Vasculaire
Publié le 03 mai 2005Lecture 9 min
Sténoses carotidiennes : pourquoi préférer la chirurgie ?
F. KOSKAS*, J.-B. RICCO**, T. LEMONNIER**, Ch. MARCHAND** et E. KIEFFER* * CHU Pitié-Salpêtrière, Paris ** CHU de Poitiers
Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques représentent la troisième cause de mortalité dans les pays industrialisés, et l’athéromatose carotidienne est responsable de 25 à 30 % des AVC ischémiques. Bien que les indications des revascularisations carotidiennes symptomatiques soient aujourd’hui codifiées, jamais le traitement chirurgical n’a autant été remis en question.
En effet, l’engouement pour l’angioplastie, initialement proposée comme alternative à la chirurgie pour les sténoses non athéromateuses ou chez les patients à haut risque chirurgical, n’a fait que croître, à tel point que certains n’hésitent plus à l’utiliser en première intention. L’absence de démonstration d’un rapport bénéfice/risque favorable pour l’angioplastie avait conduit l’ANAES (Agence Nationale pour l’Accréditation et l’évaluation en Santé) à publier en 1997 des recommandations concluant (qu’) « il n’y a pas d’indication à l’angioplastie carotidienne dans les sténoses athéromateuses en dehors des essais thérapeutiques contrôlés ». De même, la nomenclature de la CNAMTS (Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés) précisait que « l’angioplastie de l’artère carotide ne peut donner lieu à cotation ».
Malgré ces recommandations institutionnelles, de nombreuses angioplasties transluminales sont pratiquées aujourd’hui quotidiennement, en dehors de tout protocole clinique, pour le traitement des sténoses athéromateuses de l’artère carotide. L’ANAES a donc procédé récemment à une réévaluation de ses recommandations réaffirmant que « l’équivalence, voire la supériorité de l’angioplastie en comparaison du traitement chirurgical n’étant pas démontrées, la poursuite de l’évaluation de l’angioplastie carotidienne dans le cadre de protocoles cliniques comparatifs reste indispensable » (figure 1).
Figure 1. Sténose très serrée de la carotide interne.
Nous exposerons dans ce travail les données actuelles de la littérature sur l’angioplastie et la chirurgie carotidienne afin de proposer au lecteur une attitude pratique.
Les techniques chirurgicales sont-elles validées ?
Les études prospectives multicentriques NASCET (North American Symptomatic Carotid Endarterectomy Trial) et ECST (European Carotid Surgery Trial) ont démontré le bénéfice du traitement chirurgical pour les sténoses carotidiennes symptomatiques serrées, bénéfice confirmé par la métaanalyse de Rothwell et coll. De même, mais dans une moindre mesure, l’étude ACAS (Asymptomatic Carotid Atherosclerosis Study) publiée en 1995, a montré la supériorité du traitement chirurgical pour les sténoses carotidiennes asymptomatiques > 60 % (tableau 1). Le taux cumulé de morbi-mortalité à 30 jours (TCMM) était de 5,8 % pour l’étude NASCET, 7,5 % pour l’étude ECST, 7 % pour la métaanalyse de Rothwell et coll. et 2,3 % pour l’étude ACAS.
Ces TCMM servent toujours de référence pour les études comparant l’angioplastie et la chirurgie, mais les TCMM des études chirurgicales récentes et non contrôlées sont souvent < 3 % (tableau 2). L’efficacité de la chirurgie dans le traitement des sténoses carotidiennes athéromateuses est donc prouvée.
Angioplastie versus chirurgie : quelles sont les preuves ?
Les avantages attendus de l’angioplastie carotidienne sont l’absence d’incision cervicale, de lésion des nerfs cervicaux, la réduction de la durée d’hospitalisation et donc, théoriquement, des coûts. En revanche, elle comporte ses risques propres, liés à la ponction fémorale et à la navigation endovasculaire de l’artère fémorale jusqu’à la carotide. Cinq essais prospectifs randomisés ont été réalisés avec des résultats contradictoires à court terme. Nous sommes en attente des résultats de quatre études multicentriques randomisées : EVA-3S, CREST, SPACE et ICSS-CAVATAS 2.
- L’étude conduite par Naylor et coll. a été interrompue prématurément, à la demande du comité d’éthique et de surveillance après l’inclusion de 17 patients, devant les mauvais résultats du groupe angioplastie. En effet, 5 AVC, dont 3 majeurs, sont survenus dans le groupe angioplastie sur 7 patients, contre aucun AVC dans le groupe chirurgie sur 10 patients.
- De même, l’étude non publiée WALLSTENT (qui comparait la chirurgie carotidienne à l’angioplastie avec stent chez des patients porteurs de sténoses carotidiennes serrées de 60-90 %, a été interrompue par le promoteur industriel après que 219 patients aient été randomisés. Le TCMM était de 10,2 % dans le groupe angioplastie contre 3,5 % dans le groupe chirurgical. À un an, 12,2 % des patients du groupe angioplastie avaient présenté un AVC homolatéral contre 3,6 % des patients opérés.
- À l’opposé, l’étude CAVATAS, ayant inclus 504 patients, a conclu à l’équivalence de l’angioplastie par rapport à la chirurgie avec un TCMM comparable (10 vs 9,9 %). Cependant, cette étude, portant sur des sténoses carotidiennes ou vertébrales, a inclus également des patients asymptomatiques et utilisé les critères NASCET et/ou ECST pour l’inclusion des patients ; la randomisation était donc biaisée. De plus, en dehors de ces critiques méthodologiques, on doit remarquer les mauvais résultats du groupe chirurgie (TCMM de 9,9 %), bien inférieurs à ceux des études chirurgicales randomisées (tableau 3). On remarquera aussi le taux élevé de resténoses ou d’occlusion des angioplasties à un an : 21 contre 5 % dans le groupe chirurgie.
- Des résultats comparables ont été retrouvés par Becquemin et coll. avec 7,5 % de resténoses à un an contre 1,7 % dans le groupe chirurgie.
- Plus récemment, l’étude CARESS (Combined Abciximab RE-teplase Stent Study in acute myocardial infarction), portant sur 439 patients, a conclu à l’équivalence de l’angioplastie et de l’endartériectomie (TCMM de 2 % pour les deux techniques).
- Il en est de même pour Brooks et coll., dans une étude monocentrique randomisée portant sur 104 patients présentant des sténoses carotidiennes symptomatiques > 70 %.
- À l’opposé, Golledge et coll., dans une revue de la littérature portant sur les études monocentriques parues entre 1990 et 1999, ont mis en évidence un TCMM deux fois plus élevé pour l’angioplastie par rapport à la chirurgie (7,8 vs 4 %) et un taux d’AVC de 7,1 % pour l’angioplastie contre 3,3 % pour la chirurgie.
- Un TCMM de 7,4 % était aussi retrouvé par Roubin et coll. dans une étude rétrospective portant sur 528 patients consécutifs ayant bénéficié d’une angioplastie carotidienne avec stent.
Les études publiées à l’heure actuelle ne permettent donc pas de conclure à l’équivalence de l’angioplastie carotidienne comparativement à la chirurgie pour le traitement des sténoses athéromateuses carotidiennes dans une population à risque standard.
Il faut souligner, de plus, que l’objectif d’une revascularisation carotidienne se mesure sur plusieurs années et que les résultats de l’angioplastie ne sont connus qu’à court terme. Pour donner la mesure du défi lancé par l’endartériectomie carotidienne, le taux actuariel moyen annuel de resténoses à 50 % ou plus que nous avons observé à 74 ± 48 mois après 5 152 endartériectomies était de 1,5 % dans notre base de données personnelle.
L’angioplastie est-elle indiquée chez les malades à risque ?
On entend habituellement par malades à risque ceux dont l’âge est > 75 ans, qui sont coronariens, insuffisants cardiaques, avec des antécédents vasculaires, d’hypertension artérielle, de dyslipidémie, d’AIT hémisphérique, porteurs de sténose du siphon carotidien ou d’occlusion carotidienne controlatérale (tableau 4).
Résultats des études publiées
- Chez ces malades à risque, Ballotta et coll. ont retrouvé un TCMM égal à 3 % après endartériectomie carotidienne chez 363 patients consécutifs considérés à risque.
- De la même façon, Jordan et coll. ont retrouvé un TCMM de 4,1 % pour un groupe à haut risque contre 1,9 % dans le groupe à « risque standard », mais avec un taux comparable d’AVC homolatéraux.
- Dans une étude rétrospective récente, Mozes et coll. ont analysé 323 endartériectomies considérées à haut risque sur un total de 776 effectuées entre 1998 et 2002. Ces auteurs n’ont pas mis en évidence de différence significative entre le groupe à haut risque et le groupe à risque standard concernant la survenue d’AVC et les décès, avec respectivement des taux de 1,4 % et de 0,3 %, comparables dans les deux groupes. Seule la survenue d’un infarctus du myocarde sans onde Q était plus fréquente dans le groupe à haut risque (3,1 %) que dans le groupe à risque standard (0,9 %).
En cas de traitement chirurgical, les malades à haut risque semblent donc présenter plus de complications coronariennes que les malades à risque standard et il est possible, mais non prouvé, que ce sous-groupe à risque élevé puisse bénéficier d’une angioplastie carotidienne.
La survenue durant la procédure d’angioplastie de variations hémodynamiques et du rythme cardiaque, qui n’ont rien à envier à celles observées en chirurgie, laisse à ce sujet un doute qui ne sera levé que par les études en cours.
Expérience personnelle
Pour nous faire une idée personnelle de l’existence de groupes à risque d’endartériectomie carotidienne susceptibles de bénéficier plutôt d’une angioplastie, nous avons interrogé notre base de données sur les 1 263 endartériectomies consécutives isolément effectuées durant les 5 dernières années (figure 2).
Quarante-sept pour cent des malades étaient asymptomatiques, 21 % avaient fait un accident constitué et 32 % étaient opérés pour des AIT. Il y avait 39,5 % de coronariens et 72,5 % d’hypertendus, 67,6 % de fumeurs, 19,9 % de diabétiques et 53,8 % d’hyperlipémiques. Tous les malades ont été opérés par endartériectomie dans 94 % des cas sous anesthésie générale en normotension. Le taux postopératoire de décès a été de 1,4 % et celui d’accidents neurologiques constitués non mortels de 2,5 %.
Figure 2. Pièce d’endartériectomie carotidienne.
Les 623 variables de notre base de données ont été passées au crible univarié de ces deux critères pour en sélectionner les facteurs significatifs de risque. Nous avons ensuite classé toutes les observations en fonction de l’existence ou non de ces facteurs retrouvés significatifs. Les observations présentant au moins un de ces facteurs ont été considérées comme à haut risque et les autres à risque modéré. Au total, seulement 371 observations pouvaient être classées à risque modéré, avec un TCMM de 1,5 %, alors que 892 sur 1 263 observations étaient classées dans le « haut risque » avec un TCMM de 3,9 %.
Notre conclusion est que la notion même de haut risque est discutable en chirurgie carotidienne et que, chez les malades « à haut risque », cette chirurgie donne des résultats qui seront probablement difficiles à surclasser par l’angioplastie.
Les resténoses carotidiennes après endartériectomie sont-elles des indications privilégiées d’angioplastie ?
- Sur une petite série de 8 patients présentant des resténoses postendartériectomie carotidienne, Leger et coll. s’interrogent sur la durabilité des résultats de l’angioplastie, puisqu’ils ont retrouvé 75 % de resténoses intrastent > 60 % en réduction de diamètre, à moins de 2 ans.
- AbuRahma et coll., dans une étude comparant 58 réinterventions contre 25 angioplasties avec stent pour des resténoses carotidiennes, obtiennent respectivement 100 % d’absence de resténose > 50 % à 6 mois, 1 an, 2 ans et 3 ans dans le groupe chirurgie contre respectivement 100, 94, 65 et 44 % dans le groupe angioplastie, avec 3,4 % d’AVC homolatéraux à 30 jours dans le groupe chirurgie contre 20 % dans le groupe angioplastie (tableau 5).
- Dans une analyse rétrospective de 64 patients consécutifs ayant bénéficié d’une réintervention chirurgicale pour resténose carotidienne (66 procédures), Cho et coll. ont retrouvé un TCMM de 3,1 % avec 1,5 % de lésions des nerfs périphériques et 9 % de resténoses (Ž 80 %) à 4 ans.
De leur côté, Rockman et coll., dans une série de 82 endartériectomies pour resténose carotidienne, ont un TCMM de 3,7 % avec 1,2 % de lésions nerveuses périphériques transitoires et 11 % de resténoses à 3 ans.
Il n’y a donc pas d’argument pour recommander l’angioplastie dans le traitement des resténoses carotidiennes après endartériectomie. Dans ces cas, le risque chirurgical est essentiellement local, lié à la dissection cervicale extensive au sein de tissus cicatriciels. Ce risque est bien contrôlé par l’utilisation de techniques évitant cette dissection itérative comme l’angioplastie par patch prothétique ou le pontage carotidien.
Lésions radiques : une indication privilégiée d’angioplastie ?
- Kashyap et coll., dans une série de 26 endartériectomies pour lésions carotidiennes radiques, n’observent aucun AVC ou décès à 30 jours, avec 23 % de lésions nerveuses périphériques transitoires et 11 % de resténoses à 2 ans.
- Watelet et coll, dans une communication non publiée faite au XVIIIe congrès annuel de la Société de chirurgie vasculaire, avaient relevé un taux de resténoses de 27 % à moins de 2 ans après angioplastie avec stent pour des sténoses carotidiennes postradiques.
Tout comme dans les resténoses carotidiennes postendartériectomie, la supériorité de l’angioplastie sur la chirurgie n’est pas prouvée pour les sténoses carotidiennes postradiques.
Problème des accidents emboliques lors de l’angioplastie carotidienne
- Balzer (et Jordan) et coll. ont montré que l’angioplastie est associée à des emboles détectés en peropératoire à l’écho-Doppler transcrânien, et que ces emboles sont plus de huit fois supérieurs à ceux constatés lors de l’endartériectomie.
- Par extension, Wholey et coll., qui ont analysé 12 392 procédures d’angioplastie, retrouvent un taux de 5,3 % d’AVC et de décès procéduraux parmi les 6 753 angioplasties effectuées sans dispositif de protection cérébrale, contre 2,2 % parmi les 4 221 angioplasties avec protection cérébrale.
- Kastrup et coll., dans leur revue de la littérature, retrouvent un TCMM de 1,8 % sur 896 angioplasties effectuées avec protection cérébrale, contre 5,5 % sur les 2 537 angioplasties qui n’en n’ont pas bénéficié.
- Plus récemment, les auteurs d’EVA-3S ont publié une alerte clinique recommandant l’utilisation systématique d’une protection cérébrale lors des angioplasties carotidiennes, car ils ont retrouvé 26,7 % d’AVC à 30 jours pour les angioplasties sans protection cérébrale contre 8,6 % dans le groupe qui avait bénéficié d’une protection cérébrale, soit un odds ratio de 3,9.
Arguments économiques ?
L’angioplastie serait-elle une alternative économique à l’endartériectomie ? On peut en douter, compte-tenu du coût du matériel nécessaire (ballon, stent, dispositif de protection, etc.), du fait que l’endartériectomie ne requiert en général pas d’implant coûteux, peut être faite sous anesthésie locorégionale, avec une durée d’hospitalisation sensiblement identique à celle de l’angioplastie, alors que de plus en plus de cas sont opérés sans exploration préalable autre que non invasive.
En pratique
Il est prudent d’attendre les résultats des essais thérapeutiques multicentriques randomisés en cours avant de proposer aux malades une angioplastie carotidienne. Le traitement de référence des sténoses carotidiennes reste l’endartériectomie dans les indications validées par les études randomisées.
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