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Vasculaire

Publié le 03 nov 2009Lecture 8 min

Quand rechercher un anévrisme de l'aorte abdominale ?

A. LONG, H. Tri BUI, Médecine Vasculaire, Hôpital Robert Debré, CHU Reims

L’anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) est une dilatation localisée de plus de 50 % par rapport au diamètre attendu de l’aorte, associée à une perte de parallélisme des bords de l’aorte. La localisation sous-rénale est la plus fréquente. Un diamètre seuil de 30 mm est généralement retenu dans les études épidémiologiques. C’est une pathologie du sujet âgé, sous-diagnostiquée, dont la gravité est secondaire au risque de rupture.

Histoire naturelle Croissance et rupture sont les mots clés de l’histoire naturelle d’un AAA, inhérentes à sa physiopathologie qui est complexe et encore mal connue. La paroi aortique anévrismale est caractérisée par un amincissement secondaire à la destruction de l’élastine et du collagène assurant respectivement l’élasticité et la résistance pariétales, sous l’effet conjugué d’une lyse du tissu conjonctif par les métalloprotéinases matricielles, d’une réaction inflammatoire et immunologique, de l’effet biomécanique de la pression artérielle sur la paroi (pression pulsée) et d’un polymorphisme génétique. Une fois le processus enclenché, les différents mécanismes sont auto-entretenus les uns par les autres et la croissance de l’AAA est inéluctable. La cinétique de croissance d’un AAA est plutôt exponentielle que linéaire, c’est-à-dire d’autant plus rapide que l’anévrisme grossit, et est irrégulière dans le temps. Dans la majorité des cas, l’AAA est asymptomatique durant sa phase de croissance et, s’il reste méconnu, la rupture peut être la première manifestation, avec une mortalité périopératoire estimée à 43 %(1) et une mortalité globale incluant la mortalité préhospitalière estimée à 77-90 %(2,3). Le risque de rupture est d’autant plus élevé que l’AAA est gros. Facteurs de risque Les cohortes de patients inclus dans des études de dépistage ont permis d’identifier des facteurs exposant au risque d’AAA, des facteurs de croissance et des facteurs de rupture. Les facteurs de survenue d’un AAA identifiés en population générale sont l’âge > 60 ans, le sexe masculin, le tabagisme ancien ou actif et l’hérédité ; le risque associé à une coronaropathie, une hypercholestérolémie ou une maladie cérébrovasculaire est moindre ; le diabète, la race noire ou asiatique sont des facteurs protecteurs(4). Les facteurs favorisant la croissance sont le diamètre de l’anévrisme et le tabagisme actif(5). La présence et l’épaisseur du thrombus favoriseraient également cette croissance. Les facteurs favorisant la rupture sont le diamètre maximal de l’AAA, la croissance rapide > 6 mm/an, le sexe féminin, le tabagisme actif, une bronchopneumopathie chronique obstructive, une HTA non ou mal contrôlée, un contexte familial, un anévrisme sacciforme ou à développement excentré(5). La connaissance de ces différents facteurs permet de définir les populations les plus exposées au développement d’un AAA et les mesures à mettre en œuvre devant un petit AAA pour prévenir la rupture et favoriser le pronostic cardiovasculaire de ces patients. Cette prise en charge spécifique comporte plusieurs volets : ralentir la croissance de l’AAA(6), surveiller son diamètre, rechercher d’autres anévrismes, contrôler les facteurs de risque vasculaire du patient puis proposer une cure préventive de l’AAA par chirurgie conventionnelle ou endoprothèse. Mesures pour éviter la rupture Le tabagisme expose à une croissance accélérée de l’AAA et est retrouvé comme facteur de risque de rupture. L’arrêt du tabac est donc fondamental. Les statines pourraient diminuer la croissance de l’AAA en modulant les métalloprotéinases matricielles via leurs effets pléiotropes. Les bêtabloquants diminuent les contraintes pariétales, mais leur efficacité chez l’homme dans la prévention de la croissance de l’AAA n’a pas pu être prouvée car le traitement mal toléré a été interrompu avant la fin des essais. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion diminueraient le taux de rupture. Les antiagrégants plaquettaires auraient une action propre en limitant la formation du thrombus. Compte tenu du profil cardiovasculaire des patients porteurs d’un AAA, un traitement par statines, bêtabloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion et/ou les antiagrégants plaquettaires, est souvent déjà institué lors de la découverte de l’AAA. Certains antibiotiques semblent avoir un effet thérapeutique : actuellement il est accepté que la roxithromycine (macrolide) ou la doxycycline (tétracycline) diminuent la croissance d’un AAA (preuve de niveau B). Aucune recommandation concernant leur prescription n’existe cependant. La thérapie génique administrée localement ou par voie générale pourrait permettre le traitement spécifique de la maladie de la paroi aortique : c’est une des voies de recherche actuelle. Surveillance et traitement La surveillance du diamètre maximal de l’AAA repose sur la réalisation d’échographies régulières dont le calendrier dépend du diamètre de l’AAA (cf. infra). De plus, l’échographie permet la recherche d’autres localisations anévrismales en des sites clés (en particulier artères iliaques communes, hypogastriques et poplitées) afin de ne pas méconnaître un anévrisme dont le traitement rapide serait nécessaire. La recherche d’un anévrisme de l’aorte thoracique n’est en pratique pas systématique. Grâce à cette surveillance qui s’étale sur plusieurs années, le traitement préventif de l’AAA par chirurgie aortique conventionnelle ou par endoprothèse, peut alors être proposé si le diamètre maximal antéro-postérieur de l’AAA atteint 50-55 mm, si l’AAA grossit rapidement (> 7 mm en 6 mois ou > 1 cm en 1 an), ou si l’AAA devient douloureux. En cas de chirurgie conventionnelle réglée, la mortalité globale à 30 jours est de 4,8 % et s’élève avec l’âge : le taux passe de 2,5 % chez les patients âgés de 67-69 ans à 11,2 % chez les patients de plus de 85 ans(7). Le traitement endovasculaire est discuté en fonction du terrain et des caractéristiques anatomiques de l’AAA, et s’adresse pour l’instant en France aux patients à haut risque chirurgical dont la morphologie aorto-iliaque se prête à l’implantation d’une endoprothèse. La mortalité globale à 30 jours est de 1,2 % et s’élève avec l’âge : le taux passe de 0,4 % chez les patients âgés de 67-69 ans à 2,7 % chez les patients de plus de 85 ans(7). Le taux de mortalité en cas de chirurgie réglée reste largement inférieur à celui observé en cas de rupture, même si dans un avenir proche le développement du traitement endovasculaire en urgence des anévrismes rompus devrait largement améliorer le pronostic des anévrismes rompus à la phase hospitalière. Dépister pour intervenir à temps Le diagnostic d’un petit AAA asymptomatique est donc fondamental compte tenu des mesures à mettre en œuvre. Ce diagnostic est le plus souvent fortuit, sur une imagerie abdominale ou pelvienne effectuée pour un autre motif. Il peut être « intentionnel » chez des sujets à risque d’AAA, par la réalisation d’une échographie de l’aorte abdominale qui est l’outil privilégié de dépistage. En effet, même si la palpation abdominale ne doit pas être omise, cette dernière manque de sensibilité, en particulier en cas de petit AAA et chez le sujet obèse. Le diamètre antéro-postérieur est le plus reproductible : il est mesuré sur une échographie mode B en coupe transversale et longitudinale (figure). Le chiffre de 30 mm est généralement retenu dans les études épidémiologiques. Scanner et IRM n’ont pas de place dans le dépistage intentionnel. Figure. Anévrismes fusiformes de l’aorte abdominale en échographie. Les coupes transverse (A) et longitudinale (B) en échographie mode B montrent un AAA dont la lumière est en partie occupée par un volumineux thrombus à prédominance postérieure et latérale droite. Cet aspect est le plus fréquemment observé, avec une épaisseur et une localisation du thrombus variable. Les coupes transverse (C) et longitudinale (D) en échographie mode B montrent un autre AAA de 60 mm de diamètre antéro-postérieur sans thrombus pariétal. Cet anévrisme avait été découvert à la palpation. Dans les deux exemples, les deux coupes complémentaires orthogonales illustrent la technique de mesure des diamètres antéro-postérieur et transverse. De nombreuses études de dépistage en population générale ont montré que la prévalence des AAA ≥ 30 mm chez des hommes de plus de 65 ans est d’environ 5,5 %, et que ce dépistage conduit à une diminution de la mortalité liée à l’AAA et, avec moins de certitude, de la mortalité globale(8,9). Chez le coronarien, la prévalence a été peu analysée : elle varie de 2 à 13 % selon les études menées dans les pays anglo-saxons, et cette variabilité est liée à la typologie des patients inclus. Chez l’artériopathe, elle est estimée à 13 %. La prévalence est moins bien connue chez la femme car cette dernière a été exclue de la majorité des études. Or, l’AAA chez la femme est plus rapidement évolutif, est à plus haut risque de rupture pour un diamètre inférieur et, en cas d’intervention, le risque opératoire est plus élevé. De ce fait, de nombreuses publications soulignent la gravité de cette pathologie dans la population féminine, et préconisent de ne plus écarter la femme des démarches de dépistage. De plus, les seuils d’intervention définis chez l’homme ont été révisés pour la femme et la chirurgie élective est recommandée entre 45 et 50 mm(10). Actuellement, de nombreuses sociétés savantes se sont prononcées en faveur du dépistage des AAA. Les populations concernées sont principalement les hommes âgés, tabagiques anciens ou actifs, les sujets ayant des antécédents familiaux. En revanche, un seul programme de dépistage national est effectif, aux États-Unis : il consiste en une échographie unique de l’aorte abdominale et concerne les hommes âgés de 65 à 75 ans, fumeurs anciens ou actifs, et les hommes et les femmes âgés de 65 ans ayant des antécédents familiaux. Un programme de dépistage doit également être mis en place au Royaume-Uni. En France, aucun programme de dépistage n’existe actuellement. Seule la Société française de médecine vasculaire (SFMV) s’est positionnée en émettant des recommandations pour le dépistage (tableau 1) complétées par un protocole de surveillance et la conduite à tenir en fonction du diamètre de l’anévrisme identifié (tableau 2). Pour la SFMV, le dépistage est prévu chez la femme. Il est également recommandé par la Haute Autorité de Santé chez le patient porteur d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs définie par un index de pression systolique à la cheville < 0,9, que l’artériopathie soit symptomatique ou non(11). La Société Française de Cardiologie (SFC) ne s’est pas prononcée alors que de nombreux facteurs de risque sont communs entre l’athérosclérose oblitérante qui caractérise l’atteinte coronaire et l’AAA. Ce constat et l’enjeu du dépistage des petits AAA pourraient générer une réflexion au sein de la SFC afin de prendre en compte ce dépistage à l’occasion de l’élaboration de prochaines recommandations. La première étape serait l’identification des patients cardiaques à risque d’AAA, le coronarien semblant tout particulièrement concerné.

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