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Cardiologie générale

Publié le 12 oct 2004Lecture 11 min

Cœur et hormones - Pathologie thyroïdienne

L. CABANES, hôpital Cochin, Paris

Les manifestations cardio-vasculaires observées dans l’hyperthyroïdie sont fonction de l’existence ou non et de la sévérité d’une cardiopathie sous-jacente, de l’âge et de la susceptibilité individuelle à la surcharge hormonale.
Les manifestations cardio-vasculaires de l’hypothyroïdie sont représentées par des troubles du rythme, des troubles de la conduction et les atteintes péricardiques et myocardiques regroupées sous le terme de cœur myxœdémateux.

Thyroïde normale.  Rappel concernant les hormones thyroïdiennes La TSH (antéhypophysaire) stimule la synthèse thyroïdienne et la libération de thyroxine (T4) de triiodothyronine (T3). La T4 exerce en retour un rétrocontrôle hypophysaire négatif. L’iode alimentaire nécessaire à la synthèse des hormones thyroïdiennes est capté activement par la thyroïde. Les hormones thyroïdiennes sont transportées dans le sang par la thyroxine-binding-globulin (TBG). Pour être active, la T4 doit être transformée en T3 par une enzyme, la 5’-désiodase. La T3, qui pénètre dans la cellule et qui se lie à un récepteur spécifique, provient directement de la thyroïde mais surtout du métabolisme périphérique de la T4. Sa concentration sanguine est donc fonction de la production thyroïdienne mais aussi du catabolisme hépatique et de l’activité de la 5’-désiodase. La diminution du taux de T3 en l’absence d’hypothyroïdie caractérise « le syndrome de T3 basse » qui peut être trouvé chez le sujet âgé, en cas de défaillance multiviscérale et en postopératoire après chirurgie « lourde ». Lorsqu’on suspecte une hyperthyroïdie, le dosage de la TSH ultra-sensible (TSH US) est l’examen de première ligne. Un taux de TSH US normal (0,2 à 4 mU/l) élimine le diagnostic d’hyperthyroïdie. Une TSH basse (< 0,2 mU/l) rend probable le diagnostic d’hyperthyroïdie qui est confirmé par des taux de T4 libre (et de T3 libre) élevés. Le bilan morphologique repose sur la scintigraphie et/ou l’échographie thyroïdienne. Une TSH US normale élimine le diagnostic d’hypothyroïdie. L’augmentation de la TSH (> 5 mU/l) signe l’hypothyroïdie avant même que les hormones thyroïdiennes ne soient abaissées. Pour juger de la nécessité d’un traitement hormonal substitutif, la T4 libre doit être dosée (T3 libre inutile). La recherche d’anticorps antithyroïdiens permet de mettre en évidence une origine auto-immune, et une échographie thyroïdienne complète le bilan.   Mécanismes d’action cardiaque et vasculaire de la T3   La T3 est la seule hormone thyroïdienne active à l’échelon cellulaire. En stimulant la synthèse de chaînes lourdes de myosine à activité contractile rapide, elle renforce la contractilité myocardique et, en activant la pompe calcium-sodium ATPase dépendante qui permet l’expulsion du calcium hors de la cellule, elle améliore la relaxation ventriculaire gauche. L’augmentation de la pente de dépolarisation diastolique et la diminution de la durée du potentiel d’action du nœud sinusal sous l’effet de la T3 rendent compte de la tachycardie sinusale de l’hyperthyroïdie. La diminution de la période réfractaire auriculaire sous l’effet de la T3 explique l’excitabilité auriculaire et la fréquence des troubles du rythme supraventriculaires de l’hyperthyroïdie. La diminution de la période réfractaire du nœud auriculo-ventriculaire rend compte de la cadence ventriculaire très rapide observée en cas de fibrillation auriculaire. Une partie des effets cardiaques des hormones thyroïdiennes passe encore par leur rôle sur le système sympathique : augmentation de la densité des récepteurs catécholaminergiques bêta 1 ou tout du moins de la sensibilité tissulaire aux catécholamines, l’abaissement des résistances vasculaires périphériques sous l’effet de la T3 par un effet vasodilatateur artériel.   Manifestations cardio-vasculaires de l’hyperthyroïdie Les manifestations cardio-vasculaires observées dans l’hyperthyroïdie sont fonction de l’existence ou non et de la sévérité d’une cardiopathie sous-jacente, de l’âge et de la susceptibilité individuelle à la surcharge hormonale.   Signes d’appel Les symptômes les plus fréquemment décrits sont les palpitations, la dyspnée et la réduction notable de la tolérance à l’effort. L’examen clinique note habituellement une tachycardie de repos, un éclat de B1, un souffle systolique endapexien, un éréthisme vasculaire, la chaleur et la moiteur des téguments. La pression artérielle systolique est modérément élevée, la diastolique normale. Les signes électriques observés sont une tachycardie sinusale > 100/min, un raccourcissement des espaces PR et QT. Un BBD est possible. L’enregistrement d’extrasystoles, surtout auriculaires, est fréquent. L’échographie peut mettre en évidence une hypertrophie des parois du VG ; la fraction d’éjection est normale ou augmentée. L’hyperthyroïdie aggrave une cardiopathie préexistante et peut démasquer une cardiopathie jusque-là latente.   Complications cardiaques Elle entraîne, dans certains cas, des complications cardiaques survenant en dehors de toute cardiopathie sous-jacente et qui vont guérir après retour à l’euthyroïdie. Ces complications cardiaques sont regroupées sous le terme de cardiothyréoses. Les troubles du rythme sont essentiellement représentés par des accès de tachycardie sinusale, des extrasystoles supraventriculaires et la FA. La FA, d’abord paroxystique puis permanente, complique 10 à 20 % des hyperthyroïdies. Elle est fréquemment révélatrice de l’hyperthyroïdie. Sa prévalence augmente avec l’âge et avec l’existence d’une cardiopathie sous-jacente. Contrairement à certaines notions « anciennes », la FA qui complique une hyperthyroïdie est à haut risque artériel thromboembolique. Ce risque est majoré en cas d’insuffisance cardiaque associée. Plus de la moitié des patients en AC/FA retrouvent spontanément, après le retour en euthyroïdie, un rythme sinusal. L’insuffisance cardiaque est plus rare, compliquant environ 5 % des hyperthyroïdies. Ce risque augmente avec l’âge et la présence d’une cardiopathie préalable. L’insuffisance cardiaque peut être secondaire à la décompensation d’une cardiopathie sous-jacente ou en rapport direct avec l’hyperthyroïdie. Liée directement à la surcharge hormonale c’est une insuffisance cardiaque à haut débit, sans possibilité d’adaptation à l’effort. L’association de la tachycardie à un trouble du remplissage ventriculaire gauche (lié à l’augmentation de la masse myocardique) est souvent incriminée. Le tableau clinique est celui d’une insuffisance cardiaque, soit globale, soit à prédominance droite, souvent sévère. Le ventricule gauche apparaît le plus souvent hypercontractile à l’échographie ou aux examens isotopiques. La fraction d’éjection du VG, élevée au repos, diminue souvent à l’effort et dans certains cas, beaucoup plus rares, une dilatation ventriculaire gauche accompagnée d’une dysfonction sévère, guérissant totalement après le retour en euthyroïdie, peut apparaître. Il s’agit alors d’une authentique cardiomyopathie thyréotoxicosique par atteinte myocardique directe.   Pathologie mitrale Dans la maladie de Basedow, des dépôts tissulaires de glycosaminoglycanes ont été rendus responsables de prolapsus valvulaires mitraux et d’insuffisances mitrales, parfois sévères, mais régressant complètement à la guérison de l’hyperthyroïdie. Hyperthyroïdie de Basedow. Goitre multinodulaire toxique. Traitement Les troubles du rythme supraventriculaires sont au mieux contrôlés par les bêtabloqueurs et tout patient présentant une AC/FA doit, bien sûr, être anticoagulé. Le traitement de l’insuffisance cardiaque classique fait appel aux diurétiques et aux IEC, en association aux bêtabloqueurs. La guérison de la cardiothyréose se fera après le retour en euthyroïdie.   Manifestations cardio-vasculaires de l’hypothyroïdie   Signes d’appel Les anomalies électriques les plus couramment rencontrées sont la bradycardie sinusale, l’allongement du QT, plus tardivement le mirovoltage des complexes QRS et l’aplatissement diffus, voire l’inversion des ondes T.   Complications L’hypothyroïdie peut se compliquer de troubles du rythme ventriculaires liés à l’allongement de l’espace QT (torsades de pointes). L’épanchement péricardique complique une hypothyroïdie dans 5 % des cas. Il est le fait d’un diagnostic tardif de l’hypothyroïdie. Se constituant très lentement, il est généralement fort bien toléré et ses complications sont exceptionnelles. Il explique le microvoltage et les modifications de la repolarisation ventriculaire. Par le biais des facteurs de risque d’athérosclérose que sont l’hypercholestérolémie et HTA (augmentation de résistances vasculaires périphériques), l’hypothroïdie expose au risque d’insuffisance coronarienne, surtout quand elle n’est pas diagnostiquée précocement. La mise en route du traitement substitutif hormonal qui majore les besoins myocardiques en oxygène expose au risque de démasquer une coronaropathie jusque-là latente. Le traitement substitutif hormonal doit donc être progressif et, sur certains terrains (âge, suspicion de coronaropathie sous-jacente), n’être démarré et poursuivi que sous couvert d’un traitement bêtabloqueur. La réalité d’une authentique cardiomyomathie myxœdémateuse est discutée.   Dysthyroïdie sous amiodarone Sous amiodarone prescrite au long cours, 1 patient sur 5 développe une dysthyroïdie. Le risque d’hyperthyroïdie est en France plus important que le risque d’hypothyroïdie. Cette particularité s’explique par les apports iodés quotidiens plus faibles en France et dans les pays d’Europe du sud qu’aux États-Unis par exemple. Un apport iodé légèrement déficient entraîne une tendance au développement d’une hyperthyroïdie, et vice versa.   Hyperthyroïdie à l’amiodarone On estime à 12 % le risque de développer en France une hyperthyroïdie sous amiodarone. Le diagnostic se fait sur l’élévation de la TSH car les signes cliniques d’hyperthyroïdie sont souvent masqués par l’effet bradycardisant de l’amiodarone. L’asthénie, l’amaigrissement et surtout la récidive du trouble du rythme ayant motivé la prescription d’amiodarone peuvent également être révélateurs de l’hyperthyroïdie. Une relation entre la durée du traitement par amiodarone et la survenue de l’hyperthyroïdie a été mise en évidence. Plus longue est l’exposition à l’amiodarone et plus important est le risque de développer une hyperthyroïdie. Le risque ne semble exister qu’après 2 ans de traitement. Il faut distinguer l’hyperthyroïdie induite par l’iode sur une thyroïde antérieurement pathologique de l’hyperthyroïdie sur corps thyroïde antérieurement sain car la prise en charge du patient ne sera pas la même. L’hyperthyroïdie révélant une pathologie thyroïdienne est la plus fréquente (deux tiers des cas), surtout chez la femme, et la pathologie thyroïdienne est alors plus souvent un goitre nodulaire toxique qu’un Basedow. L’apport supplémentaire médicamenteux d’iode (75 mg par comprimé d’amiodarone) entraîne la surproduction hormonale des zones thyroïdiennes autonomes. Le diagnostic est clinique (palpation fréquente d’un goitre nodulaire), mais surtout scintigraphique : la scintigraphie à l’iode authentifiant une fixation d’iode persistante, le plus souvent nodulaire (et homogène dans le Basedow). L’arrêt de l’amiodarone est impératif, la prescription d’anti-thyroïdiens de synthèse nécessaire et les bêtabloqueurs incontournables. Un traitement par iode radioactif peut se discuter, chez un patient redevenu euthyroïdien et chez qui l’on souhaiterait réintroduire l’amiodarone sans risquer la récidive de l’hyperthyroïdie. L’apparition transitoire d’une hyperthyroïdie en début de traitement par iode radioactif est un phénomène connu qui doit faire redoubler de vigilance. La moitié des patients vont ultérieurement développer une hyperthyroïdie qui ne doit pas, dans ce contexte, être considérée comme un effet indésirable. Quand l’hyperthyroïdie survient sur une thyroïde antérieurement saine (un tiers des cas et plus fréquente chez l’homme), le patient n’a pas alors d’antécédent connu de pathologie thyroïdienne, la palpation thyroïdienne est normale et la fixation thyroïdienne d’iode est nulle (scintigraphie blanche). L’hyperthyroïdie s’explique alors par la destruction toxique, mais réversible, de l’épithélium thyroïdien qui est suivie d’un relargage systémique d’hormones thyroïdiennes (équivalent d’une thyroïdite). L’arrêt de l’amiodarone (dont, rappelons-le, l’organisme ne se débarrasse pas avant de nombreuses semaines) n’est pas impératif, car cela ne change pas fondamentalement l’évolution de l’hyperthyroïdie. Si l’enjeu du traitement par amiodarone est important (troubles du rythme ventriculaire, FA sur cardiomyopathie hypertrophique, etc.), la prescription d’amiodarone pourra donc être maintenue. Les antithyroïdiens de synthèse sont peu efficaces dans l’hyperthyroïdie induite sur corps thyroïdien antérieurement sain. Le traitement est la corticothérapie à fortes doses (à raison d’au moins 1 mg/kg/j) qui inhibe la conversion périphérique de T4 en T3.   Hypothyroïdie et amiodarone La fréquence de l’hypothyroïdie est, en France, de l’ordre de 5 % et de survenue aléatoire dans le temps. Elle est en relation avec la surcharge iodée et la fréquence des anticorps antithyroïdiens témoignerait de la présence probable d’une d’hypothyroïdie jusque-là latente. Les signes cliniques d’hypothyroïdie sont souvent frustes. Le diagnostic repose sur l’élévation de la TSH plasmatique. Un traitement substitutif doit être mis en route. Bien que l’hypothyroïdie soit réversible à l’arrêt de l’amiodarone, celle-ci peut être maintenue quand elle est vraiment nécessaire, car le traitement substitutif hormonal ne pose guère de problème. L’hypothyroïdie est donc corrigée par l’administration de thyroxine et le contrôle de la TSH à 6 semaines permet d’adapter les doses. Le traitement substitutif doit être d’autant plus progressif que le patient est âgé, coronarien et que le diagnostic a été fait tardivement. Goitre : augmentation du volume thyroïdien. Comment interpréter les dosages sous amiodarone ? Le dosage de TSH doit être systématique avant toute nouvelle prescription d’amiodarone et contrôlé tous les 6 mois sous traitement. L’amiodarone induit, en dehors de toute dysthyroïdie, des modifications « physiologiques » des dosages biologiques, qu’il est important de connaître afin d’interpréter correctement ces résultats. L’amiodarone inhibe la 5’-désiodase, responsable de la conversion périphérique de T4 en T3 dans les organes cibles. En diminuant la fixation de T3 sur l’hypophyse, elle diminue le rétrocontrôle négatif exercé par la T3 sur la sécrétion hypophysaire de TSH. Ainsi s’expliquent la diminution modérée de la T3 libre et l’augmentation modérée des taux de T4 libre et de TSH observées à la mise en route d’un traitement par amiodarone. Ces anomalies sont transitoires : au bout de 3 mois les taux de T3 libre et de T4 libre se retrouvent respectivement dans la fourchette des valeurs normales basses pour la T3 et hautes pour la T4, et la TSH se normalise complètement. L’élévation de la TSH au début du traitement ne doit donc pas conduire au diagnostic d’hypothyroïdie. Une augmentation modérée de la T4 libre ne doit pas faire craindre une hyperthyroïdie débutante. Ajoutons que la diminution de la T3 libre est habituelle chez le sujet âgé, en cas de défaillance multiviscérale et en postopératoire. La surveillance thyroïdienne du traitement par amiodarone impose un dosage régulier de la TSH qui est, au-delà du 3e mois de traitement, normale en l’absence de dysthyroïdie. La T4 libre ne doit en fait être dosée qu’en cas d’anomalie de la TSH.   Pour la pratique   Faut-il anticoaguler la FA de la thyréotoxicose ? On doit systématiquement, comme cela est fait en principe pour toute arythmie complète, anticoaguler la FA secondaire à une hyperthyroïdie. Elle comporte, en effet, un risque thromboembolique indiscutable, au moins équivalent à celui d’une AC/FA idiopathique. Doit-on stopper de façon systématique l’amiodarone quand s’installe une hyperthyroïdie liée à ce traitement ? Non. Quand l’enjeu est important pour le patient, le traitement par amiodarone peut être poursuivi. L’arrêt de l’amiodarone ne bouleverse pas fondamentalement l’évolution de l’hyperthyroïdie, attribuée en majeure partie à un processus auto-immun de « destruction » folliculaire de la thyroïde, dont la guérison est spontanée et parfois accélérée dans les formes sévères par une corticothérapie.

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