e mois. Le bilan s’établit de la manière suivante (figure 1) :
- à la fin du 1er mois, 1 décès, pas de perdu de vue, le taux de survie sur le 1er mois est 9/10 soit 90 % ;
- à la fin du 2e mois : 1 décès, 1 perdu de vue mais on ne sait pas si ce dernier est décédé ou en vie. Le nombre de sujets restant n’est plus que 8, le taux de survie sur le 2e mois est 8/8 = 1 et le taux de survie à la fin du 2e mois est toujours égal à 90 % ;
- si un sujet décède dans le 3e mois, le taux de survie sur le 3e mois sera 7/8 = 0,875 puisque le nombre de sujets restants est 8. À la fin du 3e mois, le pourcentage réel de sujets qui survivent en tenant compte du sujet perdu de vue dans le 2e mois est : 90 % x 0,875 soit 79 % au lieu de 80 % si on s’était basé sur 10 sujets et 2 décès ;
- à la fin du 3e mois, le nombre de sujets restant est égal à 7 et un sujet décède dans le 4e mois, soit un taux de survie sur le 4e mois égal à 6/7 = 0,857. À la fin du 4e mois, le pourcentage global de survie sera donc égal à 90 % x 0,875 x 0,857 = 67,5 % au lieu de 70 %.
Ce petit calcul est fait pour démontrer que la courbe de survie actuarielle réelle doit être corrigée par les perdus de vue et que le pourcentage obtenu est inférieur à celui qui aurait été obtenu sans la correction dite de Kaplan Meir. C’est cette correction qui est utilisée dans toutes les études de suivi de cohortes.
Figure 1. Taux de survie et correction de Kaplan Meier. La survie au cours du mois considéré tient compte du nombre de décès et du nombre de perdus de vue. Le calcul de la survie à la fin de l’intervalle de temps considéré est donné en bas du tableau. Sa traduction en % est figurée par la courbe rouge.
Conditions requises pour que le résultat de l'essai clinique soit considéré comme significatif
Le but des essais thérapeutiques est de démontrer que le médicament à tester est supérieur au comparateur. Ce résultat est loin d’être acquis à l’avance et les mauvaises surprises sont possibles, même si l’essai thérapeutique a été conçu de manière convenable.
L’évaluation du risque relatif en comparant le médicament à tester et le comparateur (l’autre médicament de référence ou le placebo) est normalement utilisée pour déterminer la supériorité d’un traitement donné. Comme indiqué plus haut, le risque relatif doit être affecté d’un intervalle de confiance à 95 % et sa valeur doit être comparée au risque 1 (c’est-à-dire au point de neutralité pour lequel l’essai thérapeutique ne serait favorable ni au médicament à tester ni au comparateur).
Si le risque relatif est inférieur à 1, et si la limite supérieure de l’intervalle de confiance à 95 % ne mord pas sur la ligne de neutralité (RR = 1), on dit que l’essai thérapeutique est en faveur du médicament à tester (figure 2).
Si le risque relatif est supérieur à 1 et si la limite inférieure de l’intervalle de confiance ne mord pas sur la ligne de neutralité, l’essai thérapeutique est en faveur du comparateur. Ce type de résultat est évidemment gênant pour les promoteurs de l’essai thérapeutique.
Lorsque l’intervalle de confiance mord sur la ligne de neutralité, l’essai ne permet pas de conclure et il est impossible de savoir si le médicament à tester est supérieur ou non au comparateur.
Le choix de l’événement donné est important. Dans tout essai thérapeutique, il convient au préalable de définir un ou des objectifs principaux (primary endpoints) et des objectifs secondaires (secondary endpoints). Les objectifs principaux sont souvent des cibles fortes : mortalité totale quelle que soit la cause, décès liés à un accident cardiovasculaire, complications cardiovasculaires non mortelles mais majeures, susceptibles d’entraîner un handicap physique. Les objectifs secondaires sont en général des pathologies ayant des conséquences moins fortes : par exemple, des complications cardiovasculaires n’entraînant pas de handicap majeur sur le long terme. Le choix des objectifs doit être défini à l’avance, les cibles fortes ayant toujours plus de valeur que les conséquences moyennes ou faibles. À titre d’exemple, la mortalité totale, quel qu’en soit la cause, est un objectif majeur car le recueil des données ne souffre d’aucune ambiguïté dans la mesure où malheureusement il obéit à une loi du tout ou rien.
Figure 2. Conditions pour que le résultat de l’essai soit considéré comme significatif. L’effet du médicament testé sur l’événement considéré est significatif si l’intervalle de confiance à 95 % ne « mord » pas sur la ligne de neutralité. L’effet est favorable si le RR est < 1 et défavorable s’il est > 1.
Les pièges du risque relatif (RR) et de la réduction du risque relatif (RRR)
La nécessité de calculer le nombre de sujets à traiter pour éviter un événement chez l’un d’eux.
Deux études peuvent donner la même réduction du risque relatif sans pour autant avoir la même valeur. Prenons deux exemples simples :
- une étude 1 est pratiquée sur 20 000 sujets avec un médicament hypolipidémiant à tester (A) et un placebo : 10 000 dans le groupe A et 10 000 dans le groupe placebo ;
- une étude 2 est pratiquée sur 2 000 sujets avec un autre hypolipidémiant (B) contre un placebo (tableau 1).
Dans les deux études 1 et 2, au bout de 5 ans on relève 333 accidents cardiovasculaires dans les groupes A et B et 500 dans les groupes placebo.
Le calcul des risques absolus donne les résultats suivants :
- dans l’étude 1, groupe A, 333/10 000, soit 3,33 % ; groupe placebo 500/10 000, soit 5 % ;
- dans l’étude 2, groupe B, 333/1 000, soit 33 % ; groupe placebo 500/1 000, soit 50 %.
Les risques relatifs dans les deux études sont les mêmes : 3,33/5 = 0,66 dans l’étude 1 et 33/50 = 0,66. La réduction des risques relatifs est la même : - 33 % en faveur des médicaments A et B par rapport au placebo. Une analyse superficielle des résultats pourrait amener à conclure que A et B sont identiques bien que l’on ait l’intuition que A et B sont différents. Pour trancher ce débat, il convient de calculer le nombre de sujets à traiter pour éviter un accident chez l’un d’entre eux.
Le nombre de sujets à traiter (NTT) est donné par une formule simple : NTT = 100/différence des risques absolus entre le bras médicament à tester et le bras comparateur.
Dans l’exemple présent :
- dans l’étude 1, NTT = 100/ [5]-[3,33] = 60 sujets ;
- dans l’étude 2, NTT = 100 / [50] – [33] = 6 sujets.
Il apparaît d’emblée qu’il faut traiter 10 fois plus de sujets avec le médicament A qu’avec le médicament B pour éviter un événement chez l’un d’entre eux. Le médicament B est indiscutablement très supérieur au médicament A puisque beaucoup plus « rentable ».
Nous avons, bien sûr, supposé dans cet exemple que les IC à 95 % ne « mordaient » pas sur la ligne de neutralité dans les deux études. Cela conduit à une remarque supplémentaire. En augmentant le nombre de sujets dans l’étude, on réduit l’intervalle de confiance à 95 % et on peut augmenter la significativité du résultat. Si les deux études 1 et 2 sont supposées toutes les deux significatives, il est probable que l’étude 1 (grand nombre de cas) sera plus significative que l’étude 2 (petit nombre de cas). Dans une optique de marketing, un laboratoire risque de vous présenter son médicament A comme meilleur que le médicament B du laboratoire concurrent parce que la significativité de la RRR est plus forte avec A qu’avec B. Demandez-lui de fournir le nombre de sujets à traiter et, s’il ne le peut pas, calculez-le vous-même à partir de la publication originale en appliquant la formule indiquée plus haut. Une simple calculette suffit.
Qu'est-ce qu'un odds ratio (rapport des chances) ?
L’odds ratio est une généralisation du risque relatif, ce dernier étant surtout destiné à la comparaison de deux bras thérapeutiques dans des essais thérapeutiques contrôlés et randomisés. L’odds ratio peut s’appliquer à des études cas-témoins sans qu’il y ait de randomisation préalable. Pour être plus clair, prenons l’exemple d’une étude cas-témoins. Prenons pour hypothèse que l’obésité est un facteur de risque de diabète de type 2 et essayons de démontrer cette hypothèse en dénombrant, dans une population d’obèses et de non-obèses, le nombre de sujets qui ont un diabète sucré de type 2.
Les résultats peuvent être exprimés sous la forme d’un tableau (tableau 2) :
- dans le groupe obèse, le risque d’avoir un diabète est égal à [N1/(N1 + N2)] / [N2/(N1 + N2)], soit dans l’exemple présent [80/380] / [300/380)] = 80/300(1) ;
- dans le groupe non obèses, le risque d’avoir un diabète est égal à [N3/(N3 + N4)] / [N4/(N3 + N4)], soit dans l’exemple présent : [20/720] / [700/720] = 20/700(2).
L’odds ratio est le rapport des risques ou rapport des chances, c’est-à-dire dans le cas présent : [80/300] / [20/700] = 9,3
La conclusion est que les obèses ont 9,3 fois plus de risques ou de « chances » d’être diabétiques. Un odds ratio égal à 1 ou voisin de 1 aurait indiqué que l’obésité n’est pas un facteur de risque du diabète. La significativité est d’autant plus forte que l’odds ratioest supérieur à 1. Comme le risque relatif, l’odds ratio est affecté d’un IC à 95 %, que l’on peut calculer par une formule du type IC 95 % = f(k/N). En combinant les équations (1) et (2), on s’aperçoit que l’odds ratiopeut être calculé par la formule suivante : [N1 x N4] / [N2 x N3], c’est-à-dire le rapport du produit des extrêmes.
Comme indiqué plus haut, l’odds ratioest une généralisation du risque relatif. Il peut donc être appliqué dans les essais randomisés, dans les suivis de cohortes et dans les métaanalyses.
Les métaanalyses
Métaanalyse signifie analyse avec mise en commun des résultats de plusieurs études individuelles. Ce procédé est utilisé pour augmenter le nombre de sujets et permettre ainsi de démontrer un effet significatif alors que les études individuelles n’y parvenaient pas en raison d’un nombre insuffisant de sujets. Supposons trois études randomisées réalisées avec un médicament donné contre différents comparateurs (figure 3). Deux études ne permettent pas de trancher. L’une des études est en faveur du médicament à tester. En regroupant ces trois études dans une métaanalyse, le nombre de sujets augmente, l’odds ratiomoyen se déplace dans la zone favorable au médicament (OR < 1) et l’IC à 95 % diminue puisque l’analyse porte sur un nombre de sujets plus important. Dans ces conditions, l’odds ratiopeut devenir significatif alors qu’il ne l’était pas pour chaque étude prise individuellement.
Toutefois, il convient de souligner que les résultats des métaanalyses doivent être interprétés avec beaucoup de prudence pour plusieurs raisons.
La première et la plus importante est que de nombreuses études, surtout quand elles sont négatives, ne sont jamais publiées et restent sous forme de rapports confidentiels peu ou non accessibles, en général plutôt défavorables au médicament. Ainsi leurs résultats sont souvent biaisés. L’erreur la plus commune est de faire apparaître une signification (partie émergée de l’iceberg) alors que tout le reste (partie immergée) est négatif. Une métaanalyse devrait donc porter sur l’ensemble des travaux publiés dans le domaine. C’est le premier principe d’exhaustivité (figure 4).
Le deuxième principe auquel devrait répondre les métaanalyses est l’homogénéité des études. Cela signifie que les comparateurs devraient être identiques, que les protocoles des essais individuels devraient être voisins : choix des sujets, durée de l’étude, doses du médicament, nombre de sujets. Mélanger des études portant sur de grands nombres de sujets avec des études conduites sur de petits nombres est fortement déconseillé. La métaanalyse de Niessen(3), qui a fait tant de mal à la rosiglitazone, est l’exemple même d’une métaanalyse où le principe d’homogénéité a été bafoué et, à ce titre, elle aurait dû faire l’objet de beaucoup plus de vigilance de la part du New England Journal of Medicinelorsqu’elle a été publiée.
Notre conclusion est que l’on fait des métaanalyses quand on ne peut rien faire d’autre.
Figure 3. Intérêt des métaanalyses. Le but des métaanalyses est d’accroître la puissance de l’analyse en combinant les résultats d’études individuelles. Une métaanalyse bien conduite peut aboutir à démontrer
un effet significatif (OR < ou > 1 avec un intervalle de confiance ne mordant pas sur la ligne de neutralité) alors que les études individuelles n’y parvenaient pas ou étaient contradictoires.
Conclusion
Analyser des essais thérapeutiques est une affaire de spécialiste. Interpréter ces résultats devrait faire partie du bagage de tout prescripteur surtout lorsque les traitements sont destinés à des maladies chroniques et prescrits sur de longues années. Il est donc impérieux de connaître la significativité des différents marqueurs proposés par les statisticiens, afin d’éviter de tomber dans les pièges du « marketing ». Le médicament n’est pas une denrée de consommation courante et il mérite mieux que des slogans publicitaires à sa charge ou à sa décharge.
Les grands essais thérapeutiques sont donc indispensables. Ils soulèvent parfois des questions qui n’avaient pas été envisagées au moment de leur mise en place, par exemple excès de décès et d’hypoglycémies dans le groupe intensif de l’étude ACCORD(4). La coïncidence de deux événements n’est pas forcément une relation de cause à effet. C’est pour cette raison que les résultats de l’étude ACCORD font toujours l’objet d’un débat intense.
Nous espérons que cet article permettra à ceux qui le liront de renforcer leur esprit critique vis-à-vis d’études qui, selon les intérêts des uns et des autres, leur sont présentés sous des jours soit trop favorables, soit trop défavorables.
"Publié dans Diabétologie Pratique"
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