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Vasculaire

Publié le 15 juin 2004Lecture 9 min

Sur quels éléments le clinicien doit-il retenir l’indication chirurgicale devant une sténose carotidienne serrée asymptomatique ?

G. RANCUREL, hôpital de la Salpêtrière

La controverse entre neurologues et chirurgiens vasculaires au sujet de l’endartériectomie des sténoses carotidiennes asymptomatiques persiste et se fige en attendant les résultats des angioplasties carotidiennes, dont le bénéfice n’est pas encore démontré. Cette situation conflictuelle se résout, compte tenu des données de l’étude ACAS, par une sélection drastique des malades au cas par cas. Il faut tenir compte du degré de sténose mesuré par la concordance entre l’écho-Doppler et l’angio-IRM, de son retentissement hémodynamique d’aval, de la structure instable et de l’évolutivité de la plaque.

L’indication chirurgicale dépend de l’expérience de l’équipe chirurgicale, de l’âge et du sexe, des comorbidités, de l’espérance et de la qualité de vie du malade. Elle est modulée par la présence ou non d’infarctus silencieux dans le territoire carotidien et de haut signaux microemboliques à l’écho-Doppler transcrânien. Il convient surtout de s’assurer du caractère vraiment asymptomatique de la sténose, grâce à un interrogatoire minutieux à la recherche d’AIT passés inaperçus et une IRM cérébrale avec séquences de diffusion.     L'incidence des accidents vasculaires cérébraux est estimée à environ 200 pour 100 000 par an, 80 % d’entre eux étant de nature ischémique. Dans ces cas, une sténose carotidienne est découverte chez près de la moitié des malades, donc un tiers, soit environ 10 % de la totalité des AVC, n’ont eu aucun symptôme préalable à l’accident. Contrairement aux consensus établis grâce à la métaanalyse des essais ECST et NASCET concernant les indications de la chirurgie dans les sténoses carotidiennes symptomatiques, plusieurs controverses subsistent quant à la prise en charge, seulement médicale ou médico-chirurgicale, des sténoses asymptomatiques.   ACAS : naissance d’une controverse Après quatre études randomisées négatives, consacrées à l’efficacité préventive de la chirurgie dans les sténoses carotidiennes aymptomatiques, l’étude américaine ACAS (Asymptomatic Carotid Atherosclerosis Study) parut balayer toutes les incertitudes en proclamant une réduction de plus de 50 % du risque d’infarctus cérébral ipsilatéral à la sténose chez les sujets porteurs d’un rétrécissement ≥ 60 % (selon la méthode NASCET) ou 75 % (selon la méthode ECST). Ces résultats ont été abondamment relayés dans la presse et, en moins de 2 ans, le nombre d’endartériectomies carotidiennes aux États-Unis a pratiquement décuplé. Face à cette hyperactivité chirurgicale, des controverses ont opposé les défenseurs du traitement médical seul, essentiellement des neurologues, mettant en doute les bénéfices de l’endartériectomie carotidienne préventive asymptomatique, aux chirurgiens vasculaires qui ont soutenu le bien-fondé de l’intervention pour prévenir le risque d’AVC ipsilatéral. Remise en question du rapport bénéfice/risque par les neurologues La situation est devenue conflictuelle, tout simplement parce que le bénéfice de la chirurgie — très important dans les sténoses symptomatiques à risque élevé, > 10 % d’infarctus cérébral ipsilatéral — est apparu au contraire, à des neurologues anglo-saxons, comme tout à fait marginal dans la prévention des accidents des sténoses carotidiennes asymptomatiques. En fait, ce risque, selon les résultats de l’étude ACAS, est passé, en moyenne, après endartériectomie de 2,2 % à 1 % par an. Au-delà de ses artifices de présentation, l’étude ACAS a eu l’intérêt de fournir des informations importantes pour aider à cerner les indications et les contre-indications de l’endartériectomie carotidienne dans les sténoses asymptomatiques. Les patients de plus de 79 ans ont été exclus de l’étude, ce qui est regrettable. De plus, le bénéfice de la chirurgie ne s’est manifesté qu’à 3 ans après l’intervention, ce qui conduit à s’interroger, en fonction de l’espérance de vie du patient, sur la pertinence d’une prophylaxie à long terme, notamment dans la tranche d’âge des octogénaires. En appliquant de façon très restrictive les données de ACAS, on pourrait esquisser le portrait du candidat à la chirurgie carotidienne : il s’agit d’un homme, plus souvent que d’une femme, âgé de moins de 79 ans, ayant une espérance de vie > 3 ans, porteur d’une sténose asymptomatique ≥ 70 % et dont on peut penser qu’il court un risque opératoire < 2 %. Dans ces conditions, le bénéfice de la chirurgie a été mis en doute par les neurologues, arguant de la nécessité d’opérer 30 patients pour éviter un infarctus cérébral dans les 5 ans. Ces résultats conduisent à considérer l’étude ACAS comme l’essai de référence concernant les sténoses carotidiennes asymptomatiques : c’est du moins l’opinion des chirurgiens vasculaires, car tous les neurologues ne sont pas de cet avis.   Impact de ACAS L’impact de l’étude ACAS a été décisif, faisant progresser de 68 % le nombre d’endartériectomies dans les 2 ans qui ont suivi la publication des résultats. Les neurologues continuent à contester le caractère adéquat de l’endartériectomie carotidienne dans les sténoses asymptomatiques. Ils mettent en avant la nécessité d’opérer 67 patients pour prévenir un AVC et de dépenser 1,5 million de dollars (USA) pour prévenir un accident vasculaire plus ou moins invalidant. Le coût leur paraît excessif et il vaudrait mieux consacrer, disent-ils, cette somme à l’éducation des malades du point de vue de leurs règles d’hygiène de vie et de leur traitement médicamenteux. Pour eux, le poids des preuves concernant la lésion carotidienne asymptomatique est en faveur d’un conservatisme fondé sur l’exclusion du traitement chirurgical au profit du seul traitement médical.   Indications de l’endartériectomie En pratique, sont considérées comme asymptomatiques les lésions sténosantes hémodynamiquement significatives, donc serrées, découvertes en l’absence formelle de symptômes neurologiques cliniques focaux, transitoires ou réversibles. Cette définition implique qu’un interrogatoire systématique et un examen clinique précis s’efforcent de rechercher l’existence de symptômes ou signes ignorés par le malade ou passés inaperçus. Apports des techniques d’imagerie Les progrès techniques des explorations ultrasoniques et neuroradiologiques ont mis en évidence des phénomènes emboliques silencieux dans le territoire carotidien, notamment au niveau de la sylvienne ou des territoires frontières. La présence, notamment, d’un foyer ischémique silencieux et la découverte au Doppler transcrânien de signaux (HITS) symptomatiques de microembolies remettent en cause la définition clinique de la carotide asymptomatique. Les malades les plus à risque sont ceux qui ont une réduction hémodynamique significative du débit sanguin cérébral en aval de la sténose de la carotide interne, avec une diminution du flux sylvien au Doppler transcrânien ou une baisse de la réserve circulatoire lors de la mesure des débits sanguins cérébraux par la méthode isotopique du xénon avant et après Diamox IV.   Structure de la plaque En réalité, il faut prendre en considération non seulement le degré de sténose de la carotide, mais aussi la structure de la plaque athéromateuse, sa stabilité ou son évolutivité. Plaques actives Il est des plaques irrégulières, molles, anfractueuses, ulcérées, fissurées, « volcaniques » et actives, avec parfois une hémorragie sous plaque et détection de microembolies ultrasoniques au Doppler transcrânien au niveau de l’artère sylvienne. Une étude de Casscells a précisé, par sonde thermographique, la température de la surface des spécimens d’endartériectomie chirurgicale, immédiatement après leur ablation. Elle démontre, dans les plaques actives, un centre chaud, riche en macrophages, monocytes, cellules inflammatoires et lipides : c’est le cœur actif de la plaque qui risque de se rompre. Plaques inactives À ce type de lésion, on oppose des plaques fibrocalcaires souvent lisses, « froides », non ulcérées, inactives ou non compliquées. Plaques évolutives Surtout, il est des plaques sténosantes dont le degré est évolutif, dans le temps avec une aggravation du rétrécissement de 6 mois en 6 mois, invitant à l’intervention chirurgicale. De même, la présence de foyers ischémiques, silencieux à l’IRM cérébrale, dans le territoire carotidien est un argument de poids en faveur d’une plaque athéromateuse instable, thrombo- emboligène, à condition de la différencier d’une lésion lacunaire d’origine artérioloscléreuse.   Sévérité de la maladie athéromateuse Il faut ajouter à ces considérations, l’évaluation de la sévérité de la maladie athéromateuse, son extension, l’augmentation du risque en cas d’occlusion carotidienne controlatérale, de coronaropathie, d’hypertension artérielle mal régulée, de diabète ou de tabagisme actif. Le paramètre de l’équation bénéfice-risque se définit, en effet, par le risque chirurgical, dont on sait qu’il est plus élevé chez la femme, en cas de comorbidité sévère ou mal contrôlée chez les sujets les plus âgés (pour les chirurgiens vasculaires, certains octogénaires ne sont pas à risque plus élevé que des sujets plus jeunes). Pour les neurologues, le risque serait majeur en cas de sténose ipsilatérale du siphon carotidien. En fait, les chirurgiens vasculaires ne sont pas de cet avis. En revanche, la présence d’une occlusion controlatérale de la carotide est un facteur bien reconnu de risque chirurgical plus élevé. De plus, l’état des coronaires est systématiquement exploré, traité avant toute intervention sur la carotide en raison du taux de complications cardiaques de cette chirurgie. On veille particulièrement au contrôle de l’HTA, à l’évaluation de l’insuffisance ventriculaire gauche. En outre, les accidents liés à l’artériographie qui pouvaient atteindre de 1,5 à 2 % sont en voie de disparition, car de nombreux chirurgiens opèrent des sténoses carotides asymptomatiques sur les données conjuguées de l’écho-Doppler, de l’angio-IRM avec injection de gadolinium ou de l’angio-scanner avec contraste iodé. Actuellement, selon les recommandations de l’ANAES, la conjugaison concordante d’un écho-Doppler et d’une angio-IRM permet d’éviter l’artériographie et son caractère vulnérant.   En résumé L’indication de l’endartériectomie dans les sténoses carotidiennes asymptomatiques ne se discute qu’à partir de 70 % de degré de sténose et elle se renforce en fonction de la baisse du flux d’aval, de la structure de la plaque et de sa dangerosité. Il ne peut donc s’agir que d’une réponse au cas par cas, prenant en considération la pertinence d’une prévention à long terme, la menace spontanée de la sténose, son évolutivité, son instabilité thromboemboligène et son retentissement hémodynamique. Ce débat qui grève encore la place de la chirurgie dans les sténoses carotidiennes asymptomatiques pourrait se déplacer dans le futur sur le terrain des angioplasties carotidiennes. Cette technique prometteuse n’a pas encore fait ses preuves dans le cadre d’études prospectives contrôlées indiscutables.   Circonstances de découverte Les circonstances de découverte d’une sténose carotidienne asymptomatique sont très variables. Schématiquement, on distingue trois situations : - dans la première, il s’agit d’une constatation préopératoire chez des patients candidats à une intervention chirurgicale dans un territoire extracarotidien : c’est le cas notamment d’une chirurgie cardio-thoracique ou vasculaire périphérique. Les anesthésistes sont d’autant plus amenés à effectuer un bilan préopératoire exhaustif que les malades sont réputés être porteurs de nombreuses comorbidités. Cette vigilance se renforce quand on projette une chirurgie redoutée pour son caractère hémorragique : arthroplastie de hanche, résection par voie haute de prostate, chirurgie générale majeure, et surtout pontage coronarien. Le dépistage repose sur la découverte d’un souffle cervical et surtout sur les données d’un examen écho-Doppler systématique ; - dans la deuxième situation, la sténose carotidienne est dépistée au cours du bilan de surveillance d’une intervention carotidienne controlatérale. Il peut s’agir soit d’une lésion anciennement connue et surveillée, soit de l’apparition d’une sténose de novo ; - dans la dernière situation, la sténose est dépistée chez des malades médicaux totalement asymptomatiques ayant un ou plusieurs facteurs de risque cardio-vasculaire ou consultant pour des symptômes rapportés à l’infiltration athéroscléreuse d’autres territoires, vertébro-basilaire, coronaire ou périphérique. Ainsi, une sténose carotidienne > 60 % (NASCET), ou > 70 % (ECST) est observée chez près de 25 % des patients ayant une artériopathie périphérique. Il est également hautement probable de dépister une sténose chez des malades de plus de 60 ans explorés systématiquement et présentant une coronaropathie, un anévrisme aortique, une forte hyperlipidémie ou une intoxication tabagique sévère. Bien que l’histoire naturelle des sténoses carotidiennes asymptomatiques reste controversée, plusieurs études fondées sur des explorations non invasives ont établi qu’il existait un risque accru d’AVC en aval d’une sténose > 50 %. Ce risque est de l’ordre de 2 à 4 % par an. En revanche, les sténoses évoluées devenues > 90 % comportent un risque d’événement neurologique ou d’occlusion carotidienne estimée à 35 % à 2 ans.   En conclusion   La décision d’opérer une carotide asymptomatique se prend au cas par cas, en tenant compte de l’espérance et de la qualité de vie du malade, de son sexe, de son âge, des comorbidités vasculaires ou cérébrales, ainsi que de l’expérience de l’équipe chirurgicale. Une bibliographie sera adressée aux abonnés sur demande au journal.  

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