Cœur et sport
Publié le 15 jan 2008Lecture 6 min
D’après la classification de Mitchell, la voile fait partie des sports à composante dynamique faible et à composante isométrique forte. Une chose est sûre : l’hétérogénéité des situations rencontrées. Ces différences sont liées aux types de voiliers utilisés aux conditions environnementales variées et aux styles de pratique (loisir ou compétition) ; on note aussi l’importance du poste occupé à bord et l’allure du bateau (portant ou au près). Autant dire qu’il est impossible de donner une réponse simple à la question du patient « Docteur, est-ce que je peux faire de la voile ? ».
Il est difficile d’évaluer la dépense énergétique
La plupart des ergomètres classiques sont inadaptés pour l’évaluation de la dépense énergétique du marin, il n’existe pas d’ergomètre simulant parfaitement le travail effectué. Les mesures ne sont donc possibles qu’in situ. Les appareils de mesures nécessitent d’être étanches, peu encombrants et légers (le poids est un ennemi à bord, notamment lors des régates). Le seul moyen dont nous disposions jusqu’à présent pour évaluer l’activité des patients aussi bien à domicile que pendant leur travail était la fréquence cardiaque. Depuis 2007 on dispose d’un moniteur d’activité physique portable (commercialisé en France par la société MSR SEBAC diagnostics). Ce système est constitué d’un brassard très léger, posé sur le triceps du bras droit, pouvant enregistrer jusqu’à 12 jours de données en continu (photo 1). Ces données sont ensuite analysées sur ordinateur. Les capteurs enregistrent la température de la peau, l’impédance, les flux de chaleur, les accélérations sur 2 axes. Ils permettent, grâce à un algorithme, de calculer les Mets (équivalent métabolique, 1 MET = 3,5 ml/min/kg), la dépense énergétique au repos, le nombre total de pas, la durée de l’activité physique, la dépense énergétique globale ou en activité, la durée de l’activité physique ou du sommeil. Plusieurs études cliniques ont validé la méthode. Nous l’avons testé chez les marins de l’America’s Cup pendant les séances d’entraînement. Bien entendu, l’analyse des résultats a confirmé ce que l’on attendait : la dépense est bien plus forte au niveau des winchers (grinders) qu’à la tactique : mais cela nous a permis de constater que le poste le plus épuisant à bord n’était pas le plus visible : il s’agit de celui qui est chargé de ranger et plier les voiles à l’intérieur du bateau pendant toute la régate !
Photo 1. Enregistrement par « ArmBand » sur le bras d’un sportif de haut niveau, membre de l’équipe d’Areva Challenge (America’s Cup).
La sollicitation du système cardiovasculaire se fait dès la montée à bord
En effet, il est indispensable de compenser les mouvements du bateau de manière permanente. Cette compensation représente un travail musculaire et une dépense énergétique non négligeable par une combinaison de travail musculaire isométrique et dynamique multisegmentaire (Heus R. Eur J Appl Physiol 1998 ; 77 : 388-94).
Alternance sans transition de phases de repos et d’activité intense
Une autre particularité de la voile est le passage brutal de phases de repos ou de sommeil à des phases d’activité intense proches de la dépense énergétique maximum. Il peut s’agir d’une réduction de voilure urgente lors d’une traversée transocéanique ou plus fréquemment des manœuvres habituelles de virement de bord après un long bord. Bien entendu, ces manoeuvres sont plus intenses lors des compétitions qu’en navigation de loisir. Les efforts exercés sont d’autant plus intenses que les conditions environnementales sont difficiles.
Les conditions environnementales
Le vent et l’état de la mer
Chacun sait qu’en cas de tempête, l’état de la mer devient tel qu’il est dangereux de s’y aventurer en raison des avaries possibles. On sait aussi que dans ce cas la sollicitation de l’organisme est souvent maximum car les mouvements du bateau et les forces exercées sur les voiles sont extrêmes. En cas d’avarie (rupture du mât par exemple) la sollicitation physique est intense et le stress de la situation entraîne des efforts proches du maximum. Ces efforts sont le plus souvent isométriques et donc générateurs de fortes poussées tensionnelles.
À la force du vent il faut rajouter la température. Elle peut être très élevée et donc entraîner un risque de déshydratation. Il est parfois difficile de s’hydrater comme par exemple en planche à voile. Dans certains cas la régate peut avoir lieu loin de la côte et des navires d’assistance sont alors nécessaires pour distribuer de l’eau et de la nourriture. La température peut être basse ou très basse lorsque l’on navigue en hiver ou à certaines latitudes proches des pôles. De plus, sur l’eau les températures diminuent encore de plusieurs degrés par l’action conjointe du vent et de l’humidité. Ces températures peuvent aussi varier très rapidement au cours de la journée obligeant les marins à prévoir suffisamment de vêtements pour se protéger. Mais en voile légère, ceci n’est pas toujours facile par manque de place.
L’allure
Elle définit la direction du navire par rapport à la direction du vent. On distingue les allures de près qui sont les allures où l’on remonte le vent ou proche du vent, avec la sensation à bord d’avoir le vent de face, et les allures de portant où le vent vient de l’arrière ou proche de l’arrière. Dans le premier cas, le bateau est le plus souvent très gîté navigant contre les vagues, avec donc des mouvements de tangage importants. On constate alors que les fréquences cardiaques moyennes sont plus élevées (160 bpm environ) qu’aux allures portantes (110 bpm environ) sur la plupart des bateaux. En planche à voile, on observe plutôt l’inverse, c’est-à-dire des fréquences cardiaques plus élevées au portant qu’au près car les mouvements du véliplanchiste (« pumping » pour augmenter la vitesse) sont plus importants au portant.
Le poste occupé à bord
Il est lui aussi, notamment sur les grosses unités, un facteur dont il faut tenir compte. Le barreur ou le tacticien ont des tâches moins énergétiques que ceux qui manœuvrent les voiles par exemple (photo 2).
Photo 2. Le barreur et le tacticien ont des charges de travail souvent peu importantes (mais un marin peut à tout moment changer de poste en cas d’avarie par exemple).
Le stress
Il est engendré par certaines situations et explique aussi une contrainte cardiovasculaire supplémentaire ; chavirage, avaries, chute d’un équipier à l’eau, etc.
Le type de navire
La voile légère
C’est sur les plus petits navires que la contrainte cardiovasculaire est la plus importante. En planche à voile par exemple, lors d’une manche qui dure entre une et deux heures, les fréquences cardiaques moyennes sont de 180 bpm avec un minimum de 160 bpm et un maximum de 195 bpm. Ici, la navigation est plutôt humide nécessitant des vêtements appropriés pour lutter contre le froid (néoprène). Les consommations d’oxygène moyennes sont de 11 à 23 ml/min/kg avec une pression artérielle moyenne élevée (PAS = 170 ± 18 mmHg, PAD = 100 ± 14 mmHg). En compétition les manches durent environ 1 heure à 1 h 30 et on compte entre 3 et 4 manches par jour.
Les habitables
Dans cette catégorie, les régates peuvent se faire comme pour la voile légère autour de trois bouées, mais aussi sous forme de croisières côtière ou hauturière. L’équipage est autonome, il ne nécessite aucune aide extérieure. On trouve ici toutes sortes de bateaux plus ou moins sophistiqués disposant plus ou moins d’une aide à la manœuvre (winch électriques, vérins hydrauliques, etc.). On retiendra que généralement, en régate, les manœuvres sollicitent plus l’organisme, la plupart des aides étant interdites. Les parcours les plus courts sont aussi les plus difficiles en raison de l’enchaînement rapide des phases de transition (virements/empannages). À l’inverse, en croisière certains bateaux peuvent être manœuvrés pratiquement sans effort !
Voiliers exceptionnels
Ils ont des dimensions importantes et sont conçus pour la course uniquement. Les con-traintes y sont très importantes. L’équipage est à la mesure des objectifs comme le montrent ci-dessus les résultats des bilans effectués chez les marins d’Areva Challenge lors de la dernière coupe de l’America où la charge moyenne développée est de 332 ± 25,17 watts sur bicyclette ergométrique suivant un protocole rampe (encadré). Les consommations d’oxygène sont plutôt basses, reflétant la faible part dynamique dans ce sport.
En pratique
Connaître la dépense énergétique du marin est difficile ; les facteurs en jeu sont très nombreux mais tous dépendent en premier lieu de la force du vent. Avant de conseiller ses patients, il est nécessaire de bien connaître le programme de navigation, le type de bateau et le type de pratique – course ou loisir –, le poste occupé à bord et l’aide à la manœuvre éventuelle sur le bateau.
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