Publié le 22 avr 2008Lecture 12 min
L'information du patient, jusqu'où informer ? Quels risques pour le cardiologue ?
B. LABBÉ, HEGP, Paris
Dans le domaine de l’information, une fois n’est pas coutume, voici un point de vue plus pratique et éthique que dogmatique. L’auteur, cardiologue interniste à l’AP-HP, est expert auprès de la Cour de cassation et spécialisé en responsabilité médicale. Si hier certains confrères ont pu avoir peur de « l’information » des patients, espérons qu’à la lecture de ce texte ils seront aujourd’hui apaisés.
En trente ans d’expertises judiciaires, la diversité des fautes médicales rencontrées dépasse l’imagination. C’est pourquoi, les poursuites pour défaut d’information doivent être remises à leur juste place et ne doivent pas susciter autant de peur. Le problème de « l’information » du patient est une nouveauté très médiatisée auprès des cardiologues, elle sera donc forcément évolutive.
Informer le patient comporte-t-il un risque pour le cardiologue ?
Oui, mais c’est un risque nécessaire.
Alors jusqu’où informer ou bien jusqu’où ne pas informer ? Quelles sont les limites ?
Le problème réside dans cette ambiguïté :
– être tenté de nous taire, c’est la faute à Voltaire,
– informer trop, c’est la faute à Rousseau.
L’information, problème récent, radical et évolutif, serait-elle le nouveau paradigme de l’éthique médicale ? Le médecin devra-t-il informer à tout prix pour ne pas prendre de risques ? Notre opinion est que l’information est un risque à prendre et à assumer par le cardiologue. L’exercice de la cardiologie est constitué de savoirs scientifiques mais aussi d’attentions humaines. Le cardiologue doit assumer les risques du métier et perdrait de son poids en esquivant sa responsabilité.
Ainsi, le consentement du patient sera obtenu dans une réelle confiance.
L’obligation juridique d’informer ne doit pas aboutir à une prétention d’informer à tout prix. L’information, c’est un entretien humaniste, une conversation plus qu’un répertoire de complications.
N’ayez pas peur !
Nous devons prendre des risques raisonnables. Un médecin qui ne prendrait pas de risque ne rendrait pas service à son malade mais à lui-même. Ces risques, il ne faut pas les surestimer. La mise en cause du cardiologue sera toujours discutable sur le sujet de l’information : il y a tellement d’autres causes plus graves de procès.
Le juge s’en remet à l’expert. Or, l’expert judiciaire n’est pas un expert « partisan » attaché à l’une des parties. Le juge lui délègue un idéal de justice équitable. L’expert doit être un homme sage et d’expérience. Ce n’est pas un donneur de leçons. Il n’instruit pas à charge mais, au contraire, essaie de comprendre les motivations du confrère, de sa prise de risques. Il tient compte du cas particulier et des circonstances dans lesquelles l’information a été donnée autant que des textes de loi et le magistrat, in fine, en tiendra compte. Donc, il ne faut pas avoir peur. Un jeune cardiologue aura peut-être quelques procès dans sa carrière mais ce ne seront pas des procès perdus d’avance, loin de là, surtout sur la notion d’information. L’absence d’information ne jouera que s’il y a eu un réel préjudice en rapport.
Les avocats se satisfont de la voie que le législateur leur a ouvert, cette voie permettant de trouver éventuellement une responsabilité dans ce domaine quand ils n’ont pu la trouver ailleurs.
Nos assureurs font de même tant ils craignent de voir les factures augmenter dans des poursuites pour défaut d’information.
Les magistrats semblent avoir pris l’habitude d’ajouter dans la mission à l’expert cette notion d’information, non parce qu’elle pourrait éclairer le sujet mais parce qu’elle figure systématiquement dans les requêtes.
Cependant, les condamnations par défaut d’information restent rares et le taux de « sinistralité » des cardiologues reste faible par rapport à d’autres spécialités.
Faire signer un document ne suffit pas
Rappelons que le formulaire d’information signé n’a pas de valeur juridique et c’est donc bien à nous, cardiologues, d’informer oralement nos malades de la meilleure manière possible et selon le profil de chacun. Ils nous en seront probablement reconnaissants en cas de procès.
Il n’est pas question, bien sûr, de remettre en cause notre devoir d’information. L’exemple de la consultation anesthésique obligatoire a fait ses preuves dans ce domaine.
À partir du moment où il s’agit de ne pas nuire au patient et de ne pas lui faire peur, le médecin peut faire valoir une clause de conscience lui permettant d’informer son patient dans les proportions adaptées à son cas. De son côté, chaque malade a sa vérité, la part de vérité qui lui plaît.
Le défaut d’information est défini comme une perte de chance pour le malade de se soustraire aux risques.
Il faut donc rejeter la façon unique, écrite, maximale et formatée d’informer : chaque malade est un cas unique nécessitant d’être informé selon sa personnalité. Le formulaire à faire signer est une façon de faire inadaptée à notre exercice. Même s’il peut, dans certains cas, garantir contre des poursuites infondées, le papier signé ne suffira pas aux magistrats pour valider notre information.
Certes, tous nos patients entrent dans le cadre de la loi qui exige qu’on les informe du rare sinon de l’exceptionnel mais ceci est relativisé par le respect de l’article 35 du Code de déontologie médicale (CDM) informer selon la personne, dont la valeur est séculaire alors que la loi est toute récente.
En effet, dans les cas particuliers – et ils le sont quasiment tous –, on ne voit pas comment le médecin serait condamné pour avoir respecté les bases mêmes de la relation médecin-malade figurant dans le code de déontologie.
A contrario, il ne faudrait pas que certains cardiologues, poussés par la peur, abusent de la loi en leur faveur. Exemples :
– des coronarographies faites en l’absence de douleurs thoraciques mais où le compte rendu mentionne « angor » ;
– la pose de pacemaker sans malaise dont le compte rendu indique « syncope ».
Cette façon de se protéger est tout à fait indécente, sans aucune prise de risques et même abusivement préventive de tout risque.
La confiance vaut-elle mieux qu’une signature ?
Il faut se méfier du formulaire pré-imprimé dans lequel tout est dit mais sans les formes, alors qu’oralement on peut presque tout dire avec un peu de subtilité, même lorsqu’il s’agit de parler de la mort.
L’écrit fait figure d’intrus dans le rapport médecin-malade, ce qui ne veut pas dire qu’il faut, à l’inverse, tomber dans un discours uniquement paternaliste. Ainsi, par la parole, le cardiologue établit la confiance entre le patient et lui, confiance qui, mieux qu’une signature, est une forme de consentement. Et si celle-ci est durable, elle sera notre meilleur atout en cas de procès.
La limite à l’information est alors à la mesure de la clause de conscience et de l’article 35 du code de déontologie.
Il faudrait tout dire, il y a la façon de le dire, il peut y avoir des raisons de ne pas tout dire.
Le risque de ne pas tout dire doit être assumé par le cardiologue comme par tout médecin.
Le rôle de l’expert judiciaire en cas de procès sera précisément d’apprécier cette prise de risques entre les obligations de la loi et les circonstances particulières du cas par cas.
Une juste information
Le jour de l’expertise, l’expert se rend compte plus facilement qu’on ne le croit de la bonne information du malade. Cette observation est faite d’expérience et de flair clinique plutôt qu’à la vue d’un formulaire signé, sans grande valeur. À vouloir trop se protéger par des écrits, on court le risque de tomber dans le piège juridique de leur analyse « au scanner » par les parties.
Sous-informer, c’est une perte de chance pour le malade
Bien informer, c’est mettre en confiance le patient et protéger les relations d’avenir.
Trop informer, c’est insinuer le doute et risquer le contentieux.
L’information dépendra aussi :
- du degré de précision de l’affaire : prescrire un diurétique n’est pas pratiquer un tir de radiofréquence,
- du degré de compréhension du malade : il faut parfois faire un dessin,
- de son degré d’anxiété, voire de dépression, à bien évaluer à l’avance,
- du degré de gravité de la maladie, afin de ne pas nuire,
- de la famille, qui peut avoir une influence prépondérante,
- du nombre de médecins impliqués, chacun informera à son niveau.
On notera que l’information ne concerne pas uniquement les complications mais aussi les explications du déroulé des investigations ou des traitements.
Des exemples
« Jusqu’où informer » dépend enfin du type de soins dont il s’agit : interventionnel, médicamenteux ou préventif.
Le niveau d’information est trop faible pour les médicaments alors qu’il est très fort pour les explorations et interventions.
Le guide Vidal « fait encore la loi au tribunal », quoique le juge n’y soit pas lié, et peut être consulté par tous et sur Internet.
Dans le domaine de l’information, les médecins sont devenus plus « à risque » que les chirurgiens.
Il est donc nécessaire d’être particulièrement attentif à l’information dans la consultation quotidienne et le maniement de la pharmacopée.
Nous utilisons des médicaments très efficaces mais avec des effets délétères, en particulier pour les traitements anticoagulants et dans leurs relais, là où le cardiologue est très attendu et doit faire un sans faute.
L’information maximale doit être préconisée pour le traitement anticoagulant et antiplaquettaire, avec la recommandation au patient de fournir un carnet de surveillance : celui-ci nous prémunira des ennuis, compte tenu du nombre élevé de procédures sur ce sujet dont les experts sont témoins.
En préventif, l’information doit être maximale :
- dans les suites de pose de stent
- dans les suites d’un infarctus du myocarde,
- dans la maladie thrombo-embolique veineuse : se rappeler les dix mille embolies pulmonaires mortelles par an,
- devant le risque d’infections nosocomiales,
- dans les cardiopathies à risque de mort subite – type dysplasie ventriculaire droite – avec obligation de donner des conseils génétiques,
- dans les syndromes d’apnée du sommeil où notre responsabilité serait à coup sûr engagée en cas d’accident automobile.
Dans certains cas, au contraire, l’information peut être minimale : chez les malades au mauvais pronostic évident et chez les hyperanxieux qui refuseront les soins.
Restons modestes
Le fait est que les données acquises de la science ne sont pas pleinement mises en pratique immédiatement par les cardiologues : il y aura forcément toujours un décalage dans le temps, il est impossible de tout connaître au jour le jour.
D’autre part, les résultats de l’information que nous donnons ne sont connus de personne. On ne contrôle pas la manière dont l’information est reçue, aussi bien donnée soit elle. On le voit bien lors des réunions d’expertise.
L’information reçue n’est pas l’information donnée et inversement.
En l’absence de faute, le défaut d’information ne doit pas conduire à une indemnisation compassionnelle. C’est le type même de problème sociétal où l’on souhaite trouver un coupable en toute circonstance. Restons modeste dans la délivrance de l’information et de notre savoir. N’envoyons pas une image de la science plus forte que ce qu’elle est.
Comme aurait pu le dire Vauvenargues :
L’information est une opération par laquelle des gens qui ne savent pas tout prétendent informer, sans risque, des gens qui ne savent rien mais qui prennent tous les risques.
Ainsi donc, n’ayons pas peur d’être d’éventuelles victimes de procès concernant l’information, car si la loi sur le renversement de la charge de la preuve de 1997 et la loi Kouchner de 2002 existent bien, elles ont heureusement fait leur chemin dans l’esprit de nombreux magistrats.
Ils ont bien saisi aujourd’hui la difficulté qu’éprouvent les médecins à l’appliquer à chaque cas particulier et ils en tiendront compte, de même que les experts désignés.
En pratique
Si certains plaignants ont intérêt à enfourcher le cheval de bataille de l’information, il ne faut pas monter ce sujet en épingle car il est encore peu pénalisant devant les tribunaux.
Le but de l’information du patient par le médecin ne doit pas être de nature défensive. Elle ne doit pas être délivrée avec excès et dans le but de se protéger d’un éventuel procès à tout prix.
Le document écrit et signé pourra être utilisé mais n’aura jamais la valeur d’une réelle conversation approfondie et confiante.
Ainsi, les cardiologues feront leur double devoir : respecter la loi, certes, mais aussi respecter pleinement le code de déontologie régissant leurs relations avec les malades.
Le point de vue de l’avocat
Maître Frédérique Claudot, assistante dans le service de médecine légale et droit de la santé de la Faculté de Médecine de Nancy, avocat au Barreau de Nancy.
- L’information du patient est une obligation légale, c’est une obligation déontologique. C’est aussi un mal nécessaire car l’exercice n’est pas facile. En dehors des cas d’urgence, ou des cas où le patient refuse expressément l’information, trop informer, c’est effrayer inutilement le malade, ne pas assez l’informer, c’est ne pas lui permettre d’exercer pleinement son choix, c’est ne pas respecter son autonomie et, au final, c’est « vicier » son consentement.
- En droit, on a souvent tendance à penser que le patient est un être raisonnable, capable, en toutes circonstances, de prendre ses décisions. S’il est un être doué de raison, le patient n’en est pas moins malade, et qui dit maladie dit souvent subjectivité, angoisse, sidération, dit personne qui n’entend pas ou qui ne comprend pas ce que le médecin lui dit. Les psychologues de la santé ont bien montré par de nombreux travaux que les limites de l’information se situent dans la personne même du patient.
- Selon l’article 35 CDM, le médecin doit, tout au long de la maladie, tenir compte de la personnalité du patient dans ses explications et veiller à leur compréhension. Il peut, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes qu’il apprécie en conscience, tenir le malade dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination.
- S’il évalue mal les limites, le cardiologue peut effectivement engager sa responsabilité. Parfois, il peut être inquiété pour un retard de diagnostic mais souvent, l’évocation d’un manquement au devoir d’information est un pis-aller à l’impossibilité de démontrer une faute technique.
- Au final, l’évocation d’un défaut d’information dans une procédure de responsabilité doit être remise à sa juste place. La condamnation n’interviendra que si, et seulement si, elle a occasionné un préjudice (matérialisé par une perte de chance réelle) pour le patient.
- Concernant la preuve, il faut rappeler aux cardiologues que le temps où les malades faisaient aveuglement confiance à leur médecin est révolu et que, selon la loi, le médecin doit prouver qu’il a correctement informé son patient. Même si un formulaire n’a pas de valeur juridique, il ne faut pas le rejeter en bloc.
C’est un moyen de preuve qui viendra s’ajouter aux « faisceau de preuves » contenues dans le dossier médical (par exemple, quand le médecin, ne dit pas tout, il faut écrire dans le dossier médical pourquoi il ne dit pas tout).
- La reine des preuves reste l’écrit (du formulaire et du dossier) : il ne viendrait à l’esprit de personne de remettre en cause la signature qu’il a apposée en bas de sa déclaration d’impôt ou d’un acte notarié.
- Faire signer un document, c’est aussi faire prendre conscience au patient qu’il s’engage. Les patients ont voulu un rééquilibrage de la relation médecin/malade. Ils ont voulu des droits qu’ils doivent maintenant assumer !
- Certes, on ne peut pas se contenter d’un formulaire. Il doit y avoir une information orale. La loi, comme le CDM, invite à donner une information adaptée au patient, c’est-à-dire à son stade d’acceptation de la maladie, à son niveau de compréhension, à son « éducation » (on n’informera pas un confrère de la même façon qu’on informera son avocat ou son boulanger. Le code de la santé publique invite à informer sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles et non plus sur les risques exceptionnels.
En conclusion
Comme on fait de la prévention contre les maladies cardiovasculaires, on doit faire de la prévention médico-légale.
Il faut donc que le médecin prenne des précautions en matière de preuve de l’information et, même si celle-ci doit également passer par la communication orale, les meilleures preuves sont les preuves écrites.
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