Publié le 08 déc 2009Lecture 8 min
Un siècle de cardiologie - L'ère de la chirurgie cardiaque
C. RÉGNIER
Le 6 mai 1954, à la Mayo Clinic de Rocherster, John Heysam Gibbon (1903-1973) utilise pour la première fois « sa » machine cœur-poumons pour corriger une communication interauriculaire chez une jeune femme de 18 ans ; l’intervention dure 27 minutes.
La machine cœur - poumons (1954)
Le 6 mai 1954, à la Mayo Clinic de Rocherster, John Heysam Gibbon (1903-1973) utilise pour la première fois « sa » machine cœur-poumons pour corriger une communication interauriculaire chez une jeune femme de 18 ans ; l’intervention dure 27 minutes. Avec l’aide d’IBM, Gibbon a conçu lui-même ce premier appareil fiable de circulation extracorporelle permettant d’opérer à cœur ouvert ; l’appareil est surnommé la « Rolls » en raison de sa qualité et de son prix (320 000 US $). John Kirklin (1917-2004) réalise les premières interventions sur les communications interventriculaires en faisant usage de la machine de Gibbon. Les premiers résultats de ces interventions sont grevés d’une mortalité importante en raison de l’installation d’un bloc auriculoventriculaire lors de la section du faisceau de His. Les chirurgiens redoutaient aussi la déchirure des points de suture remplacés depuis par une pièce de dacron ou un lambeau de péricarde (figure 10).
Cette innovation technique permit à la chirurgie des cardiopathies congénitales de réaliser des corrections complètes des anomalies anatomiques et de dépasser le stade des interventions palliatives.
La chirurgie des cardiopathies congénitales
La première ligature sur un canal artériel est réalisée avec succès le 26 août 1938 sur une fillette de 7 ans par Robert Edward Gross (1905-1988) et John Perry Hubbard (1903- 1990) à Boston. Les deux chirurgiens emploient du fil de soie et pratiquent la technique du « surjet ».
En octobre 1944, à Stockholm, les premières corrections d’une coarctation de l’aorte sont effectuées chez un enfant et un adulte par Clarence Crafoord (1899-1984) et Carl Gustav Nylin (1892-1961) après clampage de l’aorte au delà des coronaires et des vaisseaux du cou.
La tétralogie de Fallot est corrigée le 29 novembre 1944 à Baltimore selon la technique proposée par Helen Taussig (1898-1986), cardiologue spécialiste des cardiopathies congénitales, au chirurgien Alfred Blalock (1899-1964). Le technicien Vivien Thomas (1910-1985) met au point les instruments chirurgicaux nécessaires à l’intervention. La technique consiste à créer un shunt circulatoire permanent dérivant le flux sanguin aortique vers la circulation pulmonaire.
Par la suite de nombreux protocoles sont proposés pour corriger les cardiopathies congénitales cyanogènes :
- l’anastomose de Potts, Smith et Gibson (1946) entre l’aorte descendante et l’artère pulmonaire gauche ;
- l’anastomose de Davidson (1955) où un tube est directement interposé entre l’aorte et l’artère pulmonaire ;
- l’anastomose de Waterston-Cooley (1962) entre l’aorte ascendante et l’artère pulmonaire droite ;
- le shunt de Sano (2003) où un tube est interposé entre l’artère pulmonaire et le ventricule droit.
En 2001, à l’hôpital Necker à Paris, Johannes Bonhoeffer remplace une valve pulmonaire chez un garçon de 12 ans présentant une tétralogie de Fallot par voie vasculaire (cathéter) sous contrôle radiologique. Après expérimentation sur l’animal, le cardiologue a conçu un stent sur lequel est fixée une valve cardiaque biologique.
Starr et la chirurgie valvulaire (1960)
Au début des années 60, la chirurgie des valves cardiaques n’a presque pas progressé, si l’on excepte toutefois les techniques de dilatation orificielle proposées dès 1925 par le chirurgien anglais Henry Souttar (1875-1964). Au milieu des années 50, en mettant au point, le dilatateur de « Dubost », Charles Dubost (1914-1991), Georges Oteifa, Philippe Blondel, ont amélioré le pronostic de la chirurgie mitrale. Pourtant, les interventions sont risquées, les « dilatateurs » sont introduits par voie auriculaire ou ventriculaire, le cœur du patient est massé pendant l’intervention qui s’achève après une « purge » des caillots de l’oreillette et un décollement des cordages souvent agglutinés... En 1955, Dubost est le premier en France, à réaliser une intervention à cœur ouvert. Par la suite diverses techniques de valvulopasties sont proposées par Lillehei, Wooler et Mac Goon.
La première date, 1960, correspond à l’utilisation de prothèses à bille du chirurgien thoracique Abert Starr (né en 1926) et de l’ingénieur Lowell Edwards. Ces prothèses remplacent les valves mitrales ; la technique apporte de grands espoirs mais les complications thromboemboliques demeurent importantes. Un très grand nombre de modèles différents sont proposés à travers le monde. La même année, en 1960, à Pittsburgh, Bahson confectionne et implante des valves aortiques en dacron dont la résistance s’avère peu satisfaisante.
La deuxième date, 1965, correspond à l’introduction des bioprothèses par Carpentier (né en 1933) dont la technique n’a cessé de s’améliorer.
La troisième date, 1982, est celle de la valvuloplastie percutanée développée au Japon par Teruo Inoue et destinée au rétrécissement mitral pur.
En 2002, le Pr Alain Cribier à Rouen remplace une valve aortique par la méthode du cathétérisme.
Les premiers pontages aorto-coronariens (1964)
En 1946, à Montréal, Arthur M. Vineberg (1903-1988) implante une artère mammaire interne directement dans le myocarde pour en améliorer la perfusion sans l’anastomoser avec une artère coronaire. Ce protocole opératoire demeure pratiqué jusque dans les années 70.
En 1964, au Methodist Hospital de Houston, l’équipe de Michael Ellis DeBakey (1908-2008) est la première à réussir un pontage aorto-coronaire sur l’interventriculaire antérieure à l’aide d’un greffon saphène interne. Le patient est placé sous circulation extracorporelle. Cette réussite n’est publiée qu’en 1973. On attribue à DeBakey plus de 60 000 interventions notamment Marlène Dietrich, Edouard VIII, John Kennedy, le shah d’Iran Reza Pahlavi, Richard Nixon et Boris Eltsine en 1996. À travers le monde, de nombreux chirurgiens du cœur lui sont redevables d’une technique, de son perfectionnement ou d’une méthode, d’un enseignement.
Les pontages dits « à cœur battant », sans CEC, sont pratiqués depuis la fin des années 90. À Paris, Carpentier, réalise en 1996 la première intervention à cœur ouvert par vidéo-chirurgie. Trois ans plus tard, les « robots d’assistance à la chirurgie cardiaque » sont testés.
L'aventure de la greffe cardiaque (1967)
À Minneapolis, autour de Clarence Walton Lillehei (1918-1999) se forme un groupe de résidents et de fellows qui sont à l’origine des premières greffes cardiaques : Shumway, Barnard et Cabrol.
En 1960, les chirurgiens de Palo Alto en Californie réalisent 8 greffes orthoptiques cardiaques chez le chien. La technique de la greffe cardiaque chez le chien est « standardisée » dès 1961 par Shumway ; les mêmes étapes opératoires sont reprises chez l’homme. Christian Cabrol (né en 1925) témoigne : Le rôle déterminant de Shumway et Lower tient à deux contributions majeures : la simplification des anastomoses et la conservation du cœur greffé pendant la confection de ces anastomoses.
Le 24 janvier 1964, à l’Université de Jackson (Mississipi), l’équipe chirurgicale de James Hardy (1930-2008) tente la greffe d’un cœur de chimpanzé chez un homme en état de choc cardiogénique. La survie du greffon ne dépasse pas deux heures. La xénogreffe tentée par Hardy passe inaperçue, ne reçoit aucun écho médiatique ; il s’agit pourtant de la première greffe cardiaque tentée chez l’homme.
Le 3 décembre 1967, à l’hôpital Groote Schuur du Cap, Chris Barnard et son équipe réalisent la première greffe cardiaque au monde. (figure 11) L’intervention dure cinq heures. Le cœur de la donneuse, une jeune femme, est refroidi à 16 °C et placé dans un système de perfusion artificielle. Le cœur du malade, Louis Washkansky, est partiellement excisé, ne conservant que les sections d’oreillettes recevant les veines pulmonaires et les veines caves. La partie initiale de l’aorte ascendante et le tronc de l’artère pulmonaire sont également conservés. L’opération est réalisée sous hypothermie avec mise en place d’une circulation extracorporelle. Le greffon est perfusé en continu. Le malade reçoit des irradiations de cobalt à 150 rads et une chimiothérapie immunosupressive avec de l’azathioprine et de la cortisone (comme pour les greffes de rein). Le malade meurt le 21 décembre (17 jours de survie) d’une pneumonie (figure 12). Notre traitement [immunosuppresseur] avait été trop rigoureux. Nous avons réagi de façon excessive, car nous avions peur. Le greffon n’a pas été rejeté. La prochaine fois, nous serons moins paniqués, déclare le chirurgien du Cap. Le 2 janvier 1968, il effectue une seconde greffe cardiaque (la 3e au monde) sur le Dr Blaiberg, médecin stomatologiste, qui survit 19 mois et 15 jours. Le donneur, Clive Haupt, est un métis de 24 ans décédé d’hémorragie cérébrale. Pour cette intervention, l’Institut Pasteur de Lyon fournit à Barnard un sérum antilymphocytaire (SAL) dont les propriétés immunosuppressives ont été étudiées à Paris par l’équipe de Cachera, Lacombe et Bui-Mong-Hung.
En Californie, à Palo Alto, le 6 janvier 1968, Shumway (figure 13) réalise une greffe cardiaque chez Mike Kasperk atteint d’une myocardite ; le patient survit deux semaines. À un des amis le félicitant pour cette 2e greffe mondiale (il s’agit en réalité de la 4e), il répond : Bien sûr, bien sûr, mais au fait, qui de nous se souvient du deuxième pilote qui, après Lindbergh, a traversé l’Atlantique... !
Après la première du Cap, après New York et la Californie, une frénésie de transplantations s’empare des chirurgiens du cœur à travers le monde ; des greffes sont réalisées à Houston, Richmond, Dallas, Paris, Londres, Montréal, Bombay, Sapporo. À Paris, à La Pitié, le 27 avril 1968, Christian Cabrol, et Gérard Guiraudon réalisent la première greffe cardiaque en Europe (la 7e dans le monde). Le chirurgien de La Pitié a travaillé avec Shumway à Minneapolis en 1956-1957. Le receveur, Clovis Roblain est âgé de 66 ans, le donneur, Marcel Gypaz de 23 ans. Le greffé meurt trois jours après l’intervention. (figure 14)
Dans les années 70, les greffes cardiaques deviennent de plus rares ; seules quatre équipes chirurgicales – Shumway à Palo-Alto, Barnard au Cap, Lower à Richmond et Cabrol à Paris – continuent leurs recherches sur les greffes de cœur. En 1970, un nouvel espoir naît à Bâle (Suisse) lorsque Jean-François Borel (né en 1933) met en évidence, les ciclosporines et leurs propriétés immunosuppressives. En 1980, Roy Calne à Cambridge et Power à Londres prouvent que la ciclosporine A, synthétisée en 1980 à partir du Tolypocladium inflatums gams, présente un intérêt majeur dans la prévention des rejets de greffe.
Au 1er janvier 1991, on dénombrait 15 995 greffes cardiaques (pour plus de 100 000 greffes rénales), le taux de réussite étant de 80 % selon les équipes. Plus grands progrès encore, les indications et l’âge des sujets greffés se sont profondément modifiés.
Les angioplasties et les traitements endovasculaires
En 1947, à Strasbourg, Jean Kunlin (1904-1991) réalise le premier pontage veineux fémoro-poplité en se servant d’une veine saphène. Trois ans après, Jacques Oudot (1914-1953), chirurgien de l’expédition de l’Annapurna conduite par Maurice Herzog utilise une artère provenant d’un cadavre pour réaliser la première homogreffe d’une bifurcation aortique. Charles Dubost (1914-1991) réalise le premier remplacement d’une aorte abdominale anévrismale. La première endartériectomie carotidienne est réalisée par DeBakey en 1953. Il invente des patchs en Dacron (cousus par lui-même sur la machine de son épouse). Il utilise ces prothèses dans la cure chirurgicale d’un anévrisme aortique.
Deux innovations majeures apparaissent en 1985 dans le traitement endovasculaire :
J.B. Simpson, D.E. Johnson, H.V. Tapliyal, D.S. Maks et L.J. Braden proposent l’athérectomie directionnelle qui consiste à pousser dans une artère fémorale un cathéter munis d’une fenêtre dans lequel tourne à 2 000 tours/min, une lame coupante pouvant abraser la plaque d’athérome. Cette technique est complétée cinq ans plus tard par l’utilisation du Rotablator®, muni d’une fraise recouverte de grains de diamants ;
J.C Palmaz, R.R. Sibbitt, S.R. Reuter, O. Tio et W.J. Rice mettent au point une endoprothèse artérielle auto-expansive endoluminale à placer par voie percutanée.
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