Publié le 01 déc 2009Lecture 10 min
Le spasme coronaire en 12 questions
S. WEBER, Hôpital Cochin, Paris
L’angor vasospastique est-il une vedette déchue n’ayant connu que quelques années de gloire au tournant des années 80 ? Cette forme si particulière de maladie coronaire devrait-elle rester au contraire présente à l’esprit du cardiologue qu’il soit clinicien ou interventionniste ? C’est bien entendu ce deuxième point de vue que nous allons défendre en essayant d’apporter réponse à une douzaine de questions les plus fréquemment posées à propos de l’angor vasospastique.
Question 1 : La fréquence de l’angor vasospastique a-t-elle fortement diminué ces deux dernières décennies ?
Il n’y a pas de réponse rigoureuse à cette question, pourtant fondamentale dans la mesure où aucun registre n’a été en la matière tenu, tout du moins dans les principaux pays occidentaux. Poser un diagnostic d’angor vasospastique ne répond pas à une démarche binaire, blanc/noir, type infarctus du myocarde. Sa prévalence dépend de l’énergie déployée pour évoquer puis confirmer le diagnostic. Il est bien évident que, si l’on évoque un angor de Prinzmetal uniquement face à des douleurs thoraciques typiques nocturnes avec surélévation transitoire du segment ST, la prévalence sera extrêmement basse. Si, par contre, on recherche assidûment ce mécanisme, on le trouve non exceptionnellement !
Nous continuons à pratiquer régulièrement dans mon équipe des tests de provocations par le Méthergin (méthylergométrine), chaque fois que, face à un syndrome douloureux thoracique, nous ne constatons pas de lésion sténosante sur les coronaires. La logique de cette attitude est très simple : si les symptômes et les examens complémentaires non invasifs ont paru suffisamment inquiétants pour justifier la pratique d’une coronarographie et si celle-ci ne retrouve pas d’athérome sténosant significatif, il n’y a aucune raison de ne pas rechercher par un test de provocation l’autre mécanisme d’ischémie myocardique transitoire qu’est le vasospasme coronaire.
À partir du moment où le malade est sur la table, c’est que le clinicien avait un doute sérieux sur un diagnostic de cardiopathie ischémique, il n’y a pas de raison de ne pas aller jusqu’au bout de la démarche. Si nous n’avons pas de donnée chiffrée sur la prévalence de l’angor vasospastique dans les pays occidentaux, il n’en reste pas moins que l’on observe, avec toutes les réserves et toutes les fragilités d’une simple observation, une assez nette diminution de la fréquence de ce diagnostic. Cette impression de raréfaction est propre aux pays occidentaux ; dans les pays asiatiques où le vasospasme est beaucoup plus fréquent que chez nous, une telle diminution n’est pas observée. La diminution de la prévalence du tabagisme, puissant cofacteur de survenue d’un spasme coronaire, et dans une moindre mesure, l’utilisation assez large des anticalciques dans le traitement de l’hypertension artérielle expliquent partiellement cette probable diminution de fréquence. L’angor vasospastique est devenu une forme moins fréquente d’insuffisance coronaire… Ce n’est cependant pas une maladie rare !
Question 2 : Est-il si grave de méconnaître un diagnostic d’angor spastique en ne pratiquant pas de test de provocation ?
Aucun élément de littérature ne permet d’apporter de réponse rigoureuse et normative à cette question. Il aurait fallu effectuer une étude randomisée chez des patients coronarographiés pour douleur thoracique et ne présentant pas de lésion athéromateuse sténosante. La moitié de la population aurait été soumise à un test au Méthergin et à un traitement spécifique antispastique en cas de positivité et l’autre moitié n’aurait pas bénéficié d’un tel test de provocation et aurait été traitée empiriquement (ou pas du tout). Un suivi de quelques années aurait pu permettre de déceler une différence entre les deux groupes sur la prévalence d’événements durs tels que la mort subite, l’infarctus du myocarde ou la réhospitalisation pour angor instable documenté. Une telle étude n’existe pas. En l’absence d’enjeu économique majeur, les sponsors ne se bousculent pas au portillon (les anticalciques sont bien validés et depuis longtemps tombés dans le domaine public). De surcroît, une telle étude serait probablement techniquement difficile à organiser, non pas tant en ce qui concerne le suivi que les inclusions. Là aussi, la réponse ne peut être qu’indirecte.
Par ordre de gravité croissante :
Il nous arrive assez régulièrement de voir pour deuxième avis des patients porteurs de douleurs thoraciques persistantes à coronarographie normale. Bien souvent, la réalisation d’une nouvelle exploration coronaire avec test au Méthergin permet d’établir un diagnostic d’angor de Prinzmetal, d’instaurer le traitement pharmacologique approprié et de faire disparaître les symptômes.
Le spasme coronaire est à l’origine d’un nombre non négligeable d’infarctus du myocarde, que je situerais dans la fourchette de 1 à 5 %.
Ces infarctus vasospastiques se recrutent, bien sûr, au sein de la population non négligeable d’infarctus à coronaire saines (2 à 5 % des cas selon les séries). Il est également très vraisemblable que le spasme coronaire joue un rôle majeur dans la survenue de l’infarctus du jeune fumeur. L’aspect angiographique est le plus souvent celui d’une occlusion thrombotique monotronculaire d’un gros vaisseau épicardique. La part thrombotique l’emporte largement sur la composante athéromateuse qui est parfois absente, comme le montrent des observations de recanalisation totale après simple traitement thrombolytique ou après simple thromboaspiration, ainsi que quelques données d’échographies endocoronaires ne retrouvant que des lésions endothéliales minimes au site de l’occlusion thrombotique. Chez de tels patients, il est assez fréquent de pouvoir ensuite démontrer une exacerbation de la vasomotricité coronaire.
Plus grave encore, le spasme coronaire est retrouvé de façon non exceptionnelle lors du bilan étiologique d’un arrêt cardiaque extrahospitalier récupéré.
Lorsque la coronarographie initiale est normale, lorsqu’il n’y a pas d’autre cause, notamment rythmologique, retrouvée et lorsque, enfin, un test au Méthergin pratiqué quelques semaines après récupération de l’arrêt cardiocirculatoire s’avère positif, le diagnostic peut être considéré comme solide. Dans notre série, le vasospasme représente 5 à 6 % des arrêts cardiaques.
Question 3 : Comprend-on enfin mieux la physiopathologie de l’angor vasospastique ?
La réponse est très franchement négative ! On peut même constater qu’au fur et à mesure que sont découverts de nouveaux systèmes de régulation de la vasomotricité, sont élaborées de nouvelles théories physiopathologiques du spasme coronaire dont aucune n’est apparue suffisamment convaincante pour « chasser » les théories antérieures. Il y a donc actuellement beaucoup plus de mécanismes invoqués qu’il y a une trentaine d’années. Le déséquilibre de la balance vagosympathique reste une valeur sûre ; la dysfonction localisée de l’endothélium coronaire et, notamment, la perte de sa capacité à synthétiser du NO reste également l’un des mécanismes les mieux établis du spasme focal récidivant toujours au même endroit du réseau coronaire. Il est quasi certain qu’à l’exception notable du tabagisme, les facteurs de risque athéromateux classiques ne sont pas impliqués dans l’angor vasospastique à coronaires angiographiquement saines. Quelques travaux japonais, pays où la prévalence de l’angor spastique est maximale, tentent d’individualiser certains polymorphismes génétiques « spasmogènes » concernant notamment la régulation de la NO synthase et de la phospholypase C. La physiopathologie reste donc mystérieuse ; le tabac joue un rôle massivement aggravant ; par ailleurs, l’hyperactivité du muscle lisse coronaire s’accompagne assez souvent d’autres stigmates d’hyperactivité vasculaire, notamment migraine et phénomène de Raynaud.
Question 4 : Qu’en est-il du spasme associé à des lésions athéromateuses sténosantes ?
Il s’agit d’une éventualité fréquente dont la physiopathologie est vraisemblablement assez profondément différente de celle du spasme sur coronaires saines. La dysfonction endothéliale et l’hypersensibilité alpha-adrénergique y jouent un rôle vraisemblablement prépondérant. Les enjeux ne sont, bien entendu, pas les même puisque le traitement de base est celui de la maladie coronaire. L’existence d’un facteur vasomoteur associé, évoquée soit sur des paramètres cliniques (grande variabilité du seuil ischémique), soit lors de la coronarographie (vasomotricité exacerbée), incite à utiliser une molécule anti-ischémique vasodilatatrice coronaire telle qu’un anticalcique, un dérivé nitré ou du nicorandil, sans pour autant renoncer aux bêtabloquants en coprescription lorsqu’ils sont clairement indiqués (postinfarctus).
Question 5 : Le test au Méthergin reste-t-il incontournable ?
À mon sens oui ; les autres tests de provocation (acétylcholine, froid, adénosine, hyperventilation, etc.) ont eu un intérêt cognitif et physiopathologique, mais ne peuvent prétendre à la sécurité, la reproductibilité ni, surtout, l’importante littérature (plusieurs milliers de tests de provocation publiés) dont peut faire état le test au Méthergin. Celui-ci n’est, bien sûr, indiqué que s’il n’y a pas eu de documentation spontanée du spasme per coronarographique (en ne se laissant, bien sûr, pas abuser par le spasme en bout de sonde), ou électrocardiographique sous forme d’un sus-décalage transitoire de ST. Il n’est indiqué que s’il n’y a pas de lésion athéromateuse sténosante. Il doit être pratiqué en salle de coronarographie et le spasme doit être immédiatement levé pharmacologiquement par des dérivés nitrés dès qu’il a été déclenché et enregistré.
Dans ces conditions, le test au Méthergin est très sensible, surtout s’il est pratiqué peu de temps après la dernière douleur spontanée ;
il est très spécifique et, dans les conditions de sécurité optimales précédemment décrites, entre les mains d’une équipe entraînée, le risque iatrogène est très faible. En tout cas, le risque est très largement plus faible que les conséquences de la méconnaissance du diagnostic, la prochaine rechute pouvant se faire sous la forme d’un infarctus ou d’une mort subite.
Question 6 : Quel est le traitement du spasme coronaire ?
Il n’a pas changé depuis trois décennies ; il associe l’éradication du tabagisme présent dans la grande majorité des cas et l’utilisation des inhibiteurs calciques. Ceux-ci doivent être administrés à posologies relativement élevées, tout du moins lors de la prise en charge initiale. La tolérance de ces fortes posologies peut être améliorée en utilisant conjointement une dihydropyridine et un anti-calcique bradycardisant (diltiazem ou vérapamil). L’utilisation de très fortes posologies d’une seule de ces deux classes pharmacologiques peut être moins bien tolérée sous forme d’hypotension, d’importants œdèmes des membres inférieurs et de bouffées vasomotrices pour les dihydropyridines et de dépressions excessives de la fonction sinusale pour les anticalciques bradycardisants.
Question 7 : Comment évaluer l’efficacité de ce traitement ?
Il n’y a pas de consensus en la matière. La disparition des crises et la vérification de l’absence d’ischémie silencieuse par un enregistrement Holter représentent un moyen d’évaluation acceptable. Dans les formes sévères, il peut être judicieux de renouveler la coronarographie et le test au Méthergin sous traitement médicamenteux. Cette coronarographie de contrôle doit être effectuée à l’équilibre pharmacocinétique du traitement, c’est-à-dire après plusieurs jours d’imprégnation si l’on utilise une molécule à demi-vie longue.
La négativation d’un test au Méthergin initialement positif est fortement prédictive d’une efficacité thérapeutique soutenue.
Question 8 : Que faire en cas d’échec de ce traitement de première ligne ?
Lorsque les posologies d’anticalciques sont suffisantes, les échecs sont relativement rares. D’autres classes de vasodilatateurs peuvent être utilisées, aucune étude randomisée ne venant cependant étayer cette utilisation. Les dérivés nitrés, le nicorandil représentent un incrément thérapeutique logique. En cas d’échec, d’autres classes pharmacologiques peuvent être occasionnellement efficaces, telles les alphabloquants ou les antagonistes de l’angiotensine II, mais il s’agit là d’une utilisation purement empirique à n’envisager qu’en cas d’échec documenté des anticalciques et des dérivés nitrés correctement dosés.
Question 9 : Y a-t-il des indications à la revascularisation myocardique ?
Il y en a, mais elles sont très largement minoritaires.
Il s’agit des patients porteurs d’un spasme réfractaire se reproduisant immuablement au même endroit du réseau coronaire. Parfois, le site du spasme est porteur d’une plaque d’athérome identifiable à la simple coronarographie ou par ultrasons endocoronaires. La décision d’implanter un stent est alors logique et relativement facile à prendre. Parfois, il n’y a rigoureusement aucune anomalie identifiable par les techniques d’imagerie actuellement disponibles. La fixité « géographique » du site du spasme et sa mauvaise réponse aux traitements médicamenteux peuvent néanmoins amener à poser un stent tout en maintenant, bien entendu, le traitement vasodilatateur. Il s’agit cependant d’une éventualité exceptionnelle.
Question 10 : Quelle place pour les statines et les antiagrégants plaquettaires ?
Là encore, aucune réponse evidence based. S’il n’y a aucune plaque athéromateuse décelable à la coronarographie et/ou aux ultrasons endocoronaires et s’il n’y a pas de dyslipidémie, la place des statines paraît modeste.
Aucune étude ne valide ni n’invalide l’utilisation des antiagrégants plaquettaires dans l’angor vasospastique pur.
La conséquence d’un spasme occlusif, s’il est suffisamment prolongé, étant une thrombose coronaire, il n’est pas illogique de prescrire une molécule à très large coefficient thérapeutique telle l’aspirine ! Cela reste cependant une simple position de principe.
Question 11 : S’agit-il d’un traitement à vie ?
La seule partie indiscutablement définitive du traitement devrait être le sevrage tabagique !
L’évolution sur le moyen et le long terme de l’angor vasospastique reste tout aussi mystérieuse et variable que sa physiopathologie. Dans la majorité des cas, après sevrage tabagique consolidé et avec un recul de 12 à 18 mois sans crise, il est raisonnable de diminuer progressivement les posologies d’anticalciques puis, de les arrêter définitivement. Dans certains cas, le spasme est tenace et un tel sevrage n’est pas possible ou n’est en tout cas pas possible avant de nombreuses années.
Question 12 : Quels sont les médicaments susceptibles de déclencher les spasmes coronaires ?
La liste des substances spasmogènes ou réputées spasmogènes est longue. La cocaïne, l’éphédrine, les amphétamines, la marijuana ont été indiscutablement incriminées, de même que, dans la pharmacopée la plus classique, la bromocriptine, le Méthergin lui-même dans ses indications obstétricales, les prostaglandines vasoconstrictrices administrées lors des hémorragies de la délivrance et, enfin, très occasionnellement les antimigraineux majeurs de la famille des triptans. Il convient cependant de souligner que ces spasmes médicamenteux sont très rares et ne remettent pas en cause les indications « sérieuses » de ces médicaments.
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