Publié le 13 déc 2005Lecture 7 min
Le goût : une sensation archaïque, un long apprentissage
M. NGUYEN
Le goût, avec l’odorat, furent les deux sens qui suscitèrent le moins l’intérêt des chercheurs scientifiques jusqu’à une époque somme toute récente — les années 60 — où M. Chiva, directeur du Centre de psychologie de l’enfant et chercheur au CNRS, frappé par la pauvreté des connaissances et des données expérimentales en la matière, décida de les explorer.
Une forte connotation émotionnelle
C’est en portant une attention particulière aux conduites et conditionnements alimentaires dans son activité clinique que M. Chiva a constaté l’impact émotionnel du goût, qui lui apparaît dès lors comme une donnée des conduites relationnelles, avec de surcroît, la notion de plaisir ou de déplaisir liée à la nourriture, mais jamais de neutralité, ajoute-t-il, même un tout-petit peut avoir un comportement d’acceptation ou de rejet.
Dans toutes les langues, le doux évoque le sucré, mais s’applique aussi à toutes les modalités sensorielles : gustative, tactile, olfactive, visuelle, auditive, thermique, à une couleur, un parfum, une voix, un soleil d’automne.
Un réflexe gusto-facial
C’est en 1973, que Steiner, un chercheur de l’université de Jérusalem, met en évidence un phénomène particulier : le réflexe gusto-facial, une réponse mimique présente chez tous les enfants dès les premiers mo-ments de la vie et qui diffère selon que le stimulus est salé, sucré, acide ou amer. Ce réflexe est identique pour tous les bébés pour le même stimulus. S’il s’agit d’un réflexe, qu’advient-il par la suite ?
Le goût un double sens : psychique et physiologique
L’intensité et la spécificité de la tonalité affective sont exceptionnelles dans le système sensoriel : l’agrément ou le désagrément que procurent un bruit, une couleur, restent faibles si on les compare avec le plaisir que procure une saveur sucrée ou au dégoût pouvant aller jusqu’au vomissement que peuvent provoquer des solutions concentrées amères, salées ou acides.
On sait depuis longtemps qu’il existe seulement quatre saveurs fondamentales : le doux, l’amer, le salé et les saveurs acides ou alcalines. Comme le soulignait M. Chiva, l’un des premiers chercheurs français à avoir exploré le goût, à chacune de ces saveurs correspond une mi-mique, décelable dès le premier âge : c’est pourquoi on ne peut enfermer la sensibilité gustative sur elle-même car elle nous conduit d’emblée à une réfle-xion sur le psychisme.
La sensibilité gustative nous conduit à une réflexion sur le psychisme
L’aspect plaisant ou déplaisant de la sensation gustative correspond à une tonalité affective qui est simultanée aux propriétés d’information du système sensoriel : d’emblée, l’enfant peut exprimer un comportement d’acceptation ou de rejet !
La tonalité affective est une véritable « qualité spécifique » du goût, d’après Le Magnen.
Des formations sensorielles particulières
En 1976, M. Chiva rencontre P. Mac Leod, médecin psychophysiologiste, auquel il expose ses travaux de recherche et pose la question du lien entre le nombre de bourgeons du goût chez le nouveau-né, leur éventuelle régression par la suite, leur évolution fonctionnelle et le lien entre la maturation des appareils périphériques et le système nerveux central.
Les bourgeons du goût sont déjà fonctionnels in utero et l’oralité serait modulée au niveau hypothalamique et thalamique où se trouveraient également les centres appréciateurs de la signification hédonique du message.
Les récepteurs gustatifs sont des formations sensorielles spécifiques, des bourgeons du goût, localisés en plus ou moins grand nombre sur les diverses papilles de la langue, mais aussi sur la partie antérieure du voile du palais, dans les régions hautes du pharynx et sur l’épiglotte.
Chez l’enfant, le nombre de bourgeons gustatifs est bien plus élevé, puisqu’ils tapissent la face intérieure des joues et la partie inférieure de la langue ; ces derniers disparaissent aux alentours de 6 ans, mais peuvent persister chez certains individus sous une forme plus ou moins immature.
Un turn-over rapide
La cellule sensorielle a une durée de vie limitée, de quelques jours à un mois, d’une durée moyenne de 10 jours avec un renouvellement est permanent. Le bourgeon gustatif est innervé par des arborisations provenant de différentes fibres, dont les corps cellulaires se trouvent dans les ganglions des relais précentraux. Il n’existe pas un tractus gustatif unique ; trois nerfs crâniens participent au transport du message sensoriel : le lingual, branche du V, le glosso-pharyngien (IX), et le pneumo gastrique (X). Leurs fibres, mêlées à d’autres fibres sensitives gagnent un premier relais dans le noyau solitaire, parfois appelé noyau ou bulbe gustatif. Après un relais dans les noyaux ventro-postéro-médians du thalamus, les fibres gustatives se projettent au pied de l’aire somato-sensitive.
En bouche, on perçoit les arômes, les saveurs et la texture des aliments. Les quatre saveurs et bien d’autres sont perçues au niveau des bourgeons situés dans les papilles gustatives. On apprend aussi à percevoir les arômes, ces molécules odorantes issues des aliments dilacérés et qui diffusent par voie rétronasale.
L’apport des données physico-chimiques
Toutes les molécules n’agissent pas de la même façon. La physique et la chimie, nous ont permis de mieux comprendre les bases de l’art culinaire :
• lorsque l’aliment approche de la bouche, nous percevons les molécules aromatiques les plus volatiles ;
• lorsque l’aliment est en bouche, toutes les molécules sapides n’agissent pas de la même façon :
- les ions hydrogène des saveurs acides, les ions sodium des saveurs salées agissent directement sur les canaux des membranes cellulaires et induisent une modification immédiate du potentiel électrique ;
- les saveurs sucrées ou amères (type glutamate) se lient à des récepteurs couplés à des protéines membranaires de type G ;
- la saveur piquante du piment est due à la capsaïne qui agit sur les cellules sensibles à la douleur et à la chaleur…
Pas de goût sans arôme
Les substances odorantes perçues d’abord dans la cavité buccale passent ensuite dans les cavités nasales, d’où elles remontent par voie postérieure dans le cavum pour stimuler l’épithélium olfactif situé sur la lame criblée de l’ethmoïde. Les projections des zones du goût et de l’odorat se superposent enfin au niveau cérébral.
Une sensibilité variable d‘un sujet à l’autre
Les cellules gustatives ont une durée de vie courte que Mac Leod a estimée à quelques 36 h en moyenne, ce qui garantit au professionnel une « bouche neuve » continuelle.
Il existe de grandes différences de sensibilité gustative d’un individu à l’autre. Dès le quatrième mois, d’après M. Chiva, on peut distinguer des hypergueusiques et des hypogueusiques, mais hormis le cas des professionnels chez lesquels toute défaillance du nez ou de la bouche est vécue de façon tragique, que celles-ci surviennent à la suite d’une intoxication, d’une infection ou d’un traumatisme, cette « infirmité » n’a pas encore autant mobilisé les chercheurs que d’autres handicaps !
Ce handicap ne se voit pas, c’est l’affaire de chacun ; mais il faut cependant savoir que la sensibilité peut s’améliorer et se diversifier à travers les expériences ; d’où l’intérêt d’un apprentissage.
Études basées sur des seuils
Dans le domaine de la sensibilité gustative, on distingue plusieurs types de seuils :
– le seuil absolu qui correspond à la plus petite concentration nécessaire pour percevoir la présence d’un stimulus,
– le seuil de reconnaissance qui indique la concentration nécessaire pour percevoir et identifier une saveur.
En les étudiant, on s’aperçoit que la sensibilité gustative est extrêmement variable d’un individu à l’autre, les différences de sensibilité pouvant aller de 1 à 500…
Dans les années 1960, les chercheurs voulant identifier un indice d’hédonisme ont introduit le seuil de préférabilité qui indique la concentration jugée comme étant la plus agréable pour une saveur donnée ; mais ces recherches ont abouti à des données très contradictoires.
D’autres chercheurs, plus pragmatiquement, ont proposé de se référer à un seuil différentiel mais, là encore, les résultats sont difficiles à interpréter car ils dépendent beaucoup de la qualité de la mémoire.
Une fonction dynamique
La fonction gustative apparaît en fin de compte comme une fonction dynamique ; elle est influencée par la température, le contraste, sachant que l’effet peut être différent selon que l’on utilise des saveurs différentes ou une même saveur à des concentrations différentes. Le phénomène d’adaptation est important : l’adaptation est proportionnelle à l’intensité du stimulus, mais la vitesse d’adaptation est différente selon les quatre saveurs.
La justification de l’apprentissage
Il apparaît donc que la sensation gustative avec ses spécificités, le caractère émotionnel lié à l’information qu’elle véhicule, ses fluctuations et sa pauvreté relative du fait de quatre saveurs, nécessite un apprentissage qui permet de dépasser la pauvreté initiale, d’amplifier la sensation, de diversifier les expériences qui donnent une signification aux messages sensoriels.
Sans apprentissage, presque tous les êtres vivants sont attirés par le goût sucré : l’enfant à la naissance, mais aussi l’animal, tel le chien auquel on donne un morceau de sucre en récompense. Or, un développement harmonieux implique une alimentation adaptée à l’organisme, capable de répondre à ses besoins sur le plan quantitatif et qualitatif.
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