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Cardiologie générale

Publié le 12 fév 2008Lecture 7 min

Le patient hémodialysé : le rôle du cardiologue

C. FUMERON, Association pour l’utilisation du rein artificiel (AURA), Paris

Le nombre de patients en insuffisance rénale terminale dans le monde est en augmentation en rapport avec la pandémie de diabète et d’HTA. L’âge moyen des patients dialysés est également en hausse avec un âge moyen de 60 ans en France. Les hémodialysés chroniques ont un risque 10 à 30 fois plus élevé de maladies cardiovasculaires (MCV) que des individus du même âge à fonction rénale normale. Les MCV représentent 45 % de la mortalité en hémodialyse. Aux facteurs de risque traditionnels de MCV, s’ajoutent des facteurs liés à l’insuffisance rénale chronique tels que l’anémie chronique, le stress oxydant, la surcharge volumique chronique et les calcifications vasculaires. La prise en charge des MCV chez l’hémodialysé est un véritable défi pour les cardiologues et pour les néphrologues.

Pathophysiologie et facteurs de risque L’insuffisance rénale chronique, a fortiori terminale, représente un modèle humain d’athérosclérose accélérée. La figure 1 montre les différents facteurs impliqués. Figure 1. Liens physiopathologiques entre maladies cardiovasculaires et insuffisance rénale chronique. Les facteurs de risque traditionnels sont tous présents, particulièrement l’HTA (80 % des dialysés) et le diabète. La dyslipidémie existe chez près de 60 % des hémodialysés. La relation entre le LDL-cholestérol et la mortalité suit une courbe en U, les valeurs basses de LDL-cholestérol étant associées à une surmortalité liée à la dénutrition. Les statines sont utilisées à des posologies inférieures à celles habituellement recommandées. L’HVG est particulièrement fréquente chez l’hémodialysé : présente chez plus de 50 % des patients. Des données récentes suggèrent que l’on peut obtenir une stabilisation, voire une régression de l’HVG avec un contrôle adéquat de l’anémie, une maîtrise stricte de la surcharge volumique, la correction d’une HTA et l’utilisation d’IEC ou d’antagonistes de l’angiotensine II. Certaines modalités de dialyse permettraient également sa régression. L’inflammation chronique est également très fréquente ; on retrouve une valeur pronostique péjorative de la CRP. De nombreux facteurs sont impliqués dans cette inflammation comme la malnutrition, les toxines urémiques, la dialyse elle-même et l’altération des mécanismes antioxydants. À côté de ces facteurs de risque traditionnels, certains facteurs spécifiques à l’insuffisance rénale participent au risque de développement d’une MCV. Sont particulièrement fréquents l’anémie chronique, les troubles du métabolisme phosphocalcique (hyperphosphorémie, carence en vitamine D, hyperparathyroïdie), l’hyperhomocystéinémie et, enfin, le stress oxydant accru. Stratification du risque : les patients hémodialysés sont à considérer comme à haut risque.   La coronaropathie du dialysé   Diagnostic La présentation clinique est fruste avec une absence de douleurs ou des douleurs atypiques, des modifications du segment ST qui peuvent être liées à l’hypertrophie ventriculaire gauche. L’épreuve d’effort est un examen peu utile chez l’hémodialysé en raison des anomalies fréquentes du segment ST et du fait que seulement 44 % des patients atteignent 85 % de la fréquence cardiaque maximale. La scintigraphie au thallium de repos a une sensibilité de 37 % et une spécificité de 73 %. La scintigraphie au thallium couplée à un test d’effort et/ou sensibilisée au dipyridamole améliore les valeurs diagnostique et pronostique avec une sensibilité de 92 % et une spécificité de 89 %. L’échocardiographie de repos peut mettre en évidence des zones d’hypo- ou d’akinésie qui peuvent être dues à des lésions ischémiques mais également à de la fibrose. L’échocardiographie de stress a la même valeur diagnostique que la scintigraphie au dipyridamole sensibilisée à la persantine dans cette population. Enfin, la coronarographie doit utiliser des produits de contraste iodés à faible osmolarité afin d’éviter les OAP de surcharge ; la voie radiale doit être évitée pour protéger le capital artériel nécessaire aux abords vasculaires. Les lésions coronaires du dialysé, a fortiori du dialysé diabétique, sont fréquemment calcifiées.   Le syndrome coronarien aigu La survenue d’un IDM est un événement dramatique chez un hémodialysé avec une mortalité de 59 % à un an et 73 % à deux ans. Ces mauvais résultats issus d’une étude déjà ancienne sont certainement liés à une sous-utilisation des traitements agressifs de revascularisation et peuvent certainement être améliorés. La thrombolyse (TIMI 10, TIMI 14 et InTime II trials) a une efficacité similaire chez les patients hémodialysés et chez les patients normo-rénaux avec cependant une morbi-mortalité plus élevée chez les premiers (30 versus 2 %), notamment plus de complications hémorragiques.   Le traitement Le traitement médical fait appel aux mêmes médicaments que chez le sujet normo-rénal en tenant compte de leur effet hypotenseur parfois gênant en cours de séance de dialyse. Il doit également comporter la prise en charge des facteurs propres à l’insuffisance rénale comme la correction d’une anémie, le contrôle du bilan phosphocalcique, la maîtrise de la surcharge hydrosodée. La méthode adéquate de revascularisation reste un sujet de controverse avec peu d’études réalisées. La revascularisation par angioplastie ou par chirurgie, malgré une morbi-mortalité plus élevée que chez les patients sans insuffisance rénale, donne des résultats supérieurs au traitement médical seul. Une étude a montré que les « stents » actifs peuvent être utilisés chez les patients hémodialysés avec un taux de resténose à 6 mois identique à celui des patients non dialysés ; il faut toutefois noter des échecs de procédure plus fréquents et une morbi-mortalité plus élevée. De plus, il faut prendre en considération le risque que représente l’association d’antiagrégants plaquettaires au clopidogrel chez des patients à haut risque hémorragique. De surcroît, cette association pose problème pour les candidats à une transplantation rénale.   Quelle place pour les troponines ? La cTnT (dosage de dernière génération) est élevée chez 20 % environ des patients hémodialysés asymptomatiques. Ces élévations sont faibles, les taux étant généralement inférieurs à 0,1 pg/ml. La cTnI est élevée chez 5 % de ces mêmes patients. On peut recommander l’utilisation de la cTnI pour le diagnostic de SCA chez le dialysé. En revanche, c’est la cTnT qui doit être préférée comme marqueur pronostique d’événements cardiovasculaires (figure 2). Malgré des discussions en cours, un seuil de 0,04 pg/ml peut être recommandé. Figure 2. Valeur prédictive de cTnT (A) et cTnI (B) pour la mortalité cardiaque (étude CHANCE). La cTnT a une valeur pronostique de MCV chez l’hémodialysé. Un dosage biannuel est recommandé.   L’insuffisance cardiaque Sa prévalence est élevée (figure 3), avec une mortalité de 83 % à 3 ans. Si la dysfonction systolique est fréquente, la dysfonction diastolique venant compliquer une HVG l’est également. Chez ces patients anuriques, le maintien de l’équilibre entre l’œdème pulmonaire d’un côté et l’hypotension symptomatique de l’autre peut être extrêmement difficile. La dialyse péritonéale, qui permet une déplétion hydrosodée régulière et douce, est la méthode de dialyse de choix chez ces malades quand elle est possible. En l’absence d’études randomisées spécifiques aux patients dialysés, le traitement médical est extrapolé à partir des données de la population générale en adaptant les posologies. Seul le carvédilol a été étudié et a démontré son efficacité avec une bonne tolérance clinique. Les IEC et les antagonistes de l’angiotensine II peuvent être utilisés en contrôlant la kaliémie. Les antialdostérones sont d’emploi difficile en raison des risques d’hyperkaliémie et sont classiquement contre-indiqués. Enfin, il ne faut pas méconnaître une insuffisance cardiaque à débit élevé secondaire à une fistule artério-veineuse trop développée, particulièrement pour les fistules au bras. Figure 3. Probabilité cumulée de l’insuffisance cardiaque chez les patients hémodialysés prévalents (USRDS 2006). Les troubles du rythme Les patients hémodialysés ont une grande susceptibilité aux troubles du rythme. Ceux-ci comptent pour environ 50 % des décès d’origine cardiovasculaire en hémodialyse. La mort subite représente environ 7 % de la mortalité totale des patients hémodialysés. Le trouble le plus fréquent est, comme dans la population générale, la fibrillation auriculaire. De nombreuses comorbidités favorisant les troubles du rythme sont présentes chez les dialysés : HVG, cardiopathie ischémique, anomalies valvulaires. De plus, les fluctuations du potassium, du magnésium et des ions hydrogènes sont fréquentes et rapides pendant la séance de dialyse. Des anomalies structurelles et fonctionnelles des cardiomyocytes, la fibrose interstitielle et, enfin, une dysfonction endothéliale sont également des facteurs favorisants. Sur le plan thérapeutique, l’amiodarone est utilisée aux doses habituelles ; les antiarythmiques de classe I doivent être évités en raison du risque majeur de torsades de pointes chez l’hémodialysé.   Les pathologies valvulaires Elles sont fréquentes chez l’hémodialysé et caractérisées par des calcifications massives. Les calcifications valvulaires sont présentes chez 30 à 50 % des hémodialysés ; 25 à 30 % ont une sténose valvulaire aortique. L’incidence annuelle de la maladie valvulaire nécessitant une chirurgie est de 1,9 pour 1 000 hémodialysés par an en France. L’échographie cardiaque est l’élément essentiel de la surveillance. Elle doit être réalisée un jour sans dialyse. L’évaluation du gradient transvalvulaire peut être soumise à des erreurs d’interprétation : surestimation en cas de débit cardiaque élevé, sous-estimation dans le cas de dysfonction VG ; par ailleurs, l’importance des calcifications peut conduire à des erreurs de mesure de la surface valvulaire. Deux échographies par an sont recommandées en cas de sténose peu serrée, une échographie trimestrielle en cas de sténose modérée ou serrée en raison d’une évolutivité particulièrement rapide. Habituellement une valve mécanique est proposée en raison du risque potentiel de dégradation accélérée des bioprothèses ; cependant, la seule étude réalisée n’a pas montré de différences évolutives, mais avec un recul de 18 mois seulement.   En pratique Les patients hémodialysés sont à très haut risque cardiovasculaire. Les maladies se développent tôt au cours de l’insuffisance rénale chronique. La prise en charge doit être précoce, multifactorielle et agressive ; elle nécessite une coopération étroite entre les cardiologues et les néphrologues.

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