Publié le 29 fév 2012Lecture 4 min
Thrombose et grossesse
M. DEKER, Paris
Les thromboembolies veineuses (TEV) liées à la grossesse restent fréquentes, occasionnant en France de 5 à 10 décès chaque année, et posent de multiples problèmes pratiques qui justifient cette mise au point. La période à plus haut risque est celle du post-partum mais le risque augmente dès le début de la grossesse.
Ces TEV ont quelques spécificités anatomiques : elles intéressent le membre inférieur gauche plutôt que le droit à 90 %, en raison de la compression des vaisseaux iliaques, majorée par l’état de gravidité ; des localisations pelviennes sont possibles, surtout en post-partum, concernant le pédicule lombo-ovarien ; les thromboses du membre supérieur se rencontrent presque exclusivement dans les hyperstimulations en AMP ; en postpartum les thromboses veineuses cérébrales constituent une entité très particulière (y penser devant des céphalées intenses et persistantes).
Plusieurs facteurs doivent être réunis pour que se constitue une TEV : un état d’hypercoagulabilité physiologique pendant la grossesse sous l’influence des estrogènes et destiné à éviter les hémorragies du post-partum ; une stase veineuse favorisée par la compression par l’utérus gravide ; les lésions vasculaires jouent un rôle favorisant en postpartum (microtraumatismes pelviens pendant l’accouchement).
Comment dépister les femmes à risque ?
Le risque de TEV pendant la grossesse peut être évalué en fonction de facteurs de risque :
• personnels : antécédents personnels de TEV, en particulier pendant la grossesse ou sous contraception estroprogestative, ou familiaux, séquelles de TEV ; notion de thrombophilie familiale (en particulier homozygote) et/ou acquise (tel le syndrome des antiphospholipides) ;
• cliniques : obésité, tabagisme, âge > 35 ans, drépanocytose, pathologie cardiaque ;
• liés à la grossesse : multiparité, prise en charge en AMP, vomissements gravidiques profus, prééclampsie, travail prolongé, césarienne (surtout en cours de travail), hémorragie sévère du post-partum.
La prise en charge des femmes à risque doit être multidisciplinaire et la patiente doit être bien informée des risques et bénéfices du traitement anticoagulant.
Le risque de TEV peut être hiérarchisé en fonction des facteurs de risque :
– risque majeur : antécédent personnel de TEV, maladie de système, traitement antérieur par anticoagulant, thrombophilie majeure ;
– risque élevé : antécédent personnel de TEV sans facteur déclenchant ou déclenché par des estroprogestatifs ou pendant la grossesse/post-partum ;
– risque modéré : antécédent personnel de TEV à l’occasion d’une circonstance favorisante connue (chirurgie osseuse, en particulier tibia, hanche) ; thrombophilie mineure hétérozygote ;
– risque faible : âge maternel > 35 ans, obésité, césarienne, multiparité, alitement.
La prééclampsie est souvent associée à un syndrome inflammatoire maternel qui conduit à un état prothrombotique, d’où le risque de thrombose veineuse profonde (TVP) et surtout d’embolie pulmonaire (EP). Un autre état impliquant un excès de risque TEV est la période consécutive à l’arrêt d’une hémorragie obstétricale grave, marquée par un rebond de fibrinogène.
Prévention des TEV pendant la grossesse
La prévention des TEV pendant la grossesse fait appel aux héparines, de préférence de bas poids moléculaire (HBPM) qui sont moins iatrogènes que l’héparine non fractionnée (HNF) ; les antivitamines K sont contre-indiquées.
• En cas de risque majeur : HBPM 175 à 200 U/kg avec relais par AVK en post-partum.
• En cas de risque élevé : HBPM à dose forte ou intermédiaire 4 000 à 5 000 U x 2/j, durant toute la grossesse ou au 3e trimestre seulement.
• Si le risque est modéré, le traitement ne s’impose pas pendant toute la grossesse (bas de contention seulement), puis 4 000 à 5 000 U en post-partum.
• Si le risque est faible, pas de traitement anticoagulant pendant la grossesse.
Seules trois molécules ont été évaluées pendant la grossesse : l’énoxaparine, qui a été testée à tous les trimestres et confère une bonne protection, sans augmentation du risque hémorragique ; la daltéparine ; la tinzaparine, qui a fait l’objet de plusieurs études récentes. Une étude cas-témoins de prophylaxie réalisée par C. Nelson-Piercy et al. (EJOG 2011 ; 159 : 293-9) a évalué la tinzaparine à la dose médiane de 4 500 U/j pendant toute la grossesse ou le 3e trimestre dans 1 013 grossesses chez 868 femmes à risque élevé. Les patientes avaient arrêté le traitement au moment de l’accouchement ; il a été observé 1 % seulement de TEV, comparativement à un taux attendu de 5-10 % chez des patientes non protégées, et des événements hémorragiques limités et de faible importance.
Prévenir la survenue des événements TEV pendant la grossesse est l’affaire de tous ; cela nécessite un interrogatoire minutieux afin de dépister les femmes à risque et la mise en route des mesures de prophylaxie, en utilisant des molécules validées chez la femme enceinte. Chez une femme traitée par un AVK avant la grossesse, ces derniers ne doivent pas être interrompus en préconceptionnel ; le relais sera pris par une HBPM.
En traitement curatif des TEV, la dose d’HBPM sera adaptée au poids et le traitement poursuivi pendant toute la grossesse, soit 200 U/kg pendant 3 mois puis diminuée jusqu’à une dose intermédiaire jusqu’à l’accouchement ; enfin, le traitement anticoagulant est repris en postpartum soit pendant 6 semaines par AVK ou par HBPM à dose intermédiaire si la thrombose est survenue en début de grossesse ou à dose curative si elle est survenue en fin de grossesse. Un dosage bihebdomadaire des plaquettes est nécessaire pendant 3 semaines, puis une fois par mois.
Pour l’accouchement
Le déclenchement n’est pas systématique ; l’idéal est toutefois de pouvoir déclencher l’accouchement sur des conditions favorables en n’ayant pas fait l’injection d’HBPM le matin, ce qui permet aussi de faire une péridurale à condition que l’injection ait été réalisée depuis plus de 12 heures dans le cadre d’un traitement préventif (> 24 h en traitement curatif). Dans le cadre d’un traitement curatif, deux options sont possibles, soit un déclenchement vers 39 SA sur des conditions locales favorables, soit une césarienne systématique avec une fenêtre thérapeutique prévue pour éviter de majorer le risque thrombotique. Dans le post-partum, l’anticoagulation par HBPM est reprise environ 6 heures après l’accouchement hormis risque hémorragique, avec un relais possible par AVK en suites de couches ou en hospitalisation à domicile.
35es Journées nationales du CNGOF
« Publié dans Gynécologie Pratique »
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :