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Thérapeutique

Publié le 24 jan 2006Lecture 11 min

L'engouement de la thérapie cellulaire : de nombreuses expérimentations chez l'homme

J.-N. TROCHU, CHU de Nantes

AHA

La thérapie cellulaire est porteuse de nombreux espoirs pour une approche réparatrice et plus particulièrement dans l’insuffisance cardiaque d’origine ischémique. Cette capacité de régénération des organes, capacité perdue au cours de l’évolution, cependant encore observée chez certains animaux et dans certains organes chez l’homme, est finalement peut-être quiescente dans le myocarde et pourrait être réveillée ou amplifiée grâce à différentes interventions. Ce concept de laboratoire qui reste encore très discuté pour ses mécanismes intimes, est récemment très rapidement passé au stade de l’expérimentation clinique chez l’homme.

Plusieurs sources cellulaires sont actuellement étudiées, en particulier les cellules musculaires squelettiques dans l’insuffisance cardiaque chronique d’origine ischémique et les cellules de la moelle osseuse au stade aigu de l’infarctus du myocarde (IDM). La thématique de la thérapie cellulaire a occupé un très grand nombre de sessions scientifiques et plusieurs protocoles de thérapie cellulaire ont été présentés au cours de ce dernier congrès de l’AHA, en particulier pour la prise en charge des patients la phase aiguë de l'infarctus du myocarde. Thérapie par cellules hématopoïétiques Les études expérimentales indiquent que l'utilisation des progéniteurs mononucléés à partir de la moelle osseuse peuvent contribuer à la régénération fonctionnelle du myocarde dans les jours qui suivent l'infarctus du myocarde (d’ailleurs, l’hyperleucocytose observée à la phase aiguë de l’infarctus n’est-elle pas le marqueur d’une tentative de régénération de la zone infarcie par la moelle osseuse ?). Jusqu'à présent, plusieurs études avaient montré qu’une stratégie combinant reperfusion (dilatation + stent) à la phase aiguë et injection intracoronaire de cellules souches médullaires dans les jours qui suivent l'infarctus du myocarde est réalisable sans risque significatif, avec une probable efficacité, sur de petits effectifs, mais cela restait à démontrer dans un essai randomisé en double aveugle.   REPAIR-AMI dans l’IDM aigu L'étude REPAIR-AMI (Reinfusion of Enriched Progenitor Cells and Infarct Remodeling in Acute Myocardial Infarctio), réalisée par Volker Schächinger et coll., avait pour objectif de répondre à cette interrogation. Il s’agit d’une étude multicentrique randomisée contre placebo en double aveugle impliquant des équipes allemandes et suisses. Elle a inclus 204 patients hospitalisés pour un infarctus aigu et a évalué l’efficacité de l'injection de progéniteurs préparés à partir de 50 ml de moelle osseuse aspirés par ponction de la crête iliaque 3 à 6 jours après infarctus et réinjectés dans la zone de l'infarctus. L'objectif principal de cette étude était d’évaluer la fonction cardiaque systolique globale mesurée par ventriculographie après quatre mois de suivi. À l'inclusion, la fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) était similaire dans les deux groupes (47 ± 1,1 % dans le groupe placebo et 48 ± 1,5 % dans le groupe thérapie cellulaire). À quatre mois de suivi, la fonction ventriculaire gauche était significativement améliorée dans les deux groupes mais l'augmentation était la plus importante dans le groupe thérapie cellulaire (plus 5,5 ± 0,7 %) par rapport au placebo (plus 3,0 ± 0,7 %, p < 0,014). L’injection des cellules souches a prévenu la dilatation ventriculaire (diminution du volume télésystolique VG), indiquant un bénéfice sur le remodelage postinfarctus, et amélioré significativement la réserve coronaire dans la zone de l'infarctus, indiquant une amélioration significative de la néovascularisation dans la région infarcie. Ces effets sur le remodelage étaient associés à la réduction du critère clinique combiné décès, infarctus du myocarde, réhospitalisations pour insuffisance cardiaque (p = 0,07). L'analyse des sous-groupes démontre que le bénéfice de la thérapie cellulaire intracoronaire était plus important pour les infarctus les plus graves (FE < 49 %) et chez les patients qui recevaient le traitement par thérapie cellulaire à partir du cinquième jour. Cette étude, première étude randomisée en double aveugle contre placebo, confirme hypothèse que la perfusion intracoronaire de cellules médullaires apporte un bénéfice significatif sur la récupération de la fonction ventriculaire gauche chez des patients revascularisés avec succès après un infarctus du myocarde.   Moelle ou sang circulant ? Une nouvelle étude de la même équipe (Francfort, Allemagne) suggère que la thérapie cellulaire peut aussi apporter un bénéfice dans la cardiopathie ischémique chronique. Cent neuf patients avec une cardiopathie ischémique stable (moyenne d'âge de 59 ± 10 ans) ayant eu un infarctus du myocarde au moins 3 mois auparavant (3 mois à 12 ans) ont été randomisés pour recevoir soit : • aucune injection (groupe témoin), • la perfusion de cellules issues de la moelle osseuse (BMC [bone marrow cells]) • ou la perfusion de cellules progénitrices dérivées du sang circulant (CPC [circulating progenitor cells]) dans l'artère coronaire irriguant la région la plus dyskinétique. Cette étude montre que l'augmentation de la fraction d'éjection mesurée à l'angiographie ventriculaire gauche a été significativement plus importante dans le groupe BMC (+ 3,1 ± 3 % contre +1,2 ± 3 % dans le groupe CPC (p = 0,03) et – 1,2 ± 3 %, (p < 0,001) dans le groupe témoin. Dans un sous-groupe de patients chez qui a pu être réalisée une IRM (sans stimulateur/défibrillateur), l'étude a retrouvé une augmentation encore plus significative (BMC : + 4,8 ± 6 % vs 2,8 ± 5 % pour le groupe CPC et aucune modification dans le groupe témoin). Le volume d'éjection systolique n’a augmenté significativement que dans le groupe BMC. Les auteurs concluent que l'injection intracoronaire de progéniteurs est réalisable et sans risque chez les patients qui ont un infarctus du myocarde datant de plus 3 mois et est associée à une augmentation significative de la fonction ventriculaire gauche.   Effet sur le remodelage ventriculaire Chez 27 patients issus d'un essai précédent (TOPCARE-AMI), la même équipe s'est intéressée au remodelage ventriculaire consécutif à l’injection de cellules progénitrices avec un suivi à deux ans. Ce travail démontre que la fraction d'éjection ventriculaire globale mesurée par IRM a augmenté de 15 ± 8 % au cours des deux ans de suivi. Cette amélioration a été associée à une diminution significative des taux de NT-pro-BNP. La masse ventriculaire gauche a diminué significativement à un an et deux ans. Cette étude suggère donc un effet favorable de la thérapie cellulaire à long terme sur le remodelage ventriculaire.   Le bénéfice de l’exercice physique sur les progéniteurs circulants L’atténuation de la perfusion périphérique chez les patients en insuffisance cardiaque chronique est généralement attribuée à la dysfonction endothéliale. Cette dysfonction endothéliale est partiellement expliquée par une perte de cellules endothéliales par des mécanismes d’apoptose et une diminution de la libération de progéniteurs endothéliaux par la moelle osseuse. L'équipe de Erbs (Leipzig, Allemagne) a cherché à savoir si l’exercice physique régulier modifiait le nombre de cellules immatures endothéliales circulantes, les cellules souches et les progéniteurs endothéliaux, chez les patients insuffisants cardiaques sévères. Ils ont évalué 16 patients avec une insuffisance cardiaque chronique (FEVG 23 ± 2 %, NYHA III) randomisés en deux groupes : trois mois d'exercice ou mode de vie sédentaire. Cette étude montre que l'exercice accroît le nombre de cellules souches CD34 +, de 54 ± 18 % et les progéniteurs endothéliaux de 100 ± 28 %. La dilatation dépendante du flux de l'artère radiale a augmenté de 7,7 ± 1,8 % à 17,4 % ± 4,2 % à 3 mois dans le groupe entraîné (p < 0,05) et cette augmentation était corrélée à l’augmentation des cellules CD34+. Les auteurs concluent que l'exercice physique régulier permet d'obtenir une augmentation des progéniteurs endothéliaux circulants et des cellules CD34+ chez les patients insuffisants cardiaques chroniques. Ces phénomènes peuvent participer à la régénération de l’endothélium endommagé et pourraient contribuer à la correction partielle de la dysfonction constatée dans insuffisance cardiaque.   Effets sur l’hypokaliémie Fischer-Rasokat et coll. (Frankfurt, Allemagne) ont évalué l’intérêt de l’injection de cellules progénitrices dans le territoire de l’artère interventriculaire antérieure chez 20 patients âgés de 51 ± 3 ans (ancienneté de l’insuffisance cardiaque 79 ± 15 mois) ayant une cardiomyopathie dilatée non ischémique. Cette étude montre, chez les 15 patients qui ont pu être réévalués à 3 mois, une augmentation de la FEVG de 28,5 ± 13,7 % à 31,3 ± 13,6 % (p < 0,01). L'augmentation de la fraction d'éjection était liée uniquement à une diminution de l'hypokinésie dans le territoire de l'interventriculaire antérieure. La contractilité régionale ne s’est pas modifiée dans les autres territoires, pas plus que les volumes ventriculaires gauches et le NT-pro-BNP pendant les trois mois de suivi.   Pas de risque de resténose Assmus et coll. (Frankfurt, Allemagne), dans une étude comparative angiographique de 178 patients dilatés à la phase aiguë avec implantation d'un stent et 83 patients recevant en plus une infusion intracoronaire de cellules progénitrices, n'ont pas montré de risque accru d'épaississement néo-intimal au cours des 6 mois suivant l'implantation ni d'aggravation des lésions avec un recul de 2 ans. Cette étude semble donc infirmer le risque de resténose coronaire associé à la thérapie cellulaire, risque qui avait été évoqué au cours des premiers essais.   Effet sur la fonction contractile L'équipe de Hendrikx et coll. (Belgique) s'est intéressée au bénéfice sur la fonction ventriculaire gauche globale et régionale de l'injection intramyocardique de cellules mononucléées de moelle osseuse au cours de pontages aorto-coronaires avec un suivi de quatre mois. Cette étude a inclus 20 patients, âgés d’environ 65 ans avec une séquelle d'infarctus sans viabilité, qui ont été randomisés au moment des pontages soit dans un groupe témoin, soit dans un groupe associant l’injection de cellules de moelle osseuse dans la zone bordante de l'infarctus. Les auteurs n’ont pas observé de bénéfice sur la fonction ventriculaire gauche globale mais une récupération significative de la fonction contractile régionale dans la zone préalablement non viable.   Dans la cardiopathie ischémique ? L’équipe de Beeres et coll. s’est intéressée au bénéfice de l’injection intramyocardique de cellules mononucléées issues de la moelle osseuse chez 22 patients avec une cardiopathie ischémique chronique et une angine de poitrine réfractaire sans possibilité de revascularisation recevant un traitement médical maximal. Cette étude a démontré une amélioration significative de la classe fonctionnelle clinique et de la fraction d'éjection, une diminution du volume télésystolique et du nombre de segments ischémiques. Les auteurs concluent que, chez des patients avec un angor réfractaire sans solution thérapeutique, l'utilisation de cellules mononucléées issues la moelle osseuse pourrait apporter un bénéfice significatif. Résultats décevants d’ASTAMI En revanche, l’essai ASTAMI (présenté par Lunde et coll. Oslo, Norvège) vient contredire ces résultats. Cette équipe a évalué l'efficacité de l'injection intracoronaire de cellules autologues mononucléées issues de la moelle osseuse chez les patients hospitalisés à la phase aiguë d'un infarctus du myocarde antérieur traité par angioplastie coronaire dans un délai de 2 à 12 heures. Ces patients devaient avoir une hypokinésie Ž 3 segments. Cent patients avaient été inclus (50 dans chaque groupe) et l'injection avait lieu entre 4 et 8 jours après l'hospitalisation. Le critère principal était l'évaluation de la fraction d'éjection ventriculaire gauche à 6 mois par une gamma angiocardiographie, échocardiographie et IRM. L'âge moyen des patients était de 58 ans (16 % de femmes) et les patients étaient en classe Killip 1 ou 2 dans 90-98 % des cas. Les résultats ne montrent pas de modification significative de la fraction d'éjection (+ 8,1 % dans le groupe thérapie cellulaire et + 7 % dans le groupe témoin). À l'échographie, le même résultat a été retrouvé avec une fraction d'éjection augmentant de 3,1 % dans le groupe thérapie cellulaire contre 2,1 % dans le groupe témoin et à l'IRM + 1,2 % et + 4,3 % respectivement. La taille de l'infarctus ainsi que volume ventriculaire gauche télédiastolique n'étaient pas significativement différents à six mois quelle que soit la méthode d'évaluation. Les auteurs n’ont pas retrouvé à 6 mois de recours plus fréquent à une nouvelle angioplastie (13 dans le groupe thérapie cellulaire, 12 dans le groupe témoin).   Thérapie par cellules musculaires A. Hagège (HEGP, Paris) a présenté le suivi à long terme des 10 patients inclus dans l’essai de phase 1 sur la thérapie cellullaire par cellules musculaires squelettiques associée aux pontages aorto-coronaires. Ces patients âgés de 60 ± 3 ans avaient une cardiopathie ischémique chronique avec un antécédent d’infarctus du myocarde et une fraction d'éjection < 35 %. Après un suivi de 48 ± 11mois après la chirurgie et l’injection de cellules musculaires squelettiques, les patients étaient significativement améliorés sur le plan fonctionnel avec une amélioration significative de la fraction d'éjection de 24,3 ± 4 % à 31 ± 4,1 % dès un mois, amélioration qui est restée stable au cours du suivi. Le taux d'hospitalisation dans cette population a été particulièrement faible (0,14/an). Les arythmies ventriculaires observées chez les patients ont été contrôlées par le recours au défibrillateur et le traitement médical.   Au total Cette réunion de l’AHA 2005 a donc été le lieu d’un engouement important pour la thérapie cellulaire dans la prise en charge des cardiopathies ischémique mais il s’agit encore de petits essais pas tous randomisés, avec des critères d’évaluation très variables qui nécessitent de prendre plus de recul quant aux réels bénéfices cliniques de la thérapie cellulaire. De nombreux travaux fondamentaux sont encore nécessaires pour définir plus exactement les réels effets cliniques et les mécanismes d’action car il existe encore beaucoup de controverses (et des sessions passionnantes à venir) sur la possible régénération du muscle cardiaque, la néovascularisation, la différenciation des cellules souches de l’adulte, la collaboration entre les cellules via la sécrétion de facteurs de croissance et de cytokines, les fusions potentielles, la place de cellules souches embryonnaires, des cellules du muscle squelettique, etc.   ASTAMI L’étude ASTAMI (Étude des effets de l’injection de cellules médullaires autologues mononucléaires sur la fonction ventriculaire gauche dans l’IDM antérieur en phase aiguë) est le premier essai sur 9 qui montre un résultat négatif. Les commentaires qui ont suivi cette présentation étaient donc particulièrement importants. - Le premier point concerne le délai de l’injection. L'étude REPAIR-AMI montre que le sous-groupe de patients qui reçoit l'injection à partir du 5e jour est celui qui bénéficie le plus de ce traitement. Cette fenêtre semble importante et correspond probablement à la conjonction de mécanismes inflammatoires intramyocardiques, de production de radicaux oxydatifs et de facteurs déterminant probablement l'implantation des cellules souches dans la zone infarcie et la zone débordante comme le soulignait le commentaire de cette étude. Ce sont aussi les patients qui avaient l’altération de la plus sévère de la fraction d'éjection VG qui bénéficient le plus du traitement par thérapie cellulaire. - Par ailleurs, il a été constaté que les patients de l'étude ASTAMI étaient très bien traités (100 % de statines). Il est possible que cette prise en charge optimisée explique le bénéfice clinique observé dans le groupe témoin. Ce bénéfice a d'ailleurs été aussi constaté dans l'étude BOOST qui à 1 an ne mettait plus en évidence de différence significative concernant l'amélioration de la fraction d'éjection. - Il semble que les patients les plus âgés ne soient pas non plus les meilleurs répondeurs, probablement en raison d'une diminution des capacités de la moelle osseuse à produire des cellules progénitrices. - Il apparaît donc essentiel d’identifier au mieux les patients qui bénéficieront du traitement par thérapie cellulaire et les caractéristiques des cellules réellement impliquées dans la régénération myocardique.   BONAMI Cela renforce l'intérêt de l'essai BONAMI (BONe marrow for Acute Myocardial Infarction) actuellement en cours en France (étude animée par l’Institut du Thorax de Nantes avec les équipes de Créteil, Grenoble, Montpellier, Lille, Toulouse). Cet essai randomisé prévoit d’inclure 100 patients (42 sont déjà inclus) hospitalisés à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde grave (FEVG < 45 %) afin d’étudier le bénéfice de l'injection intracoronaire de cellules souches de moelle osseuse, entre le 7e et le 10e jour de l'infarctus, sur la viabilité myocardique et la fonction ventriculaire gauche par scintigraphie myocardique au thallium, échocardiographie et IRM. Cet essai a aussi comme objectif d’analyser les caractéristiques des cellules médullaires afin d’identifier les patients qui bénéficieront au mieux de cette nouvelle approche thérapeutique.

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