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HTA

Publié le 12 déc 2006Lecture 11 min

Les effets des traitements antihypertenseurs sur la fonction érectile

X. GIRERD, service d’endocrinologie, unité de prévention cardiovasculaire, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris, France

La plus grande fréquence des troubles de la sexualité chez les patients hypertendus est aujourd’hui bien reconnue. Pour le cardiologue, la dysfonction érectile qui survient chez le sujet pris en charge pour une hypertension artérielle ne doit pas le conduire à uniquement incriminer les antihypertenseurs comme étant la cause du trouble, mais doit le pousser à envisager le dépistage d’une coronaropathie. Lorsqu’un homme se plaint d’une dysfonction érectile (DE), la recherche des facteurs de risque cardiovasculaire s’impose en complément de la recherche d’une pathologie prostatique et avant d’incriminer une cause psychologique.

La plainte d’une dysfonction érectile chez un patient ayant une maladie cardiovasculaire doit conduire à éliminer une pathologie urologique, une dépression et, en cas d’athérosclérose sévère de l’aorte terminale et des vaisseaux iliaques, à rechercher une hypoperfusion des artères honteuses à l’origine de la vascularisation du pénis. Le plus souvent, la plainte d’une dysfonction érectile sera exprimée chez l’hypertendu stabilisé par le traitement médical. C’est dans cette situation que va se poser le problème de la causalité entre les traitements médicaux prescrits et la dysfonction érectile. Des données précises existent sur le rôle joué par certains traitements sur la sexualité mais les idées reçues sont dans ce domaine plus connues que les données issues des essais cliniques randomisés. Si pour certains patients une adaptation thérapeutique permet parfois le retour à une sexualité satisfaisante, chez d’autres, c’est l’emploi des médicaments actifs sur l’érection qui va permettre d’améliorer la sexualité. Si les rares contre-indications sont respectées, la prescription des médicaments qui favorisent l’érection est possible dans la très grande majorité des cas chez l’hypertendu traité. Fréquence de la DE   Chez les patients ayant une maladie cardiovasculaire L’étude de la Massachusetts Male Aging Study, qui a été menée en population générale aux États-Unis indique que, chez des hommes de 40 à 70 ans, l’incidence des troubles de l’érection est de 26 cas pour 1000 hommes/an, et augmente avec l’âge, un bas niveau socio-économique, la présence d’une dépression, l’existence d’un diabète, d’une hypertension artérielle ou d’une pathologie cardiaque. Les troubles de l’érection considérés comme importants concernaient 9,6 % des hommes interrogés. Dans le groupe des sujets traités pour une maladie cardiovasculaire, ce pourcentage s’élevait à 15 %. Après ajustement sur l’âge, la survenue de ces troubles était essentiellement corrélée à l’existence d’une hypertension artérielle traitée ou d’un diabète. D’autres études européennes retrouvent une prévalence des troubles de la sexualité dans la population générale allant de 13 à 40 % chez les hommes d’âge moyen.   Chez les hypertendus traités Dans les études épidémiologiques, une plus forte prévalence des troubles de la sexualité, notamment des troubles de l’érection, est observée chez les hommes hypertendus par comparaison aux sujets de même âge. Ces troubles sont plus fréquents chez les hypertendus traités que chez les non traités. Dans une étude regroupant 463 hypertendus traités et 163 hypertendus non traités, la difficulté à obtenir une érection était rapportée par 41 % des hypertendus traités contre 22 % des hypertendus non traités. Une difficulté à maintenir une érection était observée par 38 % des hypertendus traités contre 23 % des hypertendus non traités. Une étude réalisée en France chez 459 hypertendus âgés en moyenne de 59 ± 12 ans, suivis par des spécialistes indique des troubles de l’érection chez 45 % des hommes hypertendus traités, caractérisés par des érections moins fréquentes dans 31 % des cas et/ou moins durables dans 19 % des cas, et impossibles dans 11 % des cas. Il faut noter que, chez 17 % des hommes, il existait des troubles de la sexualité avant la prise d’un antihypertenseur. Par ailleurs, une diminution de l’intérêt pour la sexualité est notée chez 58 % et une baisse du plaisir sexuel chez 49 %. Dans cette cohorte, les principaux déterminants des troubles de la sexualité sont le sexe masculin, le nombre d’antihypertenseurs prescrits, la prise d’un diurétique et l’existence d’une coronaropathie.   Influence de la pathologie ou des traitements antihypertenseurs sur l’érection   Atteinte cardiovasculaire et DE Lorsqu’une dysfonction érectile est diagnostiquée chez un sujet ayant une maladie cardiovasculaire connue, il est fréquent de ne pas mettre en évidence une cause purement vasculaire à la dysfonction érectile. Pourtant la fréquence de la dysfonction érectile est plus importante chez les patients traités pour une maladie cardiovasculaire. Plusieurs hypothèses sont possibles pour expliquer l’association entre ces pathologies : – des anomalies de l’hémodynamique de l’érection consécutives à la maladie cardiovasculaire du patient, par baisse des débits vasculaires régionaux, – des anomalies des systèmes de régulation nerveux (sympathique et parasympathique), – le rôle joué par les facteurs de risque cardiovasculaire (tabagisme, dyslipidémie, hypertension artérielle), – le rôle des médicaments utilisés pour traiter les maladies cardiovasculaires, – des anomalies de l’endothélium vasculaire qui seraient le substratum commun entre les pathologies cardiovasculaires et la dysfonction érectile. Lorsqu’un patient consulte pour dysfonction érectile, l’occasion doit être donnée pour réaliser le dépistage d’une maladie cardiovasculaire. Une étude menée chez 980 patients consultant pour dysfonction érectile a retrouvé 18 % de patients avec une HTA non diagnostiquée, 16 % avec un diabète, et 5 % avec une cardiopathie ischémique. Toutefois, des données physiologiques récentes indiquent le rôle majeur joué par l’endothélium vasculaire dans les mécanismes vasculaires de l’érection, car les corps caverneux du pénis constituent des structures vasculaires où la surface de l’endothélium vasculaire est considérable. Une dysfonction endothéliale des cellules vasculaires des corps caverneux avec une diminution de la libération des substances relaxantes endothéliales ont été mises en évidence chez des sujets présentant un trouble de l’érection. De plus, chez des patients ayant un diabète de type 2 et se plaignant de dysfonction érectile, une anomalie de fonctionnement de l’endothélium vasculaire dans un autre territoire vasculaire a été mise en évidence, ce qui suggère que la dysfonction érectile peut être considérée comme un marqueur local d’une anomalie diffuse du fonctionnement de l’endothélium vasculaire.   Médicaments antihypertenseurs et DE C’est dans la famille thérapeutique des antihypertenseurs que l’on retrouve le plus souvent, à la rubrique « effets indésirables », la notification de troubles sexuels ou d’une impuissance. La connaissance de ces anomalies est très largement partagée chez les médecins et les patients, en particulier concernant certaines classes de médicaments comme les bêtabloquants. Les données correctement obtenues dans des études réalisées sur un nombre suffisant de patients avec une prescription en double aveugle de différentes classes d’antihypertenseurs ou de placebo sont peu nombreuses. Elles permettent toutefois d’arriver à des conclusions qui modifient les habituelles certitudes concernant les effets indésirables sur la sexualité des médicaments cardiovasculaires. Dans l’enquête française réalisée chez des hypertendus, 17 % des hommes ont déclaré des troubles de la sexualité préexistants à la prise du traitement antihypertenseur, alors que leur existence était rapportée chez 49 % lors de la prise d’un traitement antihypertenseur. Ce résultat suggère que la prise du traitement antihypertenseur est bien associée à des modifications de la sexualité, caractérisées par une diminution de l’intérêt pour la sexualité, une baisse du plaisir sexuel et des troubles de l’érection. Si l’on cherche à connaître le rôle joué par la nature des traitements sur la dysfonction érectile, les données de la littérature indiquent que l’incidence de la dysfonction érectile est observée de façon différente selon la thérapeutique cardiovasculaire suivie. Chez l’hypertendu, l’effet le plus défavorable est observé lors de la prescription de diurétiques, et l’effet le plus neutre sous placebo. Dans l'étude anglaise du Medical Research Council, qui a inclus près de 17 000 hypertendus âgés de 35 à 64 ans vivant au Royaume-Uni dans un essai randomisé, contrôlé contre placebo, les effets secondaires, dont l'impuissance, ont été systématiquement recherchés par autoquestionnaire à 12 se-maines et à 2 ans. La prévalence de l'impuissance est significativement plus élevée dans le groupe diurétique que dans le groupe placebo (16 % à 2 semaines versus 9 % et 23 % à 2 ans versus 10 %). Pour le groupe bêtabloquant, la prévalence était également plus élevée (13 %) mais il n’y avait pas de différence statistiquement significative par comparaison au groupe placebo. Dans l’étude THOMS (Treatment Of Mild Hypertension Study) menée aux États-Unis (tableau) les modifications de la sexualité ont été évaluées par un questionnaire directif posé par le médecin chez 902 hypertendus légers randomisés pour recevoir en double aveugle un traitement antihypertenseur soit par un bêtabloquant, soit un diurétique, soit un alpha-bloquant, soit un inhibiteur de l’enzyme de conversion, ou un placebo. Après 2 ans de traitement, seuls les sujets sous diurétiques avaient une prévalence des troubles de l’érection statistiquement plus élevée (16 %) que celle observée sous placebo. La prévalence des troubles pour obtenir une érection sous bêtabloquants n’était pas statistiquement plus élevée (8 %) que celle sous placebo. Ces études indiquent donc que, contrairement aux idées reçues, l’impuissance est plus fréquemment observée chez les hypertendus traités par un diurétique que par un bêtabloquant et que l’impuissance n’est pas plus fréquemment observée chez les hypertendus traités par un bêtabloquant que chez ceux traités par un placebo. Les mécanismes pharmacologiques qui favorisent les troubles de la sexualité sous diurétiques restent inconnus. Seule l’action d’un diurétique particulier, la spironolactone, qui possède une action antiandrogène peut expliquer les éventuels troubles sexuels observés sous ce traitement lorsqu’il est prescrit à forte dose.   DE : quel est le rôle de la baisse tensionnelle ? Les mécanismes d'action qui conduisent à observer des troubles de la sexualité chez les hypertendus traités par des médicaments antihypertenseurs ne sont pas univoques. Si des causes hémodynamiques ont été évoquées pour les bêtabloquants (modification du débit cardiaque à l'effort, troubles vasomoteurs artériels, modification de la pression veineuse), aucune preuve ne paraît définitive. Les effets défavorables sur la sexualité observés lors de la prescription des antihypertenseurs centraux ont conduit à incriminer la diminution du système sympathique par ces traitements. La comparaison des patients traités par un antihypertenseur central à ceux traités par un bêtabloquant montre une absence de différence sur les effets secondaires sexuels et pourrait conforter cette hypothèse. Ainsi, la question de l'étiologie des dysfonctionnements sexuels liés aux médicaments antihypertenseurs reste posée. Il est possible que la diversité des mécanismes physiopathologiques proposés cache la faible probabilité d'un mode d'action spécifique lié aux propriétés chimiques des médicaments. Une action non spécifique, liée à l'action hypotensive des médicaments est aussi à évoquer. Une étude en cross-over réalisée en Italie a comparé les effets d’un IEC à celui d’un bêtabloquant chez 90 hypertendus < 50 ans, sans troubles de la sexualité au début de l’étude. Les effets sur la sexualité évalués par questionnaire ont été jugés après la prescription de chaque traitement antihypertenseur sur une période de 16 semaines séparées par une période placebo de 4 semaines. La baisse de la pression artérielle a été comparable sous les deux traitements avec une normalisation de la PAD (inférieure ou égale à 90 mmHg) chez 47 % des sujets avec le bêtabloquant et de 51 % sous IEC. Dès la période de traitement par placebo, le nombre de rapports sexuels sur un mois diminue et cette fréquence diminue encore après un mois de traitement actif passant de 7,5 à 4,4 par mois. Il n’y a pas de différence entre le traitement par IEC ou par bêtabloquant. Le nombre de sujets qui se plaignent d’une impuissance est toutefois plus important sous bêtabloquant (7 %) que sous IEC (1 %). Plusieurs mécanismes jouent ainsi un rôle dans la survenue d’effets sur la sexualité : – l’administration d’un médicament, même dénué d’action pharmacologique, – la baisse de la pression artérielle chez l’hypertendu, – la nature pharmacologique du traitement.   Attitude thérapeutique chez le patient hypertendu qui présente un trouble de l’érection   Prise en charge de la DE La survenue d’un trouble de l’érection chez un patient traité par des antihypertenseurs doit conduire à entreprendre un changement de médicament si ceux-ci sont connus comme pouvant être à l’origine du trouble. Parfois, la modification thérapeutique n’est pas possible et la prescription de médicaments de la dysfonction érectile est alors possible dans la très grande majorité des situations et en particulier chez l’hypertendu traité ou le diabétique. Si le sildénafil a, le premier, montré son efficacité pour le traitement de la dysfonction érectile, d’autres médicaments de la famille des inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 sont aujourd’hui disponibles (tadénafil, vardénafil). Avec le respect d’une contre-indication pour une utilisation de ces produits en coprescription avec un dérivé nitré ou vasodilatateur apparenté, l’utilisation des inhibiteurs de la phosphodiesterase de type 5 est le plus souvent possible avec le même profil de tolérance que chez les patients n’ayant pas de maladie ou de facteur de risque cardiovasculaire.   Dépistage d’une pathologie coronaire asymptomatique De façon récente, il a été observé que la dysfonction érectile constituait le signe clinique précoce d’une atteinte artérielle diffuse. Plus précisément, plusieurs cohortes ont montré que la survenue d’une DE permettait d’identifier, chez des patients ayant des facteurs de risque cardiovasculaire, ceux qui vont développer une coronaropathie symptomatique. Ainsi, il a été estimé que la présence d’une DE modérée à sévère conduit à une augmentation du risque de complication coronaire de 65 % et d’une complication par AVC de 43 %. Dans une série chez des diabétiques de type 2, une DE était présente chez 34 % des patients ayant une coronaropathie encore asymptomatique, et chez 4,7 % des patients sans lésion coronaire. Ainsi, il est aujourd’hui proposé que la DE constitue le premier signe clinique d’une coronaropathie sous-jacente et silencieuse chez les sujets ayant des facteurs de risque cardiovasculaires. Dans le cadre du deuxième Consensus de Princeton il est aujourd’hui proposé que, chez un sujet qui présente une DE, la recherche de facteurs de risque cardiovasculaire soit entreprise, alors que chez les patients déjà traités pour des facteurs de risque cardiovasculaire, la survenue d’une DE devrait conduire à prendre un avis cardiologique afin d’entreprendre le dépistage d’une maladie coronaire silencieuse.   En pratique   Une pertinence clinique La dysfonction érectile est fréquente chez les patients ayant une hypertension et, au cours du suivi de ces patients, un interrogatoire spécifique devrait être régulièrement conduit afin de dépister un trouble de la sexualité. A contrario, chez un sujet qui se plaint d’une dysfonction érectile, le bilan clinique et biologique initial doit comporter de façon impérative la recherche et le dépistage des maladies cardiovasculaires et des facteurs de risques de ces maladies (tabagisme, hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie). Un rôle dans l’observance Comme certains patients ayant une maladie cardiovasculaire peuvent être amenés à interrompre leur traitement en raison d'effets secondaires d'ordre sexuel (impuissance ou baisse de la libido), l’amélioration de l'observance des traitements doit tenir compte des dysfonctionnements sexuels pouvant survenir sous ces traitements. L'ensemble des données de la littérature indique que les trois classes cardiovasculaires les plus fréquemment incriminées dans l'apparition d'effets adverses touchant la sexualité sont par ordre décroissant les diurétiques, les bêtabloquants et les antihypertenseurs centraux. Les classes thérapeutiques les plus « épargnées » sont les inhibiteurs de l'enzyme de conversion et les antagonistes calciques. Lorsqu’un trouble de la sexualité est observé avec une famille thérapeutique, un changement de médicament doit être si possible proposé. Une solution thérapeutique Alors que pour certains patients une adaptation thérapeutique permet parfois le retour à une sexualité satisfaisante, chez d’autres c’est l’emploi des médicaments actifs sur l’érection qui va permettre l’amélioration de la sexualité. Si les contre-indications sont respectées, la prescription des médicaments qui favorisent l’érection est possible dans la très grande majorité des cas chez ces patients ayant une maladie cardiovasculaire connue et stabilisée par les traitements. Dans le cadre du Consensus de Princeton il est aujourd’hui proposé que, chez les patients déjà traités pour des facteurs de risque cardiovasculaire, la survenue d’une DE devrait conduire à prendre un avis cardiologique afin d’entreprendre le dépistage d’une maladie coronaire silencieuse.

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