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Valvulopathies

Publié le 16 oct 2007Lecture 8 min

Quand opérer une IM asymptomatique ?

P. DEHANT, clinique Saint-Augustin, Bordeaux

La répartition des étiologies de l’insuffisance mitrale (IM) a profondément changé au cours des dernières décennies. L’étiologie rhumatismale a nettement régressé au profit des étiologies dystrophique, dégénérative, ischémique et endocarditique. L’IM ischémique ne sera pas traitée ici car souvent symptomatique et différente dans son mécanisme, elle est également différente dans les critères retenus de sévérité et dans sa prise en charge.

    La physiopathologie Aiguë ou chronique, la physiopathologie va modifier la présentation clinique. L’IM aiguë par rupture de cordage a un début souvent tapageur avec régurgitation importante et fait discuter rapidement l’indication chirurgicale. L’IM chronique est la plus trompeuse avec son remodelage ventriculaire progressif et une fraction d’éjection longtemps conservée (du fait de la diminution de la postcharge), malgré une possible atteinte patente de la contractilité.   L’histoire naturelle  Dans la série de la Mayo Clinic permettant d’évaluer l’histoire naturelle de l’IM dégénérative, incluant 71 % de patients en classe NYHA 1 ou 2, on retenait une mortalité annuelle de 6,3 %, associée à une morbidité importante à 10 ans, avec une incidence de 63 % d’insuffisance cardiaque et de 30 % de fibrillation auriculaire. De plus, une incidence annuelle de 1,8 % de mort subite était rapportée globalement chez les patients porteurs d’IM avec rupture de cordages (flail leaflet) suivis médicalement, l’incidence étant de 0,8 % parmi les patients a- ou paucisymptomatiques.   Les recommandations Nous ne disposons pas dans le domaine des valvulopathies de grandes études randomisées ayant établi les indications opératoires ou interventionnelles percutanées ; les recommandations dans ce domaine sont essentiellement des consensus d’experts. Néanmoins, des recommandations sur la prise en charge des valvulopathies ont été publiées par la Société européenne de cardiologie (2007), la Société française de cardiologie (2005) et l’ACC/AHA (2006). Trois niveaux d’indications ont été retenus par la SFC (tableau) : - indications formelles, - indications admises, - indications discutées. Il existe quelques différences entre les recommandations européennes et nord-américaines (ACC/AHA) : - pour l’ACC/AHA, le critère HTAP est décliné en HTAP de repos > 50 mmHg ou HTAP d’effort > 60 mmHg. Mais ce sujet reste très débattu, ce chiffre étant très fréquemment atteint chez des patients âgés sans IM. La pratique régulière d’écho d’effort nous fait exiger un seuil > 60 mmHg (avec souvent une montée rapide des chiffres de pression pulmonaire) contemporain de l’apparition de la limitation de l’effort par une dyspnée ; - le diamètre télésystolique « critique » est abaissé à 40 mm pour les recommandations ACC/AHA et une indexation à la surface corporelle est évoquée comme licite par les recommandations européennes, avec un chiffre retenu de 26 mm/m2, cela demandant confirmation par des études à venir ; - l’évaluation du risque opératoire est clairement évoquée par la société européenne (en particulier un âge > 75 ans) ; - l’ACC/AHA incite fortement les cardiologues à adresser les plasties potentiellement complexes à des centres experts dans ce type de chirurgie. Ces recommandations ont l’énorme avantage d’exister comme base de discussion, et elles ne se résument pas uniquement au tableau ci-dessus ; il est en effet fortement conseillé de se rapporter au texte complet des recommandations, qui envisage différentes situations cliniques et quelques cas particuliers. Elles n’apportent néanmoins pas la solution à toutes les situations et quelques points méritent d’être précisés : - l’évaluation des symptômes est capitale ; - le risque opératoire doit être systématiquement évalué (cela peut être fait en routine par l’Euroscore accessible sur internet (www.euroscore.org/ calcfr.html) et mis dans la balance face au bénéfice attendu de la chirurgie ; - la stratégie en cas de chirurgie combinée valvulaire, coronaire ou vasculaire mérite d’être discutée au cas par cas.   Les arguments pour opérer un patient asymptomatique  Les légères divergences entre les différentes recommandations SFC, ESC et ACC/AHA reflètent la difficulté à envisager une chirurgie chez un patient asymptomatique. Des arguments existent en faveur d’une chirurgie précoce et d’autres en faveur d’une attitude plus conservatrice ; leur connaissance me paraît indispensable au cardiologue qui va informer son patient. Ce dernier, par définition, ne se plaint de rien et on lui propose une thoracotomie avec un risque opératoire qui n’est jamais nul et un risque faible de se retrouver porteur d’une prothèse potentiellement mécanique avec une nouvelle maladie qu’est le traitement anticoagulant définitif avec ses risques majorés par le niveau d’anticoagulation exigé par la position mitrale de la prothèse.   En faveur d’une chirurgie précoce Ling a rapporté en 1997 une série de 221 patients porteurs d’IM par capotage valvulaire (flail leaflet) ; 63 ont bénéficié de chirurgie précoce et 158 ont été suivis dans un premier temps médicalement (80 ont eu une chirurgie au cours du suivi). Le premier groupe était légèrement plus jeune, légèrement plus symptomatique, avec une fréquence plus importante de fibrillation auriculaire (FA) que le second groupe. Dans cette étude, la chirurgie précoce était associée avec une survie meilleure, une incidence moindre de mort cardiaque, d’insuffisance cardiaque et de survenue de nouvelle FA. Les auteurs concluent que : « la chirurgie précoce est une option thérapeutique raisonnable à discuter chez des patients porteurs d’IM sévère, à faible risque opératoire et chez lesquels une plastie mitrale est faisable ». En 2005, Enriquez-Sarano rapporte une série de 456 patients asymptomatiques porteurs d’IM sévère quantifiée par mesure de la surface de l’orifice régurgitant (SOR). Cette étude montre que la survie à 5 ans des patients avec SOR > 40 mm2 est réduite ; 230 patients ont bénéficié d’une chirurgie, qui a été associée de manière indépendante à une amélioration de la survie. Cette indication chirurgicale uniquement basée sur la quantification de la SOR a été critiquée.   En faveur d’une attitude « conservative » Rosenhek rapporte en 2006 une série de 123 patients asymptomatiques porteurs d’IM dégénérative sévère, suivis cliniquement et échographiquement pendant 5 ans. La chirurgie a été indiquée lorsque la symptomatologie est apparue ou lorsque les critères suivants ont été atteints : FE < 60 %, diamètre télésystolique VG > 45 mm, hypertension artérielle pulmonaire ou survenue de FA (anciennes recommandations ACC/AHA de 1998). Trente-huit patients ont été opérés sur ces critères durant le suivi. Il a été démontré que la survie globale n’est pas significativement différente de celle attendue et que l’indication chirurgicale a été retenue plus souvent pour apparition de la symptomatologie que pour diminution de la FE ou dilatation VG au-delà du critère retenu. Les auteurs suggèrent que, chez la plupart des patients, il n’y a pas indication chirurgicale et que le respect des anciennes recommandations ACC/AHA de 1998 est associé à un bon pronostic.   Le traitement chirurgical  Le prérequis à la discussion d’une indication chirurgicale est l’existence d’une IM volumineuse dont les critères de définition sont essentiellement recueillis par l’examen écho-Doppler. L’IM volumineuse est définie dans les recommandations de la SFC par une SOR > 30 mm2 et un volume régurgitant par battement > 45 ml. Dans les recommandations ACC/AHA, une IM sévère est définie par une SOR > 40 mm2 et un volume régurgitant par battement > 60 ml, une fraction de régurgitation > 50 % ou une vena contracta > 0,7 cm. Rappelons qu’une IM volumineuse chez un patient symptomatique indique la chirurgie. On sait qu’une IM importante peut être assez longtemps bien tolérée et que, durant cette période de remodelage ventriculaire gauche adapté à la surcharge imposée par l’IM, la chirurgie va permettre de restaurer une fonction ventriculaire et une survie normales. Cependant, à un moment mal défini et actuellement imprédictible, le ventricule gauche va décompenser et la chirurgie pratiquée au-delà de ce moment risque de ne pas restaurer une fonction VG et une survie normales. Chez un patient asymptomatique porteur d’une IM volumineuse, la seconde étape est d’affirmer le caractère réellement asymptomatique par un interrogatoire « policier » du patient et de son entourage, et au moindre doute, en réalisant une évaluation de sa capacité fonctionnelle par épreuve d’effort ou mieux par échographie d’effort (tableau). Les éléments déterminant l’indication (formelle ou admise) sont recueillis au cours de l’examen écho-Doppler de quantification de la fuite et de son retentissement. La faisabilité d’une plastie valvulaire mitrale est de première importance et apparaît dans toutes les recommandations. En effet, la supériorité de la réparation par rapport au remplacement valvulaire ne fait plus de doute en termes de mortalité opératoire et de survie à long terme. L’analyse écho-Doppler permet, dans l’immense majorité des cas de répondre à cette question, mais cela demande une méthodologie rigoureuse et une bonne connaissance des demandes du chirurgien, de ses habitudes et de son expertise. Le mécanisme essentiel de l’incontinence valvulaire est la perte de coaptation valvulaire par jeu excessif d’un ou des deux feuillets valvulaires (type 2 de Carpentier). Il s’y associe le plus souvent une dilatation annulaire (type 1 de Carpentier) accompagnant la dilatation auriculaire et ventriculaire. Mais dans certains cas, la fibrose voire les calcifications valvulaires ou sous-valvulaires (ventricule gauche, appareil sous-valvulaire) peuvent associer un mécanisme restrictif (type 3 de Carpentier), venant compliquer le geste chirurgical. Enfin, les calcifications annulaires extensives peuvent représenter une contre-indication à la reconstruction. Au-delà de la notion de mécanisme d’IM, c’est toute l’anatomie valvulaire (au sens large (valve, appareil sous-valvulaire, anneau mitral) morphologique et fonctionnelle qui doit être décrite par l’échographiste. Un travail coopératif avec J.-L. Monin a montré la pertinence de l’échographie transthoracique (ETT) en comparaison avec l’échographie transœsophagienne (ETO) et les données chirurgicales pour prédire le geste réalisé. L’analyse du mécanisme au sens large (anatomie lésionnelle et fonctionnelle) de la fuite mitrale, en vue de déterminer la faisabilité d’une plastie, est un prérequis indispensable à la prise en charge des IM dystrophiques sévères asymptomatiques. Cette donnée est devenue primordiale pour l’information du patient et la discussion du rapport bénéfice/risque de l’intervention chirurgicale.   En conclusion Chez un patient asymptomatique porteur d’une IM volumineuse (sévérité avérée par des méthodes de quantification rigoureuses), les critères d’intervention varient légèrement suivant les recommandations consultées. On peut raisonnablement proposer : - FE < 60 %, même si haute probabilité de RVM ; - diamètre télésystolique VG > 40 mm (ou 26 mm/m2), même si haute probabilité de RVM ; - HTAP de repos > 50 mmHg et d’effort > 60 mmHg (si contemporaine de dyspnée) ; - apparition d’une fibrillation auriculaire paroxystique ou permanente ; - mise en évidence d’une symptomatologie « cachée », consciemment ou non par le patient et révélée par l’interrogatoire ou l’évaluation objective de la capacité fonctionnelle et des éventuels symptômes au cours d’un effort réglé (épreuve d’effort, mais surtout échographie d’effort qui permet de suivre le niveau des pressions pulmonaires, l’apparition d’une dyspnée et l’éventuelle aggravation de la fuite mitrale) ; - quasi-certitude qu’une plastie sera réalisable, ce qui sous-entend un examen échographique réalisé par un échographiste expert dans ce type d’évaluation et un chirurgien expérimenté dans la chirurgie conservatrice mitrale. On peut schématiser une démarche décisionnelle sous la forme d’un arbre dérivé de celui proposé dans les récentes recommandations ACC/AHA (figure). Démarche décisionnelle devant une IM importante. Une information du patient avec les éléments de la discussion du rapport bénéfice/risque sera effectuée, l’adhésion d’un patient asymptomatique à un geste non anodin comme l’est une chirurgie valvulaire mitrale étant indispensable.

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